Pas du bon genre

A peine franchie la porte de l’immeuble,Lotte esquissa quelques pas de danse. Elle se sentait légère, elle avait des ailes : celles de la victoire. Elle venait de passer une heure à présenter ses dessins, face à trois hommes impassibles qui se fendaient seulement de quelques « hum, hum… » pendant la présentation.

Après son dernier mot, cœur battant, Lotte s’attendait à entendre le classique : « Très bien mademoiselle, merci pour votre présentation, nous vous informerons très prochainement de notre décision. » Mais le directeur artistique, qui n’avait encore rien dit, s’était tourné vers ses collègues :

– Excellent… C’est exactement ce que nous recherchons pour notre projet! La jeune styliste mit quelques secondes à comprendre qu’ils la voulaient elle, Lotte Verner, pour créer les tenues de scène de la revue « Années folles » programmée pour la réouverture d’un cabaret berlinois. Lotte s’élança vers la bouche de métro. Ce contrat dissipait d’un seul coup les doutes tapis en elle depuis toujours. Après des années de galères, de stages et de boulots mal payés, elle venait de signer, à 26 ans, son premier gros contrat. Pas trop tôt! Enfin la vie était belle! Enfin la vie lui appartenait ! Il ne lui restait plus qu’à faire ses valises pour Berlin.

Le taxi remontait le Kurfürstendamm, vaste artère bordée d’immeubles cossus, réputé avant-guerre pour sa vie mondaine et nocturne. Le véhicule s’arrêta devant un immeuble de style haussmannien. Karl Muller attendait Lotte devant le bâtiment. Le vieil homme était impatient. Quand on lui avait montré la photo de Lotte, le propriétaire du cabaret avait eu un choc : c’était comme si Max était revenu d’entre les morts. Les mêmes yeux, le même sourire, la même blondeur. Karl avait compris que Lotte Verner était bien la petite-fille de Magda et donc la petite-nièce de Max.

Lotte se dirigea vers le vieil homme, tout sourire. Il lui serra la main chaleureusement et l’entraîna vers l’ascenseur. En ouvrant la lourde porte palière en fer forgé, il