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Le Mystérieux Docteur Cornélius 1
Le Mystérieux Docteur Cornélius 1
Le Mystérieux Docteur Cornélius 1
Livre électronique287 pages4 heures

Le Mystérieux Docteur Cornélius 1

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À propos de ce livre électronique

Une rumeur circule sur les frères Kramm. On dit qu'ils sont à l'origine de vols de rubis et d'argent. Pire encore, que l'un d'eux se prénomme Cornélius, qu'il est un brillant scientifique, et qu'il fait parfois pour la police des autopsies de cadavres, mais que, en grand comploteur, il est capable de modifier l'apparence des humains grâce à la « carnoplastie »...Voici le premier tome des sombres aventures de Cornélius, qui rassemble trois épisodes aussi rocambolesques que palpitants. Il ouvre en grande pompe une série légendaire, précurseur du roman policier scientifique.Les aventures du docteur Cornélius constituent sans conteste le plus grand roman policier du début du XXe siècle. De New York en Bretagne, du Grand Ouest sauvage américain à l'île des Pendus, Gustave Le Rouge fait voyager dans le monde entier ; mais aussi dans les genres. Il mêle la science au policier, le roman-feuilleton au roman d'aventures.Il met en scène un des personnages iconiques de la littérature française : Cornélius, un savant fou aux projets machiavéliques, capable de transformer par la chirurgie les traits de n'importe quel homme grâce à son invention : « la carnoplastie ».
LangueFrançais
ÉditeurSAGA Egmont
Date de sortie31 août 2021
ISBN9788726657661
Le Mystérieux Docteur Cornélius 1

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    Aperçu du livre

    Le Mystérieux Docteur Cornélius 1 - Gustave Le Rouge

    Gustave Le Rouge

    Le Mystérieux Docteur Cornélius 1

    SAGA Egmont

    Le Mystérieux Docteur Cornélius 1

    Image de couverture : Shutterstock

    Copyright © 1913, 2021 SAGA Egmont

    Tous droits réservés

    ISBN : 9788726657661

    1ère edition ebook

    Format : EPUB 3.0

    Aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, stockée/archivée dans un système de récupération, ou transmise, sous quelque forme ou par quelque moyen que ce soit, sans l'accord écrit préalable de l'éditeur, ni être autrement diffusée sous une forme de reliure ou de couverture autre que dans laquelle il est publié et sans qu'une condition similaire ne soit imposée à l'acheteur ultérieur.

    Cet ouvrage est republié en tant que document historique. Il contient une utilisation contemporaine de la langue.

    www.sagaegmont.com

    Saga est une filiale d'Egmont. Egmont est la plus grande entreprise médiatique du Danemark et appartient exclusivement à la Fondation Egmont, qui fait un don annuel de près de 13,4 millions d'euros aux enfants en difficulté.

    Pendant près de vingt ans, Jean Hamon fut le médecin et l’ami de l’auteur du Mystérieux docteur Cornélius. En 1966, alors que j’inaugurais une éphémère « Collection Gustave Le Rouge », il m’avait gentiment donné les pages qu’on va lire. Avec le regret qu’il n’ait pu les voir paraître, qu’on trouve ici l’hommage de l’éditeur à sa mémoire.

    F. L.

    Preface

    Gustave le rouge

    un épieur de monstres

    « — J’ai fait le compte, me dit Gustave Le Rouge, j’ai eu huit millions de lecteurs. »

    Il me le dit comme un secret. Je lui avais demandé de faire ce calcul. Huit millions, fichtre ! et il était pauvre et obscur. Il trouvait cela régulier. Convaincu de la versatilité du succès et de l’inanité des triomphes, il n’écrivait pas pour être célèbre. C’était un polygraphe. Il excellait dans tous les genres. Ses romans populaires contiennent des pages admirables. Mais les livres ont un destin déconcertant. Déjà « le Mystérieux docteur Cornélius », soixante mille lignes, édité à deux cent mille exemplaires par Taillandier, traduit probablement en italien, en anglais, en espagnol, en japonais, était introuvable. Un incunable aurait été moins rare. Blaise Cendrars qui voulut le porter au cinéma, disait : « Un chef-d’œuvre ! Il est perdu. » Le Rouge ne put m’en procurer un exemplaire. Quant au manuscrit, il avait été égaré, lors de l’impression. Les droits d’auteur avaient été cédés pour quelques centaines de francs de l’époque.

    A franchement parler, le talent de Le Rouge est inégal. Il ne s’en souciait pas. Les coudes sur son bureau, il dictait en roulant des cigarettes. Quand il se taisait, il avait composé un feuilleton dont il connaissait le nombre de lignes. Il venait de ressusciter d’illustres criminels. Cet homme à l’ordinaire était circonspect, modeste, inoffensif, mais chaque fois qu’il puisait dans son vivier, il en tirait des créatures horrifiques, une pêche de monstres et de cadavres.

    On l’a cru timide. Pas du tout ! Il était discret. Je n’ai connu que petit à petit son orageuse jeunesse, et n’ai jamais rien su de son épisodique passage en Afrique. Né Normand, d’un père artisan de village, on trouvait, si l’on remontait dans sa génération, des navigateurs, à vrai dire des aventuriers. Son grandoncle était devenu multimillionnaire aux Petites Antilles, propriétaire de plantations et de quatre cents nègres. Malheureusement, au cours d’une émeute, les Noirs l’avaient scié entre deux planches d’acajou. Gustave Le Rouge se tenait sur ses gardes et pensait qu’en restant dans le vieux continent, il aurait un destin moins tragique. Il obtint à Cherbourg le diplôme de bachelier, à Caen celui de licencié en droit et, sans plus tarder, fonda la Revue septentrionale. Conséquence : une grande pénurie. Mais n’importe ! Il déguerpit de son garni, campa dans la nature et devint strictement végétarien. Il se nourrit aux dépens des cultivateurs de carottes et des propriétaires de vergers. Les crudités sont saines et savoureuses. Un soir d’été, par un ciel constellé, m’at-il dit, il se régala d’un repas complet de pétales de roses, comme on fait, paraît-il, dans les harems du Schah de Perse. Cette vie bohémienne devait le conduire au cirque Priami dont il devint le secrétaire. Nul n’échappe à la fatalité. Il tomba amoureux de l’écuyère.

    Le régal de pétales de roses eut lieu avant la rencontre de cette gitane. Elle était séduisante et cruelle. Il aurait été pour lui moins dangereux d’entrer dans la cage de la panthère.

    Quand j’ai cherché quels déboires avaient produit tout au fond de lui un tempérament d’épieur de monstres, je me suis aperçu que les fleurs le hantaient. Il en cultivait sur son balcon des variétés rares et il usait de procédés chimiques pour transformer leur odeur et leur nuance. On les voyait dans une étroite caisse verte, encore mal en point après ces opérations. Il me disait : « le parfum de la violette était une cause de répulsion pour la malheureuse princesse de Lamballe II préférait cette phrase aux plus beaux poèmes en prose. Il est vrai qu’elle fait songer.

    Fort ingénieux, il conservait des objets de rebut pour fabriquer des bibelots. Sa demeure avait l’aspect d’un muséum. Il avait dans son bureau, sur une console, un précieux vase de Bohème. Un bouquet d’une rougeur cardinalice y trempait. De longs pistils barbelés y pointaient comme des dards acérés. De grosses cosses fendues, lourdes, pendaient le long du cristal. Le Rouge l’avait confectionné avec des carapaces et des pinces de homards. Pour s’en apercevoir, il fallait l’examiner de tout près. On distinguait alors de délicates mouchetures de vernis simulant de frêles insectes qui butinaient. Il était parvenu à doner à ces fleurs anormales une beauté florentine. C’était un précurseur. Les surréalistes l’ont plagié.

    Si l’on allait tout au fond des choses, force serait de reconnaître qu’il eût bien aimé pouvoir modifier aussi les personnes du sexe. Il n’en disait rien, mais Eve lui paraissait à refaire. L’écuyère avait dû le faire beaucoup souffrir. Il me semble évident que, dans sa conscience obscure, la fleur c’était la femme. Les poètes de toutes langues ont usé de cette métaphore. Il se méfiait de leur parfum qui pouvait être vénéneux. Je crois que, dans ses mauvais jours, il prenait instinctivement avec l’une comme avec l’autre ses précautions et qu’il aurait protégé ses mains avec des gants noirs pour faire une cueillette de muguet. Il ne s’en rendait pas tout à fait compte. C’était un homme direct. Il détestait la psychologie à la mode. La lecture de Paul Bourget ou de Marcel Prévost l’ahurissait. Pourtant, avant qu’on ait traduit Freud, il avait donné dans ses romans populaires d’une apparence anodine des descriptions qui, par leur luxuriance et la touffeur qui s’en dégagent, outrepassent les démonstrations de ce thérapeute autrichien.

    D’ailleurs, il avait aussi dévancé les Russes et les Américains dans leur conquête de l’espace et leurs voyages sidéraux. Mais l’astre visité procédait de son invention.

    Pour donner une idée de sa hantise, le mieux est de reproduire en l’abrégeant un des chapitres de son roman « le Prisonnier de la planète Mars ». Je ne m’écarte pas de mon propos. Il s’agit d’une fleur fallacieuse comme un piège, mais symboliquement c’est le sexe opérant dans la nature que ce naufragé découvre sous la fourrure fauve d’un hallier. On verra aussi la qualité de son pinceau.

    Cela se passe sur une certaine planète Mars inconnue de nos astronomes, où la voracité est silencieuse. Evidemment, pour s’élever bien au-delà de la stratosphère, Le Rouge n’avait pas les moyens puissants que les savants possèdent aujourd’hui. Il n’en avait nul besoin. Il entreprend un voyage céleste, donc ce qui le transporte merveilleusement, ce sont des forces spirituelles. Supposons qu’on demande aux moines extatiques tibétains de se laisser lier aux cèdres majestueux qui régnent sur les hautes montagnes. On a entravé leurs pieds, fixé leurs torses aux troncs des arbres, noué leurs chevelures aux branches, cloué même sur l’écorce leurs oreilles distendues, et là, ligotés, ils ne cessent leurs prières, leur esprit s’échappe, s’élève en fusée vers le ciel. Il va en résulter une puissance de lévitation qu’il s’agit de capter et de transférer dans l’obus contenant l’explorateur. Tel est le principe. La réalisation exige une machinerie et des manœuvres compliquées.

    L’explorateur Robert Darvel est, en fait, l’auteur du livre avec son désir d’évasion. Le Rouge venait de subir les effets d’une passion qui lui rendait le séjour terrestre intolérable.

    Son évasion n’est pas heureuse. Là-bas aussi c’est épouvantable.

    La chute sur une grève de Mars auprès d’une mer étale, parmi les menaces d’une faune inconnue, sous l’éclairage insolite de la terre et de la lune luisantes comme deux yeux bigles au fond de l’espace, est tragique. Et le silence des pas sur ce sol sans empreintes ! Et l’étendue cuivrée ! Monde inhumain ! Le naufragé Darvel-Le Rouge va lutter désormais avec des choses et des êtres parfois indiscernables comme l’est sur terre le monde des esprits.

    Voici ce qui advient au cours d’une des explorations (je copie le texte) :

    — « Ce jour-là, il avait cheminé longuement. Franchissant un col rocheux, il fut surpris par l’accroissement de la température. Des plantes jusqu’alors inobservées se montraient dans les crevasses du roc, étalant des feuilles grosses d’un jaune clair ou dressant des cierges épineux et raides comme des cactus de l’Amérique centrale. Des insectes aux vastes ailes, des reptiles goitreux, toute une faune différente lui révélaient un brusque changement de climat. La chaleur peu à peu se faisait intolérable. Il longeait la base abrupte d’une muraille rocheuse, mais à un tournant le paysage se modifia. La muraille de roc, terminée par une sorte de pylône gigantesque dont le sommet se perdait dans les nues, s’arrêtait là. Elle faisait place à une immense forêt composée des essences qui poussent dans les zones les plus chaudes. Darvel n’avait jamais vu, même dans les marécages de l’Inde ou du Centre Africain, dans les forêts superposées du Brésil, une pareille puissance de végétation poussée pour ainsi dire jusqu’à l’extravagance.

    « Des arbres filaient vers le ciel comme des fusées, atteignaient la hauteur de deux à trois cents mètres, avec des feuillages épais et charnus, violets ou pourpres, aussi vastes que des voiles de navire ; sur les basses branches, dans l’aisselle des rameaux, d’autres arbres avaient poussé, agrippant leurs racines aux moindres fissures, lançant des jets vivaces qui rampaient vers le sol pour y chercher une nourriture plus substantielle ; il en résultait une forêt à vingt ou trente étages. Partout la profusion des lianes et des branches arrêtait des détritus végétaux d’où s’élançaient d’autres germes, mêlant racines et fleurs, dans une surabondance de vitalité qui ressemblait, mais en plus grandiose, au débordement d’une mer en furie ; Il y avait des corolles grandes comme des pelouses, des palmiers qui eussent abrité une ville sous leur ombrage, des cycas vastes comme des tours… »

    L’explorateur n’arrive pas à trouver l’explication de cette fécondité. Ce n’est plus Mars, mais une planète de rêve.

    — « Il remarquait que cette forêt inopinément surgie était peuplée d’une foule d’animaux qu’il n’avait pas encore observés dans Mars. Comme dans les forêts antédiluviennes dont les troncs lentement carbonisés à l’abri de l’air forment nos houillères, les reptiles dominaient. C’était toute la gent médiative, des lézards et des caméléons, des serpents d’arbres qui se nouaient agilement de branche en branche et des crapauds de taille presque humaine qui offraient une étrange couleur verte ocellée de taches sanglantes. Les insectes aussi étaient nombreux ; il y avait de somptueux papillons dont les ailes semblaient taillées dans un lambeau d’arc-enciel, des coléoptères d’or vert et bleu gros comme des pigeons, jolis et compliqués. En revanche, peu d’oiseaux, quelques échassiers goitreux qui gobaient nonchalemment les plus petits des reptiles, quelques vautours que la couleur sanglante de leur plumage faisait apercevoir plus nettement dans le ciel… »

    Il faudrait tout citer. Vision onirique : érections chevelues, extravagances luxurieuses de la nature dévergondée, sol mouillé de sueurs grasses, fermentant, privé de lumière et d’air, engendrant en silence des champignons fétides. Darvel qui toujours cherche ce qui active cette procréation excessive parvient à escalader un cèdre. Alors de son observatoire, il découvre une immense montagne de cristal dont les flancs taillés en facettes comme autant de miroirs paraboliques lancent des feux éblouissants. Leur ardeur entretient perpétuellement une osmose de lymphe et de sève et provoque ce rut végétal. Il redescend, trouve un canal empli d’eau noire et fumante, longe cette fissure chaude. Tout à coup son regard est fixé par. un spectacle qui le stupéfie :

    — « A. quelques pas de lui, s’élevait une plante étrange, formée d’un lacis inextricable de lianes hérissées d’épines. Elles étaient disposées autour d’une grande corolle, elle-même garnie circulairement de hauts piquants. La bizarre fleur pouvait avoir un demi-mètre de large et le centre en était bleu et noir avec des cercles jaunes qui lui donnaient vaguement l’aspect d’un œil humain ; mais en guise de cils cette prunelle végétale était ; flanquée de grands pistils jaunes et il s’en échappait une écœurante odeur de musc… »

    Darvel-Le Rouge veut se soustraire aux effets aphrodisiaques de ce parfum mais voici :

    — « Il allait se retirer lorsqu’un écureuil roux s’approcha doucement en reniflant et en agitant la queue, évidemment attiré par l’odeur de la fleur. La petite bête hésitante s’engagea entre les lianes griffues et se rapprocha encore. La prunelle jaune et bleue étincela, les épines circulaires furent agitées d’une vibration. Tout à coup les lianes se détendirent avec le cinglement sec d’un coup de fouet. L’écureuil fut garrotté comme s’il avait été saisi par une centaine de serpents, il fut porté vers la fleur dont le « regard » avait pris, pour ainsi dire, une expression féroce L’animal pâmé gémissait, les pistils jaunes plantés dans sa chair… »

    Ainsi dictait Le Rouge. Les mots sortis innocemment de sa bouche étaient porteurs d’images aromatiques et sanglantes, comme les aimait Maldoror. Lui-même, fasciné par cette fleur carnivore, cet œil odorant, baissait la voix, soudain se taisait. Il avait dicté le nombre de lignes qu’on exigeait pour un feuilleton. Il se passait la main sur le visage, se mettait à marcher prudemment comme un homme déconcerté par l’exiguïté de son bureau. Se remémoraitil sa vie de bagnard qu’il avait menée avec sa tzigane dans une villa abominable à Saint-Ouen ? Il se croyait délivré quand il s’était frotté les mains à la façon de quelqu’un qui se savonné. Il attrapait à une patère son chapeau et allait boire l’apéritif avec des amis.

    Lorsque je le vis pour la première fois, je pourrais dire que je ne le reconnus pas. Je m’étais formé une certaine image de lui d’après la lecture de ses romans historiques. D’après aussi le portrait qu’on m’en avait fait. Car nous avions des amis communs : Jean-Jacques Brousson le secrétaire d’Anatole France, Frédéric Lefèvre le critiqué des « Une heure avec », le poète Vincent Muselli, le dessinateur Jean Texcier, d’autres encore. En imaginant la figure de Le Rouge, j’avais en outre été influencé par l’idée que je me faisais des hommes fameux dans l’intimité desquels il avait vécu et que je ne présumais pas alors tels qu’il me les a dépeints par la suite.

    Il avait été le compagnon de Verlaine qui poussait la gentillesse jusqu’à le faire admettre en même temps que lui à Broussais quand le docteur Chauffard y soignait le genou du poète. Le Rouge était là pour la conversation. Il occupait le lit proche, « en observation » indiquait la pancarte au-dessus du lit. Il avait été l’ami de Bourdelle et de Maillol. Il avait collaboré avec Hugues Rebell. Il avait, avec Léon Bloy, vidé des pintes de gros rouge à l’ombre du Sacré-Cœur alors en construction et corseté d’échaffaudages.

    Le Rouge qui était mon aîné et avait passé son baccalauréat quand je naissais, s’était présenté à moi humblement. Avant qu’il ne me dise son nom, je l’avais confondu avec un boutiquier de quartier. Cet aspect provenait de son inquiétude. Il se croyait cardiaque. Il gravissait difficilement les étages. D’ailleurs, comme presque tous les essoufflés, il avait toujours élu domicile aussi haut que possible, sans doute pour avoir de l’air pur. Il avait habité 21 bis rue Lacaille au cinquième étage, car on ne construisait pas plus haut. C’était encore au cinquième étage sans ascenseur que se trouvait son logis actuel, 46 rue Lacroix, avec un étroit balcon qui dominait la rue Davy. Pour monter chez lui, il pratiquait une pénible ascension comme dans l’escalier de la tour Eiffel.

    « — Jusqu’à ce jour, me confessa-t-il, j’ai usé des recettes de nos chères grand-mamans. J’eus le tort de les célébrer dans un ; opuscule à l’usage des familles, je vois bien maintenant que le renom de ces remèdes empiriques n’est pas en rapport avec leur efficacité. Je vais vous confier mon cœur. Il a été soumis à des épreuves. Il est détraqué, docteur, attention !

    J’examinai le patient. Il n’était plus jeune sans être vieux. Il avait dû avoir des cheveux d’un blond roux normand, mais qui maintenant se décoloraient, rares au sommet, fournis encore sur les côtés et formant là de toutes petites ailes comme celles qui ornent les talons de Mercure. Les oreilles étaient pointues en diable, le teint mat, les paupières un peu bouffies, les yeux bleu-de-faïence et globuleux, la bouche un tantinet retroussée sur le côté droit par un tic ou par un sourire qui déplaçait légèrement de biais les deux flocons de la moustache.

    Le cœur à vrai dire ne présentait rien d’extraordinaire. Je me méfiais plutôt du taux de l’urée. Je l’avertis :

    « — Vos reins n’en peuvent plus. Vous y faites couler du feu. »

    Sa physionomie s’éclaira. Le cœur était bon, il était content.

    « — Le feu de l’anis étoilé, ajoutai-je. Verlaine est un grand poète, mais son régime ne valait rien, il vous a habitué à faire des libations qu’on prétend opératives.

    « — Une étoile nommée Absinthe, soupira-t-il, c’est prévu par l’apocalypse au chapitre de la cinquième trompette. Pourquoi ne m’en suis-je pas méfié ? Nos industriels font leur absinthe avec de la badiane, vulgo anis étoilé. Cette plante appartient au genre des magnoliacées à fleurs très aromatiques, importées jadis d’Asie et d’Amérique latine. La saveur en est agréable et c’est du poison de Chinois ou de Peaux-rouges ! »

    Il connaissait à fond les méfaits des plantes vénéneuses, il en avait placé dans ses romans. Nous parlâmes de la mandragore à laquelle il avait consacré une étude exhaustive.

    Il avait la manie de se passer furtivement la main droite sur son visage, des yeux au menton. Ma femme me le fit remarquer. Elle savait qu’il fallait l’écouter sérieusement quand il s’était d’abord ainsi caressé. Il disait ensuite gentiment : « Chère petite madame Yvonne. » Car nous étions devenus intimes. Ils se confiait à nous. Nous le considérions comme un oncle. Ma femme s’appelait Yvonne, la sienne Françoise.

    Françoise le suivait partout. Sylvain Bonmariage de Cercy d’Erville, écrivain de talent, narrateur de sa vie excentrique, curieux homme — c’est lui qui sous les drapeaux et en temps de guerre, à son colonel qui menaçait de le mettre aux arrêts mais bredouillait perdu dans les méandres de ce nom nobiliaire, dit avec condescendance : Appelez-moi simplement monsieur le comte — , Sylvain Bonmariage avait fait un sonnet : « Voici venir Le Rouge avec la Dame en vert… » Il ne pouvait la voir sans émoi comme si apparaissaitun fantôme coiffé d’un petit chapeau.

    Françoise était insignifiante. Je n’ai jamais constaté tant de naïveté. Mais c’était une créature sensible, douée d’une voix douce, attachante par sa bonté. Le mal qui l’avait marquée dès sa jeunesse imposait la sympathie. Yvonne soupirait : « Quand on pense qu’on aurait pu attraper cette maladie-là ! » Elle recevait souvent la visite de Françoise. Au début, elle me disait : « C’est plus fort que moi, je ne peux pas m’y faire. » Ou bien, tout à coup, quand nous étions seuls : « Quand même ! Le Rouge a des goûts bizarres, pense un peu, mari et femme, enfin imagine ! » Cela la tracassait. Quelque temps après elle me dit encore : « Ou Le Rouge est un anormal ou c’est un saint. » Ensuite l’habitude fit qu’elle ne s’en préoccupa plus.

    Gustave Le Rouge avait connu Françoise dans la boutique de ses parents qui vendaient, je crois, des parapluies quelque part, je ne sais au juste, avenue des Gobelins ou boulevard de Port Royal, je n’en suis pas sûr, je n’ai pas eu de renseignements précis. Veuf, il l’avait épousée. Elle avait dû être belle de corps. Son rire, sa voix étaient agréables. Elle avait surtout un regard tendre et joli quand elle souriait, comme une femme qui fait « les yeux doux ». Seulement, entre les yeux et les lèvres, elle portait la cicatrice lupus qui étalait, sur cette partie médiane du visage, deux pétales larges maculés

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