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Recherche sociale, 7e édition: De la problématique à la collecte des données
Recherche sociale, 7e édition: De la problématique à la collecte des données
Recherche sociale, 7e édition: De la problématique à la collecte des données
Livre électronique946 pages22 heures

Recherche sociale, 7e édition: De la problématique à la collecte des données

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À propos de ce livre électronique

Cette nouvelle édition de Recherche sociale s’inscrit dans une perspective pédagogique et contribue à la formation des chercheurs et chercheuses novices en présentant une approche procédurale à la fois rigoureuse et ouverte. Le présent ouvrage reflète l’évolution des méthodes de recherche en sciences humaines et sociales, tout en reposant sur les fondements établis dans les éditions précédentes.

Les premiers chapitres de ce livre présentent les caractéristiques et théories principales de la recherche en sciences sociales. Les étapes de la recherche sociale – la problématisation, la conceptualisation de l’étude et la collecte de données – sont ensuite abordées en détail. La dernière partie de l’ouvrage est consacrée à l’exploration de certains enjeux importants qui doivent être considérés par toutes les personnes qui entreprennent des projets de recherche, qu’elles se trouvent en milieu universitaire ou organisationnel.

L’ensemble des chapitres a été revu pour cette septième édition afin de tenir compte des développements méthodologiques et épistémologiques survenus au cours des dernières années ainsi que des mouvements sociaux qui ont motivé ces développements, dont la participation citoyenne, la décolonisation et le féminisme. Plusieurs chapitres ont été profondément transformés grâce aux contributions de nouveaux collaborateurs et de nouvelles collaboratrices. À cela s’ajoute également un chapitre inédit portant sur les enjeux contemporains de la recherche sociale et la publication de la recherche.

Isabelle Bourgeois est professeure agrégée à la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa. Ses travaux de recherche portent sur la mesure et le renforcement des capacités organisationnelles en évaluation. Elle est la rédactrice en chef de la Revue canadienne d’évaluation de programme et a reçu le prix Karl-Boudreault pour son leadership en évaluation de la Section de la capitale nationale (SCN) de la Société canadienne d’évaluation (SCÉ) en 2017.
LangueFrançais
Date de sortie24 févr. 2021
ISBN9782760552784
Recherche sociale, 7e édition: De la problématique à la collecte des données
Auteur

Isabelle Bourgeois

Isabelle Bourgeois est professeure agrégée à la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa. Ses travaux de recherche portent sur la mesure et le renforcement des capacités organisationnelles en évaluation. Elle est la rédactrice en chef de la Revue canadienne d’évaluation de programme et a reçu le prix Karl-Boudreault pour son leadership en évaluation de la Section de la capitale nationale (SCN) de la Société canadienne d’évaluation (SCÉ) en 2017.

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    Aperçu du livre

    Recherche sociale, 7e édition - Isabelle Bourgeois

    CHAPITRE 1 /

    Qu’est-ce que la recherche sociale?

    Isabelle Bourgeois

    Cet ouvrage présente les multiples facettes de la recherche sociale actuelle et de son évolution dans un environnement dynamique. Il a été conçu comme ouvrage pédagogique et vise à décrire les notions fondamentales d’une démarche de recherche en sciences sociales, à présenter les instruments et méthodes de collecte et enfin, à explorer leurs modalités d’utilisation dans une démarche rigoureuse. Cette introduction énonce les concepts et les définitions qui permettent à la fois de donner une vue d’ensemble de la démarche de recherche et d’annoncer les chapitres qui suivent.

    1/ La recherche scientifique en sciences sociales

    En tant qu’êtres humains, nous cherchons toujours à mieux connaître et comprendre notre environnement physique et social. C’est grâce à nos sens et à nos interactions sociales que nous discernons ce qui nous entoure, que nous organisons et expliquons nos perceptions et que nous décrivons notre environnement dans un contexte plus global. Ces constatations ou observations nous permettent alors d’entreprendre une démarche vers l’atteinte d’objectifs personnels et collectifs. Plusieurs moyens sont à notre disposition pour mieux approfondir ces constatations, dont la recherche scientifique, qui fera l’objet de cet ouvrage. La recherche scientifique est une démarche intentionnelle et systématique d’acquisition des connaissances. Cette démarche est empirique, c’est-à-dire qu’elle vise la collecte d’informations, ou de données, qui seront ensuite analysées dans le but de répondre à une question factuelle. Ainsi, la recherche scientifique nous permet d’aller au-delà de nos sens ou de nos intuitions en systématisant nos observations. Les outils méthodologiques dont nous disposons rendent nos observations plus fiables et nous permettent de les généraliser à une population plus vaste, ou encore de les appliquer à d’autres cas.

    En sciences sociales, la recherche scientifique s’intéresse plus particulièrement à l’expérience humaine, qu’elle soit individuelle ou collective. Elle nous permet de faire des observations systématiques sur des phénomènes humains, de comparer ces observations à des théories ou des modèles, et d’en tirer des conclusions. On peut, par exemple, s’intéresser aux interactions qui ont lieu dans un contexte particulier, ou chercher à mieux comprendre l’expérience vécue d’un phénomène. Ainsi, la recherche sociale vise généralement la collecte de données auprès des personnes et peut s’effectuer à l’aide de plusieurs méthodes et instruments. Ces méthodes et instruments se distinguent de ceux que l’on utilise en sciences naturelles et nous permettent d’étudier la complexité inhérente aux êtres humains et à leur comportement. Le choix d’une méthode ou d’un instrument de collecte dépend de divers facteurs, dont le domaine disciplinaire, le contexte du phénomène social d’intérêt et la question de recherche.

    La recherche scientifique se distingue aussi d’autres utilisations du terme «recherche», qui désignent souvent des activités connexes. Pensons, par exemple, à la recherche d’informations dans un livre ou sur le Web. Ces activités visent aussi à combler certaines lacunes sur le plan de nos connaissances personnelles, mais ne constituent pas de la recherche scientifique, qui concerne l’acquisition de nouvelles connaissances collectives et sociétales.

    Ainsi, la recherche scientifique, et plus particulièrement la recherche sociale, se différencie d’autres formes de savoirs, par exemple la philosophie, dont le but est plutôt d’expliquer le monde selon des préceptes et des règles. La recherche scientifique permet de faire avancer le savoir de différentes façons, selon l’approche méthodologique choisie. La recherche sociale peut établir une relation causale entre deux variables, c’est-à-dire qu’une variable est la cause d’un phénomène ou d’un résultat observable. Par exemple, on pourrait s’intéresser au lien causal qui existe entre la participation régulière à un club de devoirs et les résultats scolaires des élèves. Ce type d’étude viserait à établir qu’une telle participation peut être directement attribuable à une amélioration des résultats des élèves, toutes autres variables confondues. La recherche sociale peut aussi établir une corrélation entre deux ou plusieurs variables, c’est-à-dire l’existence d’une relation régulière et significative entre les variables, relativement à un phénomène précis. On pourrait, par exemple, mesurer la corrélation qui existe entre le statut socioéconomique familial et les résultats scolaires. Sans pouvoir affirmer que les résultats scolaires sont attribuables au statut socioéconomique familial, il serait tout de même possible d’établir un lien statistique entre ces deux éléments. Finalement, la recherche sociale permet de décrire les phénomènes sociaux ainsi que leur contexte, effets et composantes¹. Par exemple, on s’intéresserait ici aux résultats scolaires des élèves dans une région donnée ou dans une école particulière, sans nécessairement tenter d’établir un lien entre les résultats scolaires et d’autres éléments. Il suffirait ici de présenter une description ou un aperçu des résultats selon certaines catégories.

    Peu importe leur objectif précis, toutes les études doivent contribuer à l’avancement des connaissances. Pour ce faire, elles doivent s’inscrire parmi d’autres études successives ou complémentaires qui portent sur le phénomène social d’intérêt. Ce n’est qu’en examinant l’ensemble des résultats de plusieurs études portant sur un phénomène que nos connaissances peuvent avancer. La diffusion des résultats de recherche est donc une étape cruciale de la démarche, sur laquelle nous reviendrons à plusieurs reprises tout au long de cet ouvrage.

    2/ Les fondements épistémologiques de la recherche sociale

    La recherche, telle que nous l’entendons dans cet ouvrage, reflète les pratiques scientifiques dans l’ensemble des disciplines et des domaines des sciences sociales et humaines. Que l’on s’intéresse à l’éducation, l’administration publique, la sociologie, la psychologie, l’anthropologie ou d’autres disciplines, la démarche de recherche est semblable. Cependant, chacun des domaines des sciences sociales a évolué à sa manière; ainsi, certains domaines partagent des fondements et postulats de base quant à la nature de la connaissance et au rôle des chercheurs et chercheuses, tandis que d’autres ont des fondements épistémologiques différents. Il n’est pas rare, dans certaines disciplines, que l’on retrouve plus d’une perspective théorique.

    Le chapitre 2 fournit une description détaillée des fondements de la connaissance en recherche sociale, en distinguant deux postulats sur lesquels repose le choix d’une démarche de recherche et de la méthodologie qui sera choisie pour réaliser la collecte de données. Brièvement, le positivisme s’inscrit dans les principes de la recherche en sciences naturelles, selon lesquels il est possible d’appréhender la réalité grâce à nos sens. Ce courant épistémologique privilégie les méthodes quantitatives, c’est-à-dire chiffrées, et vise surtout à généraliser les résultats de la recherche à l’ensemble d’une population, en établissant des relations causales ou des corrélations entre les variables d’intérêt. Pour ce faire, la démarche adoptée est hypothético-déductive, ce qui signifie qu’elle est fondée sur une question de recherche et des hypothèses, qui sont exprimées à l’aide d’un modèle. Ce modèle oriente ensuite la collecte et l’analyse de données, qui permettent de valider ou de réfuter les hypothèses de départ.

    Les principes interprétativistes privilégient plutôt la cocréation des connaissances grâce aux échanges entre le personnel de recherche et les personnes touchées par le phénomène d’intérêt. Ainsi, les méthodes qualitatives servent à documenter et à comprendre l’expérience vécue par les personnes qui participent à la recherche. L’objectif de la recherche interprétativiste n’est pas de généraliser les résultats à une population, mais bien de comprendre un phénomène en profondeur et de transférer cette compréhension à des cas semblables. La démarche de recherche est plutôt inductive et est fondée sur une observation qui informe ensuite le développement d’un modèle qui pourra être validé plus tard.

    Cette diversité épistémologique et méthodologique a l’avantage de permettre l’investigation d’un phénomène à partir de points de vue différents, et ainsi, de produire des connaissances complémentaires. Le phénomène du décrochage scolaire est un bon exemple de la diversité des points de vue qui peuvent contribuer à notre compréhension des facteurs, des causes et des expériences personnelles du décrochage. Ce phénomène a été étudié, entre autres, par l’entremise d’une analyse des politiques publiques et des regroupements régionaux qui se penchent sur cette question². Cette étude met à profit un cadre théorique fondé sur l’approche cognitive et normative d’analyse des politiques et se sert d’analyse documentaire et d’observation participante pour recueillir les données. Le décrochage a aussi été exploré dans une perspective plus évaluative, qui portait plutôt sur l’efficacité d’un programme d’intervention qui vise à prévenir le décrochage dès le primaire³. Cette étude, fondée sur un devis expérimental, cherchait à recueillir des données au sujet des effets du programme chez les élèves qui y ont participé, grâce à plusieurs échelles psychométriques. Finalement, l’expérience vécue par les jeunes a été explorée en leur donnant directement la parole par l’entremise d’une étude de cas multiples à caractère biographique fondée sur des entrevues semi-dirigées⁴.

    Pendant plusieurs décennies, ces points de vue étaient considérés comme incompatibles et la validité des études réalisées par un camp n’était pas reconnue par l’autre. Depuis ce temps, les attitudes ont évolué et aujourd’hui, on retrouve de plus en plus de méthodes mixtes, qui permettent de jumeler certains principes positivistes et interprétativistes afin de profiter de l’apport de chacune des épistémologies. Les chapitres de cet ouvrage aborderont donc ces principes de différentes manières, selon l’historique et les postulats de base des méthodes qui sont présentées au cours des pages qui suivent. La pluralité des points de vue et des méthodes utilisées est maintenant acceptée et reconnue comme élément constitutif d’appui à la connaissance et à la compréhension des phénomènes sociaux.

    3/ La démarche de recherche sociale selon le modèle hypothético-déductif

    La recherche sociale est fondée sur l’observation ou l’expérimentation, qui sont les moyens principaux par lesquels les phénomènes sont étudiés. Comme il existe plusieurs formes d’observation et d’expérimentation, les scientifiques respectent une démarche fondamentale, celle de la méthode scientifique. Bien que certains détails puissent varier en cours d’application, la méthode scientifique suit habituellement les étapes suivantes: 1) la détermination du problème ou de la question de recherche à partir des écrits ou d’observations, accompagnée d’une ou de plusieurs hypothèses et d’un cadre théorique; 2) l’élaboration d’une approche méthodologique et des instruments de collecte de données; 3) la collecte de données sur le terrain; 4) l’analyse et l’interprétation des résultats qui permettent ensuite un retour sur la question de recherche en validant ou en infirmant les hypothèses de départ.

    La recherche sociale, selon le modèle hypothético-déductif, comporte généralement les mêmes étapes que la méthode scientifique. Ces étapes sont énumérées dans la section qui suit (tableau 1.1) et seront expliquées dans les chapitres suivants. Cet aperçu général des étapes du modèle hypothético-déductif respecte la séquence chronologique de la recherche qui se reflétera dans la structure générale du présent ouvrage. En corollaire, les étapes de la démarche inductive seront aussi présentées afin de faire ressortir les différences entre les deux modèles et de permettre de s’orienter dans un processus de recherche plus interprétatif.

    Le tableau 1.1 résume ces étapes, ainsi que leurs composantes principales, selon le modèle hypothético-déductif. On y distingue les quatre étapes principales de la recherche ainsi que leurs composantes. Il s’inspire de la démarche présentée dans les éditions précédentes du volume, mais vise à la clarifier davantage à l’aide de termes plus actuels.

    TABLEAU 1.1 / Les étapes principales de la recherche sociale

    3.1/ La problématisation

    La première étape d’une étude, soit la problématisation, commence par l’exploration d’un sujet de recherche et de ses facettes. Le choix d’un sujet est influencé par un certain nombre de facteurs, tels que le domaine ou la discipline d’intérêt (par exemple, l’anthropologie n’aborderait pas le problème du décrochage scolaire de la même manière que l’éducation), les antécédents personnels et professionnels de la personne qui mène la recherche, l’environnement ou le contexte dans lequel la recherche aura lieu et l’avancement des travaux de recherche sur ce problème. La formulation de la problématique, qui est abordée au chapitre 3, cherche à cerner les connaissances manquantes ou incomplètes pour une meilleure compréhension du phénomène d’intérêt. La problématique s’appuie sur une recension des écrits, au cours de laquelle les études qui ont déjà été publiées sur le phénomène sont explorées et synthétisées afin d’y situer la question de recherche. Le chapitre 4 se penche sur cette étape de la recherche documentaire, qui doit être systématique et intentionnelle. La question de recherche, qui est présentée au terme de la problématique, est un élément essentiel de la démarche, puisqu’elle oriente ensuite toutes les décisions ultérieures relatives à la recherche.

    Elle peut se décliner en plusieurs questions, ou objectifs, selon la complexité de l’étude prévue.

    Une fois la question de recherche consignée, on procède ensuite à l’élaboration d’un cadre théorique ou conceptuel, qui est présenté au chapitre 5. Le cadre théorique ou conceptuel de l’étude constitue «la fondation» sur laquelle reposera la construction de l’étude. Ce cadre permet, dans certains cas, de générer des hypothèses quant aux relations qui existent entre les variables principales de l’étude. Il permet ainsi d’éviter de «réinventer la roue» en présentant clairement les relations qui ont déjà été établies dans les études précédentes. La dernière composante de la première étape de la recherche porte sur la modélisation, qui vise à élaborer un modèle mathématique ou logique des variables et des relations qui pourraient exister entre elles. La modélisation, qui s’applique à divers types d’études, est décrite au chapitre 6.

    3.2/ La conceptualisation de l’étude

    Après que le sujet de la recherche eut été délimité et que la question de recherche eut été formulée clairement, certains choix s’imposent quant à la collecte de données. La seconde étape préparatoire à l’étude porte sur sa conceptualisation (chapitre 7). Cette étape a comme objectif l’établissement d’un plan de recherche, aussi appelé «devis» ou «proposition de recherche». Cette proposition de recherche comprend des informations détaillées au sujet de la collecte de données qui sera réalisée. Elle comprend les indicateurs ou les définitions précises des concepts principaux et des mesures s’y rattachant (chapitre 9), des informations au sujet de la sélection des participants et de l’échantillonnage (chapitre 10), et les instruments nécessaires pour recueillir les données sur le terrain. Afin de protéger les participants tout au long de l’étude, une demande d’approbation au comité d’éthique institutionnel fait aussi partie de cette étape (chapitre 11). Le plan de recherche établi au terme des deux premières étapes de la démarche, la problématisation et la conceptualisation, démontre la pertinence scientifique et sociale de la proposition de l’étude définie par la problématisation, ainsi que la validité de l’approche méthodologique qui y est proposée.

    3.3/ La collecte de données

    La collecte de données, qui constitue la troisième étape de la démarche, peut s’effectuer à l’aide de plusieurs méthodes et instruments, selon la posture épistémologique et méthodologique retenue dans le plan de recherche. Ces méthodes peuvent servir à recueillir des données qualitatives, comme l’entrevue semi-dirigée (chapitre 13), l’approche (autobiographique (chapitre 14), le groupe de discussion (chapitre 15) et l’analyse documentaire (chapitre 16). Elles peuvent aussi servir à recueillir des données quantitatives, comme le sondage (chapitres 17 et 21) et les données secondaires (chapitre 18). Certaines méthodes se prêtent aussi bien à la collecte des données qualitatives que quantitatives, comme l’observation directe (chapitre 12). Dans certains cas, d’autres approches plus vastes permettent d’intégrer diverses méthodes de collecte, comme l’étude de cas (chapitre 8), ou favorisent la collecte de données dans des contextes différents de ceux de la recherche traditionnelle, comme la recherche-action (chapitre 19). Cette étape permet de mettre l’équipe de recherche en relation directe avec les personnes qui participent à l’étude; elle peut durer plusieurs mois, voire des années, ou être beaucoup plus courte. Le choix de la ou des méthodes dépend donc du type de données à recueillir, des compétences et de l’expertise de l’équipe de recherche et des ressources qui sont disponibles pour réaliser l’étude. Des compromis sont parfois nécessaires pour obtenir des données de qualité; par exemple, dans certains cas, on évalue l’importance de l’optimisation du temps et des ressources disponibles au regard des sources de données et de leur fiabilité et l’on détermine la meilleure stratégie à suivre.

    3.4/ L’analyse et l’interprétation des résultats

    Lorsque les activités de collecte sur le terrain sont terminées, l’étape suivante consiste à organiser, traiter et analyser des données afin de répondre à la question de recherche. Bien que les procédures d’analyse des données ne soient pas présentées de manière explicite dans cet ouvrage, plusieurs chapitres en abordent certains éléments afin de compléter la démarche. D’autres chapitres examinent aussi des sujets qui débordent du cadre des techniques d’analyse, mais qui peuvent influencer l’ensemble de la démarche, y compris l’analyse. Pensons, par exemple, aux chapitres qui portent sur l’objectivité scientifique (chapitre 20), les différences entre la recherche universitaire et la recherche organisationnelle (chapitre 22) et les défis contemporains de la recherche sociale (chapitre 23).

    Après l’exercice analytique vient l’élaboration des résultats de l’étude. Les résultats doivent être abordés dans le contexte d’écrits récents sur le sujet. Cette contextualisation permet de répondre à la question de recherche et, par le fait même, de contribuer à l’avancement des connaissances sur le sujet. Les résultats de l’étude doivent aussi être diffusés dans la communauté scientifique, ainsi qu’auprès d’autres parties prenantes. Ce travail de transfert des connaissances est essentiel et peut se faire de différentes manières, selon les besoins et le contexte de chacun des groupes ciblés.

    Une étude portant sur l’opinion de la population québécoise au sujet de la séparation parentale nous permet d’illustrer la démarche de recherche selon le modèle hypothético-déductif. La recherche, publiée par Saint-Jacques, Godbout et Ivers⁵, vise à décrire l’opinion de la population québécoise sur ce sujet et à définir les profils sociodémographiques des répondants. Son objectif ultime est de déterminer s’il est nécessaire de mettre en place des mesures pour contrecarrer la stigmatisation des familles séparées. Pour ce faire, l’article publié au terme de l’étude décrit la problématique de la stigmatisation des familles séparées et son évolution dans le temps en faisant état des connaissances actuelles sur le sujet. On peut ensuite y lire les tendances générales à ce sujet, par la présentation des résultats de divers sondages d’opinion menés dans d’autres juridictions ou auprès d’autres populations cibles. L’article décrit ensuite la conceptualisation de l’étude, qui a été effectuée par un sondage en ligne réalisé en 2013 auprès d’un échantillon représentatif de la population adulte du Québec. Au total, 1202 personnes ont participé à l’étude. Le sondage comprenait des questions sociodémographiques sur les caractéristiques conjugales et familiales, ainsi que des échelles d’opinion. Les échelles portaient plus particulièrement sur l’acceptabilité de la séparation, ses conséquences pour les enfants et la valeur des familles monoparentales par rapport aux familles dites «intactes». Chaque échelle comportait une série d’énoncés, pour lesquels les membres du groupe devaient indiquer leur niveau d’accord lors de la collecte de données. En combinant les deux types de questions (sociodémographiques et opinion), l’analyse et l’interprétation ont permis de dégager cinq profils d’opinion sur la séparation, et d’associer ces profils à certaines caractéristiques sociodémographiques. Les regroupements peuvent varier en fonction de la région habitée, du groupe d’âge et de la situation familiale. Les trois responsables du texte concluent, en fonction de leurs résultats, que leur étude révèle une dissonance entre la situation familiale de la population du Québec, qui tend de moins en moins vers la structure familiale traditionnelle, et ses opinions, qui tendent à favoriser ce type de structure. Il semble donc que les répondants vivent une réalité, des expériences vécues qui ne correspondent pas à un idéal ou, du moins, à un discours exprimé dans cette étude.

    La démarche hypothético-déductive, telle que présentée au tableau 1.1, semble linéaire. Les quatre étapes sont bien distinctes et on peut constater que chacune d’entre elles mène à la suivante de manière logique et fluide. Évidemment, bien que les quatre étapes principales soient relativement distinctes, en pratique, il peut y avoir des chevauchements et des retours. Le travail «de terrain» exige souvent de la flexibilité et une bonne capacité d’adaptation, puisqu’il n’est pas toujours possible de prévoir certains détours. Ainsi, les étapes et leurs composantes servent plutôt de modèle heuristique qui nous permet de mieux conceptualiser l’ensemble de la démarche.

    4/ La démarche de recherche sociale selon le modèle inductif

    Le modèle inductif reprend sensiblement les mêmes éléments que le modèle hypothético-déductif, mais l’ordre chronologique des étapes diffère. Puisque l’objectif principal de la recherche inductive est de décrire et comprendre les phénomènes peu connus ou qui ont besoin d’éclaircissement, la problématisation débute habituellement par une observation, plutôt que par une recension des écrits complète. L’observation constitue le fondement de la formulation d’une question provisoire qui orientera la collecte de données sur le terrain. Ainsi, la collecte de données est moins influencée par les écrits antérieurs et porte souvent sur un phénomène très précis. L’objectif de la recherche inductive n’est pas de généraliser les résultats de l’étude à une population plus vaste, mais bien de comprendre un phénomène unique et parfois, d’appliquer les résultats à des cas semblables dans l’avenir. C’est d’ailleurs pour cette raison que la recherche inductive utilise surtout des méthodes de recherche qualitatives, qui permettent de documenter les phénomènes et les points de vue de manière narrative, afin de procéder à une analyse étoffée et contextualisée.

    L’analyse des données qualitatives ne vise pas à «compter», mais bien à résumer les informations recueillies selon une procédure systématique. Dans un premier temps, une lecture détaillée permettra l’appropriation de l’ensemble des données recueillies. Celles-ci seront ensuite organisées en «unités de sens» représentées par des mots, des groupes de mots ou encore des phrases qui ont une signification précise et particulière. Dans un deuxième temps, les unités de sens sont regroupées, codées et étiquetées, ce qui permet de dégager certaines tendances générales. Ces tendances peuvent ensuite être décrites afin de faire ressortir les résultats préliminaires de l’étude et de répondre à la question provisoire.

    Les résultats de l’étude permettent d’apporter une réponse à la question provisoire, ce qui suscite une nouvelle réflexion sur la formulation de la question. On peut alors décider de reformuler la question et de faire une nouvelle collecte de données, ou encore d’intégrer les résultats à un nouveau modèle ou un modèle existant pour ensuite formuler une nouvelle question de recherche. Ainsi, le modèle inductif vise l’avancement des connaissances grâce à la formulation et la reformulation de modèles et de questions de recherche, qui font l’objet de nouvelles collectes de données.

    La question du recours aux écrits scientifiques dans le cadre d’une recherche inductive peut porter à confusion. La recherche inductive tend à débuter par une série d’observations qui visent à formuler une question de recherche provisoire. Le recours aux écrits antérieurs et aux cadres théoriques favorisé par la recherche déductive joue quand même un rôle important tout au long de la démarche de la recherche inductive, mais présente moins de profondeur au cours de l’étape de la problématisation et de la conceptualisation de l’étude. Une recherche inductive portant sur la négociation des rôles entre des membres du personnel enseignant et des parents en contexte de diversité culturelle⁶ illustre trois manières dont les écrits scientifiques ont été mobilisés. En premier lieu, ils ont contribué à la problématisation et à la conceptualisation en fournissant une vue générale sur la négociation entre les parents et le corps enseignant en contexte scolaire. Cette recension a fourni une perspective plus claire sur ce que devait être le sujet principal de l’étude en faisant ressortir l’importance des cadres de référence culturels dans les interactions entre les deux parties en présence. En deuxième lieu, la recension a aussi mené à l’adoption de la perspective interactionniste qui a orienté l’étude en définissant le concept de négociation. La recension ne visait pas, cependant, à brosser un portrait exhaustif des études antérieures dans ce domaine. Au cours de l’étape de la collecte et de l’analyse, qui comportait des entrevues semi-dirigées auprès des deux groupes ainsi qu’une observation et une analyse documentaire, les écrits scientifiques ont appuyé la création de catégories conceptuelles qui ont contribué à l’interprétation des données et à l’établissement de liens entre certains thèmes émergents. En troisième lieu, les écrits ont permis de dégager certaines possibilités de transfert des résultats à des contextes connexes, en reliant les résultats à leurs conditions d’apparition et aux apports conceptuels des écrits antérieurs.

    Il est important de noter que le modèle inductif est loin d’être linéaire, même si les étapes décrites dans ce chapitre peuvent le sembler. Il est plutôt itératif, c’est-à-dire que chaque étape alimente la suivante, et réflexif, c’est-à-dire que les retours sont permis au fur et à mesure que nos connaissances avancent. La collecte de données qualitative n’est donc pas statique et unidirectionnelle; au contraire, la collecte et l’analyse sont en dialogue tout au long de la démarche.

    Les critères de qualité de la recherche sociale

    Quelles que soient la discipline concernée ou les méthodes utilisées, il existe certains principes fondamentaux qui doivent guider la recherche scientifique.

    Le National Research Council⁷, aux États-Unis, a publié des normes de qualité en recherche scientifique dans le domaine de l’éducation. Ces normes s’appliquent aussi aux autres domaines des sciences sociales et permettent d’évaluer les articles et les rapports de recherche.

    1. La recherche vise à répondre à des questions pertinentes et factuelles qui se prêtent à une étude empirique et qui sont fondées sur une recension des écrits scientifiques.

    2. Toute recherche scientifique doit être fondée sur un cadre théorique ou conceptuel, de manière implicite ou explicite. Ce cadre permet de mieux situer la recherche et d’interpréter les résultats.

    3. Les méthodes de collecte choisies doivent refléter la question de recherche et être appliquées de manière rigoureuse tout au long de la démarche.

    4. La démarche proposée doit décrire les liens logiques qui existent entre la question de recherche, le cadre théorique et les observations empiriques.

    5. Les résultats de la recherche doivent être vérifiables, dans la plus grande mesure du possible, afin d’en permettre la généralisation ou le transfert.

    6. Pour que la recherche contribue à élargir le champ des connaissances, les résultats doivent être diffusés afin d’en permettre l’examen par les pairs.

    Conclusion

    L’équipe qui a participé à la rédaction de cet ouvrage a tenté d’établir les fondements de la réflexion scientifique en sciences sociales. Les chapitres traitent, selon leurs sujets particuliers, des principes qui font l’unanimité ainsi que des questions et des débats qui continuent d’animer les discussions dans la communauté scientifique. L’ouvrage se veut d’ordre général et multidisciplinaire afin de fournir un aperçu de la démarche scientifique en sciences sociales. Des écrits plus spécialisés, comme ceux qui sont proposés dans la section des références, permettront aux personnes intéressées de dépasser les contraintes et les limites de cet ouvrage et d’obtenir des informations encore plus détaillées au besoin. La maîtrise de la démarche de recherche et de ses méthodes est un défi qui dure toute une carrière – cet ouvrage représente une porte d’entrée vers un monde de connaissances et d’apprentissage.

    Suggestions de lecture

    DEMARRAIS, K. et S. LAPAN (2004). Foundations for Research: Methods of Inquiry in Education and the Social Sciences, New York, Routledge.

    GARNER, M., C. WAGNER et B. KAWULICH (2016). Teaching Research Methods in the Social Sciences, Londres, Routledge.

    LARMÈRE, N. et M. CORBIERE (2014). Méthodes qualitatives, quantitatives et mixtes: dans la recherche en sciences humaines, sociales et de la santé, Québec, Presses de l’Université du Québec.

    LAURENCELLE, L. (2005). Abrégé sur les méthodes de recherche et la recherche expérimentale, Québec, Presses de l’Université du Québec.

    SOMEKH, B. et C. LEWIN (2005). Research Methods in the Social Sciences, Londres, Sage Publications.

    WEATHINGTON, B., C. CUNNINGHAM et D. PITTENGER (2010). Research Methods for the Behavioral and Social Sciences, Hoboken, John Wiley & Sons.

    1 LAURENCELLE, L. (2005). Abrégé sur les méthodes de recherche et la recherche expérimentale, Québec, Presses de l’Université du Québec.

    2 BERNATCHEZ, J. (2018). «Les instances régionales de concertation (IRC) sur la persévérance scolaire et la réussite éducative: analyse politique d’un instrument d’action publique visant à contrer le décrochage scolaire au Québec», Revue hybride de l’éducation, 2(2), p. 24-47, , consulté le 6 octobre 2020.

    3 ARCHAMBAULT, I., M. JANOSZ, S. PASCAL, A. LECOQ, M. GOULET et S.L. CHRISTENSON (2016). «Évaluation de l’efficacité du programme d’intervention Check and Connect à l’école primaire», Revue de psychoéducation, 45(2), p. 343-369, , consulté le 6 octobre 2020.

    4 LAFORTUNE, G. et F. KANOUTÉ (2019). «Récits d’expériences de jeunes issus de l’immigration en situation de décrochage: quand l’école ne marche pas ou est un bad trip», Éducation et francophonie, 47(1), p. 131-148, , consulté le 6 octobre 2020.

    5 SAINT-JACQUES, M.-C., E. GODBOUT et H. IVERS (2016). «Opinions de la population québécoise à l’égard de la séparation parentale», Cahiers québécois de démographie, 45(2), p. 247-267, , consulté le 6 octobre 2020

    6 CONUS, X. (2018). «Mobilisation des écrits scientifiques dans une recherche inductive sur la négociation des rôles entre enseignants et parents minoritaires», Approches inductives, 5(1), p. 37-63, , consulté le 6 octobre 2020.

    7 SHELLY, M.C., L.D. YORE et B. HAND (dir.) (2009). Quality Research in literacy and Science Education: International Perspectives and Gold Standards, New York, Springer Science.

    CHAPITRE 2 /

    Les fondements de la connaissance

    Catherine Côté et Jonathan Lorange-Millette

    La quête de la connaissance est inextricablement associée au développement de l’être humain. Souvent liée à l’idée de progrès¹, elle semble perpétuelle. Que ce soit pour améliorer son sort, pour comprendre le monde qui nous entoure ou pour repousser les limites du savoir, nous participons, à des degrés divers, à cette quête. Pourtant, d’où la connaissance nous vient-elle? Est-ce que toutes les formes de connaissance se valent? Comment fait-on pour déterminer la valeur des connaissances acquises? Dans ce chapitre, nous verrons quels sont les fondements de la connaissance, tant d’un point de vue historique que philosophique. Nous passerons d’abord en revue les différentes sources de connaissance et la façon dont la pratique scientifique est apparue au courant de l’histoire. Nous mettrons ensuite en perspective la manière dont le contexte sociologique influence notre conception de la science. Enfin, nous reviendrons sur la différence entre les sciences naturelles et les sciences sociales, et sur les leçons que nous pouvons en tirer lorsque nous faisons de la recherche en sciences sociales.

    1/ Les sources de connaissance²

    1.1/ Les savoirs spontanés

    L’être humain doit sa survie et son développement à l’acquisition de connaissances. Au départ, il est en effet un animal qui a peu de moyens de défense ou même d’attaque. N’ayant ni carapace, ni griffes, ni cornes, ni dents acérées, il devait pourtant assurer sa survie dans un monde hostile. L’humain de l’ère préhistorique a ainsi rapidement dû utiliser des armes et des outils pour se défendre, pour chasser et pour dépecer sa nourriture. Enfin, peut-être que l’intuition lui a permis de comprendre que les animaux craignaient le feu, comme il l’avait lui-même redouté, et qu’il pouvait donc l’utiliser comme outil de défense, ce qui l’a incité à tenter de le maîtriser. C’est sans doute en utilisant cette forme immédiate de savoir qu’il a pu acquérir une compréhension des phénomènes qui se produisaient autour de lui. L’acquisition des connaissances se constituerait ainsi à partir de la perception des sens et de la faculté intellectuelle (la raison) d’appréhender le monde³. Encore aujourd’hui, nous faisons souvent appel au «sens commun» qui nous permet une compréhension simple de la réalité sans avoir effectué de véritables vérifications. Il faut toutefois se méfier, car c’est cette même intuition qui nous a longtemps laissé croire que puisque le Soleil se levait d’un côté de la Terre et qu’il se couchait de l’autre, c’était nécessairement lui qui tournait autour de notre planète.

    L’évolution des connaissances se fera très lentement. La maîtrise du feu, il y a plus de 400 000 ans avant notre ère, permettra aux hominidés d’avoir plus de temps de veille, et ainsi plus de temps pour échanger⁴. Il faudra toutefois attendre un développement suffisant du langage pour que les premiers humains soient en mesure de transmettre leur savoir adéquatement à leur descendance⁵. À partir de ce moment, les choses commenceront à évoluer plus rapidement. On suppose que l’occurrence de certains phénomènes a incité les gens à croire que l’un était la cause de l’autre. Le bagage de connaissances ainsi acquis dictera différents préceptes qui permettront notamment la pratique de l’agriculture. Ce savoir sera transmis par tradition, c’est-à-dire qu’on se basera sur les indications qui ont été données par les générations précédentes pour savoir quand il convient de semer ou de récolter, par exemple. Si certaines traditions se sont montrées de bon conseil, d’autres, ayant parfois encore cours aujourd’hui, constituent plutôt des superstitions liées à la coïncidence de phénomènes. Avec l’amélioration des outils, et surtout le développement de l’agriculture, les humains pourront se sédentariser et construire des demeures plus permanentes. Ils devront également échanger avec de plus en plus d’autres humains et composer avec une nouvelle organisation de la vie en société, ce qui sous-tend différentes formes d’autorité. Une grande partie du savoir lié à la tradition sera d’ailleurs transmise par des figures d’autorité: parents, personnel enseignant, médecins, chefs spirituels, membres de gouvernements, souvent par l’entremise des grandes institutions, tels l’Église, l’école ou l’État. Quelle que soit la qualité intrinsèque de ce savoir, c’est le degré de confiance accordé à la figure d’autorité qui le transmet qui déterminera s’il sera considéré comme crédible.

    Le fonctionnement du cerveau humain a peu changé depuis la préhistoire. Les mécanismes de la pensée qui ont permis d’assurer la survie de l’être humain, soit de comprendre instantanément une nouvelle situation afin de prendre une décision rapide qui pourra assurer sa survie, sont toujours à l’œuvre à notre époque⁶. Malgré la complexité des choix qui s’offrent aujourd’hui, ne serait-ce par exemple que lors des élections quand il s’agit de comparer des plateformes électorales, le cerveau humain tend à vouloir malgré tout prendre un raccourci heuristique pour en arriver à une décision. Malgré toutes les informations qui lui sont accessibles, il se basera souvent davantage sur ses impressions (intuition) et sur les sources qui vont dans le même sens que ce qu’il pense déjà (attention sélective), sinon sur les discours de personnes en qui il a confiance (autorité). Il n’est donc pas étonnant que les infausses⁷ fonctionnent si bien aujourd’hui. L’esprit scientifique implique donc de faire un véritable effort de réflexion (raisonnement) pour sortir des sentiers battus (tradition) et vérifier soi-même les faits, tout en laissant de côté ses préjugés⁸, ce qui n’est pas une mince affaire quand on sait que notre cerveau nous incite à faire le contraire…

    1.2/ Les savoirs raisonnés

    Le savoir scientifique tel que nous le concevons aujourd’hui a pris racine dans la Grèce antique, tout d’abord par l’entremise des sophistes⁹ qui ont recours à la pratique, à l’expérience et à l’observation afin d’établir la base des connaissances nécessaires qu’ils doivent enseigner à la classe dirigeante pour qu’elle puisse bien comprendre la société et ainsi mieux la diriger. Les philosophes grecs, notamment Platon¹⁰ et Aristote, développeront également les outils de la logique et du principe de causalité selon lequel une cause entraîne une conséquence, et une conséquence pourra être comprise par la saisie de la cause. Ils préciseront également le principe du raisonnement déductif (un énoncé général qui s’applique à des faits particuliers) et plus tard, du raisonnement inductif (les faits particuliers vers le général).

    Dans le Livre VII de La République¹¹, Platon utilise l’allégorie de la caverne pour expliquer comme il est difficile pour l’être humain d’avoir accès à la connaissance et, qui plus est, de la transmettre aux autres. L’image qu’il prend pour illustrer cette difficulté est assez dure: dans une caverne, des hommes sont enchaînés et ne peuvent percevoir du monde extérieur que les ombres projetées par un feu à l’entrée de la caverne et quelques échos sonores. Lorsque l’un d’eux est libéré et qu’il parvient à voir la lumière du jour, il est aveuglé par tant de lumière qu’il peine à assimiler cette nouvelle situation. Cette nouvelle perception de la réalité est si violente qu’il préférera son ancienne situation. Puis, lorsqu’il prendra conscience de la nature de cette nouvelle réalité, il devra se faire violence pour retourner dans la caverne. Enfin, lorsqu’il tentera d’expliquer cette réalité à ses anciens compagnons, ils seront incapables de le croire et voudront même le tuer.

    Les philosophes nous légueront également la distinction entre sujet et objet. Elle se révèle toujours d’actualité, puisqu’elle permet de distinguer le sujet, celui cherchant à connaître, de l’objet, celui que l’on cherche à connaître. Cette précision est d’autant plus pertinente en sciences sociales qu’il s’agit d’êtres humains qui étudient d’autres humains et qui, dès lors, peuvent, comme le soulignait le sophiste Protagoras¹², avoir une perception des choses qui varie d’une personne à l’autre. De plus, étant donné leurs valeurs propres, les équipes de recherche ne sont pas à l’abri d’une mauvaise perception de la réalité. C’est sans doute ce qui motivera Pyrrhon¹³ à proposer d’y remédier en affirmant la nécessité de toujours faire preuve d’un certain scepticisme. Ce principe sera d’ailleurs repris plus tard, à la Renaissance, par Descartes¹⁴ sous la forme du doute méthodique, et qui est d’ailleurs considéré comme la base de l’esprit scientifique.

    Avec l’Empire romain, il y aura peu de progrès en matière de conception théorique de l’acquisition du savoir. Par contre, on assistera à une mise en pratique importante du savoir, et de nombreux domaines connaîtront alors des progrès spectaculaires sur le plan technique, notamment en ce qui a trait à la guerre, mais également à l’architecture, à l’urbanisme, à l’agriculture et à la cartographie¹⁵.

    On retrouvera un peu plus de réflexion philosophique sur l’héritage des philosophes au Moyen Âge, mais cette réflexion se fera dans le cadre du christianisme et la théologie dominera cette période. C’est d’ailleurs pour cette raison que la position de Nicolas Copernic quant à l’héliocentrisme fut si mal reçue par les érudits de l’époque.

    La révolution copernicienne est un exemple typique d’une révolution scientifique au sens où l’entend Thomas Kuhn¹⁶. En effet, la découverte de Copernic, voulant que la Terre tourne autour du Soleil, amène une conception radicalement différente de la façon de se représenter la réalité qui prévalait à l’époque. Alors que depuis Ptolémée il était convenu de se représenter la Terre comme étant au centre de tout, cette nouvelle conception laissera croire, et cela sera par la suite confirmé par d’autres érudits, notamment Galilée et Newton, que l’Univers puisse être infini. Il sera donc très difficile pour plusieurs des savants du XVIe siècle d’accepter l’idée que la Terre soit mobile, en plus de ne pas être au centre de l’Univers¹⁷. Après de vifs échanges, les universitaires de l’époque rejetèrent ses conclusions, mais 100 ans plus tard, il était réhabilité par les travaux d’autres chercheurs qui abondaient dans le même sens¹⁸. Ce changement de «paradigme», selon Kuhn, fit en sorte qu’on ne revint plus par la suite au géocentrisme: une révolution avait fait en sorte de changer la perception de la réalité à un point tel que c’est à partir de cette nouvelle perception que la science irait de l’avant. De plus, Copernic nous lègue ainsi une leçon fondamentale: la réalité des choses peut être bien différente de ce que nous pouvons percevoir au premier abord, elle peut même être tout à fait contre-intuitive.

    La Renaissance sera quant à elle marquée par une véritable effervescence dans tous les domaines, autant dans les arts, les explorations outremer, les grandes découvertes que dans la sphère scientifique. En effet, malgré la recrudescence de la sorcellerie et de l’alchimie, cette période sera marquée par un engouement pour l’Antiquité et une relecture de l’époque, notamment des philosophes grecs¹⁹. On réinterprétera cet héritage philosophique en misant sur l’observation empirique et l’expérimentation. Francis Bacon développera d’ailleurs une théorie empiriste de la connaissance et élaborera les règles de la méthode expérimentale, devenant ainsi le précurseur de la méthode scientifique moderne²⁰. Le XVIIe siècle verra ainsi s’imposer l’empirisme, soit le principe selon lequel c’est par l’observation de faits mesurables que l’on émet une hypothèse selon un raisonnement déductif (raisonnement hypothético-déductif), qu’on mettra ensuite à l’épreuve par l’expérimentation. On cherchera de plus à aller plus loin que l’explication des phénomènes, en tentant de découvrir les «lois naturelles» qui sont derrière ces explications. La loi de la gravitation universelle d’Isaac Newton en est un bon exemple.

    1.3/ La science triomphante

    Le XVIIIe siècle, appelé «Siècle des Lumières», marquera le triomphe de la raison. On cherchera à sortir de l’obscurantisme, c’est-à-dire de la superstition et de l’intolérance, en faisant la promotion de la science, de la raison et de la connaissance et en essayant de diffuser ce savoir. On publiera ainsi des ouvrages scientifiques qui se veulent exhaustifs de la somme des connaissances acquises jusqu’alors, notamment l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, qui comptait 28 volumes, écrits entre 1751 et 1772, consacrés au savoir sous toutes ses formes²¹.

    Le XIXe siècle marquera, quant à lui, le triomphe de la science. Les découvertes vont abonder grâce au développement de la recherche fondamentale (l’explication des phénomènes), aux nouvelles façons de faire, aux améliorations techniques et à l’expansion de la recherche appliquée (résolution de problèmes concrets). Le rythme effréné de tous ces changements, jumelé aux nouveaux moyens de production à grande échelle, modifiera tous les aspects du quotidien, de la santé au transport, en passant par les communications et l’électrification. On associera alors la science au progrès, mais ce ne sera pas sans dérives, comme la justification du racisme et du colonialisme avec le darwinisme social, ou même les tentatives d’améliorer la race humaine (eugénisme)²². C’est également durant cette période qu’on commencera à s’inquiéter des scientifiques qui tentent de se substituer à Dieu et qui finissent par créer des monstres, comme Dr Frankenstein, Dr Jekyll ou Dr Moreau²³.

    Charles Darwin révolutionnera la biologie en 1859 avec son ouvrage De l’origine des espèces²⁴. Sa théorie sur la sélection naturelle sera toutefois plus difficilement acceptée et c’est seulement dans les années 1930 qu’elle sera plus largement admise par la communauté scientifique comme explication logique de la diversité des formes de vie. Ses détracteurs ne viendront pas uniquement du milieu scientifique. Pour certains, dire que l’être humain descend du singe cautionne les bas instincts et, dans un contexte social où les mœurs changent rapidement, il devient dangereux d’enseigner cela aux jeunes. C’est ainsi qu’au Tennessee, le Butler Act sera adopté en 1925 pour interdire au personnel enseignant de nier que l’humain est une création divine. Un enseignant, John Scopes, bravera cette interdiction et subira un procès baptisé le «procès du singe²⁵». Il perdra sa cause, mais l’affaire ayant été très médiatisée, elle permettra à la théorie de Darwin d’acquérir plus de notoriété. Ce cadre théorique deviendra ainsi populaire et sera repris par la suite dans d’autres domaines que la biologie, notamment en économie, en administration, et même pour expliquer l’apparition du langage²⁶.

    1.4/ Les sciences sociales

    Au début de la deuxième moitié du XIXe siècle, les sciences sociales n’ont pas encore connu le même développement que les sciences naturelles et cherchent à établir leur crédibilité. C’est dans cette perspective que les sciences sociales s’inspireront des méthodes propres aux sciences naturelles en adoptant le positivisme, soit l’étude des faits sociaux en tant que phénomènes naturels. Inspiré par les écrits d’Auguste Comte²⁷, le positivisme soutient qu’il est possible de considérer les phénomènes sociaux comme des choses et de les expliquer en mettant en évidence leurs régularités. Il s’appuie sur cinq grands principes, soit l’importance de l’expérience de la réalité par les sens (empirisme); l’absence d’influence du sujet sur l’objet (objectivité); la mise à l’épreuve des faits à l’aide d’une hypothèse (expérimentation); le contrôle des variables et des conditions de l’expérimentation à des fins de reproductibilité (validité); et la recherche de lois déterministes à partir des résultats obtenus (lois et prévision).

    En ce sens, les approches positivistes cherchent très souvent à employer un mode d’explication nomothétique, c’est-à-dire qui vise à expliquer le plus grand nombre de cas possibles à l’aide d’un nombre limité de variables. Elles cherchent ainsi à répertorier un petit nombre de causes capables d’expliquer un grand nombre d’effets. Elles favorisent l’utilisation de données empiriques observables et mesurables et accordent souvent une place importante aux approches quantitatives.

    Dans une autre optique, l’analyse holiste considère que le tout est plus que la somme de ses parties, c’est-à-dire que l’organisation des individus entraîne l’apparition de propriétés propres au groupe et à la forme de son organisation. La structure apparaît ainsi comme un critère déterminant de l’explication des dynamiques sociales qui ne paraissent pas nécessairement lorsqu’on observe l’action des humains et qu’on les considère de manière isolée. À cet effet, Émile Durkheim, dans son ouvrage Les Règles de la méthode sociologique, insistera sur le fait que les actes individuels ne peuvent être expliqués que si l’on étudie la société et les normes sociales qu’elle impose²⁸. L’individualisme méthodologique, parfois désigné par «atomisme», considère que l’étude des individus eux-mêmes permettra d’expliquer les phénomènes sociaux comme le résultat de l’agrégation du comportement de ces différents individus²⁹.

    Le positivisme marquera ainsi l’avancement des sciences sociales, et surtout, leur permettra de se développer en insistant sur l’importance de la rigueur et de l’utilisation de la méthode scientifique. Toutefois, la complexité de la réalité sociale rend parfois le modèle positiviste inadéquat. La difficulté de contrôler les variables ou les circonstances de certains phénomènes sociaux, la rareté des cas où il est possible d’être prédictif, ou encore le malaise des scientifiques qui réagissent à ce qu’ils observent ont tôt fait d’entraîner une vague d’opposition. À partir du milieu du XXe siècle, plusieurs vont tenter de redéfinir la façon de faire de la recherche sociale, notamment en revenant aux principes mêmes de l’épistémologie. En effet, même si l’on accepte l’importance d’utiliser une méthode et d’être rigoureux, tout le monde ne s’entend pas sur les principes épistémologiques qui justifient l’utilisation d’une méthodologie plutôt qu’une autre. C’est justement cette quête épistémologique des sciences sociales que nous aborderons dans la prochaine section.

    2/ L’étude de la science

    Tout comme les philosophes de l’Antiquité l’avaient expliqué, le but fondamental de la science est de concevoir une représentation du monde en mesure d’expliquer l’origine et le fonctionnement des phénomènes qu’on y retrouve. Or la science n’est pas une activité désincarnée, elle est proprement humaine, elle vit par l’intermédiaire des individus qui la pratiquent. La science est donc elle-même un objet de recherche et voit ses façons de faire soumises à une évaluation de ses limites et de ses potentialités. Son étude peut se diviser en deux grandes approches, soit l’étude du fonctionnement de la science dans la pratique, en tant qu’activité dépendante d’un contexte social et historique, qu’on peut désigner comme une approche sociohistorique; ou encore l’étude des raisonnements et des formes de justifications qui permettent la formation d’une connaissance scientifique valable et bien fondée, soit l’approche normative. Parce qu’elle cherche à déterminer des normes qui permettent d’obtenir des résultats valables, cette dernière repose en grande partie sur un travail philosophique.

    2.1/ L’approche sociohistorique

    L’approche sociohistorique cherche à comprendre la science en examinant le travail des scientifiques ainsi que l’évolution des modes de représentation du monde que proposent leurs théories. Elle suggère que les découvertes et le contenu des théories découlent, au moins en partie, du contexte historique et sociopolitique au sein duquel elles ont été produites. La science est ainsi influencée par les conditions sociales dans lesquelles se déroule le travail de recherche. Elle s’intéresse ainsi aux influences externes que subissent les scientifiques en tant qu’individus appartenant à des communautés. Au cœur de cette approche, on peut distinguer l’histoire des sciences et la sociologie des sciences.

    L’auteur que l’on associe le plus souvent à une analyse historique du progrès scientifique est Thomas Kuhn, notamment par son ouvrage principal La structure des révolutions scientifiques. Il faut toutefois préciser d’emblée que Kuhn s’intéresse exclusivement aux sciences naturelles, même s’il est souvent repris comme modèle pour expliquer les débats théoriques qui ont cours au sein des différentes disciplines qui existent en sciences sociales.

    Pour Kuhn, la science est une entreprise fondamentalement dogmatique lorsqu’elle fonctionne normalement. Il emploie le concept de science normale pour désigner le contexte que l’on rencontre le plus souvent d’un point de vue historique, c’est-à-dire le moment où la science fonctionne sans rencontrer d’embûches majeures. Au sein de ce contexte, les scientifiques cherchent à résoudre des problèmes ponctuels et ne remettent pas en question la plupart des lois ou des principes qui sous-tendent les explications et les théories particulières qu’ils produisent. Kuhn dira de la science normale qu’elle est paradigmatique, c’est-à-dire que les éléments fondamentaux qui structurent la connaissance et la représentation du monde suggérée par la théorie ne sont pas remis en question. Il va de soi que cette situation ne peut durer indéfiniment puisque, tôt ou tard, des expériences empiriques révéleront que la théorie dominante comporte des anomalies. Lorsqu’un nombre croissant de données et d’expériences mettent en évidence les limites de la théorie dominante, les scientifiques sont alors obligés de la remettre en question. C’est à ce moment qu’entre en jeu la notion de science révolutionnaire.

    Lorsqu’un paradigme est suffisamment affaibli, il est remplacé par un nouveau en mesure de pallier les difficultés rencontrées par le premier. Le nouveau paradigme sera donc plus efficace et qualifié de révolutionnaire, permettant à la science de cheminer à nouveau dans un contexte normal. La science évolue ainsi par cycles: elle fonctionne d’abord normalement au sein d’un paradigme, pour ensuite devenir révolutionnaire, ce qui entraîne l’adoption d’un nouveau paradigme, pour ensuite retourner à un état normal, et ainsi de suite. Le changement de paradigme n’est toutefois pas fréquent dans l’histoire des sciences.

    Selon la conception de l’histoire et du progrès scientifique de Kuhn, les paradigmes sont incommensurables. En effet, les paradigmes proposent une vision du monde ainsi que des modes d’explication difficilement compatibles les uns avec les autres, comme si les différents paradigmes ne pouvaient se comprendre, car ils utilisent des langages qui leur sont propres et qui sont difficilement traduisibles. Bien qu’ils ne soient pas complètement irréconciliables, les paradigmes entretiennent un rapport au réel qui est unique. De plus, deux paradigmes ne peuvent coexister à une époque donnée. Si l’on se trouve dans un contexte où les scientifiques emploient des paradigmes distincts sans que l’un d’eux réussisse à s’imposer, nous devons qualifier cette science de «préparadigmatique». Cette situation illustrerait d’ailleurs le cas des sciences sociales, selon Kuhn. En effet, le concept de paradigme ne peut désigner une approche théorique. S’il y avait quelque chose comme un paradigme au sens où Kuhn l’entend en sciences sociales, il n’y en aurait qu’un seul, et les approches théoriques feraient partie de ce paradigme. Ce n’est toutefois pas le cas. On devrait donc plutôt parler d’approches ou de programmes de recherche concurrents en ce qui a trait aux sciences sociales.

    Un autre modèle de l’approche sociohistorique donne quant à lui beaucoup plus d’importance aux conditions sociales de la découverte; il s’agit du «programme fort» de la sociologie des sciences. Les propositions des personnes qui soutiennent cette approche critique du travail de la science fournissent des indications intéressantes sur le regard que les personnes qui font de la recherche en sciences sociales doivent porter sur leur propre travail.

    Le «programme fort» de la sociologie des sciences, que l’on associe surtout à l’école d’Édimbourg et à David Bloor, cherche à évaluer l’importance du contexte social dans le travail scientifique en proposant l’adoption de quatre axes d’étude de la science. Selon cette approche, il faut d’abord démontrer l’influence des différentes causalités externes, qu’elles soient sociales, culturelles, politiques, économiques ou psychologiques, dans la construction et l’acceptation des formes de savoir. Ensuite, il faut être impartial en étudiant l’ensemble du travail de recherche, y compris les théories qui ont échoué. Un principe de symétrie doit être respecté dans l’analyse; l’explication du caractère erroné d’une théorie doit se fonder sur les mêmes critères que la justification d’une théorie efficace. Par exemple, on peut remarquer une tendance forte à démontrer qu’une théorie est juste parce qu’elle correspond aux critères habituels de l’analyse interne d’une théorie ou parce qu’elle se fonde sur une méthodologie solide et reconnue, alors que l’on explique l’échec d’une théorie par les préjugés et le contexte social et politique dans lequel elle a été produite. Finalement, la sociologie des sciences doit elle-même se plier aux critères d’analyse qu’elle impose aux théories scientifiques qu’elle étudie; elle doit être réflexive.

    Les principes développés par les personnes qui soutiennent le «programme fort» de la sociologie des sciences se révèlent particulièrement utiles en sciences sociales, où la distance entre l’objet étudié et le contexte dans lequel se déroule la recherche sont beaucoup plus limités que dans les sciences naturelles. Il est donc recommandé de reconnaître ses propres préconceptions. Celles-ci peuvent par exemple être liées au genre et aux rôles qu’on lui attribue, à l’origine ethnique et culturelle ou aux valeurs politiques de l’individu. S’il est difficile, peut-être même impossible d’y arriver complètement, il doit être possible de prendre du recul en s’interrogeant sur ses propres motivations et systèmes de croyances. Il faut donc faire un effort de neutralité axiologique, pour reprendre le concept de Max Weber. Cela permet à la fois de se remettre en question soi-même et de chercher à connaître ses propres déterminants, en plus d’ouvrir la voie à une meilleure compréhension des phénomènes qui nous entourent.

    Selon Max Weber, dans Le Savant et le politique³⁰, la neutralité axiologique, ou la «connaissance libre de préjugés», signifie qu’il existe une distinction importante entre un «jugement de valeur» et un «rapport aux valeurs». Le rapport aux valeurs s’inscrit dans le respect du principe de neutralité axiologique de la personne qui analyse les valeurs d’une culture sans émettre de jugement normatif sur celles-ci, c’est-à-dire sans porter de jugement sur ces valeurs. Selon la neutralité axiologique, l’individu conserve donc une opinion personnelle quant à l’objet qu’il étudie, mais puisqu’il en est conscient, il fera une analyse qui tiendra compte de la façon dont sa perception peut influencer son analyse. Weber n’est donc pas contre l’engagement politique, bien au contraire, il considère même que cela peut permettre une meilleure connaissance

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