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On l'appelait Caravaggino
On l'appelait Caravaggino
On l'appelait Caravaggino
Livre électronique198 pages2 heures

On l'appelait Caravaggino

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À propos de ce livre électronique

Dans ce récit de la Rome baroque, un peintre manqué eduqué par les jésuites part à la recherche du secret de la grande peinture qu¹une courtisane lui a fait entrevoir. Ce faisant, il va rencontrer le dernier héritier romain du Caravage. Le ténébrisme de sa peinture et la violence de so

LangueFrançais
ÉditeurClochegourde
Date de sortie20 avr. 2018
ISBN9781732242029
On l'appelait Caravaggino
Auteur

Jean-Philippe Brunet

Après de brèves études d'architecture aux Beaux-Arts de Paris et un doctorat universitaire de Physique, Jean-Philippe Brunet est devenu chercheur aux États-Unis où il a développé des méthodes de reconnaissance de formes appliquée à la recherche contre le cancer. Il est aussi l'auteur d'écrits sur l'art.

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    Aperçu du livre

    On l'appelait Caravaggino - Jean-Philippe Brunet

    Jean-Philippe Brunet

    On l’appelait

    Caravaggino

    ISBN : 978-1-7322420-2-9

    © Clochegourde, 2018

    Image : Piero Falletta

    Tommaso Dovini (1601-1637), parfois appelé Luini et surnommé Caravaggino, fut un peintre ténébriste au caractère ombrageux. Rapproché par son style et sa personnalité de Caravage, mort en 1610 dans des conditions demeurées mystérieuses et dont l’influence à Rome devait bientôt s’éteindre, il fut l’un des derniers peintres caravagistes romains. On lui attribue la Circoncision du musée des Beaux-Arts de Nancy qui fait près de trois mètres de haut ; son œuvre la plus étonnante montre saint Philippe Benizi exorcisant une démoniaque (Santa Maria in Via, Rome).

    www.caravaggino.com

    Après de brèves études d'architecture aux Beaux-Arts de Paris et un doctorat universitaire de Physique, Jean-Philippe Brunet est devenu chercheur aux États-Unis où il a développé des méthodes de reconnaissance de formes appliquée à la recherche contre le cancer. Il est aussi l'auteur d’écrits sur l’art.

    www.independent.academia.edu/JeanPhilippeBrunet

    Table

    Chapitre I

    Chapitre II

    Chapitre III

    Chapitre IV

    Chapitre V

    Chapitre VI

    Chapitre VII

    Chapitre VIII

    Chapitre IX

    Chapitre X

    Chapitre XI

    Chapitre XII

    Chapitre XIII

    Chapitre XIV

    Chapitre XV

    Chapitre XVI

    Chapitre XVII

    Épilogue

    Références

    « Il existe tant de sentiers par lesquels parvenir à la maîtrise de la peinture que, par leur variété et leur différence, ils forment un labyrinthe plus confus que celui de Crète où se cachait le Minotaure. »

    Giovanni Battista Passeri, Vita de Guercino

    Chapitre I

    À Rome, la peinture est partout. On ne peut s’y mouvoir sans la rencontrer. Elle est dans les échoppes des marchands, accrochée au mur des maisons, poussée sur les chariots des vendeurs ambulants. Dans l’église la moins décorée, il n’est pas de chapelle la plus sombre où je ne la retrouve.

    J’aimais caresser du bout des doigts sa surface épaisse et vernie, craquelée par endroits. Pour accéder aux décorations murales, j’attendais que les peintres ou les doreurs abandonnent leur échafaudage et gravissais un à un les barreaux des échelles jusqu’à ce que le vertige me prenne.

    Pour mieux voir le plafond des voûtes et l’intérieur des coupoles, je m’étais procuré cette lunette qui permit à Galileo Galilei d’observer les satellites de Jupiter et les taches du Soleil. Tête levée, la nuque douloureuse, j’explorais ces hauteurs, je fouillais les angles morts, je compensais l’effet de perspective qui fait s’écraser les personnages dans les courbures. La première fois que je me servis de cet instrument à double miroir, les détails de l’Assomption de la Vierge de Lanfranco sur le dôme de Sant’Andrea della Valle me sautèrent aux yeux si soudainement que je faillis tomber à la renverse.

    Ce jour-là m’apparut cette vérité, qu’à l’instar de Dieu dont parle le jésuite Bellarmin, la grande peinture est proche de nous ; c’est nous qui sommes loin d’elle.

    Elle, c’est Isabella qui me l’a fait rencontrer. C’était vers 1630. Soumis à des influences contradictoires, les peintres cherchaient leur voie. J’avais été l’un d’entre eux, ou plus exactement – à quoi sert de me cacher la vérité désormais – j’avais tenté de l’être. Mes dons de peintre étaient faibles, mais qui sait ? Si j’avais persévéré, l’excitation qui était dans l’air aurait pu me soulever comme Caravaggino et Savonanzi le furent en dépit des contradictions qui les déchiraient, ou pour cette raison même comme je devais finir par le comprendre.

    Au cours de ces quelques années, la confusion, les conflits, l’isolement qu’ils ressentaient avaient été les miens ; j’avais vécu au milieu d’eux, je les avais côtoyés, j’avais respiré les mêmes huiles siccatives.

    Plus que d’autres peintres que des tendances inverses tiraillaient, Caravaggino en fut écartelé. On l’appelait ainsi à cause de son tempérament batailleur et parce que, plus de vingt ans après la mort de Caravage, l’ombre et la lumière menaient encore chez lui leur combat spectral. Son maître Andrea Sacchi s’efforçait de le ramener à la clarté classique héritée de Raphaël, quoique lui-même fût hanté par le doute, comme je devais le découvrir.

    Par la suite, j’ai vu les carrières de bien des peintres se briser ou s’adapter : Caravaggino homicide, Testa suicidaire, Rosa exténué, Poussin pontifiant, Savonanzi adouci. Et tous ces fleuves passaient dans Rome comme le Tibre dont les effluves aux relents fétides entrent aujourd’hui par ma fenêtre restée ouverte.

    Rome nous étouffe, voilà le secret du mal. Non seulement par son atmosphère empuantie, ses maisons noires, ses ordures et l’air méphitique de ses marais. Le mal vient de plus loin. Il nous vient du passé. Ses racines plongent dans le sol antique et s’abreuvent d’une sève ancienne dont l’amertume nous empoisonne.

    Rome ! Ville de secrets et de merveilles, elle est aussi une ville de monstres et de prodiges où des femmes donnent naissance à des abominations que le prêtre refuse de baptiser.

    Comme la peinture, je l’ai aimée d’une passion qui me consume, et encore aujourd’hui, rongé de parasites inconnus et secoué de fièvres, ce vertige grouillant et coloré m’attire irrésistiblement, au grand dam de mon médecin et ami Salvator Acarza.

    Acarza ausculte son patient de la façon dont un peintre regarde son modèle.

    Je le connais suffisamment pour être capable de discerner ses changements d’expression. Tant qu’il garde contact avec le monde extérieur, sa physionomie n’offre rien d’exceptionnel. C’est un homme déjà âgé dont la fatigue et les responsabilités ont creusé le visage. Mais lorsqu’il m’examine, son expression change. À mesure qu’il palpe mon corps, son attention se focalise. Il perd un peu du contact qu’il maintenait avec l’extérieur et entre bientôt dans son domaine, qui est à la fois le dehors et le dedans. C’est avec ses mains qu’il devine son chemin dans un monde sous-cutané privé de lumière. Tantôt pressées, tantôt pensives, elles partent, reviennent, s’interrogent, pareilles à moi qui ne cesse de creuser le mystère de la peinture en écrivant des vies de peintres.

    Quand Acarza croit que je ne le regarde pas, il lui arrive de fermer les yeux et ses lèvres remuent, comme s’il se récitait une prière. Il me certifie qu’il n’en est rien, que ce ne sont que les premiers éléments du diagnostic mental qu’il élabore avant de le coucher sur le papier et de prescrire le traitement adéquat.

    Car sa foi n’est pas ce qu’elle devrait être.

    — On ne peut pas toujours lever les yeux au ciel quand on examine le dessous des choses, mon père, me répond Acarza benoîtement quand je lui en fais la remarque.

    — Dieu est partout.

    — Il est peut-être plus accessible dans vos églises en marbre rose et blanc, rutilantes d’or et couvertes de peintures.

    — Vous savez ce que je pense de ces nouvelles décorations. Je ne les goûte guère. Elles éloignent de Dieu au lieu de nous en rapprocher.

    — Si vous étiez venu à ma visite ce matin, vous auriez eu votre nez dessus. Une prostituée blessée à la gorge a poussé un tel cri que j’ai lâché prise. Son sang a giclé jusqu’à trois lits plus loin ; j’en ai été tout éclaboussé.

    Construit à deux pas de San Pietro, j’ai gardé de ce plus vieil hôpital de Rome qu’est Santo Spirito le souvenir d’un endroit bruyant. Médecins diplômés de l’Université, chirurgiens, apothicaires, membres des confraternités, prieurs et sous-prieurs y circulent sans cesse, et à leur brouhaha se mêlent les beuglements des bœufs et des buffles élevés dans l’hôpital pour nourrir les malades et les indigents.

    Lorsqu’il fait sa visite entouré d’étudiants, Acarza a tout du chef d’atelier qui mène ses apprentis, et il n’est pas jusqu’au récipient où sont recueillies les biles et les humeurs qui ne ressemble aux creusets dans lesquels les peintres broient leurs pigments – les murs de Santo Spirito sont d’ailleurs couverts de peintures, et sur une si grande hauteur que le sommet se perd dans l’obscurité des plafonds à caissons.

    Ayant inspecté, humé et même goûté ces produits, Acarza palpe le malade, l’interroge sur les symptômes codifiés par l’Ars Medica tandis qu’un assistant apothicaire prend des notes en code sur une tablette accrochée au pied des lits.

    — Ce n’est pas tant la lues venerae qui vous débilite que les traitements que vous avez reçus, avait décrété Acarza parvenu à mon chevet. En 1635 déjà le de decoctis antivenereis du Pharmacopea mettait en garde contre l’utilisation du mercure.

    Professeur à La Sapienza, Acarza n’avait pas manqué de brosser devant ses étudiants l’historique de mon mal. On l’appelle le mal français mais son origine remonte aux expéditions maritimes des Portugais vers la ville de Calicut sur la côte de Malabar. Lorsque Charles VIII assiégea Naples en 1495, les soldats espagnols de retour de l’Inde transmirent la maladie aux prostituées napolitaines qui la passèrent aux Français qui la répandirent dans toute l’Europe. Aussi cette lues venerae est-elle en fait une lues indica, la maladie indienne.

    Quand il apprit que j’écrivais des vies de peintres, Acarza fit preuve à mon égard d’une attention particulière. Alignés sur cinq rangées dans quatre salles longues de cent vingt mètres, les lits de Santo Spirito sont des plus simples ; mais ceux qui sont adossés au mur sont à baldaquin. Ayant obtenu que je sois transféré dans l’un d’eux situé à proximité d’un foyer, Acarza venait après sa visite passer un moment avec moi. C’est ainsi que débutèrent nos échanges.

    Car Acarza est dans la tradition des médecins amateurs d’art dont le plus illustre fut Giulio Mancini, anciennement directeur de Santo Spirito, médecin particulier du pape Urbain, passionné d’astrologie, avide collectionneur et auteur des Considérations sur la peinture.

    Aujourd’hui, lorsque Acarza vient me voir dans le modeste logement que m’octroie l’Académie San Luca au deuxième étage de l’église Santi Luca e Martina, c’est autant pour m’examiner que pour discuter d’art.

    — Le sang, le vrai sang, ne coule pas comme celui du cou d’Holopherne que tranche Judith. Il est tout à la fois moins fluide et plus prompt à jaillir. Les peintres lui donnent l’épaisseur de la cire qui coule de la bougie ou la limpidité de l’eau qui gicle du rocher de Moïse. Alors que c’est une matière vivante.

    — Même Caravage ?

    Je sais qu’en mentionnant ce nom, je mets Acarza devant un dilemme. Il comprend la peinture de Michelangelo Merisi mieux qu’aucun théoricien de l’art tel qu’il en pleut des dizaines aujourd’hui. Il a avec Caravage un lien qui passe par la misère des grabats, la nudité des tables de dissection et l’obscurité des salles d’hôpital.

    — Ce gamin eut fait un bon praticien, concède Acarza.

    Ayant fini de me palper, il se lave les mains avant de sortir les instruments de sa trousse. Un meuglement de vache nous parvient du Forum.

    Mancini disait de Caravage qu’il était le plus réaliste des peintres, et pourtant il jugeait que sa lumière qui ne réfléchit rien était contre nature. J’ai toujours vu dans ces contradictions un signe du rapport complexe que Caravage entretenait avec le réel. Surtout après sa Conversion de saint Paul.

    Alors que dans la Vocation de saint Matthieu la lumière tombée d’un soupirail éclairait le Christ en contre-jour, dans l’épisode de Paul renversé par la lumière divine, elle a disparu. C’est que pour éclairer Paul il n’y a pas d’autre soupirail que celui de l’âme. Aussi cette Conversion fut-elle un tournant dans la peinture de Caravage. « C’est à partir de ce moment qu’elle devint véritablement religieuse », m’avait dit Caravaggino dans son cachot de la tour de Nonne où la lumière ne pénétrait qu’à peine.

    Mancini ne comprenait pas cela, lui qui pourtant avait bien connu Merisi qu’il avait soigné peu après son arrivée à Rome – dans le manuscrit que j’ai de sa Vita di Caravaggio, des notes griffonnées dans la marge parlent de meurtre, de complices prostitués, d’insultes tracées au couteau à même la peau, de prison.

    Il est vrai que, tout comme Acarza, Mancini était athéiste. Ce n’est que parce qu’il était l’ami du Commendatore de l’ordre de Santo Spirito Pietro Campori, nommé cardinal en 1616, qu’il devint archiâtre et médecin du pape.

    — Dès lors il passa plus de temps à la cour des Barberini que dans les salles d’hôpital, estime Acarza que la réputation de son devancier n’est pas sans agacer.

    — N’est-ce pas lui qui a vendu la Mort de la Vierge au duc de Mantoue à qui Rubens avait conseillé cet achat ?

    Acarza opine.

    — La prostituée de ce matin ressemblait à cette Vierge de Caravage avec son ventre gonflé et son bras pendant sur le côté comme un cadavre que l’on remonte du Tibre. Au reste, les carmélites qui avaient commandé la toile la refusèrent, sans doute parce que Caravage s’était servi d’une prostituée comme modèle.

    — Il est douteux que Caravage s’en soit vanté.

    — Ses ennemis l’auront fait à sa place. À moins qu’un des pères carmélitains n’ait reconnu la fille pour l’avoir croisée dans la rue. Ou pire, ajoute Acarza en m’observant du coin de l’œil.

    Il sait que je n’apprécie pas ces plaisanteries grivoises. Les stigmates que j’ai gardés de ma rencontre avec Isabella me les rendent amères.

    — Il a dû y avoir une autre raison pour qu’ils refusent la toile. Car quand ils passèrent la commande à Saraceni, celui-ci prit modèle sur la Vierge de Carrache, or les Frères la refusèrent aussi.

    Acarza sourit. Il a compris que j’enfourche mon dada.

    Si je retourne souvent dans la chapelle Cerasi de l’église Santa Maria del Popolo, c’est pour y retrouver un point de départ. À côté de la Conversion de saint Paul de Caravage se trouve l’Assomption de la Vierge d’Annibal Carrache, peinte elle aussi en 1601. Paul, terrassé, a le dos au sol, tandis que la Vierge, qui monte au ciel, s’élève, mais tous deux écartent les bras comme pour annoncer le renouveau de la peinture.

    À la fin du siècle dernier la peinture avait fini par engendrer des monstres maniérés et artificiels, rejetons bâtards de Michel-Ange que les pointes acérées des pinceaux d’Annibal Carrache et de Caravage allaient déloger. Non moins importantes que celles de Galileo, Annibal et son frère apportèrent leurs découvertes de Bologne, tandis qu’indépendamment, et seul, Caravage était venu de Milan féconder Rome.

    — En dépit du talent qu’avait votre ami Caravaggino, il n’arrive pas à la cheville de Caravage, pas plus que Paul ne parvient à la hauteur du jarret de son cheval, me fait alors Acarza. À ce propos, vous n’avez toujours pas mis au propre votre Vita de Caravaggino ?

    La mention de Caravaggino me rembrunit. Je m’apprête à rétorquer que si

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