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Le poids de la couette
Le poids de la couette
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Livre électronique177 pages2 heures

Le poids de la couette

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À propos de ce livre électronique

Poussées par une soif insatiable de découvrir le monde, Joséphine, Jade et Lison s’envolent vers l’avenir avec une insouciance fabuleuse. Mais l’année de leurs dix-huit ans, un drame vient freiner leur course légère. Les ailes tombent et laissent place aux baluchons qui s’alourdissent avec les années. La soif d’explorer toutes les possibilités va se heurter à la découverte d’un monde adulte qui ne réserve pas que de belles surprises. Le Poids de La Couette raconte leur quête de sens pour y trouver une place et une part de bonheur.
LangueFrançais
Date de sortie24 oct. 2018
ISBN9782312062440
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    Aperçu du livre

    Le poids de la couette - Joséphine Tumouche

    978-2-312-06244-0

    Chapitre 1 : MacGiver, les Beatles et ce bon vieux Renaud

    Mouratiers,

    Avant, aujourd’hui, toujours.

    Depuis la fenêtre de notre chambre d’enfants, je regarde la Sure, ce gros rocher bienveillant, et je me sens apaisée de savoir qu’il ne bougera jamais, lui. Les vieux posters de groupes de reggae de Léo sont encore collés aux murs et je me dis que c’est un bel endroit pour Bob, idéal pour rêver de liberté et d’amour.

    J’ai toujours aimé Mouratiers. De tout temps. Cet endroit où vit la famille de maman depuis des générations. Cette petite ville sans prétention, ni très jolie ni très moche, idéalement logée au cœur des montagnes qui la protègent, mais de suffisamment loin pour conserver cette impression que l’on y respire comme nulle part ailleurs.

    Jean et Odette Tumouche, mes parents, ont acheté la Villa des Fleurs à la famille d’une vieille dame décédée quand mon frère Léo est né. Je me souviens encore de la première visite, la jungle dans le jardin, et cet intérieur figé dans le temps. Comme si la mémé pouvait entrer dans la cuisine et nous proposer du thé à tout instant. Je me souviens comme si c’était hier des plantes séchées, partout, du tricot accroché à de grandes aiguilles posées sur une chaise, et de ma frustration quand maman m’a interdit de me servir dans le paquet de gâteaux ouvert sur la table. J’avais cinq ans. Et j’ai tout de suite aimé cette bâtisse un peu décrépite, sur les hauteurs de la ville, avec un jardin ouvert sur les champs de blé et de cerisiers dans lesquels nous avons si souvent joué à cache-cache étant gamins.

    Mon père Jean, ses frères et tous les amis des Tumouche ont retapé de leurs bras, de leurs savoir-faire respectifs et de leur générosité la petite maison dont les murs renferment encore, et surement pour toujours, leur amour sans limite. Tout l’amour dont mon cœur déborde un peu parfois. C’est à Mouratiers que je suis née. C’est ici que j’ai rencontré Jeanne et Lison, mes inséparables dont les deux petites têtes accompagnent Bob sur les photos des murs de notre chambre. C’est ici que j’ai rencontré la bande des Lyonnais, les premiers hommes de ma vie. Avant le drame, je n’avais pas de souvenir sans tous ceux-là dans le décor.

    Je reste un peu plantée là, devant la fenêtre. Derrière le jardin, au bout du champ, juste après les derniers cerisiers, j’aperçois la maison de Jeanne. Autre repère immuable. Son père a acheté cette grande baraque bourgeoise, peut-être la plus belle de Mouratiers, quand il a quitté la Gironde pour faire carrière dans l’industrie du ski. Son travail a toujours été au centre de toutes ses préoccupations, pendant que la mère de Jeanne s’est occupée de nous pour oublier qu’il ne s’occupait pas d’elle. A l’autre extrémité du champ, il y a la maison de Lison, que je ne peux pas voir mais que je devine, que je sens. Je sais qu’ils sont là. La famille de Lison, ses parents instituteurs, et même sa grande sœur, belle et intelligente, notre modèle adoré.

    Et ce champ, là entre nous, qui nous a réunies si souvent. De la maternelle au lycée, on a virevolté ensemble d’une maison à l’autre, semant ici et là nos rires et notre légèreté d’enfants. On a partagé nos parents, nos frères et sœurs, l’école, notre champ et nos maisons. Témoignent de la résistance de nos liens dans le temps les noms de groupes encore inscrits au correcteur sur les façades du lycée, que nos camarades nous ont attribués au fil des époques, en fonction de notre tour de poitrine et de notre cote de popularité. « Love you les Spice Girls, friends forever », « Les Beatles, au chiotte ! » (Jeanne a eu une coupe proche de celle de John Lennon quand nous étions en cinquième).

    Toujours considérées ainsi, d’un seul bloc, les filles et moi étions pourtant très différentes. L’exigence des parents de Lison en avait fait une petite fille et une adolescente quasi-parfaite. Loin des préoccupations des filles de son âge. Son principal objectif était d’être la première de la classe et d’exceller en tout. Elle aimait jouer avec nous, faire des vidéos tant que le contenu restait constructif, elle était la reine des pistes de ski l’hiver mais ce n’était en aucun cas une fifille. A douze ans comme à vingt-cinq, elle crachait sur nos jeux futiles avec les garçons, notre mascara et nos préoccupations de midinettes. C’était l’intello de la bande. La raisonnable et la sensible aussi. Le petit oiseau. En grandissant, elle a parfois lutté contre sa nature pour nous suivre dans nos aventures, mais elle était toujours là. Coûte que coûte, tirée par Jeanne et moi et poussée par sa grande sœur Charlotte qui rêvait de lui insuffler un peu de légèreté.

    Charlotte s’occupait de nous souvent, suivait nos aventures de près, au lycée, en voyages et ailleurs, veillait à ce que les garçons ne brisent pas nos cœurs, nous donnait des conseils et nous rendait toujours service pour nous charrier en voiture à droite et à gauche. J’avais souvent entendu parler mes parents et ceux de Jeanne de Charlotte. Ils la décrivaient d’abord comme une enfant grave, puis comme une adolescente à problèmes, et enfin comme une jeune adulte fragile. Elle était toujours un sujet d’inquiétude au cœur des conversations des adultes, alors qu’elle était un vrai soleil dans nos vies. Elle riait de nous, avec nous et nous considérait toutes les trois comme des petites sœurs. C’était un peu comme une mère, toute aussi rassurante mais sans la morale, et le fun en plus.

    Jeanne et moi, on a toujours partagé la même excitation, les mêmes envies, la même curiosité, et on a toujours pris Lison par la main. C’était comme ça. Jeanne était tout aussi intelligente que Lison mais c’est sa beauté que l’on remarquait en premier. C’est la première que j’ai rencontrée. En troisième année de maternelle, quand ses parents sont arrivés de Gironde pour s’installer près des montagnes. C’était une jolie blondinette, avec de grands yeux bleus pleins de cils, deux nattes plaquées qui retombaient sagement, symétriques sur sa robe à fleurs. Elle avait déjà ce sourire rêveur collé au visage, laissant apparaître ses petites dents du bonheur. C’est peut-être l’effet du temps sur ma mémoire, mais je m’en souviens comme la petite fille parfaite, la petite fille que représentent les enfants sur leurs dessins naïfs. A côté de Papa et sa voiture, Maman et son rouge à lèvres, et sûrement un petit frère ou un amoureux avec un ballon de foot. La petite fille fragile et gracieuse, avec sa poupée.

    Moi, au départ, j’ai été faite selon un tout autre modèle. Mes parents avaient, à la base, commandé un truc du genre casse-cou qui privilégie les concours de lutte avec les garçons à la dinette. Mes cheveux coupés courts étaient souvent en bataille. Aujourd’hui encore, quand on regarde avec Jeanne les films ou les photos de notre enfance, on charrie Odette à propos de cette coupe de cheveux : « A quel moment tu t’es dit, tiens, on va lui faire une espèce de coupe au bol très courte, un peu plus long derrière façon MacGiver, elle va être trop mignonne comme ça ?! Haha ! »

    Et cela nous fait pisser de rire. Pas Odette qui, un peu vexée, maintient fermement que oui oui, j’ai toujours été très mignonne et qu’on est vraiment trop bêtes. Avant de rencontrer Jeanne, je me foutais pas mal de ressembler à une petite fille ou à MacGiver. Mais quand je l’ai vue la première fois, j’aurais volontiers troqué mon mulet contre les nattes de Pocahontas. Et c’est à peu près ce que j’ai fait au fil des ans.

    Cela me fait toujours sourire de regarder toutes ces photos de nous accrochées au mur. J’ai presque l’impression de les découvrir à chaque fois. Le temps est passé si vite. Je quitte la chambre pour rejoindre maman dans la cuisine qui a fait une tisane et des gâteaux pour le goûter. Sur le chemin, je m’arrête quelques instants devant le vieux miroir de la descente d’escaliers. Je fais souvent cela. Je compare cette image de moi à celles que j’observais un peu plus tôt dans la chambre et je me dis que si à l’époque, on m’avait dit que j’aurais cette tête vingt ans plus tard, peut-être me serais-je fait moins de soucis. Je n’ai plus rien de MacGiver depuis longtemps heureusement. Mon petit corps musclé s’est allongé et affiné et j’ai désormais de longs cheveux blonds, moi aussi, avec lesquels je peux faire des nattes de Pocahontas si je veux. Et je sens même, quand je joue avec parfois, le regard d’un garçon sur moi, qui n’est plus celui d’un adversaire de lutte. Plus de tout.

    Comme celui des Lyonnais, quand ils nous ont regardées la première fois. On avait quinze ans environs quand Gabi, fils de parents divorcés, a quitté sa grande ville pour rejoindre son père un weekend sur deux, son père qui avait eu la bonne idée de s’enterrer chez les bouseux de Mouratiers. Je revois encore sa tête la première fois que nous l’avons rencontré. Il était désespéré. Mais on s’est trouvé et je crois que sa vision de notre petite ville est devenue moins morose. Alors il est revenu souvent avec ses copains qui ont animé nos cœurs et les samedis soirs de notre adolescence. Baptiste, Gabi et Lucas sont entrés dans nos vies et n’en sont plus sortis.

    Voilà. Le tableau de mon enfance parfaite est complet : la Villa des fleurs, mes sœurs de cœur et les Lyonnais, premiers hommes de ma vie. Un beau départ, un socle solide. Tous ces électrons ont longtemps gravité autour du noyau qu’a toujours constitué le clan Tumouche, ma famille, Odette, Jean, ses deux frères qui sont nos voisins et leur conception de la réussite un peu à part. Un peu seulement, pas trop. Au cœur de tout, l’amour des montagnes et l’envie de prendre soin les uns des autres. Courir après le temps à partager ensemble, plutôt qu’après le temps tout court. Tous ceux qui s’y sont frottés de près ne se sont plus éloignés très loin.

    J’ai eu tellement de mal à partir un peu loin, moi. J’ai bientôt trente ans et en regardant par la fenêtre de ma chambre aujourd’hui, je me suis dit que je voudrais y revenir. Y revenir, y rester toujours et y mourir.

    Pourtant, à l’adolescence, les champs qui étaient jusqu’alors notre terrain de jeu, notre ère de liberté, sont devenus prison. Une forme de claustrophobie nous a poussés hors de Mouratiers aussi souvent que possible. Alors on partait. Gabi, l’ainé et le plus sage de la bande, organisait les départs, choppait des billets pas chers pour tout le monde. Baptiste faisait une étude approfondie de tous les bons plans sur place et Lucas, l’étourdi de service, se concentrait pour ne pas rater le train et ne rien oublier, tout en distillant son enthousiasme. Les filles et moi remplissions nos sacs d’un tas de fringues que nous ne mettrions pas, et d’un ou deux rouges à lèvres piqués à la mère de Jeanne. On a souvent pris le train tous ensemble pour Paris ou ailleurs. Je nous revois, bras dessus bras dessous, pieds nus dans la rue tard dans la nuit parce qu’on avait ruiné nos chaussures et nos orteils sur les pistes de danse, et qu’on n’avait pas un rond pour prendre un taxi. On riait beaucoup, et de bon cœur, parce que tout nous souriait. La vie nous tendait les bras. L’histoire ne s’arrêtait jamais, on ne s’ennuyait pas une seconde. Pas une seule.

    Il nous reste encore beaucoup de périodes de la vie à découvrir, je le sais bien. Mais parfois, j’ai du mal à imaginer qu’il puisse en exister de plus belles. Parce que c’était le moment parfait où l’on bénéficiait encore de l’insouciance de l’enfance combinée aux joies de la découverte de la liberté. Tout paraissait possible, la vie était devant nous et aucune porte ne semblait fermée définitivement. La découverte était sans fin. On avait le choix, et le temps d’en faire surtout. Comme c’était exaltant.

    Et puis il y a eu ce jour de février 2004 où notre vie a basculé. On avait tout juste dix-huit ans et on descendait du train qui nous ramenait de Paris. Légères et souriantes, gloussant sur le quai, jacassant déjà autour du projet de notre prochaine virée, juste après avoir dit au revoir aux Lyonnais. On attendait Charlotte qui devait venir nous chercher en voiture. Elle ne ratait nos retours et le lot d’histoires qui allaient avec pour rien au monde. Elle se moquait parfois un peu de nous, nous regardait dans le rétro en nous singeant à l’avant de la voiture, et ça nous faisait rire. Elle harcelait Lison de questions. Lison qui faisait la moue, la tête posée contre la vitre, les yeux roulant vers le ciel. L’air de dire : « Mais pour qui me prends-tu ? Moi, je ne fais que suivre, je ne suis pas aussi bécasse que ces deux-là. »

    Mais c’est la mère de Lison qui est apparue au bout du quai ce jour-là. En l’apercevant, nos rires innocents se sont figés pour résonner une toute dernière fois. Il a semblé que, durant l’intervalle de trente secondes où elle s’est dirigée vers nous, se sont écoulées des heures. Je savais bien pourquoi elle était là. Mon esprit s’est activé, a cherché d’autres raisons, a positivé, supplié. Une éternité insupportable, et pourtant je souhaitais qu’elle ne s’arrête pas. Je voulais le temps d’imaginer d’autres raisons qui puissent amener la mère de Lison à nous retrouver sur ce quai de gare. Charlotte, notre modèle numéro un ne conduirait pas la voiture ce jour-là. Ni plus jamais.

    La veille, à vingt-trois ans, dans son petit studio, elle avait décidé que cette fois, elle ne se louperait pas. Alors calmement, elle avait tiré ses rideaux, ouvert sa fenêtre, enjambé son petit tas de mégots pour poser un pied sur la rambarde du balcon, tiré sur ses bras et ses abdos pour rapprocher son second pied, puis s’était laissée tomber. Elle avait laissé tomber la vie et tous ceux qui peuplaient la sienne. Sans un mot, comme si c’était un geste évident et incontestable. Comme si on allait tous comprendre. Parce que les inquiétudes des adultes avaient depuis longtemps déjà pris du sens dans nos esprits. Charlotte était brillante mais Charlotte était malade. Condamnée par un mélange fatal de lucidité sur la nature humaine et d’une hyper-sensibilité. C’est surement pour cela, que c’est chez Jeanne et moi qu’elle essayait, depuis toujours, de puiser la légèreté pour en insuffler à Lison. Parce qu’elle, l’enfant grave,

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