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Open access et droit d'auteur
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Livre électronique459 pages6 heures

Open access et droit d'auteur

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À propos de ce livre électronique

L’open access consiste à rendre accessible gratuitement les publications scientifiques et à faciliter leur exploitation, notamment à des fins de recherche. Dans de nombreux pays, des mesures ont été adoptées afin d’assurer le développement de cet accès libre aux articles scientifiques, spécialement lorsqu’ils résultent de recherches financées par des fonds publics. On prétend ainsi favoriser le partage des connaissances. Une telle évolution implique un bouleversement des rapports entre les auteurs de ces œuvres et leurs éditeurs.
Le droit d’auteur occupe donc une place centrale en la matière, les modalités de son exploitation déterminant la possibilité de diffuser l’oeuvre scientifique en open access.

Cet ouvrage se propose d’analyser les différentes formes d’open access mais aussi
d’explorer les mesures mises en œuvre dans plusieurs pays pour le promouvoir.

L'ouvrage intéresse les magistrats et les avocats spécialisés en droit de la propriété intellectuelle, les bibliothécaires ainsi que les professeurs et leurs étudiants.
LangueFrançais
Date de sortie2 févr. 2016
ISBN9782804487966
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    Aperçu du livre

    Open access et droit d'auteur - Carine Bernault

    9782804487966_TitlePage.jpg

    Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée pour le Groupe Larcier.

    Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique.

    Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.

    Pour toute information sur nos fonds et nos nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez nos sites web via www.larciergroup.com.

    © Groupe Larcier s.a., 2016

    Éditions Larcier

    Espace Jacqmotte

    Rue Haute, 139 - Loft 6 - 1000 Bruxelles

    Tous droits réservés pour tous pays.

    Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

    ISBN 9782804487966

    Collection Création Information Communication (CIC)

    Les extraordinaires développements de la technique ont donné une importance et une valeur tout à fait nouvelles à la création, l’information et la communication. Objet d’enjeux politiques, économiques et moraux, leur réglementation est profondément remise en question. Cette collection a pour vocation d’étudier les aspects nouveaux de ce droit en mutation.

    La Collection Création Information Communication se présente en deux volets : Création Information Communication (C.I.C.) propose des ouvrages de référence et de réflexion sur ces matières en perpétuelle évolution.

    Création Information Communication pratique (C.I.C pratique) privilégie une approche pragmatique et concrète de ces matières.

    Sous la direction d’Alain Berenboom, Avocat, spécialiste du droit d’auteur et du droit des médias.

    Dans la même collection :

    CIC :

    M. BUYDENS, La protection de la quasi-création, 1993

    M. ISGOUR et B. VINCOTTE, Le droit à l’image, 1998

    M. BUYDENS, Droit des brevets d’invention et protection du savoir-faire, 1999

    P. NIHOUL, Droit européen des télécommunications. L’organisation des marchés, 1999

    J.-J. EVRARD et Ph. PÉTERS, La défense de la marque dans le Bénélux, 2e édition, 2000

    F. BRISON, Het naburig recht van de uitvoerende kunstenaar, 2001

    T. VERBIEST et E. WÉRY, Le droit de l’internet et de la société de l’information. Droits européen, belge et français, 2001

    A. CRUQUENAIRE, L’interprétation des contrats en droit d’auteur, 2007

    S. DUSOLLIER, Droit d’auteur et protection des œuvres dans l’univers numérique. Droits et exceptions à la lumière des dispositifs de verrouillage des œuvres, 2007

    A. BERENBOOM, Le nouveau droit d’auteur et les droits voisins, 4e édition, 2008

    E. CORNU (coord.), Bande dessinée et droit d’auteur – Stripverhalen en auteursrecht, 2009

    D. GERVAIS (avec collab. I. SCHMITZ), L’Accord sur les ADPIC, 2010

    B. MOUFFE, Le droit à l’humour, 2011

    M. MARKELLOU, Le contrat d’exploitation d’auteur. Vers un droit d’auteur contractuel européen. Analyse comparative des systèmes juridiques allemand, belge, français et hellénique, 2012

    O. PIGNATARI, Le support en droit d’auteur, 2013

    E. RICBOURG-ATTAL, La responsabilité civile des acteurs de l’internet, 2013

    G. JULIA, L’œuvre de magie et le droit, 2014

    M. CLÉMENT, L’œuvre libre, 2014

    D. VOORHOOF, P. VALCKE, Handboek Mediarecht, 4e édition, 2014.

    P. DELLA FAILLE, Le régime du Tax shelter, 2015.

    A. GROSJEAN (sous la dir.), Enjeux européens et mondiaux de la protection des données personnelles, 2015.

    D. DECHENAUD (dir.), Le droit à l’oubli numérique, 2015.

    CIC pratique :

    J.-C. LARDINOIS, Les contrats commentés de l’audiovisuel, 2007

    J.-C. LARDINOIS, Les contrats commentés de l’industrie de la musique 2.0, 2e édition, 2009

    S. CARNEROLI, Marketing et internet, 2011

    S. CARNEROLI, Les contrats commentés du monde informatique, 2e édition, 2013

    Principales abréviations

    Sommaire

    Principales abréviations

    Partie 1. Les différentes formes d’open access

    Chapitre 1. La voie verte : l’archive ouverte

    Section 1. La réaction des éditeurs : l’embargo

    Section 2. Les rapports contractuels entre l’archive et les auteurs

    Chapitre 2. La voie dorée : la revue en accès ouvert

    Section 1. Les rapports entre l’auteur et la revue

    Section 2. Le modèle économique

    Chapitre 3. Les voies « alternatives » : système hybride, voie diamant

    Partie 2. L’accès gratuit aux œuvres : les moyens de promouvoir l’accès ouvert

    Chapitre 1. Les mesures minorant le rôle du droit d’auteur

    Section 1. L’open access imposé au chercheur

    Section 2. L’open access négocié avec les éditeurs : la position de l’Académie des sciences

    Chapitre 2. Les mesures reposant sur le droit d’auteur

    Section 1. Responsabiliser les chercheurs : le cas de l’Allemagne

    Section 2. Responsabiliser les organismes de recherche : licence de dépôt ou présomption de cession

    Section 3. Le rôle des bibliothèques et le cas des œuvres orphelines

    Section 4. Le tiré à part numérique dans les archives ouvertes

    Partie 3. L’utilisation des œuvres : les moyens de promouvoir l’accès libre

    Chapitre 1. Le droit d’auteur et le partage des œuvres scientifiques

    Section 1. L’insuffisance des exceptions au droit d’auteur

    Section 2. Le recours aux licences

    Section 3. La privatisation de l’open access : les limites du partage ?

    Chapitre 2. Le cas particulier du text and data mining

    Section 1. L’intérêt de l’open access pour le TDM

    Section 2. L’insuffisance de l’open access pour permettre le TDM : l’hypothèse d’une nouvelle exception au droit d’auteur

    Conclusion

    Index alphabétique

    Annexes

    Table des matières

    « Never doubt that a small group of thoughtful, commited citizens can change the world ; indeed, it’s the only thing that ever has ».

    Margaret Mead, anthropologue américaine, 1901-1978

    Introduction

    1. Crise du droit d’auteur et accès aux ressources. Il est devenu banal de dire que le droit d’auteur traverse une crise, qu’il a perdu toute légitimité. Le fait est que le développement du numérique a suscité et suscite toujours d’intenses discussions sur l’évolution, plus ou moins nécessaire, plus ou moins importante, que doit connaître le droit d’auteur pour s’adapter à ce nouveau contexte. La situation n’est pas inédite car il faut rappeler que le droit d’auteur a déjà dû intégrer l’apparition de « nouvelles » techniques, telles que celles permettant d’enregistrer les sons, puis les images, fixes d’abord, animées ensuite, ce qui ne s’est pas fait sans heurts. Mais la particularité de la « révolution » numérique est qu’elle touche pratiquement tout le droit d’auteur et conduit à s’interroger sur les conditions de création des œuvres comme sur leur diffusion. Ainsi, de la notion d’œuvre aux contrats d’exploitation en passant par la lutte contre la contrefaçon, ce sont pratiquement tous les aspects du droit d’auteur qui sont chahutés par le numérique. Les sujets les plus « médiatisés » sont ceux qui touchent de la manière la plus évidente le plus grand nombre de personnes et à ce titre, le « piratage » sur internet occupe sans aucun doute la première place sur le « podium » des questions qui agitent aujourd’hui le droit d’auteur. Mais en élargissant un peu l’approche, on constate qu’en réalité, les principaux sujets de discussion concernent aujourd’hui très souvent la question de l’accès aux « ressources ». Le droit d’auteur, et au-delà même la propriété intellectuelle dans son ensemble, est alors présenté comme un obstacle, généralement illégitime, à l’accès aux ressources : les internautes ne peuvent pas partager des œuvres sur les réseaux comme bon leur semble ; les agriculteurs ne peuvent pas utiliser leurs semences comme ils l’entendent(1) ; les malades ne peuvent accéder aux médicaments dont ils ont besoin(2)…

    Nous allons ici aborder un aspect particulier de cette problématique très générale en nous concentrant sur les œuvres scientifiques. Les travaux de recherche menés dans les universités, établissements scientifiques ou dans le secteur privé conduisent généralement à la publication d’articles ou d’ouvrages. Ces œuvres jouent un rôle essentiel dans la transmission d’une ressource primordiale : la connaissance. Alors que l’une des finalités de la recherche est le partage de ces connaissances, celui-ci peut être « trop souvent bloqué (…) par les stratégies commerciales des éditeurs de revues scientifiques ou l’apparition de nouveaux droits d’exclusivité au bénéfice des producteurs de bases de données »(3). Le risque serait donc de « privatiser » les « épaules des géants » sur lesquelles les chercheurs se hissent pour mener leurs travaux, pour paraphraser la célèbre phrase de Newton(4). L’accès aux publications scientifiques est fréquemment difficile car coûteux et le coupable est donc identifié : il s’agit du droit d’auteur qui permet aux éditeurs, cessionnaires de ce droit, d’imposer leur « loi ». La « solution » passerait alors par le mouvement de l’open access qui permettrait de « libérer » les œuvres scientifiques ainsi que les connaissances qu’elles contiennent en les rendant gratuitement accessibles sur internet et librement exploitables, via des archives ouvertes ou des revues en ligne. Notre « sauveur » est donc lui aussi connu : l’open access. Cette présentation est évidemment très, et même trop, schématique. Elle correspond pourtant à une manière assez usuelle d’envisager le droit d’auteur exclusivement comme un obstacle à surmonter. Par exemple, dans l’initiative de Budapest pour l’accès ouvert, sur laquelle nous allons revenir, on peut lire : « la seule contrainte sur la reproduction et la distribution, et le seul rôle du copyright dans ce domaine devrait être de garantir aux auteurs un contrôle sur l’intégrité de leurs travaux et le droit à être correctement reconnus et cités »(5). Le choix du terme « contrainte » parle de lui-même. Autre exemple, dans le rapport Finch publié en juin 2012 au Royaume-Uni(6), le mot copyright n’apparaît pas dans les 10 recommandations formulées pour promouvoir l’open access. L’une de ces recommandations, la 3e, porte sur le développement de politiques permettant de faciliter l’utilisation des œuvres, spécialement à des fins non commerciales. Ce sujet est évidemment lié au droit d’auteur. Mais lorsque le terme « copyright » apparaît dans le rapport, c’est pour évoquer la problématique du text mining(7), l’impact des contrats conclus avec les éditeurs sur l’open access(8), les usages qui peuvent relever d’exceptions ou de limitations au droit d’auteur(9) ou les œuvres orphelines(10). Cela révèle que le droit d’auteur apparaît plutôt comme un « frein » à l’open access. Dans le même sens, il a été constaté que pour 80% des universités, le principal obstacle au développement de l’open access est la crainte de violer le droit d’auteur(11). Bien au-delà de l’open access mais toujours dans la même logique, et ce sera notre dernier exemple, on peut citer le rapport de la British Library publié en 2010 et intitulé « Driving UK Research. Is Copyright a help or a hindrance ? »(12). Si on peut apprécier la présence du point d’interrogation, on ne peut pour autant nier, évidemment, que le droit d’auteur vient parfois (souvent ?) compliquer la situation. On aura l’occasion de le constater. Mais il nous semble que plus que le droit d’auteur lui-même, c’est très souvent l’usage que l’on en fait qui doit interroger. L’open access ne se heurte pas au droit d’auteur parce que les publications scientifiques sont protégées par celui-ci mais plutôt en raison de certaines modalités d’exercice de ce droit, notamment par les éditeurs qui en sont cessionnaires. Nous voudrions donc montrer que le droit d’auteur n’est pas en lui-même un obstacle à l’open access, open access qu’il pourrait d’ailleurs contribuer à développer. Le droit d’auteur, droit exclusif, permet de s’approprier une œuvre et donc d’en interdire l’exploitation par les tiers mais il permet aussi d’organiser le partage de cette œuvre si tel est le souhait du titulaire des droits. Le droit d’auteur est donc ce que l’on en fait. On peut d’ailleurs noter que l’OMPI a publié en 2012 une étude intitulée « Utilisation du droit d’auteur pour promouvoir l’accès à l’information et aux contenus créatifs » dont l’une des parties, spécialement consacrée à l’enseignement et à la recherche, souligne l’intérêt de l’open access(13). De même, l’article 27 de la déclaration universelle des droits de l’homme, affirme dans un même souffle : « 1. Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent. 2. Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur »(14).

    Par ailleurs, il nous semble que l’open access est de nature à redonner aux auteurs le contrôle sur leurs œuvres. Actuellement, les scientifiques qui publient leurs articles dans des revues « traditionnelles » contractent avec l’éditeur et lui cèdent en général l’intégralité de leurs droits patrimoniaux pour toute forme d’exploitation, imprimée comme en ligne, et pour toute leur durée. Comme cela a été écrit, « author rights or control cannot sink lower than that »(15). L’open access implique au contraire que les auteurs conservent une partie de ces droits et puissent diffuser leurs œuvres gratuitement, contribuant ainsi au progrès de la recherche en augmentant leur lectorat et par ricochet leur réputation. Ainsi, le droit d’auteur pourrait favoriser l’open access et l’open access pourrait redonner aux auteurs le contrôle sur leurs œuvres. Pour bien comprendre le rôle du droit d’auteur en matière d’open access, il faut tout d’abord rappeler dans quel contexte est né ce dernier (1) pour ensuite s’arrêter sur la notion même d’open access (2) et déterminer quelles œuvres sont concernées (3).

    1. La naissance et les finalités de l’open access

    2. Considérations « historiques ». Les premières actions en faveur de l’open access remontent aux années 1990 lorsqu’apparurent les archives ouvertes : ArXiv en 1991, Social Science Research Network (SSRN) en 1994 et Research Papers in Economics (RePEc) en 1997. Dès 1998, Scholarly Publishing and Academic Resources Coaliation (SPARC) a été créé par l’Association of Research Librairies (ARL) en Amérique du nord dans le but de promouvoir l’open access. Très vite seront ensuite créées BioMed Central au Royaume-Uni et Public Library of Science (PLoS) aux États-Unis.

    3. Les « 3 B ». Mais au-delà de ces initiatives isolées, le mouvement en faveur de l’open access s’organise véritablement lorsque plusieurs déclarations internationales sur le sujet sont publiées. Elles sont généralement baptisées les « 3 B » puisqu’il s’agit des déclarations de Budapest, Berlin et Bethesda(16). La première est appelée l’initiative de Budapest pour l’accès ouvert (ou BOAI pour Budapest Open Access Initiative). Datée du 14 février 2002, elle fait suite à une réunion de l’Open Society Institute. Elle peut être considérée comme le véritable acte de naissance d’un mouvement organisé en faveur de l’open access. Le grand mérite de la BOAI est d’avoir « délibérément fait converger des projets déjà existants dans le but d’explorer comment ils pourraient travailler ensemble pour atteindre un résultat positif plus large, plus profond et plus rapide »(17). Suivra très rapidement the Bethesda Statement on Open Access Publishing, en avril 2003, préparé lors d’une réunion de l’Howard Hughes Medical Institute. Enfin, la même année, en octobre, est publiée la déclaration de Berlin lors d’une réunion organisée par l’Institut Max Planck(18).

    4. Open access et partage des connaissances : la question des « biens communs ». Cette diversité n’a heureusement pas conduit à un éclatement de la notion d’open access qu’il s’agissait de définir afin de promouvoir ce nouveau mode de diffusion des travaux scientifiques. L’objectif a été clairement identifié dans l’initiative de Budapest : « accélérer la recherche, (...) enrichir l’enseignement, (…) partager les connaissances du riche avec le pauvre, et celles du pauvre avec le riche, (…) rendre cette littérature aussi utile que possible, et (…) jeter les fondations permettant d’unir l’humanité dans une conversation intellectuelle et une quête communes de la connaissance ». Ce partage des connaissances doit permettre une meilleure diffusion des travaux scientifiques et ainsi, leur donner davantage de visibilité. Les conditions seraient alors réunies pour le développement d’une « création scientifique à vocation universaliste et désintéressée »(19).

    Cette revendication qui touche donc les seules publications scientifiques n’est pour autant pas isolée. Elle s’inscrit dans un contexte plus global dans lequel la « libération » de l’accès aux connaissances devient une préoccupation centrale. Ainsi, parallèlement à l’open access, s’est développée la notion de « ressources éducatives libres » (REL)(20). L’expression est apparue en 2002 lors d’un forum de l’UNESCO portant sur l’impact des didactitiels libres. Dix ans plus tard, sous l’égide de la même institution, a été adoptée une « déclaration de Paris sur les REL ». Elles y sont définies comme « des matériels d’enseignement, d’apprentissage et de recherche sur tout support, numérique ou autre, existant dans le domaine public ou publiés sous une licence ouverte permettant l’accès, l’utilisation, l’adaptation et la redistribution gratuits par d’autres, sans restrictions ou avec des restrictions limitées. Les licences ouvertes sont fondées dans le cadre existant du droit à la propriété intellectuelle, comme défini par les conventions internationales concernées, et respectent la paternité de l’œuvre ». La déclaration recommande aux États de mener un certain nombre d’actions afin de favoriser le développement et l’utilisation des REL notamment en assurant la « promotion » des licences ouvertes et en encourageant « l’octroi de licences ouvertes pour les matériels éducatifs produits sur fonds publics ». Le développement de l’open access contribue donc incontestablement à la multiplication des REL, et ainsi au partage des connaissances.

    Plus largement, l’open access s’inscrit dans le mouvement des « communs » qui suscite un regain d’intérêt spécialement depuis le début de ce siècle, l’une de ses promotrices ayant même été récompensée par le prix Nobel d’économie en 2009(21). Les communs reposent sur une logique de coopération et de partage et s’opposent aux « enclosures » qui, après avoir concerné la terre, entraveraient aujourd’hui l’accès aux « communs intangibles de l’esprit »(22). La notion de commun peut être définie très largement comme « une ressource + une communauté + un ensemble de règles sociales »(23). Dans cette logique, « la question n’est pas de savoir si telle forêt ou tel corps de savoir est un commun. La question est de savoir si telle communauté souhaite gérer une ressource comme un commun, si elle est capable d’inventer les règles, les normes et les sanctions pour s’en assurer »(24). La ressource commune peut alors être partagée selon les règles fixées par la communauté, l’objectif étant celui d’une gestion « équitable », « pour le bénéfice de tous »(25). Il ne s’agit donc pas d’une remise en cause de la propriété, d’une « non propriété », mais plutôt d’un mode de gestion des ressources qui se veut « responsable » et partagé(26). Le fait d’organiser un accès libre aux ressources scientifiques participe donc de ce mouvement(27) et contribue plus précisément à la constitution des « biens communs du savoir ». Ceux-ci « incluent toutes les formes de savoirs qui ont besoin d’être rendus disponibles pour faciliter la production de nouvelles connaissances, poursuivre un enseignement qui fasse sens et protéger la tradition d’une science ouverte »(28). Ces communs du savoir sont « pensés tout à la fois comme un statut alternatif à la privatisation du savoir et comme un mode de gouvernance par une communauté dédiée »(29). L’open access tel que décrit dans les 3B doit effectivement faire des œuvres scientifiques des communs. Nous verrons toutefois que cet objectif n’est pas toujours atteint, de nombreuses œuvres étant gratuitement accessibles mais sans être exploitables au-delà des exceptions au droit d’auteur prévues le législateur(30).

    Il nous faut encore souligner que si l’open access est conçu pour permettre le partage des connaissances et le développement de la recherche, ses effets pourraient aussi être importants sur le plan économique. Comme cela a été relevé, « l’accès à l’information scientifique et technique (IST), sa circulation et sa disponibilité sont des facteurs clés de l’efficacité de la recherche scientifique, de la compétitivité industrielle et du progrès social »(31).

    5. Finalité de l’open access et partage des œuvres. Mais au-delà du partage des connaissances, c’est plus globalement la question du partage des œuvres, quelle que soit leur nature, qui se pose aujourd’hui. L’internet haut débit facilitant l’échange d’œuvres audiovisuelles ou musicales par exemple, des réflexions ont été menées afin de trouver une solution alternative à la seule répression jusqu’ici organisée par le législateur. De la licence globale(32) à la rémunération proportionnelle du partage(33) en passant par la contribution créative(34), on cherche donc le moyen d’autoriser ces activités de partage tout en assurant la rémunération des ayants droit. Ces questions dépassent largement les enjeux de l’open access mais si le législateur devait un jour adopter un dispositif autorisant le partage non lucratif des œuvres, ces dernières pourraient aussi être de nature scientifique. Les publications scientifiques seraient alors diffusées beaucoup plus facilement, ce qui contribuerait à une forme d’open access. Pour autant, nous allons ici nous concentrer sur les questions propres à l’open access, qui présentent de réelles spécificités, et non traiter de la problématique du partage des œuvres en général.

    6. Contexte technique. Ce mouvement en faveur de l’open access présente la particularité d’être né à la fois « grâce » et « à cause » du développement des réseaux numériques. On comprend facilement qu’il était difficile de défendre l’idée d’un accès gratuit, dans le monde entier, aux travaux scientifiques avant que la technique ne le permette. Le développement de l’internet haut débit a rendu ce projet possible. Mais l’open access est également né en réaction aux pratiques de certains éditeurs qui ont vu dans les revues numériques un moyen d’accroitre leurs revenus.

    7. Contexte éditorial. Dans le modèle traditionnel de diffusion des travaux scientifiques, tel qu’il a notamment été décrit par le comité d’éthique du CNRS en 2012(35), l’auteur soumet son article à l’éditeur et si ce dernier le publie, il se réserve l’exclusivité d’exploitation, généralement pour toute la durée des droits. « Les éditeurs scientifiques opèrent dans un modèle économique d’exploitation de droits de propriété intellectuelle »(36). L’auteur n’a pas vraiment le choix : il doit contracter avec un éditeur pour diffuser son œuvre(37). Le seul moyen de prendre connaissance de l’article est alors de payer l’abonnement à la revue en cause, cette charge revenant généralement aux bibliothèques ou instituts de recherche. Il faut souligner que les publications dans les périodiques ont pendant un temps bénéficié d’un régime spécial, prévu par la Convention de Berne dans sa version initiale, en date du 9 septembre 1886. L’article 7 de ce texte permettait en effet la reproduction et traduction de ces articles dans les pays de l’Union, sous réserve que l’auteur ou l’éditeur ne s’y soit pas opposé expressément(38). En 1908, une révision de la Convention fait disparaître cette disposition et l’article 9 précise alors que les œuvres publiées dans des périodiques ne peuvent être reproduites sans l’accord des auteurs(39). En pratique, les chercheurs cèdent leurs droits aux éditeurs qui organisent l’exploitation des revues et des articles qu’elles contiennent. Lorsqu’internet s’est développé, ces éditeurs ont alors proposé des abonnements aux versions numériques de ces revues, ce qui aurait dû faciliter l’accès des chercheurs à ces publications. Pourtant, certains éditeurs ont abusé de la situation, augmentant les coûts des abonnements dans des proportions déraisonnables et ne répercutant pas sur les abonnés les économies réalisées grâce au numérique(40). Ainsi, « subscription prices have risen about twice as fast as the price of healthcare »(41) and « the largest journal publishers earn higher profit margins than the largest oil companies »(42). Par exemple, « les analyses font état d’une augmentation du prix des revues de 200% à 300% entre 1975 et 1995 et de 22% à 57% entre 2004 et 2007 »(43). En 2012, l’université de Harvard révéla qu’elle dépensait près de 3,75 millions de dollars par an au titre des abonnements aux revues scientifiques(44). Cette même année, le marché mondial de l’édition scientifique est estimé à 21 milliards d’euros, les services numériques représentant en moyenne 60 % des chiffres d’affaires et jusqu’à 75% chez les plus grands éditeurs(45). À cela s’ajoute un phénomène de concentration : « les 5 premiers éditeurs contrôlent 40% du marché (en valeur) des revues scientifiques » et « les quatre premiers éditeurs, s’ils éditent au plan mondial 24,8% des titres, publient 50,1 % des revues à plus fort facteur d’impact ». Les « 12 plus grands éditeurs publient 74% des 27 000 revues scientifiques actives »(46). Cela s’explique notamment par le fait que les éditeurs commerciaux ont « capté » l’activité d’édition de nombreuses sociétés savantes « en échange d’un montant fixe annuel de royalties supérieur aux revenus que dégageaient les sociétés savantes en gérant elles-mêmes ces activités d’éditions »(47). Il faut encore ajouter qu’avec le numérique, l’activité des éditeurs est moins centrée sur l’édition des revues elles-mêmes que sur la mise à disposition de plates-formes polyvalentes proposant certes un accès à ces revues mais aussi divers outils de recherche, de partage collaboratif, de véritables réseaux sociaux scientifiques en somme. Or, seuls les plus « gros » éditeurs ont les moyens de proposer de tels dispositifs(48). Mais les considérations financières ou économiques ne sont pas les seules à prendre en compte. Certains éditeurs ont profité du numérique pour imposer des restrictions qui ne pouvaient voir le jour au temps des revues imprimées. Ainsi, ils ont pu exiger la négociation de conditions particulières pour rendre les revues accessibles en ligne hors du campus par exemple(49). Par ailleurs, avec le numérique, les bibliothèques ne peuvent plus archiver les revues car si elles mettent fin à un abonnement, elles perdent évidemment la possibilité d’accéder aux publications futures mais aussi aux publications passées. Il faut reconnaitre que « le modèle de diffusion à accès limité qui prévaut a pour effet de limiter les possibilités d’échange des connaissances scientifiques ayant fait l’objet d’une publication, empêchant par-là même l’émergence d’une véritable communauté scientifique mondiale et collaborative »(50).

    Cette situation a conduit à une vaste contestation, menée par les chercheurs eux-mêmes, qui révèle un paradoxe : « alors que les auteurs-chercheurs publient gracieusement leurs résultats dans ces revues, leurs bibliothèques sont conduites à débourser des sommes considérables pour acquérir certaines d’entre elles (selon les disciplines, un abonnement peut atteindre ainsi 20 000 euros/an). La valeur ajoutée par le médiateur-éditeur peut-elle justifier une telle situation ? »(51).

    8. Des abus à l’open access. Tout en résistant à la tentation d’opposer sans nuance les éditeurs qui seraient motivés uniquement par l’appât du gain aux chercheurs qui seraient nécessairement désintéressés(52), il faut bien reconnaitre que ce sont les pratiques abusives des premiers qui ont conduit les seconds à se mobiliser. Nous prendrons ici un seul exemple relativement récent, celui de la pétition « the cost of Knowledge »(53) lancée en 2012 par le mathématicien britannique Timothy Gowers, lauréat de la médaille Fields, qui a réuni plus de 14 000 signataires appelant au boycott d’un éditeur. Ils y dénoncent la politique commerciale d’un des principaux éditeurs dans le monde scientifique qui publie à lui seul plus de 2 000 revues. Si les prix pratiquées sont pointés du doigt, ce sont aussi les pratiques contractuelles qui sont dénoncées et tout spécialement ce que l’on appelle les « package » ou les « big deal » qui consistent à proposer des abonnements à des bouquets de revues pour un tarif global. Bien souvent ces « lots » se composent d’une ou deux revues très réputées et donc incontournables et d’autres revues d’un intérêt bien inférieur. La bibliothèque par exemple doit contracter pour le tout et payer un abonnement très élevé alors que seules quelques revues seront réellement et régulièrement consultées par les chercheurs. « La recherche est prise en otage par ces pratiques, qui ne permettent pas de choisir les abonnements en fonction des besoins et de la qualité des revues »(54).

    Alors que l’essor du numérique aurait dû permettre un accès plus simple aux publications scientifiques, il a au contraire conduit à le limiter ce qui a provoqué la naissance d’un mouvement bouleversant profondément les modes de diffusion des œuvres scientifiques.

    9. Rôle des éditeurs et peer review. Pour autant, ainsi qu’on l’a déjà souligné, il faut se garder de toute approche manichéenne. Au-delà même du fait que tous les éditeurs ne peuvent se voir reprocher les mêmes abus, il faut souligner qu’ils peuvent aussi s’associer à des opérations destinées à favoriser l’accès aux connaissances(55) et qu’ils jouent un rôle essentiel dans la diffusion de la recherche(56). L’éditeur doit sélectionner les textes qui lui sont soumis, éventuellement travailler avec l’auteur pour en améliorer la mise en forme. La publication doit également garantir un archivage des articles et donc assurer la pérennité de l’accès aux travaux scientifiques. On peut résumer la situation en identifiant les quatre rôles fondamentaux de la communication scientifique : « la certification, l’enregistrement, la diffusion et l’archivage »(57). Parmi toutes ces missions, celle de la sélection (ou certification) est essentielle. C’est ce que l’on appelle communément le peer review : les pairs évaluent la qualité de l’article pour en permettre, ou non, la publication. La suppression de ce « filtre » ne permettrait plus de différencier les publications dites « sérieuses » ou jugées comme telles par les pairs, de celles qui ne satisfont pas aux exigences scientifiques. Les revues sont donc supposées, grâce à ce processus, publier les « meilleurs » articles. Elles se forgent ainsi une réputation qui conduit les chercheurs à souhaiter être publiés dans ces mêmes revues, reconnues dans leurs disciplines. Le développement du recours au « facteur d’impact », très présent dans certains domaines pour évaluer les activités du chercheur, peut alors produire un effet pervers évident. Pour être reconnu, le chercheur privilégie les revues au facteur d’impact le plus élevé. Celles-ci reçoivent donc un grand nombre de propositions de publications, sélectionnent les « meilleures » et occupent une position incontournable dans le domaine considéré, ce qui les place en position de force pour augmenter le prix des abonnements(58).

    Ce rôle important des revues scientifiques peut conduire les chercheurs à développer une attitude proche de la schizophrénie(59). Tout en souhaitant accéder aux publications des autres chercheurs le plus simplement possible et généralement gratuitement, afin d’alimenter leurs réflexions, ils veulent publier leurs propres travaux dans les revues les plus « cotées » indépendamment du fait qu’elles assurent une diffusion en open access ou non.

    10. Financement public ou privé de la recherche. Un autre élément, qui s’apparente à une prise de conscience, explique sans doute le développement de l’open access. Les chercheurs bénéficient très souvent d’un financement public pour mener leurs travaux. En France, faut-il le rappeler, une des missions du service public de l’enseignement supérieur est de contribuer « au développement de la recherche, support nécessaire des formations dispensées, à la diffusion des connaissances dans leur diversité et à l’élévation du niveau scientifique, culturel et professionnel de la nation et des individus que la composent »(60). Par ailleurs, depuis la loi du 22 juillet 2013, l’article L. 112-1 du Code de la recherche dispose : « la recherche publique a pour objectifs (…) le partage et la diffusion des connaissances scientifiques en donnant priorité aux formats libre d’accès ». Or, une fois les recherches menées, elles conduisent à la publication d’articles ou d’ouvrages et les auteurs cèdent alors les droits de les exploiter à des éditeurs qui, comme on l’a vu, s’en réservent généralement l’exclusivité. Afin de garantir l’accès des chercheurs à ces travaux, les établissements publics de recherche et les universités doivent alors payer pour s’abonner à ces revues et ainsi leur sont donc « revendues » leurs propres publications scientifiques(61) ! La difficulté consiste alors à concilier des intérêts qui paraissent contradictoires comme cela a été résumé dans le Rapport Finch publié en juin 2012(62) :

    « Publishers, whether commercial or not-for-profit, wish to sustain high-quality services, and the revenues that enable them to do so. Funders wish to secure maximum impact for the research they fund, plus value for money. Universities wish to maximise their research income and performance, while bearing down on costs. Researchers themselves wish to see speedy and effective publication and dissemination of research results, but also to secure high impact and credit for the work they

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