Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Osipov, un cosaque de légende - Tome 2: La Route de Constantinople
Osipov, un cosaque de légende - Tome 2: La Route de Constantinople
Osipov, un cosaque de légende - Tome 2: La Route de Constantinople
Livre électronique399 pages5 heures

Osipov, un cosaque de légende - Tome 2: La Route de Constantinople

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Après avoir survécu à une attaque par des brigands afghans, Osipov, lord Pelham et leurs compagnons poursuivent le périlleux voyage d’exploration qui les mène de Saint-Pétersbourg à Constantinople par les chemins de traverse dans des circonstances souvent dramatiques. Sur leur route, ils rencontrent des personnages hauts en couleur comme le gouverneur d’Herat, puis un certain Lawrence qui deviendra célèbre cinq ans plus tard, Calouste Gulbenkian surnommé monsieur 5%, le Grand-Duc Nicolas Nicolaïevitch, tandis qu’en Russie, le Tsar, le comte Krilov et Regina Murray prennent des décisions lourdes de conséquences. Une fois de plus, mais ce ne sera pas la dernière, Osipov nous entraîne dans le monde fascinant et brutal de l’Asie centrale dans les dernières années de paix avant la Grande Guerre. Les deux tomes intitulés « Avant l’Orage » sont le récit de sa première grande aventure : un voyage semé d’embûches de Saint-Pétersbourg à Constantinople, en passant par l’Afghanistan et la Perse, en compagnie de lord Pelham, de ses amis et de son loup.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Philippe Ehly, conseiller juridique et financier, a longuement voyagé en Asie, tant professionnellement que pour satisfaire sa passion pour l’histoire et l’archéologie.
LangueFrançais
ÉditeurEncre Rouge
Date de sortie27 août 2021
ISBN9782377898879
Osipov, un cosaque de légende - Tome 2: La Route de Constantinople

En savoir plus sur Philippe Ehly

Auteurs associés

Lié à Osipov, un cosaque de légende - Tome 2

Titres dans cette série (8)

Voir plus

Livres électroniques liés

Biographique/Autofiction pour vous

Voir plus

Articles associés

Avis sur Osipov, un cosaque de légende - Tome 2

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Osipov, un cosaque de légende - Tome 2 - Philippe Ehly

    cover.jpg

    Philippe EHLY

    Osipov,

    un Cosaque de Légende

    Tome II

    « La Route de Constantinople »

    Roman

    Alexandre Osipov, un jeune sous-lieutenant des Cosaques de la Garde, a reçu mission du Tsar Nicolas II d’accompagner en tant qu’interprète lord Pelham, un de ses lointains petits cousins anglais dans un voyage de découverte des provinces méridionales de la Russie et des pays limitrophes.

    Lord Pelham, ancien officier de l’armée des Indes, est un aristocrate pétri des idéaux victoriens, mais c’est aussi un esprit libre et curieux, explorateur passionné et peintre de talent. Ses compagnons britanniques et lui ont vite adopté le jeune officier russe dont ils apprécient le caractère enjoué, mais réfléchi. Quelques initiatives heureuses ont permis à Osipov de conquérir sans réserve l’estime de ses compagnons au cours des premières étapes de leur voyage.

    À Tashkent, après avoir exploré le Ferghana en plein hiver, dans des conditions parfois dramatiques, mais qui ont permis à la petite équipe de mieux se souder et d’acquérir un nouveau membre, Tschon, un loup qu’Osipov a su domestiquer, Pelham découvre non sans surprise que la mère de son jeune interprète est une Irlandaise, née comme lui aux Indes. Ébloui par sa beauté, ce célibataire endurci a eu un coup de foudre pour la mère de son jeune compagnon.

    Mais ils doivent poursuivre leur voyage vers le sud, au-delà de l’Oxus, et traverser d’est en ouest le royaume d’Afghanistan pour gagner la Perse par la piste la plus septentrionale.

    À Balkh, la légendaire ville morte, Osipov a su deviner qu’une forte bande de brigands s’apprêtait à attaquer leur lente caravane. Un épisode banal dans ce pays arriéré et sans lois où rançonner le voyageur est un moyen de survie comme un autre. Au cours d’un combat épique, Pelham, Osipov et leurs compagnons ont annihilé une partie de la bande.

    Tandis que la lente caravane reprend sa route en direction d’Herat, la grande ville de l’ouest de l’Afghanistan, porte de la Perse, Osipov, son valet Ukam et Fitzroy Maccoy, un cousin de Pelham, assurent son arrière-garde contre d’éventuels poursuivants. Osipov dévoile un nouvel aspect de son caractère en abattant sans pitié deux des brigands lancés à leur poursuite.

    La route est encore longue jusqu’à Constantinople, la destination que s’est fixée lord Pelham à la fois par esprit sportif, pour satisfaire sa curiosité et accomplir les destins mystérieux de l’India Office.

    UNE LETTRE SIGNÉE SPARKOV

    Lord Pelham décida d’imposer un train particulièrement soutenu à ses hommes dès qu’ils furent sortis de Balkh. Pendant cette première journée, après les combats de la nuit, il était primordial de mettre le plus de distance possible entre sa lente caravane et d'éventuels poursuivants.

    Cela l’avait amené à faire quelques amères réflexions en regardant défiler devant lui le nombre de chevaux qu’il leur fallait employer pour transporter leur énorme quantité de bagages. Une bonne part lui en paraissait maintenant inutile, mais à Londres le moindre vêtement et le moindre objet lui étaient apparus strictement indispensables.

    La majeure partie de ce qu’il jugeait désormais excédentaire était de son fait et il s’en voulait fortement d’avoir mal estimé les difficultés de leur voyage en Asie centrale et ce qu’il convenait d’emporter.

    En Afrique, il avait parfois participé à des safaris comportant jusqu’à un millier de porteurs. Aux Indes, il avait été invité par des maharadjahs à des chasses au tigre où ses hôtes s’entouraient de dizaines d’éléphants, de centaines de serviteurs, de jongleurs, de musiciens et de chiromanciens.

    Au cours de ses propres expéditions, il avait toujours jusqu’alors conservé ses habitudes de vie, héritées d’une enfance de fils de vice-roi, puis d’une existence d’homme fortuné. Pelham avait toujours voyagé avec un train d’équipage qui lui permettait de retrouver à l’étape le confort de son manoir de Wandsworth.

    Pour son voyage en Asie centrale, il pensait avoir fait preuve d’une certaine modération. Ne partir qu’avec un seul domestique lui était déjà apparu comme un sacrifice assez lourd et il ne lui serait jamais venu à l’idée qu’on pût enfiler une chemise qui ne fût pas parfaitement amidonnée, que ce fût pour se rendre à son cercle de Londres ou sur les contreforts de l’Hindou Kouch.

    Mais l’Asie Centrale n’était ni l’Inde ni l’Afrique, et ici, avec des brigands aux trousses et des conditions climatiques rigoureuses, s’être chargé de caisses de vin de Bordeaux, de vêtements en quantité tout à fait exagérée ou d’un attirail de peintre, lui paraissait désormais déraisonnable au dernier degré et indigne du chef d’expédition avisé qu’il se pensait devenu. Il envisagea même à un moment d’abandonner purement et simplement tout ce qui les alourdissait et n’était pas strictement nécessaire.

    Cependant, sa manière de vivre était telle qu’il avait du mal à se résoudre à laisser sur le bas-côté de la route la caisse contenant ses trois habits de soirée et leurs accessoires ou les vingt-quatre bouteilles de Petrus sur le sort desquelles Elroy gémissait en permanence, jugeant à juste titre que la chaleur infernale allait leur faire perdre l’essentiel de leurs qualités.

    Elroy, son domestique, lui aurait probablement donné son congé, si lord Pelham lui avait ne serait-ce que suggéré de laisser sur le bord de la piste la boîte en ébène de Macassar contenant chiffons, brosses et cirages indispensables pour l’entretien des six paires de bottes et des vingt-deux paires de chaussures de son maître.

    Son dilemme se trouva en partie résolu quand Maccoy et Osipov eurent fait leur jonction avec lui, après une véritable course poursuite qui leur avait pris beaucoup plus de temps qu’ils ne l’avaient imaginé. Leur rapport l’avait un peu rassuré. En trois phrases, Osipov l’avait informé avoir abattu les deux pisteurs lancés à leur poursuite. Pelham n’avait pas cillé et en avait conclu que désormais leurs poursuivants auraient du mal à les rattraper.

    Maccoy, après avoir un peu hésité, n’avait pas raconté à lord Pelham les circonstances de l’embuscade qu’ils avaient montée sur la berge de la rivière et la froide élimination des deux brigands afghans par Osipov. Il avait eu tout le loisir, pendant la folle galopade qui leur avait permis de rejoindre la caravane, de réfléchir à ce que le jeune Russe lui avait dit pour justifier sa décision. Il avait dû convenir qu’il avait probablement eu raison. Que cela lui plût ou non n’entrait pas vraiment en ligne de compte.

    Cela l’avait amené une fois de plus à reconnaître que malgré sa jeunesse, Osipov, qui avait quand même six ans de moins que lui, savait penser clairement sous la pression de circonstances périlleuses et prendre des décisions brutales sans s’encombrer de scrupules moraux mal placés, quand sa peau et celle de ses compagnons étaient en jeu.

    « Est-ce que cela fait de lui un meilleur officier que moi ? se demanda longuement le jeune officier anglais. Peut-être pas, mais en tous cas, il est sans aucun doute mieux préparé que je ne le suis à cette vie brutale, hors des règles généralement admises de la vie civilisée ou d’une armée traditionnelle comme l’armée britannique. S’il y a une chose certaine, c’est qu’il n’est pas du genre à tergiverser interminablement avant de prendre ses décisions. »

    Le vif échange entre les deux jeunes gens à propos du sort des deux brigands n’avait plus jamais été évoqué.

    Lord Pelham avait été soulagé de voir Maccoy, Osipov et Ukam le rattraper sans la moindre égratignure. Tout le temps de leur absence, il s’était rongé les sangs à l’idée qu’ils pussent se trouver confrontés à des poursuivants numériquement supérieurs qu’ils auraient néanmoins essayé d’arrêter pour protéger la caravane. Les revoir, souriants mais fatigués par leur longue chevauchée, l’avait soulagé d’un poids énorme.

    Il n’avait donc pas hésité au cours des deux journées suivantes à leur demander de jouer à nouveau le rôle de bouchon sur la route pour le cas désormais improbable où d’autres éclaireurs auraient encore été sur leurs traces. Cette mission avait semblé enchanter les deux jeunes gens. Leurs rapports de mission avaient été négatifs.

    Cela avait permis à lord Pelham de faire un choix d’itinéraire qu’autrement il n’aurait pu prendre le risque d’effectuer. Ses commanditaires officieux de Londres lui avaient en effet « suggéré » de reconnaître un secteur de la frontière russo-afghane sur lequel ils manquaient cruellement de renseignements et dont les cartes étaient imprécises. Il s’était engagé à explorer cette région si les circonstances le permettaient.

    Cependant, cela obligeait à un détour important et à abandonner la route principale qui, malgré son état déplorable, avait au moins le mérite d’exister. Il avait résolu le problème en décidant que lui-même et une toute petite escorte quitteraient l’itinéraire normal pour une exploration rapide tandis que la caravane continuerait à son allure pesante par la grand-route, menée par le docteur Finch, Flanders, Montgommery et l'indispensable Elroy, bien fâché de ne pas suivre son maître.

    Seuls Maccoy, Osipov et Ukam l'avaient accompagné sur la piste étroite, guère plus large qu’un sentier muletier qui, de Faysabad, remontait vers le nord-ouest en direction de l’Oxus jusqu’à Qarqin, une bourgade installée sur la frontière avec le Turkestan russe.

    Après une exploration systématique de cette région, au lieu de revenir par la route qu'ils avaient empruntée à l'aller, ils avaient piqué plein sud-ouest à travers une steppe sableuse et désertique jusqu'au moment où ils avaient retrouvé la piste principale un peu au nord d'Andkhvoy. Pendant cette seconde partie de leur trajet, ils n'avaient rencontré personne en dehors de quelques pasteurs nomades vivant sous des tentes noires crasseuses, aussi farouches qu'inhospitaliers.

    Pour ce long détour, chacun avait limité son équipement au strict nécessaire : un cheval de rechange, ses armes et une ample provision d'eau. Tout le reste avait été laissé aux bons soins de la caravane. En voyageant « léger », ils espéraient pouvoir parcourir des distances importantes à une vitesse incompatible avec le train nécessairement plus lent de la caravane.

    Cependant, bien qu'ils fussent tous quatre des cavaliers chevronnés et endurcis par les semaines passées les fesses dans leurs selles, le rythme meurtrier imposé par lord Pelham, celui d'un raid de cavalerie en territoire ennemi, avait été terriblement éprouvant. Leurs seuls moments de repos, en dehors de quelques heures de sommeil grappillées autour d’un maigre feu, avaient été les haltes imposées par lord Pelham pour effectuer des relevés topographiques, griffonner des notes et relever les éléments nécessaires à l’établissement d’une carte sommaire. Hommes et montures étaient arrivés épuisés à Andkhvoy, la ville où ils devaient retrouver la caravane.

    Celle-ci, bien qu’elle eût une distance nettement plus courte à parcourir, était arrivée à Andkhvoy deux jours après eux. Après un repos bien gagné, dans un robat dont le confort le plus élémentaire était absent et la nourriture variait de spartiate à immangeable, le retard du reste de l’équipe avait été utilement mis à profit pour visiter la ville et découvrir l’activité pour laquelle elle était réputée dans tout l’Afghanistan : la préparation et le commerce des peaux d'agneau.

    D'énormes troupeaux appartenant essentiellement à des tribus turkmènes qui nomadisaient dans toute la région produisaient des dizaines de milliers d'agneaux dont les peaux étaient traitées sur place selon un procédé qui les avait étonnés : elles étaient baignées dans un mélange de sel et d'orge, puis longuement exposées au soleil ; des hectares de terrain y étaient consacrés, ainsi que les toits et le faîte des murs de toutes les maisons.

    Plus surprenant encore, ils avaient appris que la ville comportait plusieurs synagogues et que l'essentiel du commerce des peaux était entre les mains de négociants juifs installés là depuis des générations.

    Lord Pelham n'avait pu résister à la tentation d'en apprendre davantage et avait été ravi de rencontrer l'un des Juifs les plus prospères qui parlait un allemand dépourvu du moindre accent asiatique. Ils avaient ainsi appris qu'une part importante de la production servait, pour les plus belles qualités, à l'industrie chapelière des pays occidentaux, où le négociant et ses confrères exportaient chaque année plusieurs dizaines de milliers de peaux.

    L'homme, en revanche, était resté extrêmement discret sur les trajets suivis par la marchandise et la façon dont les paiements étaient effectués. Il avait été encore moins loquace quand le lord lui avait demandé comment était perçue leur petite communauté dans ce pays musulman ; il avait simplement haussé les épaules avec fatalisme.

    Après que la caravane les eût rejoints et eut pris le repos nécessaire, ils avaient quitté Andkhvoy et suivi sans détour la route principale, plein sud, jusqu'à Meymaneh à un rythme assez vif pour que chacun aspire à une étape un peu prolongée dans cette ville.

    ***

    Bien que la ville de Meymaneh ne fût que de modeste importance, un petit robat, un caravansérail, avait été vidé de ses autres occupants pour leur seul bénéfice par le gouverneur de la ville, mystérieusement prévenu de leur venue. Quand ils y étaient arrivés, escortés par une petite troupe de cavaliers venus à leur rencontre, le gouverneur, ses principaux collaborateurs et les hommes les plus éminents de cette capitale provinciale les attendaient devant le portail.

    Ils avaient été ravis de constater que les murs de la salle servant de dortoir commun avaient été chaulés de frais, que des meules de belle paille sèche avaient été préparées pour leurs chevaux et que les abreuvoirs avaient été remplis peu avant leur arrivée.

    Des rafraîchissements leur avaient été immédiatement servis, après que des serviteurs leur eussent versé de l'eau sur les mains, puis les eussent essuyées avec de belles serviettes blanches, et ils avaient découvert avec une vive satisfaction qu'un banquet les attendait dans la grande salle du robat. Des tapis d'une richesse tout à fait inhabituelle dans un simple caravansérail avaient été négligemment jetés sur le sol pour le confort des hôtes et Osipov supposa correctement qu'ils appartenaient personnellement au gouverneur qui les avait fait apporter là tout exprès de sa résidence pour honorer ses visiteurs étrangers.

    Plusieurs préparations de mouton, dont des kebabs qui fondaient dans la bouche, du riz aux raisins secs agrémenté de zestes d'orange, divers légumes verts bouillis et un gâteau de semoule, ainsi qu'une abondance de fruits frais leur avait permis de découvrir à la fois la vraie hospitalité afghane et les spécialités culinaires des provinces du nord.

    À leur intense surprise, un vin blanc liquoreux, produit localement, leur avait été proposé et ils étaient restés sans voix de constater que leur hôte, certains membres de sa suite et même deux respectables vieillards qui avaient été présentés comme des ulémas en buvaient avec autant d’entrain que les ferenghis. Autant par manque de goût pour le vin que pour affirmer son statut de bon musulman, Osipov avait refusé le breuvage offert avec une mimique d'effroi très convaincante.

    Lord Pelham avait apprécié l'anglophilie évidente et sincère de leur hôte, si rare dans le pays, et n'avait pas hésité à lui offrir un de ses fusils de chasse, une arme de belle qualité, tout en se demandant comment le brave gouverneur ferait pour se procurer des munitions quand les quelques boîtes qu’il lui avait laissées seraient épuisées. Divers cadeaux de moindre importance avaient été offerts aux membres de sa suite.

    Quand les Afghans s'étaient finalement retirés, les Anglais s'étaient enfin détendus et Osipov avait bu abondamment, n'ayant cessé de traduire pendant des heures les propos échangés, sans guère trouver le temps de se restaurer.

    ***

    Le matin de leur départ, le gouverneur avait poussé la courtoisie jusqu'à les accompagner à cheval très au-delà des limites de sa ville bien que la caravane se fût mise en route longtemps avant l'aube.

    Lord Pelham, le gouverneur et Osipov, en sa capacité de traducteur, s’arrêtèrent sur un tertre qui dominait la route d'Herat. Dans le lointain, sur leur gauche, les premiers rayons du soleil nimbaient de rose les sommets enneigés des monts Torkestan, l'un des prolongements occidentaux de l'Hindu Kush.

    Pendant que la caravane défilait devant eux, les deux hommes échangèrent quelques mots.

    ⸺ Vous avez bien choisi votre saison pour voyager jusqu'ici, déclara songeusement le gouverneur, en agitant ses petites mains grassouillettes. Dans quelques semaines, toute la steppe entre ma ville et le Djihan sera sèche comme le jardin du Diable. Les quelques cours d'eau que vous avez traversés en venant ne seront plus sous peu que des rivières de sable. Mais, en poursuivant votre route vers Herat, vous retrouverez la montagne. À ce moment de l'année, des orages peuvent éclater à tout moment ou la neige tomber en abondance. Ne dressez jamais votre camp dans un lit de rivière. Et méfiez-vous quand vous aurez à en traverser.

    ⸺ Pardonnez-moi, Votre Excellence, mais qu'appelez-vous le Djihan ? Je ne sais pas traduire ce mot au seigneur anglais.

    ⸺ C'est le grand fleuve qui coule au nord de Mazar et qui nous sépare de ces païens de Russes, Allah, béni soit son nom, les punisse d'avoir envahi les terres de l'Islam.

    Inch Allah, répondit pieusement Osipov, dans son rôle de jeune Persan, tout en se promettant de rapporter dès que possible à ses supérieurs la piètre opinion du gouverneur de Meymaneh sur les Russes, se doutant que ses concitoyens ne devaient pas manquer de la partager. Il omit de traduire cette partie de la phrase à lord Pelham.

    ⸺ Mais, ajouta le gouverneur, j'ai de bonnes nouvelles pour vous. Mon très estimé collègue, le gouverneur de Mazar-i-Sharif m'a fait parvenir un message où il m'annonce et se félicite que la bande de brigands à laquelle vous avez eu affaire a été anéantie suite à une brillante opération de sa police. Bien entendu, il vous exprime ses excuses pour les désagréments que vous avez subis à cette occasion et ses remerciements pour votre lettre qui l'a informé sur la gravité du problème. Il se réjouit encore de l'hospitalité qu'il a pu vous offrir et regrette seulement que vous n'ayez pu en profiter plus longuement.

    Osipov traduisit le propos du gouverneur sans y changer un mot, guettant sur le visage de lord Pelham la réaction de celui-ci au message que le Gouverneur de Mazar avait fait parvenir à son collègue. Il n'y en eut pas d'autres qu'un sourire de pur ravissement.

    ⸺ Son Excellence le Gouverneur de Mazar-i-Sharif est un homme remarquable, dont l'accueil nous a vivement impressionnés. Je ne suis donc pas surpris que ses hommes se soient battus comme des lions pour éradiquer ce fléau à la sécurité de vos routes. Votre Excellence voudra bien se faire mon interprète auprès de son collègue pour lui transmettre mes très admiratives félicitations. J'ajouterai, Votre Excellence, que votre propre hospitalité « du fond du cœur » nous a donné la plus haute image de l'Afghanistan et de ses habitants. Au moment de prendre congé de vous, je tenais à ce que vous sachiez combien nous vous sommes tous reconnaissants.

    Une fois encore, Osipov traduisit le plus exactement possible, se retenant cette fois pour ne pas pouffer. Parler de l'accueil du gouverneur de Mazar en termes louangeurs alors qu'il n'avait même pas daigné les recevoir, ce qui les avait contraints à dormir dans un nid à puces, poux et moustiques, portait la réponse de lord Pelham vers des sommets rarement atteints en matière d'hypocrisie. De diplomatie, se corrigea aussitôt Osipov qui savourait avec délices d'être le traducteur des échanges entre ses aînés, ce qui lui offrait un champ inespéré de découverte du comportement et de la façon d'agir d'hommes infiniment plus expérimentés que lui.

    Lord Pelham et le gouverneur se saluèrent une dernière fois, puis le lord et le jeune Russe mirent leurs chevaux au petit trot pour rejoindre la caravane qui avait déjà pris une bonne avance sur eux.

    Le nombre de chevaux de la caravane avait un peu diminué au cours de leur séjour à Meymaneh. En effet, le gouverneur, après avoir écouté le sobre récit que lord Pelham lui avait fait des évènements de Balkh et s'être réjoui de leur heureux dénouement, avait proposé d'acheter en bloc les chevaux récupérés pour sa propre police et le prix qu'il en avait proposé dépassait ce que les caravaniers avaient espéré en obtenir sur un marché. L'argent était arrivé dans l'heure et lord Pelham, d'accord avec le chef de ses caravaniers, l'avait équitablement partagé entre tous leurs aides-indigènes.

    Ukam, qui avait reçu une part égale aux autres, délirait de bonheur à compter et recompter sa petite fortune constituée de sa part de la vente des chevaux, de ce qu'Osipov lui avait donné à l'issue de l'embuscade du gué et de ce qu'il avait lui-même récupéré dans les poches des morts de Balkh.

    Bien entendu, les Anglais n'avaient même pas envisagé d'empocher un sou de cette transaction et Osipov, à son grand déplaisir, avait bien été obligé de calquer son attitude sur la leur.

    ⸺ Deux cent quatre-vingts miles jusqu'à Herat, c'est bien ce que vous m'avez dit, Ali ?

    ⸺ Autant que j'ai été capable de calculer les distances d'après ce que le Gouverneur m'a dit et dans la mesure où j'ai su correctement les traduire en miles. Mais mon calcul est à peu près confirmé par ce qu’indique le colonel Grodekov dans sa relation de voyage. Il parle de quinze jours de route, mais d'après son récit, il est évident qu'il ne s'est pas pressé.

    ⸺ Au train que nous avons mené entre Balkh et Meymaneh, je dirais six à huit jours si la route est à moitié décente. Deux ou trois de plus si nous rencontrons des choses passionnantes pour enrichir nos petits carnets respectifs, n'est-ce pas ? Je crois que l'étape d'Herat, en tous cas, sera pleine d'intérêt. La Grande Mosquée et tout cela… La route longe la frontière russe par endroits, vous n'avez pas trop le mal du pays, mon cher ?

    ⸺ Pas du tout, My Lord. Tout ce que nous voyons est du plus grand intérêt. Je ne crois pas que j'échangerais ma place ici avec un autre sous-lieutenant, même pour servir auprès de Sa Majesté.

    Par une méchanceté involontaire, lord Pelham faillit demander s'il ne lui tardait pas de revoir la jeune fille dont le soir au bivouac, il regardait parfois longuement, avec un air rêveur, la photographie et à laquelle il écrivait souvent d'interminables lettres contre lesquelles, autant que le lord pût le savoir, il n'avait reçu que deux courtes réponses. Heureusement, sa question indiscrète fut coupée sur ses lèvres par Osipov qui continua :

    ⸺ Parfois, ma mère me manque, c'est tout.

    « À moi aussi, elle me manque », faillit avouer Lord Pelham, mais il se contenta de toussoter et reprit après un moment :

    ⸺ Nous n'avons pas eu l'occasion d'en parler, Ali, mais la première chose que je ferai quand nous repasserons en territoire russe ou que nous rencontrerons un poste diplomatique britannique, sera d'envoyer une lettre à votre supérieur, ce général Sparkov que vous évoquez parfois et toujours avec grand respect, lui disant combien nous vous sommes redevables dans notre voyage. Vos initiatives après la mort de ce pauvre vieux Collins, vos observations et les conclusions si pertinentes que vous avez su en tirer à Balkh, sans parler de votre belle conduite au feu, sont en tous points dignes des meilleures traditions de la cavalerie. En vous donnant à nous comme interprète, le général Sparkov a eu la main très heureuse et je tiens à ce qu'il le sache.

    ⸺ Ce n'est vraiment pas nécessaire, My Lord. Je ne fais que mon devoir. En vous servant au mieux de mes modestes capacités, je ne fais que rembourser ma dette à Sa Majesté qui a payé mes études à l'Académie.

    ⸺ C'est vrai pour votre rôle en tant qu'interprète. Pas pour le reste. Dans l'armée anglaise, nous avons des formules pour cela : « au-delà des nécessités du service » ou mieux encore « au-delà de ce qui est requis par le devoir ». D'ailleurs, c'est trop tard, la lettre est déjà écrite. J'ai profité pour la rédiger de notre repos à Meymaneh. Elle partira, dût votre modestie en souffrir.

    ⸺ Je vous en remercie bien sincèrement, My Lord. Je m'efforcerai de continuer à me rendre utile.

    ⸺ J'en suis sûr, Ali. J'en suis sûr.

    « Et moi, si je faisais correctement mon devoir, pensa Lord Pelham avec une certaine tristesse, j'écrirais une belle note sur ce garçon qui irait compléter au War Office le dossier que nous avons sur les jeunes officiers russes prometteurs. De la même façon que tous nos diplomates, attachés militaires, voire simples voyageurs, où qu'ils soient dans le monde, ne manquent jamais d'envoyer à qui de droit de petites fiches sur celui-ci ou celui-là, sur ce qu’ils ont vu, deviné ou compris qui leur paraît d’un intérêt quelconque pour l’Empire. Je ne pourrai sans doute pas éviter d’en faire une sur ce garçon, mais je m’arrangerai pour que cela ne puisse en rien lui être préjudiciable dans le futur. »

    Lord Pelham pressa légèrement les flancs de son cheval et en quelques rapides battues de galop alla se placer en tête de la colonne afin de faire forcer l'allure.

    Se retrouvant seul, Osipov put réfléchir tranquillement à cette lettre que le lord disait avoir écrite. Si les termes en étaient aussi élogieux qu'il l'avait laissé entendre, il lui paraissait vraisemblable qu'après en avoir découvert la teneur, le général Sparkov voudrait la montrer à l'une des personnes qui étaient au courant de la mission d'Osipov. Cela représentait officiellement peu de monde : le Tsar, deux de ses ministres et, outre Sparkov lui-même, le prince Chavarnadze.

    Il y avait aussi le colonel Griboyedov, mais Sparkov n'était pas supposé être au courant de sa relation avec Osipov et ne risquait donc pas de le tenir au courant. Osipov voyait mal le général allant déranger le Tsar à Tsarkoïe-Selo pour lui montrer une lettre, fût-elle élogieuse pour un ancien cadet de l'Académie dont il assumait le commandement. Qui alors ? Un des ministres ? Le prince ? Peut-être ce dernier puisque les deux hommes avaient paru entretenir une grande familiarité.

    Et quel bien pouvait-il en résulter pour la suite de sa carrière ?

    Étant passé directement de l'Académie au service actif, mais en une capacité très particulière, sans suivre la voie normale d'une école d'officiers, puis d'un régiment, Osipov n'avait pas la plus petite notion de la façon dont de bonnes notes professionnelles, voire des félicitations, étaient prises en compte par la hiérarchie. Sa réflexion ne pouvant guère le mener plus loin, il se contenta de conclure par un philosophe « ça ne peut en tous cas pas nuire, on verra bien ».

    Plutôt que de perdre son temps en supputations stériles, il préféra tourner son attention sur le paysage qui l'entourait. Autant qu'il pouvait en juger, les environs de Meymaneh étaient la région où l'agriculture était la plus développée qu'ils eussent traversée depuis qu'ils avaient quitté Tashkent. À la sortie sud, des cultures de toutes sortes, mais principalement des champs de céréales, escaladaient les collines.

    Les pousses encore vertes faisaient comme un tapis, par endroits très ondulé quand la pente se raidissait. Il imagina sans peine la difficulté que cela devait représenter de passer une charrue primitive dans ces dénivellations au moment des labours.

    Mais cela expliquait probablement la prospérité évidente de la petite ville et les beaux vêtements qu'il y avait aperçus, notamment ceux des négociants ouzbeks qui portaient de longues robes de soie ou de brocard dans les couleurs les plus vives, contrastant avec les khalats des Tadjiks et les vêtements sombres des éleveurs Turkmènes.

    Plus que dans d'autres villes afghanes, il avait vu des femmes se promener assez librement. Elles n'étaient cependant jamais seules, se déplaçant en groupes rieurs ou accompagnées d'un frère ou d'un mari et elles étaient toujours voilées, à part les femmes de certaines tribus nomades originaires du Turkestan chinois, mais leurs vêtements marquaient plus de richesse qu'à Mazar, Feyzabad ou Andhkvoy, et il n'en avait pratiquement pas vu qui fussent porteuses de la burqa, cette prison de tissu tombant jusqu'au sol et à travers laquelle on ne peut voir que par un grillage de tissu.

    À Meymaneh, même les pauvres avaient l'air bien nourris.

    « Dommage que le Gouverneur n'aime pas les Russes », regretta-t-il, avant de donner un léger coup de talon à Tamara pour rattraper la caravane qui l'avait légèrement distancé. Des cavaliers qui se dirigeaient vers la ville, montés sur de petits chevaux au trot saccadé le saluèrent gaiement et il leur répondit de même en mettant sa jument à un petit galop rond qui leur arracha des cris d'admiration.

    ***

    Arrivés à 22 heures au robat de Qeysar, situé juste à côté du pont sur la rivière Qeysar, largeur vallée 400 yards, largeur rivière 60 yards, largeur pont 14 pieds, cinq piles, ancien, mauvais état. Gué possible au nord de la ville, non vérifié. Très longue étape chevaux et hommes fourbus, 80 verstes au bas mot.

    Osipov referma le carnet sur lequel il avait rédigé, dans sa cryptographie personnelle, ses observations du jour à la lueur d'un quinquet, souffla la bougie et s'étendit sur son lit de sangles, mains croisées sous la nuque. À côté de lui, Ukam dormait déjà.

    Le jeune garçon n'avait pas les préoccupations de son maître qui tenait un relevé scrupuleux de toutes ses observations à chaque halte et s'évertuait même à dresser des cartes à l'aide de sa seule boussole.

    Cependant, il n'était pas exempt de certaines activités intellectuelles à côté de ses tâches ordinaires. Dans les premiers jours qui avaient suivi leur premier départ de Tashkent, en direction du Ferghana, après qu'Osipov eût constaté que le jeune garçon avait une intelligence agile et une bonne mémoire, il avait entrepris de lui apprendre à lire et à écrire.

    Au départ, Ukam avait été plus que réticent, car malgré les explications d'Osipov, il lui avait fallu quelques jours pour bien comprendre l'intérêt d'aligner des signes mystérieux, autres que les caractères arabes qu'il connaissait déjà, sur une feuille de papier ou lire dans un livre « de chrétien », comme il disait.

    Mais, depuis qu'il avait réalisé l'utilité qu'il pourrait tirer de ce nouveau savoir, il avait appris à déchiffrer, puis à écrire les lettres avec une remarquable facilité. Ne voulant pas trop compliquer les choses, Osipov avait limité ses leçons aux caractères romains et à l'anglais qui lui seraient d’une utilité plus immédiate auprès de leurs compagnons de voyage ; apprendre à lire et écrire les caractères cyrilliques du russe qu’il

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1