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Quenton
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Livre électronique305 pages4 heures

Quenton

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À propos de ce livre électronique

Année 1940. Quenton, un jeune étudiant en médecine brillant, est fait prisonnier par les Allemands sur une dénonciation mensongère. Envoyé en camp de concentration, c’est au cours de son transfert en train qu’il rencontre un professeur allemand, qui juge plus utile de l’employer dans son hôpital en Allemagne. De cette collaboration naîtra une belle amitié, nourrie d’un respect alimenté par le dévouement de Quenton. Le cœur du jeune médecin s’ouvre à un autre sentiment, l’amour, grâce à la rencontre avec une jeune collègue allemande. Comment les deux jeunes gens pourront-ils vivre à la fin des hostilités entre leurs deux pays ?
LangueFrançais
Date de sortie14 août 2017
ISBN9782312053691
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    Aperçu du livre

    Quenton - Jean Claude Scholler

    cover.jpg

    Quenton

    Jean Claude Scholler

    Quenton

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    © Les Éditions du Net, 2017

    ISBN : 978-2-312-05369-1

    Remerciements

    Je voudrais remercier mon amie Mimie Chérie (Michèle Delanne) pour avoir accepté, avec toute sa gentillesse, d’effectuer la saisie électronique de mon texte.

    Je remercie également mon amie Maureen Andersson qui, avec la même obligeance, m’a fait profiter de sa parfaite maitrise de l’outil informatique pour lequel je n’ai toujours éprouvé qu’une profonde antipathie.

    J’adresse aussi toute ma gratitude à ma petite Stéphanie Miech pour sa relecture attentive et les corrections de professionnelle qu’elle m’a suggérées.

    Je remercie ma fille Catherine pour les encouragements qu’elle m’a apportés et qui m’ont soutenu au cours de cette aventure littéraire.

    Je ne saurais oublier l’amour de ma vie, mon épouse Denise, pour la patience dont elle a fait preuve et elle en a eu tout au long de ce travail.

    En revanche, je ne remercie pas mon chat Patou, que j’aime tant, mais qui vient systématiquement s’asseoir sur mon cahier chaque fois que je manifeste l’envie d’écrire.

    Je n’ai pas écrit là un roman. Je ne suis ni écrivain, ni romancier.

    Je me sens plutôt « conteur » et j’ai simplement voulu raconter une histoire, le plus naturellement.

    L’ai-je bien fait ? Je le souhaite ! Je vous laisse le soin d’en juger par vous-même.

    Bonne lecture !

    Jean-Claude Scholler

    2017

    PREMIÈRE PARTIE

    La nuit de la Saint-Quentin

    À la ferme du château de Vignecourt la soirée s’annonçait. L’ambiance y était plus fébrile que d’habitude. Tous les ans à la même période, une petite fête s’y préparait. La maison du rebouteux s’animait joyeusement.

    La pièce n’était pas très grande. Cependant, comparée à d’autres pièces semblables dans d’autres fermes, celle-ci était de taille tout à fait respectable. La table avait été poussée contre le mur du fond et au moins trois personnes s’étaient déjà assises dessus… tout ce qui faisait office de siège avait été réquisitionné y compris les deux tabourets tripattes servant à la traite des vaches et que le Petit Quenton était allé chercher dans l’étable. Clément, son père, comme à son habitude s’était procuré quelques tonneaux vides sur lesquels il avait posé des madriers afin d’en faire de confortables bancs. Avec un léger trait d’humour, Clément murmura, assez fort toutefois pour qu’on l’entende : « On est mieux sur ces bancs-là que sur ceux de l’église » ce qui eut pour effet de contrarier un tantinet madame la Comtesse qui, de bonne grâce, adressa à Clément un sourire forcé… et tous deux partirent d’un petit rire de connivence. Il y avait entre eux, un immense respect et une grande complicité mais surtout une confiance réciproque. Tout ce petit monde prit place dans un sympathique et convivial chahut… les meilleures places, bien sûr, étant réservées à monsieur le comte et madame ainsi qu’à une invitée-surprise, cette année-là, qui n’était autre que madame la comtesse de la Neuveville, sœur de madame la comtesse de la Poésie de Vignecourt. Cette nouvelle invitée était une femme très moderne, dotée d’un humour à la hauteur de son personnage !

    En plus de ces illustres personnes, étaient présents à cette soirée : Jules le petit frère de Clément, accompagné de sa femme Joséphine et de leurs trois enfants : Julie, neuf ans, Martin, sept ans et le petit Georges, (le rebelle) cinq ans. Joséphine et Jules étaient très heureux de se retrouver chez ce frère chéri qu’était pour eux Clément et dont l’épouse Geneviève était pour Joséphine bien plus qu’une belle-sœur. Elle était en quelque sorte sa sœur jumelle ! En 1918, lors d’un bombardement, Joséphine et Jules avaient perdu deux de leurs enfants, deux belles petites filles : Justine, deux ans et Joséphine, un an. Geneviève et Clément s’étaient alors montrés indispensables pour les aider à se reconstruire. Les enfants de ces derniers étaient venus eux aussi : Luc, seize ans, Jeanne, quatorze ans, Joseph, douze ans et notre petit Pierre Quenton, dix ans. Quant aux deux enfants de monsieur le comte, bien trop jeunes pour assister à cette soirée, ils étaient restés au château « sous bonne garde ! » en revanche, sa sœur Julie était là de même que leur bienheureux père Henri de la Poésie de Vignecourt qui venait de fêter ses soixante-cinq ans, exactement le 2 août. Bienheureux père car colonel dans l’infanterie, il avait été grièvement blessé lors des combats meurtriers du Mort-Homme à Verdun du 6 au 10 mars 1916. Il y avait perdu son bras gauche et la moitié gauche de son visage avait été littéralement labourée. Ce jour-là, si terrible, Clément Quentin se trouvait à ses côtés lorsque l’obus allemand avait explosé pratiquement à leurs pieds. Alors ordonnance du colonel, il avait subi lui aussi de graves blessures. On sentait entre ces deux hommes quelque chose de palpable comme une véritable amitié et très certainement une infinie estime et un très grand respect réciproques.

    Nous voici donc le soir du 31 octobre 1930, dans la maison de Jules Quentin, maison appelée « la ferme », car c’est le terme employé pour la vieille maison de Jules. En effet, le comte avait fait construire une maison très moderne à quelques mètres seulement de celle-ci mais Jules avait toujours refusé de l’habiter, prétextant « qu’une maison neuve n’a pas de souvenirs, donc fatalement pas d’âme » Alors, il avait laissé son fils Clément s’installer dans la belle maison neuve.

    La Saint-Quentin ! Journée historique pour cette famille remarquable.

    Jules Quentin avait commencé, il y a bien longtemps, le récit de cette nuit qu’il avait vécue, caché dans le lit-alcôve qui se trouvait d’ailleurs toujours dans cette même pièce dans le prolongement de celui de ses parents Amélie et Quentin Quentin ! Pourquoi deux fois Quentin ? Tout simplement parce que le père de Quentin trouvait beau ce prénom et il n’y avait aucune raison pour ne pas agrémenter un beau nom… d’un beau prénom, et voilà !

    La pièce était sombre, éclairée seulement par une lampe à pétrole posée sur le rebord de la cheminée créant ainsi une ambiance un peu mystérieuse. De son coin, Jules Quentin se leva et s’approcha de la cheminée qui faisait plus ou moins office de scène.

    À cet instant, Clément s’assit à l’angle du foyer où les braises rougissaient encore dans la pénombre. Il régnait ce soir-là un voile de mystères. Clément regardait son père avec dans les yeux une lueur d’amour et d’admiration. Beaucoup de gens présents avaient déjà entendu cette histoire mais, racontée par Jules, elle devenait magnifique. Jules était un passionné d’histoire c’était un érudit, c’est le moins qu’on puisse dire ! Il aimait que ses récits soient cohérents, et honnêtes. Bref c’était un vrai conteur !

    Mesdames et Messieurs, et vous aussi jeunes gens,

    Je dois commencer mon récit par le tout début et si vous me le permettez, il me faut vous préciser un détail qui me semble important. Vous n’êtes pas sans savoir que nos deux familles sont indissociables depuis… je pense pouvoir dire « des siècles » puisqu’elles sont liées à des temps qui remontent aux Ducs de Lorraine. Donc, j’en conclus que nous sommes unis pour la vie et c’est pour moi un grand honneur d’avoir servi avec loyauté cette grande famille qui est la vôtre monsieur le comte et je serais même tenté de dire mon colonel ! Mais restons civils, tout cela pour vous dire que notre histoire commence… la nuit de la Saint-Quentin !

    Écoutons le début !

    Quentin Quentin est né le 8 décembre 1831 sous la Monarchie de Juillet, puis en 1848 c’est la IIe République, en 1853 le Second Empire. Il se marie à vingt-neuf ans en 1860 avec Amélie Tech alors âgée de dix-huit ans, une jeune fille d’une beauté à couper le souffle, je le sais… c’était ma mère ! La même année, celle où les Niçois plébiscitèrent leur rattachement à la France, le 13 juillet 1861 exactement, naissance de Jules Quentin, votre serviteur ! Puis bien sûr, déclaration de guerre de la France à la Prusse le 19 juillet 1870, l’armée française commandée par Napoléon III et Mac Mahon capitule le 2 septembre 1870. J’ajouterai un petit commentaire – tout à fait personnel – « lorsque l’on veut montrer sa force, n’est-il pas préférable de s’assurer de la taille de son adversaire ? ».

    Puis, la IIIe République en 1871 et le 10 mai, le malheur pour des dizaines de milliers d’Alsaciens et Lorrains. Le sort de ces deux magnifiques et héroïques régions est scellé par l’infâmant Traité de Francfort entre la France et la Prusse. Et nous voici arrivés à la mort de Napoléon III, qui s’était réfugié en Angleterre, sa disparition ne suscita que peu de tristesse dans les foyers français : c’était le 2 janvier 1873, année qui nous intéresse au plus haut point car nous arrivons à la fameuse nuit de la Saint-Quentin, le 31 octobre !

    À cet instant, madame la comtesse de la Neuveville lève légèrement la main comme on le fait à l’école et lance :

    – S’il vous plaît ? Je vous demande pardon monsieur Quentin mais puisque nous en sommes aux petits commentaires personnels, j’aimerais vous faire part du mien !

    – Je vous en prie, madame la comtesse !

    – Votre Napoléon III, tout empereur qu’il se disait, n’était pour moi qu’un horrible nobliau de poulailler ! Merci ! Vous pouvez continuer !

    Bien sûr, tout le monde se mit à rire aux éclats… La Comtesse avait eu son petit succès !

    Je reviens donc à cette fameuse nuit.

    Il devait être aux environs de vingt-deux heures. Le ciel avait déployé son grand manteau sombre et j’étais dans mon alcôve qui se trouve là, juste derrière vous, enfoui sous mon édredon. Ma mère venait de se coucher et Quentin, mon père, rentrait des écuries quand soudain, on entendit tambouriner à la porte verrouillée et derrière, des hurlements. Mon père, ignorant la raison de ce raffut, se précipita à la porte et l’ouvrit. Il pensait que des gens se trouvaient dans la peine et avaient sans doute besoin de secours. Et là, une vision apocalyptique s’offrit à lui. Il aurait pu tout imaginer, tout supposer et même tout inventer mais jamais, au grand jamais il n’aurait pu accepter de voir trois Uhlans devant sa porte. Trois Uhlans complètement ivres, ivres d’alcool, ivres de haine et certainement ivres de victoires sur les Français car trois ans auparavant, ces lascars avaient probablement participé à la curée contre nos troupes à Sedan !

    « Imaginez que Quentin Quentin avait lui-même participé à cette lamentable défaite, avec notre regretté colonel Alfred de la Poésie de Vignecourt ! »

    Mon père n’eut pas le temps de réagir que déjà les trois Uhlans le bousculaient violemment en pénétrant dans la pièce, éructant des jurons à tout va. Mon père, comprenant rapidement la situation, s’écarta pour laisser le champ libre aux trois Prussiens qui, profitant de leur supériorité numérique, entreprirent une fouille systématique de chacun des meubles de la pièce et en sortirent une bouteille de vin, une miche de pain et… bonheur suprême : une bouteille de schnaps ! Ils décrochèrent également une bande de poitrine fumée qui pendait discrètement dans la cheminée. Dans l’état où ils se trouvaient, mon père se demanda comment ces trois imbéciles avaient pu tenir sur leur monture, leur équilibre étant plus que précaire !

    Vignecourt, comme vous le savez, est un village qui se trouve pratiquement sur la frontière tracée par Bismarck. La ligne de démarcation passait à environ cinq cents mètres et de l’autre côté, les Prussiens avaient établi une caserne dans une ancienne fortification. De ce fait, on pouvait depuis la ferme, observer la vie militaire prussienne au quotidien, ce qui avait d’ailleurs le don de contrarier et d’énerver mon père qui, au grand jamais, n’a considéré notre Moselle et notre Alsace comme… prussiennes ! La surprise retombée, mon père analysa la situation et s’interrogea : « Ces trois lascars ivres comme ils sont, ont dû ruser pour arriver jusqu’ici car il leur est strictement interdit de venir en France, qui plus est, armés. Si jamais ils sont pris, ils écoperont tous les trois d’une sérieuse punition, ce qui déclenchera un inévitable incident diplomatique. » Nos trois héros buvaient plus qu’ils ne mangeaient et mon père les y encourageait vivement en espérant, bien que repus, ils repartiraient comme ils étaient venus ! Quant à moi, j’étais toujours sous mon édredon et de ma cachette naturelle, je pouvais apercevoir une bonne partie de la scène, les portes de mon alcôve étant restées entrouvertes.

    Lorsque j’avais douze ans, il m’arrivait fréquemment de me prendre pour un héros de la guerre. Je massacrais les Prussiens, je les provoquais en duel, je les trucidais à qui mieux mieux et fièrement j’allais reconquérir l’Alsace et la Lorraine armé d’un grand étendard tricolore, suivi de mes troupes d’élite. Curieusement, ce soir-là, je me sentais petit, tout petit, je dirais même « minuscule ». C’est-à-peine si j’osais respirer ! J’étais pourtant assez mûr pour faire la différence entre le rêve et la réalité et là, nous étions en pleine réalité ! Donc, j’adaptai logiquement ma modestie naturelle à cette réalité et j’observai, horrifié, mon père faisant tout son possible pour rendre la vie agréable aux trois Uhlans. Je vais même vous avouer combien j’étais déçu de voir mon père, ce héros pour qui j’avais une admiration infinie, se répandre en excuses et en bonnes manières vis-à-vis de ces trois lascars. J’avais du mal à admettre sa condescendance envers ces trois Prussiens.

    Au moment où je me posais toutes ces questions, l’un d’eux voulut « vidanger » le trop plein de ce qu’il venait de boire. Il se leva péniblement, et s’effondra lamentablement sur le plancher. Les deux autres rirent de sa chute tout en essayant désespérément de se lever à leur tour. Le premier quitta la pièce pour aller se soulager à l’extérieur, juste devant la porte. Le deuxième fit comme le premier et s’effondra de tout son long. Mon père se précipita pour l’aider à se relever mais reçut un coup de poing, du troisième ! Il en perdit l’équilibre et roula sur le sol. Ma mère qui n’avait pas quitté son alcôve, prit peur et courut comme une folle vers mon père pour l’aider à se relever. Elle pleurait et tremblait comme une feuille. En voyant cela, le troisième Uhlan se précipita sur elle et lui administrant une énorme gifle, qui bien évidemment l’envoya par terre. C’est à ce moment précis que tout alla très vite : mon père, qui jusque-là était resté bon garçon, se transforma en véritable dragon. La bagarre ne dura pas plus d’une minute. Je le vis frapper le troisième lascar qui roula au sol pendant que le deuxième titubait vers la table où étaient posés les trois sabres. Il voulut en sortir un de son fourreau mais mon père était déjà sur le Prussien, le bouscula, prit à son tour un sabre et avant même que le Uhlan n’ait eu le temps de réagir, mon père lui plongea la lame dans la gorge. Puis il se retourna vers le deuxième lascar, qui tentait péniblement de se relever, et lui enfonça le sabre dans la poitrine. Quant au premier Uhlan resté dehors et qui n’avait toujours pas terminé « son affaire », il se retourna en arrosant tout autour de lui puis regarda mon père, les yeux hagards, et poussa un léger râle… le sabre venait littéralement de lui traverser la poitrine. Il s’écroula comme une masse, son « robinet de vidange » encore à la main !

    Eclat de rire de l’assemblée.

    Je le répète encore une fois, la bagarre n’avait pas duré une minute. Petit détail toutefois à préciser : le Uhlan qui avait pris ce terrible coup de sabre dans la gorge, bougeait encore… alors mon père, le plus naturellement du monde, s’approcha de lui, posa la pointe du sabre à l’endroit du cœur et appuya un grand coup ! Il y eut un sursaut puis, plus rien : l’homme était mort ! Ma mère se tenait debout, tétanisée, tremblant de tous ses membres, fixant mon père sans le voir. C’est alors qu’il s’avança vers elle, lui administra une gifle puis la prit dans ses bras. Il est resté ainsi un long moment, embrassant tendrement ma mère et en la berçant doucement.

    Il était aux environs de minuit quand soudain mon père regarda ma mère avec fermeté et lui demanda de suivre ses instructions. D’abord, réveiller Jules, Pour cela, mes parents ne se faisaient guère d’illusions, ils savaient bien qu’avec un tel raffut, je ne devais pas dormir d’un sommeil très profond. D’ailleurs, avant même que ma mère m’ouvrît en grand les portes de mon alcôve, je sautai avec agilité sur le plancher !

    Mon père me fixa droit dans les yeux et me dit :

    – Mon garçon, il y a des moments dans la vie où l’on grandit beaucoup plus vite que prévu. Cette nuit, tu es presque devenu un homme. Et, c’est un homme qui te dit : j’ai besoin de toi, tu dois m’aider, t’en sens-tu le courage ? Te sens-tu capable d’aider ton père ? Réfléchis vite car à partir de maintenant, il va falloir être rapide, très rapide !

    Ce jour-là, je dois le reconnaître, je me suis senti presque un homme, un petit homme. Mon père, pour la première fois de ma vie, me traitait presque comme un égal. Je me suis senti « gonflé à bloc » et j’en aurais pleuré de joie et d’orgueil.

    – Va dehors, prends les trois montures et conduis-les à la « baraque de nuit », là où tu sais ! Enlève leurs harnachements et cache le tout dans le petit grenier, sous le foin. Laisse les trois bêtes dans l’abri et donne-leur du foin et de l’eau. Fais pour le mieux, je te fais confiance et surtout, que personne ne te voie.

    Chers amis, je dois préciser, pour ceux qui l’ignorent, que cette fameuse baraque de nuit dont parlait mon père, se trouvait – et d’ailleurs, se trouve toujours – dans le Bois des Pendus situé à quelques kilomètres d’ici. Je n’avais que douze ans et même si je me persuadais d’être un homme, même petit, je peux vous garantir que je ne brillais pas par mon courage et je sentais le sol se dérober sous mes jambes. Je m’habillai vite quand je vis mon père prendre l’encrier et une feuille de papier vierge rangés dans le placard. Il se mit à écrire. Je n’osais pas regarder mais ensuite il prit un buvard et tamponna la feuille, la plia et me la remit en disant :

    Lorsque tu auras caché les trois chevaux et leurs harnachements, tu suivras le chemin qui est bien marqué, tu ne risques pas de te perdre. Quant aux fantômes, mon fils, je t’ai déjà dit qu’ils n’existaient pas. D’ailleurs, tu vas le vérifier par toi-même ! Arrivé au village de Forneck, tu vas voir notre ami Boursson le boucher, tu lui remets le mot que je t’ai donné et tu reviens de suite, en empruntant le même chemin. Espérons que personne ne t’aperçoive ! Sois rapide et discret, mon fils ! Et n’oublie pas : j’ai confiance en toi.

    Je dois faire une nouvelle petite parenthèse, cher public !

    Vous savez tous où se situe le village de Forneck, à sept kilomètres de cette maison. Quant à la baraque de nuit, je précise qu’étant sur un domaine privé appartenant au château, les chevaux y étaient en sécurité… du moins nous l’espérions ! Je partis donc la peur au ventre en direction de la baraque de nuit, ce n’était pas la pleine lune. Mon père m’avait prévenu : Tu verras, la nuit, les yeux s’habituent très vite à la pénombre. Mais dans la forêt, ce n’est pas la pénombre, c’est carrément la nuit d’encre ! Je partis donc la peur au ventre – je dois bien l’avouer – en tenant mes trois chevaux attachés ensemble au bout d’une corde et je pris le chemin du Bois des Pendus. Au bout d’une demi-heure, j’atteignis la fameuse baraque de nuit et me dépêchai à faire mon travail. Heureusement, les trois bêtes étaient tranquilles et ne m’avaient pas causé le moindre souci. Puis je repris le chemin de Forneck en marchant cette fois un peu plus vite, n’étant plus ralenti par les trois canassons sauf que je me retrouvais absolument seul… et je sentais l’angoisse m’envahir ! Je marchais comme un automate et de temps en temps, un gibier faisait bouger un buisson et mon cœur alors se mettait à battre comme un tambour, sans oublier les hiboux et autres oiseaux de nuit ! Je me retrouvais mêlé à toutes ces légendes, toutes ces histoires de fées et de sorcières qui, je l’imaginais, me suivaient juste derrière moi. J’entendais presque leurs rires moqueurs. Vous aimeriez peut-être savoir si j’avais vraiment peur ? Eh bien… OUI !

    Pendant ce temps, à la maison, mon père, après avoir repéré un endroit discret dans le petit bois, se mit à creuser comme un forçat car il ne restait que quelques heures avant le lever du jour et la reprise du travail. Ma mère était une femme courageuse et relaya mon père en lavant à grande eau la pièce où nous nous trouvons actuellement. Puis, les trois Prussiens furent chargés par mon père sur un chariot attelé de notre jument et, direction le petit bois qui se trouve… exactement là où vous savez ! Ils furent jetés dans un énorme trou, très profond, avec tout leur armement composé pour chacun : d’un pistolet à percussion, d’un sabre de cavalerie et d’une lance de deux mètres quatre-vingt-dix. Les trois lances furent sciées car elles étaient trop longues pour entrer dans le trou qui se trouve… exactement là où… je ne vous le dirai pas ! Jules eut un petit sourire et poursuivit. Le trou fut rebouché et le trop plein de terre dispersé tout autour. Comme nous étions en automne, il ratissa

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