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Bienvenue à Spamville
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Livre électronique306 pages2 heures

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À propos de ce livre électronique

Imaginez un Québec alternatif où les personnages sont des sites Web et des applications

 

Que faites-vous quand vous installez un micro-ondes dans votre domicile, et que l'appareil est infecté par un virus domestique?

Vous appelez Nortonne Express. Et vous espérez que les employés débarquent avant que les écritures de votre résidence se transforment en caractères japonais sous vos yeux.

Julie vient de commettre cette erreur. Elle doit libérer son appartement pour permettre aux nettoyeurs de travailler, elle décide donc de faire un road trip avec sa colocataire Hélène pour rendre visite à une amie commune, à Saint-Patrice-de-l'Ancienne-Montagne.

Seul bémol, elle n'a aucune adresse en main, et la municipalité a banni le téléphone de son territoire. Pour trouver quelqu'un, c'est pas la gloire.

Durant leurs recherches, Julie et Hélène croisent une panoplie d'habitants aux moeurs colorées dont Madame Angèle Pawarpoin, Maître Ouikipèdia, Docteur Foteau-Choppe, Chad Hioutoube et Sophie Flasche.

Et comme les problèmes ne viennent jamais seuls, Julie et Hélène apprennent qu'une tueuse en série fait les manchettes à Saint-Patrice, et qu'elles pourraient se retrouver dans le collimateur de la meurtrière.

LangueFrançais
Date de sortie15 sept. 2021
ISBN9782924539200
Bienvenue à Spamville
Auteur

Dominic Bellavance

Dominic Bellavance écrit des romans centrés sur les personnages, où prédominent l’action, l’intrigue et l’humour. Il se spécialise en fantasy, mais touche occasionnellement à la science-fiction et au roman contemporain. Son premier livre de fantasy, Alégracia et le Serpent d'Argent, a remporté un Prix Aurora Award en 2006 décerné par L'Association Canadienne de la Science-fiction et du fantastique. Alégracia et les Xayiris vol. II a été finaliste pour le même prix en 2008. Fort populaire auprès des jeunes, sa série Alégracia s'est écoulée à plusieurs milliers d'exemplaires.  Dominic est diplômé en techniques d'intégration multimédia au Cégep de Sainte-Foy et a obtenu un baccalauréat multidisciplinaire en création littéraire, en littérature québécoise et en rédaction professionnelle à l'Université Laval.

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    Aperçu du livre

    Bienvenue à Spamville - Dominic Bellavance

    Nagasaki II

    Moins d’une semaine s’était écoulée depuis ma dernière mésaventure et, pourtant, je me retrouvais encore une fois devant un nouvel appareil domestique – celui-là flambant neuf – que j’avais déposé sur ma table de cuisine. Il venait du Canadian Tire. T’as opté pour un magasin connu, me dis-je, pour me rassurer. T’as payé plus cher, mais ça va t’éviter des ennuis.

    Je pris un couteau, fendis le ruban adhésif qui scellait la boîte, ouvris les rabats de carton et soulevai mon nouveau four à micro-ondes, encore prisonnier de ses épaulettes en polystyrène. Je dus dégourdir quelques muscles dans mes bras pour transporter ce mastodonte de la table au comptoir. Un « BLANG ! » retentit lorsque je le lâchai. Mes verres s’entrechoquèrent dans mon armoire.

    Je retirai les derniers emballages en plastique et entassai les rebuts dans ma poubelle. Le couvercle de celle-ci ne fermait plus qu’à moitié. Je lui assénai un puissant coup de pied qui n’y changea rien.

    Déjà essoufflée, j’examinai mon acquisition avec une lampe de poche.

    Surfaces externes en acier inoxydable : OK.

    Plateau tournant : OK.

    Surfaces internes, qui seraient bientôt constellées de morceaux bruns et dégueu : OK.

    J’éteignis la lampe, préoccupée. Devais-je prendre un tournevis et vérifier les circuits de cette maudite machine ? La dernière fois que j’avais rapporté un électroménager dans mon appartement, je l’avais branché sans attendre.

    Et je l’avais regretté.

    Bien sûr, le Canadian Tire était plus sûr qu’un commerce de prêt sur gage. Magasiner de l’» usagé » était devenu dangereux ces jours-ci et, comme ma mère était sensible à la sécurité de sa « p’tite Juju adorée », elle m’avait passé deux cents dollars pour financer l’achat d’un appareil neuf.

    Mon ventre criait famine. Jamais je n’aurais la patience d’effectuer toutes les démarches préventives. Ne disait-on pas que, pour avancer dans la vie, il fallait prendre des risques ?

    Je plantai la fiche d’alimentation dans la prise murale. Les aiguilles sur le cadran du micro-ondes, comme atteints de dysfonction érectile, eurent un soubresaut et vacillèrent, pour finalement s’immobiliser vers le bas.

    J’ouvris la porte de l’appareil. Aucune lumière à l’intérieur.

    — Voyons donc !

    M’attendant au pire, je consultai le livret d’instructions, section Démarrage rapide. Des caractères minuscules étaient entassés au bas de la page :

    Avant de mettre en marche votre four à micro-ondes Toshiba pour la première fois, veuillez lire les termes d’utilisation ci-dessous et appuyer sur le bouton marqué du mot « J’accepte », situé derrière l’appareil.

    S’ensuivait un paragraphe-fleuve constitué de mots juridiques et techniques qui s’étendait sur neuf pages. Apeurée, je trouvai le bouton « J’accepte » et l’enfonçai.

    Pour finaliser l’installation, veuillez s’il vous plaît fermer le disjoncteur principal de votre résidence et le rallumer. Votre électroménager sera ensuite prêt à être utilisé.

    Attention : cette opération peut prendre plusieurs minutes.

    Je courus au salon, tassai mon divan et soulevai le vieux panneau de bois derrière : il cachait une douzaine de disjoncteurs identifiés au stylo, probablement par un médecin à en juger par la calligraphie. J’étais loin d’être une experte en électricité, mais je devinais que le disjoncteur principal était le plus gros. Je le poussai d’un geste sec.

    Les lumières de la cuisine s’éteignirent et le moteur du réfrigérateur ralentit jusqu’à devenir silencieux.

    On recommençait à entendre les voitures, dehors.

    Combien de temps devais-je attendre ? « Plusieurs minutes », comme le soulignait l’avertissement dans le livret ? Bof.

    Je réactivai le disjoncteur. Mon logement ressuscita. Sur le micro-ondes, les aiguilles de la petite horloge tournèrent à une vitesse folle pour finalement s’arrêter sur le chiffre « 12 ».

    Fière comme si je venais d’obtenir une note parfaite à un examen de mathématiques (j’étais particulièrement poche dans cette matière), je choisis un repas minute dans le congélateur, poignardai la pellicule plastique avec une fourchette et déposai la barquette sur le plateau de mon nouvel appareil. Trois minutes. Start.

    Je m’assis sur le comptoir, à côté de la machine qui ronronnait, et observai l’intérieur de ma chambre à coucher par l’embrasure de la porte. Du coup, je regrettai d’avoir coupé court à mon inspection d’électroménager.

    Je savais pourtant à quoi je m’exposais.

    Depuis la semaine dernière, les médias mettaient les consommateurs en garde contre les appareils électriques importés, particulièrement ceux en provenance des pays scandinaves, qui risquaient de transporter Sårbädden, un des nombreux virus domestiques qui nous pourrissaient la vie chaque année.

    On disait que, dans un appartement infecté par cette saloperie, les draps des lits s’animaient la nuit et s’enroulaient comme des boas constricteurs autour des dormeurs, les maintenant prisonniers pendant quarante-huit heures. Si on possédait un lit king, c’était pire : les couvertures s’accrochaient aux victimes pendant une semaine complète, et finissaient par les tuer si personne ne les secourait.

    Frotter les draps avec une feuille d’assouplissant suffisait normalement à attendrir les tissus meurtriers, du moins assez pour qu’on puisse s’en échapper sans risquer d’y perdre un bras. Donc, depuis un bout de temps, le Downy se rangeait dans la table de chevet.

    Ce virus, qu’on ne retrouvait apparemment qu’à Montréal, avait déjà tué par suffocation une centaine de personnes. Selon les journaux, la métropole grouillait d’ambulanciers et d’agents de la Sûreté du Québec. C’était assez inquiétant.

    J’ai suffisamment de problèmes pour le moment, me dis-je. Je peux me passer d’un match de lutte avec mes couvertures de Schtroumpfs.

    Le micro-ondes sonna. J’enfilai des mitaines de four et transportai avec délicatesse mon plat fumant jusqu’à la table.

    Je jetai un autre coup d’œil vers ma chambre quand je passai devant.

    Les draps se tenaient tranquilles.

    À côté de ma commode, Bisbille, ma perruche bleue et deuxième meilleure confidente après Hélène, battait des ailes pour se dégourdir. Une plume s’échappa d’entre les barreaux de sa cage et descendit rejoindre d’autres saletés sur le tapis.

    J’envoyai un petit bisou à mon oiseau, du bout des lèvres.

    Je m’installai devant mon repas, remuai les pâtes avec mon ustensile et en gobai une pleine fourchetée. Dès que j’avais ouvert la bouche, mes papilles gustatives avaient secrètement espéré finir leurs jours englouties par une couche de sauce brûlante. Les plus chanceuses moururent sur le coup. Les autres reçurent les cannellonis figés dans la glace qui se cachaient au fond du plat. Je me contentai de grimacer et d’endurer, en regrettant de ne pas avoir acheté des sushis sur le chemin du retour.

    Au moins, les plats surgelés avaient l’avantage d’être abordables.

    Beurk.

    J’allais devoir m’y habituer, avec ma nouvelle situation financière.

    Re-beurk.

    Je pris un bon verre d’eau chloré comme dessert. Le gros luxe.

    Voilà qui concluait un autre savoureux repas dans ma vie estudiantine.

    Je me dirigeai vers l’évier pour laver ma fourchette engluée de fromage et, par la même occasion, j’observai du coin de l’œil le cadran du micro-ondes. À la place des chiffres, je crus voir des idéogrammes asiatiques. Je clignai des yeux.

    Les symboles étaient toujours là.

    Des idéogrammes.

    — Non. Nonononon, non, non !

    Je courus jusqu’au cadran et me collai le nez contre le bouton Popcorn. Était-ce du japonais ?

    En panique, je me tournai vers le réfrigérateur. Toutes les notes aimantées qui y étaient affichées apparaissaient soudain dans cette langue. Même les photographies d’Hélène étaient affectées : ma coloc portait maintenant des t-shirts de marque クイックシルバー.

    — Ostie de câlisse !

    J’aurais dû l’examiner, l’intérieur de ce putain de micro-ondes.

    En vitesse, je sortis un annuaire téléphonique d’un de mes tiroirs. Sur la couverture, les lettres avaient amorcé leur processus de transformation. L’ouvrage serait bientôt complètement indéchiffrable. Je devais me dépêcher. J’atteignis la page cent cinquante-cinq, facilement repérable puisque j’en avais corné le coin depuis le dernier incident du même type. Là se trouvait le numéro d’une compagnie de nettoyage spécialisé.

    Je fis tourner la roulette du téléphone et, pendant que la sonnerie tintait dans le combiné, j’entendis les pas nonchalants du facteur dans le couloir de mon immeuble. Il devait s’apprêter à laisser une montagne de lettres devant ma porte, comme chaque matin.

    Bisbille sifflait joyeusement dans ma chambre, inconsciente du malheur qui s’abattait sur son infortunée maîtresse.

    Une réceptionniste répondit enfin. Je lui expliquai mon problème dans les détails : le micro-ondes acheté neuf au Canadian Tire, l’inspection partielle (bravo encore, championne), la procédure d’installation, la désactivation et réactivation du disjoncteur, et, bien sûr, l’incident qui justifiait mon appel.

    La dame à l’autre bout du fil ne semblait pas impressionnée. Elle reconnut dans ces symptômes un virus qui portait le nom de Nagasaki II. Selon elle, cette infection rarissime transformait en caractères japonais toute trace d’écriture dans une habitation et déformait parfois les phrases affectées en les remplaçant par des propos antiaméricains. Les créateurs du virus avaient apparemment l’explosion de Fat Man sur le cœur, même après toutes ces années.

    Selon la femme au bout du fil, les effets disparaîtraient d’eux-mêmes après trois mois.

    — Trois mois ? m’écriai-je. Si c’était limité au frigo, ça serait endurable. Mais mon annuaire est déjà illisible. Ça doit être pareil pour mes devoirs de cégep.

    — Le virus peut effectivement s’étendre jusqu’aux meubles et infecter leur contenu.

    — J’ai des travaux à remettre dans une semaine. En japonais, ils vaudront pas grand-chose.

    — Si vous le désirez, nous pouvons vous envoyer des nettoyeurs aujourd’hui. Vous êtes à Québec ? Oui ? Alors, ils arriveraient vers seize heures trente. Ça vous convient ?

    J’écrivis l’heure sur un bloc-notes. Dès que j’eus soulevé mon stylo, les traits d’encre se tordirent sous mes yeux.

    — Ça marche pour seize heures trente.

    — Vous êtes madame… ?

    — Julie Séguin.

    — Votre adresse ?

    — Huit cent vingt, chemin des Prés.

    J’attendis que la téléphoniste retranscrive cette information sur ses papiers.

    — Il y a un numéro d’appartement ?

    — Ouais. Vingt-six. Mais je vous avertis : les chiffres doivent être écrits en jap…

    — Attention : dans le cas d’un appartement, il faudra pulvériser du Quarantine-Plus sur les murs. C’est le protocole obligatoire, pour éviter que l’infection se répande vers les logements contigus. Vous comprenez ?

    — Hein ? Ça coûte combien, du Quarantine-Plus ?

    — Trente dollars par sac. Et il faut généralement un sac par pièce.

    — Pour vrai ? Je veux dire… merde ! J’ai pas cet argent-là.

    — Vous n’êtes pas assurée ?

    — Je sais pas, moi !

    Traduction : non.

    La réceptionniste m’informa que, selon la loi, j’étais tenue de prendre les moyens nécessaires pour protéger mes voisins. Bien sûr, je devais m’attendre à ce que les compagnies comme Nortonne Express exploitent cette obligation au maximum.

    — J’ai quatre pièces et une salle de bain, expliquai-je. À moins que ma « cuisine-salle à manger » vaille pour deux. Et la salle de bain, ça compte pas vraiment, hein ?

    La téléphoniste écrivit encore. Elle m’annonça que le total s’élevait à cent quatre-vingts dollars plus taxes.

    Je sentis une vague de chaleur me monter au visage. Je pourrais payer cette somme avec ma carte de crédit, mais je devrais quémander de l’aide à ma mère pour survivre le mois suivant.

    La téléphoniste ajouta, sur un ton quasiment robotique, que le Quarantine-Plus était un produit qui dégageait des vapeurs hautement toxiques et qu’il me faudrait laisser l’appartement vacant jusqu’à lundi matin.

    — Mais, je peux pas !

    — On parle de votre santé, madame. Et c’est la loi, aussi.

    Frustrée, je mordis mon avant-bras. Pas jusqu’au sang, mais quand même.

    Je pourrais squatter le futon chez mon amie Karine, pensai-je, résignée. Ça fait longtemps qu’on s’est vues. Plusieurs semaines. On est dues pour jaser. Sinon, il y a toujours ma mère, à Lévis.

    — En attendant les nettoyeurs, passez une éponge imprégnée de vinaigre sur les meubles qui contiennent vos devoirs et autres documents sensibles. Cela ralentira la progression du virus. Pour gagner du temps, faites-le sur la table de la cuisine et rassemblez-y vos affaires.

    — C’est bon à savoir. Seize heures trente, donc ?

    — Seize heures trente, madame Séguin.

    Je déposai le téléphone sur sa base et enduisis ma table de vinaigre, puis rassemblai mes cartables et livres scolaires sur le meuble.

    En vitesse, j’enjambai la pile de lettres devant mon entrée et m’aventurai dans le corridor de l’immeuble, où une odeur de cuisine indienne flottait en permanence. Je lus les numéros qu’arboraient les portes autour de moi, dans l’ordre : 23, 24, 25, 二六, 27, 28…

    Soulagement momentané. Le virus n’avait pas encore atteint les voisins.

    Je réunis mon courrier en un tas grossier. Aujourd’hui, j’avais remporté le gros lot : une cinquantaine d’enveloppes, peut-être soixante.

    Je relâchai mon butin sur la table de la cuisine et examinai le tout à la va-vite : de la publicité pour obtenir des diplômes faciles et pas chers, encore de la publicité, une offre d’admission dans une université louche, des bons de réduction…

    Puis, je sursautai.

    Le nom « Karine Blanchette » figurait au coin d’une des enveloppes, rédigé dans une écriture mauve et saccadée, facilement reconnaissable. Bizarre. Comme la plupart des gens, Karine appelait au lieu de flamber son argent en timbres. Avait-elle oublié de payer son compte de téléphone ? Ou bien voulait-elle exprimer une idée qui se transmettait mieux sur papier ? Chose sûre, ça n’avait pas la forme d’une carte de souhaits.

    — Oh ! merde !

    Les livres et enveloppes du dessous étaient en train de se gorger de liquide noirâtre. Je me dépêchai de les soulever.

    J’aurais dû m’y attendre, après avoir repeint le meuble avec une demi-bouteille de vinaigre balsamique.

    Chapitre 2

    G0O 6L3

    Je déchirai l’enveloppe envoyée par Karine et en extirpai une feuille lignée, pliée en trois :

    Salut Jul,

    Ça va ? Moi… pas super. Ta présence aux funérailles de ma grand-mère m’a vraiment fait du bien. Je voulais te le redire. Excuse-moi encore… j’ai été sèche quand on s’est parlé. J’aime pas ça, pleurer en public. C’est de l’orgueil mal placé, j’imagine.

    Tu sais, le décès de mamie m’a vraiment jetée à terre. J’ai passé mon enfance avec elle. C’est comme si une partie de moi s’était envolée au paradis, accrochée à son bras. Je m’ennuie sans bon sens.

    En tout cas, je pense qu’on devrait se voir. J’habite à Saint-Patrice-de-l’Ancienne-Montagne depuis quelques semaines et…

    Je cessai de lire pour digérer l’information. Karine avait déménagé ? Depuis quelques semaines ?

    … j’ai trouvé une jobine. J’avais besoin de changer d’air, tu comprends ? Ça faisait un an que je cherchais du travail à Québec. Personne ne voulait de moi. Je devais partir, parce que là-bas, je braillais tout le temps.

    Ça se comprenait, malheureusement. L’année dernière, juste après avoir obtenu son diplôme d’études collégiales, Karine avait distribué des curriculum vitæ dans quelques centres de réinsertion sociale, aux quatre coins de la ville. Elle avait attendu les convocations d’entrevue avec une anxiété qui l’avait presque rendue malade, mais aucun employeur ne l’avait appelée. C’était tant pis pour eux, que je me disais : Karine avait plein de belles qualités, même si, comme la plupart des gens, elle n’était pas exempte de défauts.

    Mais, bon.

    Il fallait dire que la recherche d’emploi n’était pas le fort de Karine : quand on l’incitait à envoyer plus de CV, elle nous regardait comme si on lui montrait un bol de litchis et qu’on l’obligeait à les avaler sans enlever l’enveloppe. Son estime de soi avait besoin de coups de pied au cul pour s’épanouir. Pas idéal lorsque venait le moment de convaincre un employeur qu’on était la perle rare.

    Le décès de sa grand-mère avait dû faire déborder le vase.

    J’aurais préféré t’annoncer la nouvelle de vive voix, mais on n’a pas le téléphone au village. C’est pour ça que je t’écris.

    La porte de l’appartement s’ouvrit soudain et cogna contre le mur. Hélène, ma délicate colocataire, pénétra dans le vestibule, jeta son coupe-vent sur le sofa, souleva ses lunettes fumées et les piqua dans sa chevelure. Elle désigna la porte du doigt :

    — C’est toi qui as changé…

    — Non, on a attrapé un virus.

    — Encore ?

    Elle courut dans sa chambre, fouilla dans ses tiroirs, ouvrit des cartables et retourna les papiers qui recouvraient son lit.

    — Ah ! ben calvaire !

    Quant à moi, je continuai ma lecture :

    Si tu veux me répondre, écris-moi à l’adresse sur l’enveloppe. Spécifie à côté du timbre que le message est pour moi. On ne peut recevoir de lettres directement à la maison. C’est monsieur Googueule qui se charge de remettre la poste.

    Bye bye, prends soin de toi.

    Karine xxxx

    10 avril

    Une autre décharge électrique me traversa lorsque je vis la date. J’observai mon calendrier mural, miraculeusement intact. Aujourd’hui, nous étions le dix-huit mai.

    Hélène cria à partir de sa chambre :

    — Une chance que j’ai fini ma session, tabarnaque ! Tous mes livres sont rendus en chinois.

    — C’est du japonais. En passant, savais-tu que Karine avait déménagé ?

    — Tu me niaises ?

    — Bien… je viens de recevoir une lettre d’elle. Elle me parle des funérailles de sa grand-mère et de sa déprime post-collégiale.

    — Montre-moi ça.

    Hélène me rejoignit à la salle à manger et m’arracha la lettre des mains. Pendant qu’elle la lisait en plissant les yeux (elle n’était pourtant pas myope), je soulevai l’enveloppe que j’avais abandonnée sur la table. J’examinai l’adresse de l’expéditeur, qui apparaissait sous le nom de mon amie :

    Mairie de Saint-Patrice-de-l’Ancienne-Montagne

    a/s de monsieur Larry Googueule, maire

    100, rond Central

    Saint-Patrice-de-l’Ancienne-Montagne (Québec), G0O 6L3

    — Voyons donc ! s’écria Hélène, en giflant la feuille de papier du revers de la main. C’est quoi, l’idée de partir sans nous avertir ? Et son vieil appartement ? Elle l’a sous-loué ?

    — Fouille-moi. Si on se fie à ce qu’elle raconte, elle aurait déménagé en mars. T’as pas essayé de la joindre depuis ?

    — Non… Toi ?

    — J’ai pas eu le temps.

    Nous restâmes figées devant le tas de lettres, les bras croisés, déconfites. Dans ma chambre, Bisbille battit des ailes à l’intérieur de sa cage. J’entendis des graines rouler sur ma commode.

    — Mets-toi à sa place, Hélène. Karine se cherchait une job en intervention depuis un an. La compétition était forte. Ils étaient une quarantaine de finissants dans son programme. Le marché de l’emploi était saturé.

    Hélène saisit une autre enveloppe, manifestement publicitaire, au sommet de l’amoncellement.

    — Tu penses que Karine est partie parce qu’elle a gobé une de ces niaiseries ? Redis-moi donc où elle a déménagé ?

    — À Saint-Patrice-de-l’Ancienne-Montagne.

    — OK. Regarde ça…

    Hélène ouvrit la publicité et m’en lut l’amorce à voix haute. Le message proposait des solutions abordables aux hommes pour allonger leur organe sexuel. Une autre énumérait une panoplie de diplômes universitaires en faisant croire qu’on pouvait simplement les

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