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Après la fonte des glaces: Tome 1
Après la fonte des glaces: Tome 1
Après la fonte des glaces: Tome 1
Livre électronique399 pages5 heures

Après la fonte des glaces: Tome 1

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À propos de ce livre électronique

Comme annoncé par les scientifiques, les glaces ont fondu, les eaux sont montées de près de soixante mètres, noyant toutes les côtes et toutes les berges du monde et surtout, provoquant une réaction en chaîne de catastrophes, éradiquant de la terre la quasi-totalité de la faune et de la flore.
Autant à la surface que dans les eaux, la chaîne alimentaire est profondément modifiée.
Mille ans se sont écoulés. Certains ont survécu grâce à leur lutte incessante. D’autres, des privilégiés, ont bénéficié des abris antiatomiques.
Désormais, l’humain a reconstruit sa société.
Mais quelle société ? Et pour combien de temps ?
LangueFrançais
Date de sortie7 avr. 2020
ISBN9791029010378
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    Après la fonte des glaces - Monique Medecin

    cover.jpg

    Après la fonte des glaces

    Monique Medecin

    Après la fonte des glaces

    Tome 1

    Les Éditions Chapitre.com

    13, rue du Val de Marne 75013 Paris

    Je remercie mon père pour son dévouement indéfectible

    et mon mari pour son soutien

    © Les Éditions Chapitre.com, 2020

    ISBN : 979-10-290-1037-8

    Avant-propos

    L’inconséquence humaine est telle que, malgré les nombreux signes précurseurs de la nature, les cris alarmistes des scientifiques, les actions des écologistes ; les mesures contre la pollution mondiale et le réchauffement climatique sont prises trop tard.

    La réaction en chaîne que craignaient les scientifiques s’enclenche. Nous sommes à la fin de l’année 2100.

    À chaque tempête les déferlantes entrent plus profondément dans les terres, dévastant tout sur leurs passages, noyant tous les bâtiments, qui se trouvent en bordure de mer, de fleuve. La population doit déserter les côtes, trop exposées aux éléments déchaînés. À chaque colère de la planète, des villes, des régions disparaissent sous les eaux, changeant à jamais la cartographie du monde. Mais à l’intérieur des terres, la situation n’est pas meilleure. Les tremblements de terre, les pluies torrentielles gonflant les cours d’eau jusqu’à briser les barrages, les inondations, les coulées de boue, les irruptions volcaniques, les vagues de chaleur dans les pays au sud de l’équateur rendent la vie intenable. Les changements de courants marins dus à l’afflux d’eau douce provoquent la destruction de la faune et de la flore marine, créant une rupture irréversible dans la chaîne alimentaire et la disparition de la quasi-totalité des espèces.

    Luttant contre les éléments pendant des décennies, l’humain tente de survivre du mieux qu’il peut au milieu d’un paysage totalement dévasté. En France, les eaux prennent possession des terres allant de Saint Malo à Bordeaux, séparant la pointe bretonne du reste de la France. Du Havre, jusqu’aux pieds des Pyrénées, tout a disparu sous les eaux. Amiens, Reims, Paris, ne sont que des souvenirs dont les bâtiments pourrissent sous la mer. Poitiers est devenue une ville côtière, tout comme Montauban. Mais l’homme n’a pas fini de payer le prix de sa folie.

    Les centrales nucléaires comme Blayais, Flamanville ou encore Marcoule abandonnées par manque de personnel ou parce qu’elles se sont retrouvées noyées, se mettent à distiller la mort.

    Un siècle durant, leucémies et cancers ravagent la population déjà mise à mal. De sept milliards et demi d’humains, en deux siècles il ne reste plus que 372 millions de personnes à se partager des terres rendues méconnaissables.

    À la maladie s’ajoute la famine. Car les espèces animales et végétales ont payé le prix fort. Les cultures sont impropres à la consommation, sauf le tournesol, le soja, le colza et le lin.

    Le tournesol ayant une grande vertu de décontaminant, est cultivé à grande échelle pour assainir les sols radioactifs, mais il faut attendre que la pluie ne soit plus acide pour pouvoir enfin avoir une production consommable.

    Les archives ne disent pas à quel moment certaines personnes ont trouvé refuge dans des abris antiatomiques, mais dès leur sortie à l’air libre en 2764, ces populations prennent le pouvoir sur les pauvres ères qui avaient été abandonnés à la surface.

    Le monde ne ressemble plus à ce qu’ils ont appris dans les livres. Les villes ont disparu, noyées sous les eaux ou ensevelies sous les Ginkgo Biloba et les bouleaux. À la suite de la contamination par la radioactivité des sols et de l’eau, seules quelques espèces ont survécu, comme les rats et les souris, les lombrics, les braconidés* les scorpions, les cafards, les mouches qui se développent à outrance et représentent les seules sources de viande comestible. En dehors des humains, seuls survivants à l’apocalypse, ces animaux subissent des mutations génétiques. Leur taille est multipliée par cent ou plus. Leur mode de vie change. Les mouches de simples nécrophages, deviennent de vraies carnivores capables de tuer pour se nourrir et vivant en essaim pour se protéger. Les rats, souris, cafards et lombrics deviennent les troupeaux subvenant aux besoins des hommes et des mouches. La mutation la plus spectaculaire étant celle des scorpions, devenus des mammifères, géants de lumière herbivores, dotés d’intelligence. Dans les eaux, une espèce (appelée les Longues Dents*) voit le jour et envahit les mers et les océans. Dans les prairies paissent des chevaux Przewalski qui deviennent les principaux moyens de transport.

    Le rapport de force n’est évidemment pas le même, entre ceux qui ont vécu bien à l’abri des radiations et ceux qui les ont affrontées. Les nantis, les bien-portants, deviennent les Élites, les autres épuisés de plusieurs générations de luttes, de privations et de mauvaise alimentation, sont relégués au rang de simples citoyens. Enfin, ceux qui ont la malchance de développer des difformités ou des aptitudes hors normes, sont éliminés à la naissance ou dès que leurs dons se révèlent.

    La première action des Élites est de procéder à la phytorestauration des sols et de l’eau en plantant du tournesol, du carex, des roseaux et du colza. Ils réintroduisent progressivement, les légumes et les arbres fruitiers, puis le lin, le soja, le blé, le maïs précieusement conservés dans les abris. Viennent ensuite, au cours des siècles, les animaux domestiques, les abeilles et tout ce qui a été sauvé du cataclysme, sans y parvenir à chaque fois. Il y a de grands succès et de grands échecs.

    img1.png Braconidés : insectes ayant la forme d’une sauterelle.

    img1.png Longues dents : hybrides entre poisson, requin et crocodile mesurant entre 1,5 et 2 mètres de long.

    Les Communautés et les Sections

    Les Élites divisent les citoyens suivant leurs capacités productives, avec à leur tête des membres dirigeants venant de leurs clans. Ils créent huit communautés :

    – La communauté des Élites (cercle très fermé constitué des richissimes ayant pu payer leur place dans les abris).

    – La communauté des scientifiques (étant ceux qui ont permis aux Élites de survivre pendant des siècles dans les abris).

    – La communauté des industriels (ouvriers qui ont entretenu et maintenu en état de fonctionnement les turbines et générateurs, ainsi que toute la technologie emmenée lors de la migration. Ils représentent le personnel utile et nécessaire au bien-être des nantis).

    Puis les communautés composées des citoyens réduits en esclavage :

    – La communauté des agriculteurs,

    – La communauté des éleveurs,

    – La communauté des décontamineurs qui cinq siècles plus tard fusionnera avec la communauté des recycleurs,

    – La communauté des recycleurs,

    – La communauté des administratifs.

    Dans chaque communauté, sont créées des sections où sont répartis les citoyens :

    – Pour les Élites, il y a les sections :

    o Membres du Gouvernement (élus par les légistes),

    o Les légistes.

    – Pour les scientifiques, les sections :

    o Chercheurs pharmaceutiques et biologistes,

    o Chercheurs en énergies non polluantes. Leur mission vitale étant de trouver comment remplacer toute l’industrie du passé par une industrie non polluante réalisée à partir de récupérations.

    o Médecins et chirurgiens.

    – Pour les industriels, les sections :

    o Fabrication des produits de première nécessité, comme les savons, dentifrices, combinaisons, draps, serviettes et mobiliers des citoyens, le tout recyclable.

    o Alimentation, pour la fabrication et la diffusion des gélules protéinées et vitaminées composées à partir des produits de l’agriculture et de l’élevage.

    o Mobiliers urbains, comprenant la fabrication de tout matériel utile dans une société.

    o Fabrication de pièces détachées, pour la plomberie, l’électricité, la maçonnerie, etc. Tout devant être recyclable ou non polluant.

    o Réparateurs.

    – Pour les agriculteurs, les sections :

    o Défrichage, bêchage,

    o Semences, récoltes.

    – Pour les éleveurs, les sections :

    o Porc, lapins, volailles,

    o Bœufs, chèvres et moutons.

    – Pour les administratifs, les sections :

    o État civil, urbanisme, archives,

    o Police urbaine, gardes-frontières,

    o Juristes,

    o Instructeurs.

    Toutes les lois sont éditées par les Élites, toutes les structures sont mises en commun, tout le monde est traité de la même manière, sauf les Élites. Chaque matin, midi et soir, à la même heure, les citoyens reçoivent leur ration du jour ; une gélule et un verre d’eau. À la ration du soir, s’ajoute un biscuit emballé dans du papier biodégradable. Le reste de la journée, les citoyens peuvent boire aux fontaines, mais l’eau est jaunâtre, non traitée, sauf dans les jardins luxueux et la cité des Élites.

    Chapitre 1. Année 3082 (982 ans Après la Fonte des Glaces)

    Recroquevillée à la tête du lit, en larmes, tremblante de peur, je regarde, le cœur lourd, la pièce où je suis enfermée.

    C’est une pièce identique à celle que j’occupe depuis 40 ans avec ma mère Marina. La seule différence c’est qu’ici il n’y a qu’un lit, alors que chez nous les lits sont superposés. Même agencement impersonnel gris et froid de l’aluminium, avec le coin couchage, les sanitaires et les distributeurs d’eau, de biscuits durs comme la pierre, de gélules et de combinaisons (vêtement commun à tous).

    Ce matin, au moment où ma mère et moi enfilions nos combinaisons, des coups ont retenti à notre porte. Surprise et inquiète j’ai ouvert. Quelle ne fut pas ma stupeur de constater que c’étaient des policiers qui se trouvaient sur le pas de notre porte. Après avoir demandé si nous étions bien Marine et Emeline Gourran, ils nous ont passé les menottes et nous ont emmenées. Aucune explication, aucune accusation, rien. Ils nous ont fait descendre jusqu’en bas de l’immeuble sous les yeux moqueurs et souvent haineux de nos voisins. Il y en a même un, qui nous a craché dessus. Je me suis souvent retournée vers ma mère, en quête d’un geste ou ne serait-ce qu’un mot pour me réconforter, mais en vain. Marina est restée froide, lèvres pincées, le regard dur. Le voyage jusqu’au centre pénitencier No 1 s’est déroulé dans un silence pesant qui n’a pas cessé de faire monter mon angoisse. Je ne comprends pas ce qu’il se passe et pourquoi. Il ne nous a pas fallu plus d’une demi-heure pour parvenir au centre où nous avons été fichées, puis conduites dans l’aile No 2. Après avoir traversé un long couloir éclairé de néons tremblotants qui diffusent une lumière incertaine, nous arrivons devant une cellule où l’on me fait entrer. La porte se referme derrière moi, me laissant seule, désorientée, apeurée.

    Depuis, ce qui me semble être des heures, je m’enfonce lentement dans la terreur. Depuis toujours, ma mère et moi respectons à la lettre toutes les lois émises par le gouvernement, sans jamais nous plaindre, sans jamais protester, alors pourquoi cette arrestation ? J’ai beau essayer de me convaincre que c’est une erreur, je n’y arrive pas. Même si j’ai toujours été une citoyenne modèle, même si j’ai un parcours irréprochable dans mon travail, ma ponctualité, mon civisme, mon obéissance et que j’ai fait partie de la liste des citoyens modèles, je ne suis pas à l’abri d’une dénonciation. Combien de fois ai-je dit à Marina, que son trafic était dangereux ? Qu’un jour ou l’autre quelqu’un pourrait nous trahir ! Mais elle restait persuadée que personne ne parlerait jamais étant donné le nombre de vies que j’avais sauvées grâce à mon don de guérison. Visiblement, elle avait tort et moi je n’aurai jamais dû l’écouter.

    Je tente de me calmer et de reprendre mes esprits.

    La porte s’ouvre enfin, laissant le passage à un homme immense, mesurant près de deux mètres, tout en longueur, très maigre avec la peau jaune d’un hépatique. Son regard noir est inquisiteur, le visage et la bouche n’expriment que réprobation.

    – Emeline Gourran, née le 17 avril 3042 dans le treizième arrondissement.

    – Oui Monsieur (j’ai la gorge si serrée que les mots ont du mal à sortir).

    – Qui est Marina Spence ?

    – Je ne sais pas, Monsieur.

    Contrarié, l’homme me jette un regard glacial. Terrorisée, je me recroqueville un peu plus sur moi-même dans un futile espoir de me protéger de lui. Il me fixe sans prononcer un mot. Comme le silence se prolonge, pour me soustraire à son attention intrusive je prends mon courage à deux mains et je précise d’une voix mal assurée :

    – Je ne sais pas qui est Marina Spence, mais je vis avec ma mère qui est Marina Gourran.

    – Votre mère ! Et quel âge a-t-elle ?

    – 58 ans Monsieur.

    – Faux !

    – Pardon ?

    – Marina Gourran est déclarée décédée le 4 novembre 3044.

    – C’est mon père, Monsieur Bart Gourran qui est décédé à cette date, pas ma mère.

    L’homme sort une tablette et pianote dessus. Penché sur l’écran il attend, puis lève les yeux, mâchoires crispées par la colère, sourcils froncés.

    – Quel est le nom de jeune fille de votre mère ?

    – Je ne sais pas Monsieur.

    – Vous vivez depuis 40 ans avec votre mère et vous ne connaissez pas son nom de jeune fille ! Ne vous moquez pas de moi, vous pourriez le regretter.

    Décontenancée, je ne sais que répondre à cet homme. Comment lui faire comprendre le genre de relation que nous avons ma mère et moi ? Marina s’est toujours comportée avec despotisme et égocentrisme, jamais comme une mère. Rien ne compte à part sa personne. Elle se sert de moi comme d’une esclave, m’ordonnant les soins à procurer aux personnes qu’elle m’amène, puis me fait sortir de la pièce dès que j’ai fini pour « s’entretenir » avec son patient. Et moi, soumise depuis toujours, je n’ai jamais songé à me rebeller. D’ailleurs dans quel intérêt ? Pour aller où ? Avec qui ? La seule personne qui ne se soit jamais intéressée à moi, a changé d’avis le jour de notre mariage.

    Mais voilà, aujourd’hui, les choses sont différentes. Ma vie dépend peut-être de la réponse que je vais donner à cet homme.

    – Désolée, Monsieur, mais ma mère me tient à l’écart de sa vie. Je veux dire que nous vivons sous le même toit et c’est tout. Je suppose à présent que Spence est son nom de jeune fille. Je ne comprends pas pourquoi elle s’est faite passer pour morte.

    – Parce qu’elle a tué votre père.

    – Non, non, c’était un accident !

    – Que savez-vous de cette femme ?

    Je tente de me remémorer tout ce que je sais, mais c’est si peu de choses, toutefois, sans conviction j’essaie de prendre sa défense.

    – Ma mère m’a eue alors qu’elle n’avait que 18 ans, elle aimait mon père et sa disparition a été cruelle pour elle. Elle m’a élevée dans le respect le plus strict des lois. Elle a toujours veillé à ce que je n’en oublie jamais aucune…

    – À 18 ans. C’est ce qu’elle vous a dit.

    – Oui Monsieur. C’était avant que la loi impose le mariage à 30 ans.

    – Votre mère, Madame, fera cette année 78 ans. Elle avait 30 ans lorsqu’elle s’est mariée et 38 ans lorsque vous êtes née. Comment expliquez-vous cette exceptionnelle longévité ?

    Abasourdie, je reste sans voix. Il me jette un dernier regard qui me cloue sur place, se lève et sort de la pièce. C’est donc ça. Ils ont fini par savoir. Pourtant Marina m’a assuré avoir pris toutes les précautions nécessaires pour que personne ne parle jamais.

    Ne pas penser, ne pas trembler, ne pas paniquer, ne pas pleurer… Ne pas pleurer ! Oh mon Dieu ! Aurais-je le courage d’affronter l’horreur qui se profile à l’horizon ? Épuisée, le sommeil fini par me gagner et m’emporter loin de la tragique réalité et de ses conséquences.

    *

    Dans les bras de papa, je pleure. J’ai peur. Maman crie très fort. Les mains de maman, telles des serres, se referment sur moi ; elles tirent, papa tire en sens inverse. Nous sommes dans le couloir de l’immeuble et il y a beaucoup de monde, de bruit, papa me serre dans ses bras, il ne veut pas me lâcher. Puis une porte claque et le silence revient. Papa me tient toujours dans ses bras, mais maintenant il me berce en chantonnant doucement. Maman parle en gesticulant, elle est toujours en colère. Papa chante. Je me calme peu à peu et m’endors blottie contre sa poitrine.

    Le lendemain de cette horrible soirée, papa ne rentre pas de son travail. Maman me dit qu’il a eu un accident et qu’il ne reviendra plus jamais. Je ne comprends pas bien ce que cela veut dire, mais son absence me torture. Je ne cesse de penser qu’il est parti à cause de moi, parce que je n’ai pas été assez sage, assez obéissante.

    C’est la dernière fois que Marina parle de son mari et elle refuse de répondre à mes questions jusqu’à ce que je finisse par me résigner. Pourtant je veux tellement savoir, car mon papa me manque si cruellement. Il est mon seul allié, il est le seul qui m’entoure de son amour, il est le seul à me comprendre.

    Je me réveille en sueur. Cela faisait des années que je n’avais plus fait ce cauchemar. Le cœur au bord des lèvres, je me demande si Marina n’est pas réellement responsable de la disparition de mon père. Pour la millième fois depuis la venue de l’homme en noir, je m’interroge concernant Marina. Une fois de plus je constate avec amertume que je ne la connais pas, qu’elle est une étrangère pour moi, sa fille. À contre cœur, je dois reconnaître que le fait qu’elle ait réussi à berner l’administration aussi longtemps, me laisse admirative.

    Le monde dans lequel les citoyens vivent est si règlementé et chaque personne est si surveillée, que le moindre écart de conduite est immédiatement détecté et sanctionné. Alors la question que je ne cesse de me poser c’est, qui a bien pu accepter de risquer sa carrière, sa famille et sa vie pour donner une nouvelle identité à Marina ?

    Je sens la mort planer autour de moi. Après l’extinction des feux, des images, des souvenirs se sont imposés et malgré mes efforts pour les refouler, ils envahissent mon esprit, cherchant à raviver ma mémoire. Toute la nuit, je lutte, parfois pour trouver le sommeil et oublier la terreur qui me noue le ventre, parfois pour tenter de déchiffrer les images qui défilent devant mes yeux. Ces souvenirs concernent mon père, j’en suis sûre, mais ces flashes sans suite cohérente ne me permettent pas d’en déchiffrer leur signification. Je suis frustrée, malade à l’idée de passer à côté d’une information capitale, j’essaie, en vain, de me souvenir et finis par tomber dans l’inconscience.

    Il est 6 h, la sonnerie du réveil résonne dans les cellules. À peine les lumières sont-elles allumées que la douche se met à couler. Je me précipite, conditionnée à faire mes ablutions quotidiennes obligatoires au moment imposé par le règlement. Quand l’eau cesse de couler je n’ai que quelques minutes pour satisfaire mes besoins naturels, puis il faudra être devant le distributeur de ration avant que celle-ci ne tombe, sous peine de la voir disparaître dans les abysses du recyclage. Une fois la ration récupérée, je peux enfiler la combinaison propre mise à ma disposition et jeter dans le recycleur celle de la veille. Aujourd’hui ma combinaison est à peine décente, à force d’être recyclée elle en est devenue transparente. Je me sens nue, vulnérable, seul le fait qu’elle soit trop grande me donne l’illusion d’un peu d’intimité, mes maigres formes se noyant dans les plis. Même si je ne suis pas de petite taille, car je mesure un mètre soixante-quinze, je dois retrousser les manches et le bas des jambes.

    Puis commence l’attente, longue, pénible et angoissante. J’observe tout ce qui m’entoure, cherchant à occuper mon esprit en comparant les petits détails qui font que cette pièce n’est finalement pas aussi identique à celle que j’occupais hier encore. Mais invariablement, j’en reviens à ce qui est considéré comme une tare dans cette société, mon don de guérison qui va aujourd’hui me mener droit au supplice du four. Chaque fois que mes pensées en reviennent à cette conclusion, mes muscles se contractent d’horreur, mon ventre se noue et je dois me soulager en urgence, mon estomac se révulse et je vomis dans les toilettes. Les images de condamnés agonisant sur la place publique torturent mon corps et mon esprit.

    La porte s’ouvre à nouveau, des gardes entrent, me mettent les menottes et me traînent dans le couloir jusqu’à un ascenseur qui nous mène trois étages plus bas en direction de la salle de jugement. Il est 13 h 45 au cadran fixé au-dessus de la porte d’entrée, quand nous entrons dans une pièce étroite, toute en longueur. J’ai les jambes qui flageolent et mon ventre menace de me trahir à nouveau. Les coudes collés au corps je tente désespérément de contenir le spasme, je serre les mâchoires, je transpire à grosses gouttes, je dégage une odeur nauséabonde de transpiration acide, de vomi et de diarrhée. Des étoiles dansent devant mes yeux, c’est à peine si j’ai conscience de ce qui se passe autour de moi.

    Au pied du mur qui fait face à la porte, menottée et encadrée par deux gardes, se trouve Marina qui semble avoir subi un interrogatoire éprouvant durant toute la nuit. Elle tient à peine debout. Chaque fois qu’elle flanche, un coup dans les côtes la fait se redresser. Malgré l’état pitoyable de ma mère, je ne parviens pas à avoir de l’empathie pour elle. Si nous en sommes là aujourd’hui c’est bien par sa faute. Son manque d’humanisme a transformé des personnes reconnaissantes en ennemies, l’un d’eux a du juger qu’il était temps de mettre un terme à son trafic.

    À gauche, au fond de la salle, l’homme en noir. Son visage exprime la satisfaction. En croisant son regard mes poils se hérissent de peur.

    L’écran qui se trouve accroché au mur au fond de la salle s’allume et un juge apparaît.

    – Marina Spence Gourran avancez ! Mettez-vous face à la caméra centrale.

    Marina obéit d’un pas incertain, encadrée par les deux geôliers.

    – Marina Spence Gourran vous êtes accusée :

    o Du meurtre de votre mari, Monsieur Bart Gourran ;

    o De corruption d’un agent de l’administration qui vous a fourni une nouvelle identité ;

    o D’avoir hébergé et élevé un phénomène du type « guérisseur » ;

    o De ne pas avoir signalé son existence à la justice ;

    o De l’avoir utilisé à des fins privées ;

    o D’avoir joui d’une longévité interdite par la loi ;

    o D’avoir monnayé des guérisons.

    – En conséquence de quoi, vous êtes condamnée au four sur la place publique pour l’exemple.

    Marina s’écroule sur le sol, évanouie. Un nouveau spasme manque de me terrasser. Cette condamnation était prévisible, je n’ai donc plus aucun doute me concernant. Le supplice du four est le plus horrible que l’être humain ait pu imaginer. Le condamné est enfermé dans une cage de verre pour que son agonie soit visible de tous, la température est montée progressivement jusqu’à 80 °C et on le laisse cuire lentement jusqu’à ce que mort s’en suive.

    Complètement apathique je n’entends pas le juge qui s’adresse à moi. Les gardes me conduisent jusqu’au centre de la pièce, face à l’écran.

    – Emeline Gourran, avez-vous une observation à formuler pour la défense de votre mère ?

    Un coup de coude dans les côtes me ramène à la réalité. Je lève péniblement la tête et tente de comprendre ce qui m’est demandé. Le juge semble s’impatienter. Il ordonne à l’homme en noir d’intervenir.

    – M. le Juge vous demande si vous souhaitez plaider la défense de votre mère. Parlez !

    Sidérée par une telle demande, j’en oublie mes nausées et ma faiblesse. Ils attendent ma réponse en me fixant.

    Je secoue négativement la tête. Que pourrais-je dire ? L’écran s’éteint et l’homme en noir fait signe aux gardes de le suivre. Mon odeur me dégoûte à un tel point que je ne suis pas surprise lorsque je constate qu’ils me mènent dans une douche pour me laver. Ils me fournissent une nouvelle combinaison, moins transparente, moins grande et, une fois habillée, m’ordonnent de les suivre. Au moment où je passe devant l’homme en noir une petite douleur dans le cou me fait sursauter puis c’est le trou noir.

    *

    Hurlant à pleins poumons et se débattant comme une forcenée, Marina résiste aux gardes qui la conduisent vers le four, sous les yeux indifférents de la population assemblée sur la place. Quand une exécution a lieu dans une communauté, tous les membres doivent y assister. Beaucoup de ceux présents ont eu recours aux services de Marina. Pour autant ils ne manifestent aucun regret de la voir disparaître. Elle les a affamés pour leur accorder les soins dispensés par sa fille. Même si la disparition de la guérisseuse est une perte pour la communauté, leur haine est plus forte que la raison.

    Enfin maîtrisée et enfermée dans le four de verre, le Juge lit les motifs de la condamnation et active la mise en route de l’appareil.

    Marina aperçoit la foule déformée par l’épaisseur du verre. Pourtant, dans quelques minutes, elle sera seule à affronter son martyre ce qui la rend folle de terreur. Comble de l’horreur, un écran affiche la température du four, elle peut voir en direct les chiffres monter lentement. Elle se débat dans l’espoir futile de se libérer de ses liens. Mais sa lutte ne lui apporte que la conviction de l’inutilité de son combat. Elle n’en récolte que des écorchures aux poignets, au cou et aux chevilles. Haletante, elle guette le moment où la température deviendra insupportable. Mais cette attente lui est intolérable, alors elle tente à nouveau de glisser ses mains hors des anneaux solidement fixés à la potence de métal où elle est attachée, s’entaillant les poignets et les chevilles à force de gesticuler tout en hurlant sa rage, maudissant sa fille et tous ces débiles jaloux. Marina sait qu’elle est la seule à entendre ses propos, mais cela lui fait du bien de crier, d’insulter, de condamner l’ensemble de la population à l’ensemble des châtiments du ciel et de la terre. Crier c’est être vivante, lutter c’est l’espoir d’un miracle. De sa vie, elle n’a jamais renoncé, ce n’est pas aujourd’hui qu’elle va commencer à le faire. Si elle parvient à sortir ses mains des anneaux, elle pourra atteindre le boîtier de contrôle du four et arrêter le processus. Si elle est encore en vie, demain à l’aube, elle aura toutes ses chances pour être amnistiée, alors, il faut tenter.

    Déterminée, Marina, se concentre sur ses mains, rassemblant le plus possible ses doigts afin de diminuer au maximum la largeur de sa paume. Au prix d’un effort gigantesque et d’une douleur atroce, elle parvient en hurlant, couverte de sueur et au bord de la syncope, à dégager, millimètre après l’autre, sa main droite. Il lui faut un temps considérable pour maîtriser sa nausée et sa souffrance. Obstinée, elle lève péniblement son bras, au bout duquel pend lamentablement une main à laquelle il manque des morceaux de chair et aux os brisés. Une main totalement inutile car il lui est quasiment impossible d’en contrôler le maniement. De frustration, Marina se met à trépigner autant que ses liens le lui permettent, se brisant les os de sa cheville droite. Nouveau hurlement de douleur et de rage.

    Épuisée, à bout de souffle, Marina lève les yeux vers le thermomètre et constate qu’il a atteint 42 °C. Dehors, le ciel s’assombrit. Bientôt il fera nuit, la température extérieure va un peu baisser, mais pas assez pour influencer celle du four. Marina n’a plus qu’un espoir, que la mort la surprenne en plein milieu de la nuit, pendant son sommeil.

    50 °C, toujours consciente, Marina transpire à grosses gouttes, elle suffoque, une impression de mort imminente s’est emparée d’elle, accompagnée de celle de devenir folle, de perdre le contrôle d’elle-même. Elle hurle en se débattant et se cognant la tête contre la paroi. Sa crise de claustrophobie la déconnecte un temps de la réalité, mais elle est vite rattrapée par cette chaleur qui a augmenté de façon intolérable. Ses intestins la trahissent, une odeur nauséabonde envahit l’espace confiné du four et se mêle à celles de l’urine et de transpiration. L’air est irrespirable. Marina aspire l’air brulant par petites goulées qui lui enflamment les sinus, la gorge, les poumons. Des rougeurs sont apparues sur ses mains, son visage. Dans son dos, son cou, son poignet gauche et ses chevilles, le métal lui brule les chairs. Ses membres ont enflé et sont devenus sensibles aux frottements de la combinaison. Un besoin irraisonné de se débarrasser de son vêtement s’empare d’elle, provoquant une nouvelle crise de panique jusqu’à l’évanouissement.

    À regret, Marina reprend conscience. L’écran affiche 60 °C, son corps s’est couvert de cloques remplies de liquide, la douleur lui vrille le cerveau. Elle pleure, mais aucune larme ne coule de ses yeux secs, elle supplie que l’on mette fin à sa souffrance. Elle jure que plus jamais elle ne désobéira au gouvernement. Elle promet, contre sa libération, de donner les noms de tous ceux qui ont bénéficié de ses services et de ceux comme sa putain de fille. Il y a des gens haut placés dans sa liste, ça vaut bien une remise de peine ?

    Mais nul ne l’entend. Nouvelle crise de panique qui la laisse pantelante. Malheureusement la peur la maintien éveillée et consciente de la dégénérescence de son corps. C’est avec une totale lucidité qu’elle assiste à la cuisson de sa peau devenue rosâtre, humide et molle. Du liquide suinte de certaines cloques qui se sont fissurées, c’est horriblement douloureux, à cela s’ajoutent des zones qui la démangent. Il faut qu’elle se gratte, secouant la tête d’un côté à l’autre, cette idée devenue obsessionnelle lui opprime la poitrine, avec sa main invalide elle tente de frotter les parties douloureuses, elle veut crier de nouveau, mais seul un son rauque et pénible sort de sa gorge, provoquant une quinte de toux qui manque de l’asphyxier.

    Marina reprend difficilement une respiration saccadée, son cœur bat la chamade, son cerveau a de plus en plus de mal à fonctionner. Les minutes passent, interminables et odieuses. Les brûlures ont atteint toute l’épaisseur de la peau, les tissus adipeux, les nerfs, les muscles et les os. La peau présente l’apparence d’une pellicule blanche. La déshydratation lui a fait perdre plusieurs kilos.

    65 °C, les terminaisons nerveuses sont endommagées, les régions brûlées ne sont plus douloureuses, mais Marina n’est plus en mesure de s’en rendre compte. Ses poils et ses cheveux sont tombés, son sang coagulé et épaissi par la chaleur ne parvient que péniblement à son cœur qui montre des signes de détresse, son esprit vacille dans le néant, aveugle, elle attend la mort. Après plusieurs heures d’agonie, l’asphyxie met un terme à sa misérable existence.

    L’aube se lève et éclaire la dépouille de Marina, la bouche ouverte sur une ultime tentative de s’oxygéner, la peau à l’aspect cartonné d’un vieux parchemin est collée sur son squelette

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