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Le sang des cerisiers: Un polar aux sonorités nippones
Le sang des cerisiers: Un polar aux sonorités nippones
Le sang des cerisiers: Un polar aux sonorités nippones
Livre électronique269 pages4 heures

Le sang des cerisiers: Un polar aux sonorités nippones

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À propos de ce livre électronique

Traces sanglantes, enfants perdus... deux héros pour une guerre

Tandis que des enfants disparaissent, des taches de sang sont retrouvées çà et là sur l’immense domaine d’un seigneur des temps anciens – et imaginaires – au Japon. Aidé par son maître d’armes, il devra lutter contre des envahisseurs sanguinaires pour sauver ses terres et ses enfants de leur convoitise brutale. Au fil des saisons et des combats, les deux hommes et leur armée déferont les écheveaux des énigmes rencontrées sur leur route.

Un polar troublant dans le Japon du XVIIe siècle

EXTRAIT

On peut appeler un homme par le nom que lui a légué sa famille ou celui choisi par ses parents, mais il arrive que certains trouvent, au cours de leur existence, une appellation née des circonstances. Ce surnom est une étape de leur propre histoire et en cela, il les qualifie véritablement. C’est par un tel titre que les deux bretteurs ont choisi de se désigner. De leur première rencontre, ils ont gardé leur qualificatif improvisé, comme une trace, un souvenir, devenu pour eux une identité et l’expression du lien qui les rapproche.
L’un des deux est le personnage le plus important du territoire, régnant en maître sur un immense domaine. Il est, en une seule parole, devenu à jamais « le bailli ». Fils et héritier du daimyo, il a accueilli un jour d’un sourire un mot que d’autres, en son rang, auraient perçu comme une moquerie. Répondant à son tour à l’apprenti maître d’armes que son propre père lui présentait comme étant son nouvel éducateur, il le baptisa « l’hôte », parce qu’il était celui qui est reçu au château. Son père, en effet, impressionné par la maîtrise dont le jeune homme avait fait preuve pour sauver son fils des mains de trois brigands lors d’une cérémonie les mêlant à la foule, avait sur le champ décidé de le confier à son propre maître d’armes. Vieillissant, ce dernier avait achevé sa formation pour en faire son successeur.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Juriste de formation, spécialiste de la question des sectes, T.S. Ötli a passé de nombreuses années à découvrir l'Histoire, la culture et les arts du Japon, y compris les arts martiaux. Dans le désir de faire partager sa passion pour les contes et la poésie japonais, il a tout naturellement situé son premier ouvrage, Le sang des cerisiers, dans le Japon du XVIIe siècle – période qui connaît l’apparition du haïku.
LangueFrançais
ÉditeurThoT
Date de sortie22 févr. 2017
ISBN9782849214060
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    Aperçu du livre

    Le sang des cerisiers - T.S. Ötli

    Présentation de l'auteur

    Juriste de formation, spécialiste de la question des sectes, T.S Ötli a passé de nombreuses années à découvrir l’Histoire, la culture et les arts du Japon, y compris les arts martiaux. Dans le désir de faire partager sa passion pour les contes et la poésie japonais, il a tout naturellement situé son premier ouvrage dans le Japon du XVIIe siècle – période qui connaît l’apparition du haïku.

    Résumé

    Traces sanglantes. Enfants perdus. Deux héros pour une guerre. Tandis que des enfants disparaissent, des taches de sang sont retrouvées çà et là sur l’immense domaine d’un seigneur des temps anciens - et imaginaires - au Japon. Aidé par son maître d’armes, il devra lutter contre des envahisseurs sanguinaires pour sauver ses terres et ses enfants de leur convoitise brutale. Au fil des saisons et des combats, les deux hommes et leur armée déferont les écheveaux des énigmes rencontrées sur leur route.

    PRINTEMPS

    dans les pétales

    la mort

    dessine l’avenir

    Le monde est calme en ce matin de printemps. L’hiver a jeté ses derniers flocons sur lui pour faire concurrence aux pétales des cerisiers. Mais il comprend que la partie est perdue, la jeunesse de la nouvelle saison l’emporte en vigueur. Il prendra sa revanche plus tard, car les cycles s’enchaînent.

    Le bruit des bokkens¹ qui se heurtent, résonne sous les frondaisons. Le bailli et l’hôte, depuis l’aube, s’entraînent comme ils ont coutume de le faire. Peu après leur réveil, les jours où la pluie oublie la terre, ils viennent là pour s’exercer. L’hôte, maître d’armes du château, poursuit la formation du bailli, seigneur des lieux, depuis son entrée dans l’âge d’homme. Inlassablement, maniant le sabre, parfois la lance ou à mains nues, ils répètent longuement les gestes nécessaires à la maîtrise de l’art du combat, mais aussi à celle de leur corps, de leur souffle et de leur esprit.

    On peut appeler un homme par le nom que lui a légué sa famille ou celui choisi par ses parents, mais il arrive que certains trouvent, au cours de leur existence, une appellation née des circonstances. Ce surnom est une étape de leur propre histoire et en cela, il les qualifie véritablement. C’est par un tel titre que les deux bretteurs ont choisi de se désigner. De leur première rencontre, ils ont gardé leur qualificatif improvisé, comme une trace, un souvenir, devenu pour eux une identité et l’expression du lien qui les rapproche.

    L’un des deux est le personnage le plus important du territoire, régnant en maître sur un immense domaine. Il est, en une seule parole, devenu à jamais « le bailli ». Fils et héritier du daimyo, il a accueilli un jour d’un sourire un mot que d’autres, en son rang, auraient perçu comme une moquerie. Répondant à son tour à l’apprenti maître d’armes que son propre père lui présentait comme étant son nouvel éducateur, il le baptisa « l’hôte », parce qu’il était celui qui est reçu au château. Son père, en effet, impressionné par la maîtrise dont le jeune homme avait fait preuve pour sauver son fils des mains de trois brigands lors d’une cérémonie les mêlant à la foule, avait sur le champ décidé de le confier à son propre maître d’armes. Vieillissant, ce dernier avait achevé sa formation pour en faire son successeur.

    L’hôte du château eut par la suite cent fois l’occasion d’être celui qui recevait en sa demeure car, au fil du temps, son tutorat supposé se transforma en une solide amitié. Entre lui et le nouveau daimyo n’existaient pas les frontières que certains dessinent pour en tenir d’autres à distance ou les dominer, ce d’autant que l’hôte était à peine plus âgé que le bailli. Chacun trouva du réconfort dans la présence de l’autre et tous deux partagèrent leur expérience pour n’en faire qu’une seule. À l’apprentissage d’un enchaînement de figures au sabre répondait l’enseignement de la stratégie. À la découverte des mystères de la nature, l’initiation aux arts et lettres venait en écho et, souvent, le rire ponctuait les échanges. Cette estime réciproque, cette joie, étaient autant de biens précieux pour des hommes voués au pouvoir ou au combat.

    En retournant vers la salle d’armes, ils s’arrêtent devant une petite grue cendrée, tuée sans doute par un rapace. Les gouttes de sang, tels des rubis se détachant sur le sol recouvert d’une neige de pétales, écrivent autour de l’oiseau une épitaphe triste, celle du destin brisé d’un être libre. Elles tracent les idéogrammes de la guerre. Présage funeste, la mort en ce matin lumineux est une injustice, une promesse non tenue faite par la nature, à la fois innocente et cruelle.

    Parfois, une image porte en elle la certitude qu’un événement particulier se produira. Mais la vie ne s’arrête pas sur une vision. Chacun reprend sa place, malgré le doute. L’hôte, dans la salle d’armes, enseigne l’art du combat aux nouveaux samouraïs, bras armés du bailli. Celui-ci, durant de longues heures, assure la difficile gestion de son vaste domaine depuis sa table de travail. Tous deux œuvrent pour une paix qu’ils savent fragile et menacée en permanence.


    ¹ Sabres de bois utilisés lors des entraînements des samouraïs.

    ÉTÉ

    Chapitre 1 : sanglantes découvertes

    l’avenir face aux épis couchés

    au papier déchiré

    est énigme d’or et de sang

    Les épis d’orge, couchés et piétinés, étaient couverts de sang. C’était la sixième fois en six lunes que les gardes apercevaient au cours de leur ronde une telle scène dans des champs en culture ou des bois du domaine. La quantité du sang répandu laissait à tous une sensation de malaise qui grandissait à chaque fois. Réveillé à l’aube, le daimyo s’était rendu rapidement dans la campagne. Préoccupé par les précédentes annonces de ces découvertes étranges, il avait demandé à être prévenu si elles devaient se reproduire, car les histoires les plus folles couraient à leur sujet. Les fables sont parfois plus redoutables que les faits qui ont précédé leur naissance. Il voulait voir par lui-même et c’est à une bien terrible réalité qu’il se frottait. Du sang maculait l’herbe foulée en un grand cercle presque parfait. Aucune autre trace ne permettait de comprendre ce qui avait pu se passer à cet endroit. Troublé, il marcha longtemps dans les hautes herbes, persuadé d’y trouver le début d’une réponse. Aussi ne fut-il pas surpris de découvrir, accrochés aux tiges non loin des épis ensanglantés, des morceaux d’une feuille de papier déchirée et comme abandonnée au vent.

    Il ramassa des lambeaux de ce qui lui sembla être une lettre, aux idéogrammes malhabiles et par endroits effacés par la rosée puis rentra, les idées sombres et reprit sa place à la table de travail. Il tenta de reconstituer le feuillet mais dut rapidement admettre qu’il n’y arriverait pas. De petits morceaux comportaient un texte désormais illisible mais il put déchiffrer les mots de « Mon Seigneur, Maître de la terre ». L’on pouvait penser qu’ils constituaient le début d’un courrier. Pour la suite, aucune logique ne reliait « robes blanches », « écoles de l’art de la guerre », « poèmes à la lune », « trancha la », « mes camarades » et la plus longue parmi les formules retrouvées « ombres d’ours et de démons courent sur les murs ». Des bribes d’idéogrammes, isolés sur de minuscules fragments d’un papier bleu, restaient encore sur la table, dont un mystérieux « terr ».

    Il eut l’impression que le message qu’il essayait de comprendre lui était destiné, que le seul hasard ne pouvait expliquer sa présence en ce lieu. L’écriture hâtive, les mots de « camarades » et « écoles de l’art de la guerre » l’amenèrent à penser que l’auteur de la lettre était un de ces jeunes garçons appartenant à une des douze écoles d’armes qu’il avait jadis fondées sur son domaine. Les fragments déchirés n’évoquaient devant lui que peur et tourments. Pour rompre le lourd silence qui l’enveloppait, il appela un de ses gardes et lui ordonna d’aller chercher le maître d’armes. Lorsque quelques instants plus tard l’hôte se présenta devant lui, il lui décrivit dans le détail ce qu’il avait vu et découvert dans le champ et lui demanda de s’y rendre à son tour. S’il comptait sur ses connaissances de la nature, il se fiait surtout à son instinct. Il s’en remettrait à ses impressions, car il avait le sentiment que les découvertes de ces derniers temps pourraient avoir un grand retentissement et de lourdes conséquences pour le domaine. Il leur faudrait rapidement savoir ce que signifiaient les traces sanglantes, avant que le peuple ne s’agite et que les démons ne fassent leur œuvre dans les esprits superstitieux. L’hôte, moins impulsif, saurait aussi lui apporter une explication plus rationnelle.

    Ainsi, le maître d’armes, accompagné de deux de ses élèves et de serviteurs, se rendit également dans le champ d’orge. Les yeux fixés sur la mer ondulante des épis agités par le vent, il se laissa emporter par ses pensées. Le sang martelait ses tempes. Il pouvait mesurer les battements de son cœur. Ce qui le troublait beaucoup était que le champ maculé se trouvait non loin de sa demeure mais que rien n’avait éveillé son attention la nuit précédente. On n’avait pas retrouvé de dépouilles, mais l’importance des traces de sang laissait deviner que plusieurs animaux assez grands… ou… des êtres humains… avaient été tués là. Cette idée le paralysa. Il sut à l’instant même que le bailli avait eu le même pressentiment et qu’il l’avait envoyé là pour avoir un écho de son intuition. En levant les yeux il vit les nuages, rouges comme le sang, barrer le soleil. Une grue, solitaire, passa en planant majestueusement.

    Il avait la sensation, en contemplant cette scène de nuages et de champs sanglants qu’une menace sourde était tapie derrière chaque arbre, derrière chaque rocher. Il chassa ses sombres sentiments et, en retournant vers le château, il ne pensait plus au grondement sourd que le peuple apeuré ne manquerait pas de pousser, mais à la petite rivière qu’il devait franchir. L’eau courante fraîche lui ferait du bien. Ces perspectives sinistres l’avaient rendu presque fiévreux.

    Un peu plus tard, il rejoignit le bailli et ils conclurent, après s’être perdus en conjectures, que le seul fil qui pouvait les relier à une quelconque vérité était la lettre. Avant de découvrir qui l’avait rédigée et, probablement, de visiter les différentes écoles de guerre qu’elle désignait, ils songèrent à se renseigner sur le papier bleuté. Trop reconnaissable sur son domaine, le daimyo ne pouvait se permettre de mener ces recherches. L’hôte, moins connu en dehors du château, se chargerait de découvrir quelque fait les menant vers un éventuel rédacteur. En milieu d’après-midi, après avoir revêtu son habit de voyage, il chevauchait déjà. Il avait emporté son nécessaire d’écriture ; son bagage, pour le reste, se limitait au strict minimum.

    Les ombres s’allongeaient, le soir allait bientôt pousser les oiseaux sauvages vers leur nid et les voyageurs vers les auberges. Dans l’obscurité naissante, il repensa à l’idée du bailli concernant les morceaux de papier. Plus enclin à chercher dans les écoles militaires pour commencer, il avait tout d’abord été surpris, mais les mots du daimyo étaient sans équivoque ; il se devait d’orienter le début de ses recherches vers les trois fabriques de papier du fief. Deux d’entre elles n’étaient pas très éloignées du château et il pourrait en atteindre une avant la nuit. La troisième, célèbre au-delà des frontières pour la qualité de sa production, se trouvait en revanche au pied des montagnes, à l’est.

    À la fin du jour, il arriva près de l’atelier d’un nommé Akira. Le bâtiment n’était pas très imposant. Le corps principal était bas et lourd. Les portes étaient fermées et aucune lumière ne filtrait. Il frappa à la porte. L’air embrumé du soir sentait la fumée de résineux brûlé. Au bout d’un moment, un bruit de pas traînant, derrière la porte, annonça la venue du maître des lieux. L’hôte fut invité d’un simple mouvement de tête à entrer dans un véritable antre de fou. La pièce, à l’odeur tenace de chou bouilli, était encombrée de sacs de feuilles, d’écorces et d’autant de plantes permettant de créer des papiers ou de les teinter. Dans un des coins, noyés dans un océan de feuilles, une paillasse et des ustensiles de cuisine montraient le peu d’intérêt de l’artisan pour les biens de ce monde et sa passion pour ce qu’il considérait sans aucun doute comme un art. Peu enclin à parler, Akira écouta sans rien dire les questions de l’hôte et examina le bout de papier que celui-ci finit par lui montrer. Il ne lui fallu pas longtemps pour comprendre qu’il s’agissait d’un papier végétal d’une finesse rare et dont l’aspect bleuté très particulier indiquait qu’il avait été teinté à l’aide d’une solution dont il ne connaissait pas le secret. Akira, qui n’utilisait que le chanvre cultivé dans les environs, ne fabriquait pas ce type de papier. Sa clientèle, modeste, ne pouvait se permettre de le lui acheter. Il révéla à l’hôte que le vieux Song, venu de Chine un demi-siècle plus tôt et installé au pied des montagnes à l’est, était sans doute l’artisan qu’il cherchait. Il allait donc repartir pour faire avancer ses recherches, réalisant qu’il devrait peut-être chevaucher longtemps avant de comprendre l’énigme qui l’avait poussé à prendre la route. Il sortit et, ayant repéré un bois non loin de l’atelier, s’y rendit et s’installa entre deux affleurements de roche ocre, déposa ses sabres près de lui sur le sol, mangea deux boulettes de riz et songea avant de s’endormir que les indications d’Akira lui économiseraient peut-être une visite au troisième fabricant.

    Réveillé par le cri d’un corbeau déchirant la brume qui s’était épaissie durant la nuit, il prépara son cheval et entreprit sa longue route vers les montagnes. Distinguant avec peine les bornes de l’ancienne route de l’est, il se laissait bercer par le rythme des pas de sa monture. Un vent léger, qui agitait les feuilles des bambous bordant le chemin, évoquait le bruit du papier froissé. Cependant, un cliquetis étouffé éveilla son attention. Même atténué par le brouillard, ce bruit restait reconnaissable pour le maître d’armes qu’il était. Là, quelque part derrière le feuillage, un ou plutôt des hommes marchaient. Dans leur ceinture, des sabres étaient croisés et leurs sayas² avaient dû s’entrechoquer. Les bruits dans les bambous étaient sourds et lointains ; ce pouvaient être des paysans ou des vagabonds, mais il en doutait. De tels marcheurs auraient pris moins de soin à masquer leur présence. Il arrêta sa monture et prêta l’oreille au déplacement de la troupe.

    Lentement, il retira le sabre qui pendait derrière son dos et le glissa dans sa ceinture. La prudence était une règle essentielle à respecter si l’on voulait vivre longtemps. Fidèle aux méthodes que lui avait enseignées son vieux maître et en accord avec celles qu’il enseignait désormais, il fit le calme en lui, descendit sa respiration vers son ventre et apaisa son esprit. Il s’immergea mentalement dans une clairière ombragée, illuminée de rais de soleil, dont le sol moussu assourdissait les pas. Son refuge secret, de nul autre connu, lui permettait d’oublier la peur et les tourments. Quand les battements de son cœur eurent diminué, il descendit de son cheval et, le saisissant à la bride, reprit sa marche, lentement. Les cailloux du chemin roulaient presque sans bruit sous les sabots, mais dans le bruissement léger des feuilles on pouvait les entendre. Les voix chuchotantes s’étaient tues. Quelques nouveaux cliquetis les avaient remplacées. La main droite de l’hôte relâcha imperceptiblement les rênes, prête à voler vers la poignée de son arme. Il fit encore quelques dizaines de pas avant que son cheval frémisse et s’arrête, nerveux. C’est à ce moment que six hommes apparurent à travers les fourrés. Leurs ceintures rouges se détachaient du vert sombre des bambous. Rapidement, un lui fit face, deux l’encadrèrent sur les côtés tandis que les trois derniers empêchèrent sa retraite. Ils ressemblaient à des rônins³, avec quelque chose de différent et d’indéfinissable dans leur attitude. Celui qui se trouvait devant menait le groupe ; son attitude relâchée et sa morgue le désignaient comme le plus dangereux. Les autres, au contraire, paraissaient nerveux et échangeaient des regards inquiets. L’hôte retrouva en son esprit sa clairière secrète traversée par une rivière scintillante. Il s’y assit mentalement, les jambes croisées, les mains posées sur les genoux. Là, au milieu de la bambouseraie, encerclé par les mercenaires, sa main droite lâcha totalement les rênes pour venir pendre à son côté. Il était calme et serein comme la rivière. Le chef des rônins prit la parole, puis, d’une voix traînante et moqueuse lui demanda :

    — Alors Seigneur, il est bien tard pour se promener seul dans la forêt, ou peut-être avez-vous des affaires urgentes à traiter ?

    L’hôte, sentant la menace dans sa voix, ralentit encore le rythme de sa respiration.

    — Mes affaires ne concernent que moi et la forêt appartient à tous ceux qui la traversent. Qui êtes-vous et que faites-vous à rançonner les voyageurs sur les terres du daimyo ?

    Un petit rire fut la seule réponse qu’il obtint, puis :

    — Voyageur, votre cheval me paraît bien entretenu et vos effets encore propres. J’ai besoin d’une monture et d’un bon kimono de belle étoffe. Soyez aimable de les remettre sans difficulté à mes valeureux compagnons. Et… vos armes sont de bonne facture, j’ai bien besoin aussi d’un sabre comme le vôtre...

    Ce disant, sa main s’était posée sur la poignée de son propre katana⁴, garnie d’un sageo⁵ qui avait dû être rouge mais qui maintenant était sale et qu’il caressait nonchalamment. Ses yeux, en dépit du ton onctueux et toujours moqueur, étaient fixes et menaçants. Le maître d’armes avait conscience de l’atmosphère pesante. Il sentait quelque part des dissensions au sein de ce groupe qu’il allait immanquablement affronter. Il percevait comme dans un voile la peur de certains, la désapprobation des autres. Il devait exploiter ces faiblesses chez l’ennemi, augmenter sa peur, susciter des refus. Intérieurement, il remercia sa grand-mère, si fugitivement connue, de lui avoir transmis les rudiments de sa science, celle qui lui permettait de lire au cœur des hommes, de deviner leurs sentiments à leur attitude et à leur odeur. Il tenta encore d’éviter le combat, car il n’aimait pas tuer, fut-ce un brigand ou un assassin.

    — Allons laissez-moi passer, je ne cherche qu’à rejoindre mon gîte pour le soir. Ma maisonnée m’attend et je ne peux accéder à vos demandes, même si elles sont justifiées.

    Le sourire du meneur s’élargit encore et il fit un signe de tête. Les deux mercenaires placés sur les flancs se ruèrent vers l’hôte, en dégainant leurs armes. D’un geste vif et précis, répété des milliers de fois, l’hôte fit un pas de côté puis un mouvement vers l’arrière en sortant son sabre de son fourreau. Continuant son geste courbe et ample, il dessina dans l’air un cercle sifflant et reprit une attitude fixe, les pieds bien ancrés au sol, le sabre pointé vers le bas, le regard toujours posé sur le chef de la bande. Ce dernier avait perdu son sourire suffisant en voyant ses deux sous-ordres étendus. Un seul geste avait permis à l’homme qui lui faisait face de se débarrasser de deux bons bretteurs. Un coup d’une précision mortelle en un mouvement rapide et fluide. Le voyageur insignifiant, proie facile, revêtait d’un coup une stature différente. Avec ses comparses restants, il aurait fort à faire car leur mission première n’était pas de le détrousser, les ordres étaient bien clairs... Cependant il lui était difficile de se défaire d’une vie passée à soulager de leurs biens marchands et itinérants, tout comme il était délicat de le laisser partir maintenant sans perdre la face vis-à-vis des trois autres. D’autant que ceux-là pouvaient aussi se montrer bavards... Il fit un nouveau signe de tête ; l’affaire devait être terminée rapidement. Les agresseurs se mirent en mouvement simultanément. Mais cette fois l’expérience leur commanda d’agir avec prudence. Leurs déplacements étaient lents et tous se disposèrent de sorte que l’hôte se retrouve encerclé. Lui s’était un peu éloigné de son cheval pour se placer au centre d’un espace dégagé. La tranquillité intérieure qu’il avait établie lui permettait d’appréhender l’environnement avec une acuité accrue. Il entendait la respiration rapide d’un qui transpirait de peur, il décelait les battements de cœur de celui qui doutait de son chef, plus encore depuis le sacrifice de ses deux comparses. Enfin, il sentait dans le regard du meneur des questions et de l’inquiétude. L’hôte était un voyageur bien particulier qui, sous son air modeste, cachait une grande maîtrise et maniait le sabre comme un véritable guerrier.

    Les bandits pointèrent leur arme vers lui. Il fit face au plus couard, celui qui se demandait encore pourquoi il n’était pas resté avec sa famille à cultiver le riz et regrettait de s’être enfui en volant toutes les économies de son village. Puis il baissa légèrement sa garde, comme une invitation à l’attaque. Le peureux crut y voir sa chance. Il leva son sabre et l’abattit avec violence en courant. L’hôte fit un pas pour éviter l’attaque, un pivot pour reprendre sa distance et, au passage, une coupe latérale. Son adversaire s’écroula sans un bruit, presque partagé en deux, créant un obstacle pour celui qui se dirigeait vers lui. L’hésitation marquée à la vue de son camarade mort lui fut fatale. Le maître d’armes avait pris l’ascendant et, plongeant vers l’avant son arme, il lui transperça la gorge. De sinistres gargouillis furent les ultimes tentatives de parole de cet homme. L’avant-dernier tenta un assaut par l’arrière, la traîtrise ne le gênant pas. Il fit deux pas rapides pour se rapprocher de sa victime

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