Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

S'il suffisait d'aimer: Dystopie
S'il suffisait d'aimer: Dystopie
S'il suffisait d'aimer: Dystopie
Livre électronique382 pages5 heures

S'il suffisait d'aimer: Dystopie

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Dans un monde où la population est divisée en deux grandes catégories, les Fades et les Normaux, l'amour est plus important que tout. L'Institut, l'organisme regroupant des centaines de spécialistes des sentiments, est le maitre de l'univers, celui qui déclare certaines personnes inaptes à aimer.

À PROPOS DE L'AUTEURE

Sophie Tremblay est une jeune écrivaine de dix-huit ans, mais elle est aussi blogueuse et correctrice. Depuis qu’elle sait tenir un crayon, elle rédige sans cesse des histoires avec mille et un rebondissements. Elle a toujours été passionnée par la science-fiction, ayant grandi avec les célèbres Star Wars et Matrix. C’est lors d’un été comme les autres qu’elle décide de commencer l’écriture de "S’il suffisait d’aimer", un mélange de science-fiction et de romance. Par ce roman, l’auteure nous parle de l’intolérance, de l’amour, de la différence et de la méchanceté de manière bouleversante.
LangueFrançais
Date de sortie11 sept. 2020
ISBN9782374643076
S'il suffisait d'aimer: Dystopie

Auteurs associés

Lié à S'il suffisait d'aimer

Livres électroniques liés

Dystopie pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur S'il suffisait d'aimer

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    S'il suffisait d'aimer - Sophie Tremblay

    cover.jpg

    S’il suffisait d’aimer

    Sophie Tremblay

    Sudarènes Editions

    11 juin 2079

    La Presse

    Découverte majeure !

    Voilà déjà quelques mois que l’Institut de l’Amour mène l’enquête afin de découvrir les origines de ce que nous appelons l’amour. Notre âme est-elle unie à une autre personne dans l’univers ou est-ce possible d’éprouver des sentiments pour plusieurs prétendants ? Est-ce possible de n’aimer personne ? Est-ce que notre corps a été créé pour aimer un individu du sexe opposé ou de notre propre sexe ? Est-ce que nos intuitions sont vraiment exactes ?

    Toutes ces questions, l’Institut se les pose et cherche activement à en connaitre les réponses. Afin de permettre aux recherches de donner des résultats au plus vite, certains citoyens de la ville de New York ont d’ailleurs choisi de se présenter comme cobayes. Depuis quelques semaines déjà, une vingtaine d’expériences et d’interrogatoires a été réalisée avec leur coopération, sans que la presse ne soit au courant des conclusions. Cependant, hier soir, l’Institut a tenu une brève conférence où il a partagé avec enthousiasme une nouvelle découverte — ou plusieurs, devrais-je ajouter. Et elles vont vous étonner.

    Il semblerait que l’amour soit un gène non héréditaire. Vos parents peuvent posséder la faculté d’aimer alors que vous, pas du tout. Dans ce cas, cela veut tout simplement signifier que vous ne possédez pas l’amour au sein de vous, que vous n’êtes pas apte à éprouver des sentiments et que vous ne ressentirez rien tout au long de votre vie. D’après une étude récente de l’Institut, ce terrible sort affecte près de 20 % de la population mondiale et ce chiffre n’arrête pas d’augmenter. Et selon les dires du chercheur Robert Hamilton : « À force de côtoyer des amis qui sont génétiquement incapables d’aimer, des citoyens franchissent la terrible limite. Malgré le fait que cette déficience ne soit pas héréditaire, je conseille à la population de ne prendre aucun risque pour le bien de leurs enfants et des générations à venir. Éloignez-vous de ces personnes. »

    La découverte, que nous pouvons qualifier de majeure, a ébranlé la terre entière, rendant également quelques concurrents sceptiques. « C’est du grand n’importe quoi ! » clame fermement l’Organisation de Promotion de l’Amour. « L’amour n’est pas génétique, il est présent dans nos cœurs. Aucune recherche ne pourra jamais contredire cette affirmation » soutient sa présidente, Erin Barker.

    En ce qui concerne les Canadiens, les avis sont mitigés, aucun n’a osé se prononcer sur le sujet. Malgré les preuves étonnantes de l’Institut, une question demeure : et s’ils avaient tort ?

    Une manifestation pour la fermeture de l’organisation est prévue cette semaine, on y attend quelques milliers d’individus en colère. Le Gouvernement ne s’est pas encore prononcé sur le sujet.

    1.

    Allongée sur mon lit, je compte impatiemment les secondes. Une, deux, trois... Le temps se moque de moi, s’écoulant lentement afin de me voir souffrir. Pourquoi cela m’étonnerait-il ? Il me nargue depuis de longues semaines déjà et n’est pas près de s’arrêter pour me donner satisfaction. Chaque jour, à l’heure du repas du midi, c’est la même chose. On m’enferme à clé dans le dortoir des filles alors que ces dernières mangent en toute quiétude et discutent avec leurs amies, oubliant mon existence l’espace de quelques bouchées de pain. Elles s’en moquent totalement. Elles ne se battent pas pour moi, elles ne me défendent pas.

    Et je ne peux pas leur en vouloir ; à l’Institut, tout le monde a appris à se taire sous peine d’être frappé, blessé, humilié.

    Obéir, se taire, hocher la tête et sourire, voilà ce qu’on nous demande. Il n’y a pas place à la témérité ni à la créativité. Il faut rentrer dans le moule et ne jamais déborder.

    Pourtant, moi, je n’ai pas appris à me la fermer au bon moment et chaque jour j’en subis les conséquences. Au milieu des autres filles dociles et réservées, j’ai toujours fait tache. Ma spontanéité et mon franc-parler m’ont valu bien des regards noirs et des humiliations, mais ça ne m’a jamais arrêtée. Je continue à risquer ma peau pour des trucs sans importance.

    Il y a trois semaines, alors que je croyais les gardiennes couchées, j’ai osé traiter Madame X de Fade et il semblerait qu’une de ses collègues m’ait entendue à travers le mur aussi mince qu’une feuille de papier. Autant vous dire que la directrice de notre section ne l’a pas supporté, elle m’a privée de repas le midi pendant un an. Jamais je n’aurais cru qu’elle puisse être aussi sévère, mais elle l’a bel et bien fait, se moquant éperdument de ma faim. L’un des gardiennes aurait très bien pu lui mentir, elle l’aurait tout de même écoutée. Ces vieilles vipères nous surveillent jour et nuit afin de s’assurer qu’aucune fille ne dépasse la fameuse limite, et il s’avère qu’elles entretiennent une haine disproportionnée envers nous.

    J’ai enduré plus facilement la faim pendant les premiers jours puisque j’avais tout de même le droit au déjeuner et au souper. En revanche, cela n’a pas suffi. Comme nous n’avons pas beaucoup de vitamines, chaque fille a besoin de tous ses repas, en manquer un affaiblit le corps et l’esprit.

    Et voilà la torture que l’on m’a infligée.

    J’ai maigri plus vite que je ne l’aurais cru ; surtout que je n’avais pas beaucoup de réserves de graisse avant cette horrible conséquence. Mes joues se sont creusées, mes côtes se sont montrées au grand jour, sans oublier le fait que je suis devenue plus fragile que je ne l’étais déjà. Un rien suffit à me faire trébucher.

    J’aimerais crier au scandale, crier haut et fort que ce que je vis est de la maltraitance pure et dure, mais personne ne m’écouterait. Personne ne prête attention aux paroles d’une jeune Fade, une adolescente malade, déficiente… différente.

    Surtout pas Madame X

    Madame X adore nous maltraiter, nous rabaisser, pour la simple raison que nous sommes des Fades. Des êtres déficients, incapables d’aimer ou même d’éprouver des sentiments amoureux, des êtres fades. Arrachés à nos familles dès l’âge de sept ans, nous sommes condamnés à vivre à l’Institut jusqu’à notre majorité où nous serons envoyés dans ce que nous surnommons ici les « arènes ». Malgré l’horreur que nous inspire ce destin — si proche pour certains —, la plupart des filles ici le préfèrent à la vie de souffrance et de misère que nous menons présentement. Au moins, à ce moment-là, nous sommes nourris. Seulement, pour mériter ces repas, nous devrons participer à la célèbre téléréalité et rester dans la course le plus longtemps possible.

    Mais qu’est-ce que cette fameuse téléréalité dont on nous parle sans cesse depuis notre arrivée à l’Institut ? Personne ne le sait. Comme nous sommes des Fades, des individus considérés comme déficients par la société actuelle, les autorités ne se gênent pas pour nous traiter comme des moins que rien — parce que c’est ce que nous sommes pour elle. Notre incapacité à aimer nous rend inhumains, horrifiants, monstrueux à leurs yeux.

    Pourtant, c’est ainsi que nous avons été créés, en aucun cas il ne s’agit de notre faute.

    Qu’avons-nous fait pour mériter de tels traitements ?

    Tout en soupirant, je me retourne dans mon lit, vers la droite, afin de regarder l’heure affichée sur le réveil. 12 h 57. Les filles ne devraient pas tarder à arriver et, quand elles seront toutes là, les apprenties pourront se rendre à leur premier cours de préparation. Je fais moi-même partie de ce groupe qui ne renferme que les jeunes femmes qui seront bientôt envoyées à la téléréalité. Deux semaines avant de partir pour la Grande Capitale, tous les adolescents âgés de dix-sept ans sont conviés à des cours spéciaux destinés à les préparer à cet événement célèbre et important. Nous ignorons absolument tout de cette préparation, mais la plupart des filles ne peuvent pas s’empêcher d’être excitées. Nous sommes si proches de quitter l’Institut, cet endroit cauchemardesque, pour un endroit que nous espérons meilleur.

    Cependant, une fois de plus, les garçons ne seront pas avec nous. À vrai dire, nous ne les avons jamais vus, nous ne les connaissons aucunement. Madame X tient particulièrement à ce que nous restions éloignés les uns des autres. Nous avons beau ne pas éprouver de sentiments, il semblerait qu’il soit important de ne jamais croiser un membre du sexe opposé avant le grand jour. Pourquoi ? Nous n’en savons rien, nos questions restent toujours sans réponses.

    13 h. Au même moment, des bruits de pas se font entendre et la porte du dortoir s’ouvre sur des dizaines de filles qui entrent calmement dans la pièce. Nous sommes une centaine à l’Institut et, heureusement, il y a plusieurs endroits où dormir. Malheureusement, je ne connais que les membres du mien, toute communication avec les autres est interdite sous peine de flagellation publique, ce que je préfère éviter. Être privée d’un repas par jour me suffit amplement comme conséquence, pas besoin de plus de souffrance pour le moment.

    Surtout que les gardiennes ne lésinent pas sur les conséquences.

    Les occupantes de la pièce se dispersent un peu partout, prenant quelques instants de répit. La plupart d’entre elles auront, tout comme moi, un après-midi chargé. Les gardiennes aimant bien nous faire souffrir, j’ignore si elles nous laisseront souffler un peu, prendre quelques gorgées d’eau ou même aérer notre esprit pendant le cours de préparation à la téléréalité.

    Je me souviens d’avoir déjà demandé à une apprentie de l’année dernière si celles qui veillaient supposément sur nous nous considéraient comme des êtres humains. Sa réponse n’a pas tardé à arriver. « Non. Pour eux, nous ne sommes que des animaux qui ne pensent qu’à leur survie et se moquent des sentiments des autres. Mais c’est faux, Élodie, nous sommes nous aussi dotés d’une âme, la compassion n’est pas inconnue à nos yeux. Il nous est possible d’aimer nos amis, mais pas d’éprouver des sentiments amoureux. La nature est ainsi faite. » Depuis son départ vers la Grande Capitale, je médite ses paroles jour et nuit. Elle avait peut-être raison, les Normaux, eux, ne s’en soucient guère.

    Ils s’en moquent royalement.

    Afin de savoir si un enfant est Fade, il doit passer un petit examen vers l’âge de six ans. Quelques questions en plus de plusieurs tests médicaux de toutes sortes. Je ne me souviens plus de ce qui s’est passé ce jour-là dans le cabinet du médecin de l’amour, mais en revanche, je me souviens très bien du regard de ma mère sur moi lorsque le pronostic est tombé. Dégouté, horrifié.

    Avant, elle m’aimait de tout son cœur, comme une mère aime son enfant, mais tout a changé par la suite. Elle croyait que mon gène déficient ne ferait pas qu’affecter mes sentiments amoureux et que, bientôt, je n’éprouverais plus rien pour elle. Que je ne la considérerais que comme un vulgaire objet à son service, que je serais ingrate avec elle. Que je serais un monstre ! C’est pourquoi elle n’a point pleuré lorsqu’est venu le moment de me remettre à l’Institut. Je la déteste pour ça ; c’était ma mère, celle qui devait m’apprendre l’amour, m’apprendre toutes les leçons de la vie. Mais au lieu de ça, elle m’a lâchement abandonnée et a fait une croix sur ma personne.

    Elle m’a effacée de sa vie.

    Malheureusement, il en est de même pour chacune des filles présentes dans le dortoir. Nous avons toutes été rejetées par ceux dont nous étions proches ; mère, père, frères, sœurs, grands-parents, amis... Tout ça parce que le gouvernement a un jour fait confiance aux recherches scientifiques de l’Institut et parce qu’il encourage son peuple à nous considérer comme ce que nous sommes vraiment selon lui : des êtres humains sans émotion, des monstres sans âme. Voire des robots à la solde de nations ennemies, pour les plus fous.

    Il effraie la population en leur racontant des histoires sans queue ni tête pour qu’elle fasse exactement ce qu’ils désirent : nous rejeter.

    —  Pauvre Élodie ! me lance Sofia, une grande asperge à la chevelure de feu. Tu maigris à vue d’œil... Mais si ça peut te rassurer, le dîner était immangeable.

    Sofia est la seule à avoir pris ma défense lorsque ma punition m’a été communiquée. Elle s’est plantée devant la gardienne attitrée à la discipline et lui a dit que me priver de bons nutriments était tout sauf humain. Son geste peut sembler banal, insuffisant, mais il compte beaucoup pour rien ; rares sont celles qui osent les gardiennes.

    La gardienne s’est contentée de ricaner, comme à son habitude, avant de disparaitre, me laissant dans l’incompréhension la plus totale. Elle n’a pas humilié Sofia, elle ne lui a strictement rien dit. D’ordinaire, ses compatriotes et elle ne manquent jamais une occasion de nous rabaisser... à quoi tout cela rimait ?

    Depuis ce jour, Sofia prend quotidiennement de mes nouvelles et me rapporte souvent des restes de son dîner. Cependant, la plupart du temps, je décline. Je refuse qu’elle se prive de nourriture pour la seule raison que j’ai été imprudente ; elle a également besoin de se remplumer. Elle n’a pas à vivre avec moi ma conséquence — aussi injuste soit-elle.

    — Oh, tu sais, on finit par s’y habituer...

    — S’habituer à la faim ? Ça doit être horrible !

    J’ai oublié de mentionner le fait que cette fille est une vraie passionnée en ce qui concerne la nourriture. Elle a tout le temps faim et adore les sucreries, en omettant bien évidemment les guimauves servies à la cafétéria. D’ailleurs, comme nous ne valons pas grand-chose aux yeux des Normaux, les seules douceurs auxquelles nous avons le droit, ce sont les guimauves. Comble de malchance, la majorité des habitants ici détestent cet aliment. Nous devons donc nous rabattre sur la soupe aux légumes, le seul plat à peu près mangeable de l’Institut. Je suppose qu’il s’agit d’une façon pour eux de nous rappeler que nous ne sommes rien d’autre que leurs pions. Ils adorent nous le rappeler d’ailleurs.

    Mais cela n’empêche pas Sofia d’être heureuse chaque fois qu’elle peut manger quelque chose, et c’est pour cette raison que je refuse qu’elle se prive de nourriture pour moi.

    — Il ne faut s’étonner de rien ici, murmuré-je en levant les yeux au ciel. Ils nous détestent et ne se gênent même pas pour nous le dire. J’aurais pu avoir une conséquence pire encore, tu le sais aussi bien que moi. C’est une chance qu’elle ait été de bonne humeur ce jour-là.

    Je peux me permettre de discuter un peu plus librement puisque je sais bien que les gardiennes prennent leur repas en ce moment. Pourtant, j’ignore combien de temps leur pause dure, je ne peux plus me permettre d’être aussi insouciante, et je le sais bien. Mais je ne peux m’empêcher de parler d’elles ; elles sont constamment dans mes pensées et je dois absolument laisser sortir ces dernières.

    — C’est vrai, répond prudemment Riana en s’approchant de nous, celle que je considère comme ma meilleure amie depuis toujours. Mais vous vous rendez compte qu’on commence nos cours de préparation aujourd’hui ? C’est énorme ! Dans deux semaines, nous serons loin d’ici et nous pourrons enfin vivre comme nous le souhaitons.

    Je lui souris timidement, ravie de voir que notre destin incertain ne l’effraie pas. Parce que, moi, il m’effraie. Tout ce qui est inconnu pour moi en ce monde me fait peur ; je sais bien que les Normaux feront tout pour nous rendre la vie dure. Voilà pourquoi la téléréalité ne sera sûrement pas une partie de plaisir. Il se peut qu’on nous nargue ou bien qu’on nous tue, qui sait ?

    Aucune loi n’interdit d’assassiner un Fade, nous ne sommes même pas perçus comme des êtres humains. Même si c’est mal vu, certains n’ont pas peur des regards des autres, à ce que j’ai pu comprendre. Les rares moments où nous avons l’accès à la télévision, les gardiennes nous montrent de brefs reportages où il est question de cadavres de Fades, morts pour la seule raison d’être nés différents. Et à chaque fois, je vomis.

    Parce que je suis incapable de regarder ce manque flagrant d’humanité.

    — Et on nous envoie probablement dans un endroit où les Normaux prendront plaisir à laisser de côté leur humanité pour faire de nous ce qu’ils veulent.

     J’ai hâte de partir d’ici, approuve Sofia en hochant la tête, mais de rejoindre la Grande Capitale ? Nous ne savons rien de cet endroit et de ce qui nous attend !

    — C’est précisément le but de nos cours de préparation, lui fais-je remarquer en m’assoyant en tailleur dans mon lit.

    — Tu crois vraiment qu’ils vont nous dire toute la vérité ? Ils n’ont aucune raison de faire ça !

    Elle s’est approchée de mon oreille afin de pouvoir chuchoter ces paroles. Dans ses yeux, je peux lire cette peur d’être entendue par celles qui régissent nos vies. Les gardiennes détestent qu’on les accuse de nous cacher une partie de la vérité même si c’est on ne peut plus vrai. Elles affirment que nos cerveaux sans émotion ne sont pas aptes à recevoir certaines informations ! Puis, après nous avoir rabâché un long discours rempli de mensonges, elles nous punissent sans aucune pitié.

    — Elle a raison, confirmé-je en me tournant vers Riana. Il vaut mieux se tenir sur nos gardes et veiller à notre sécurité. Dans deux semaines, nous ne serons plus ici, oui, mais nous serons dans un monde dont nous ne connaissons pas les règles.

    Nous avons toujours vécu à l’Institut et, pendant ces longues années, aucune sortie n’était autorisée. De toute façon, même si ça avait été possible, personne ne serait allé à la rencontre de sa famille, j’en suis quasiment sûre. Nous n’en avons plus maintenant ; elle nous a reniées pour notre nature indésirable selon elle. Chacune d’entre nous a été rejetée par ses proches à cause de la peur omniprésente dans la Société. C’est nous qui payons le prix de toute cette haine parce que des humains l’ont décidé. Stupide, n’est-ce pas ?

    Quoi qu’il en soit, les sept ans que nous avons vécus dans le monde dit normal ont vite été oubliés par la grande majorité ici, pour une raison que nous ignorons. On raconte que Madame X aurait effacé la plupart de nos souvenirs pour ne garder que ceux qui nous font du mal, afin de nous encourager à ne pas regarder vers le passé, mais plutôt vers le futur. Il s’agit d’une technique intelligente en somme, le meilleur moyen d’éliminer tout lien émotionnel. Considérant le fait que nous nous rappelons tous l’année complète après les tests où nous avons été rabaissés constamment pour notre statut de Fade. En revanche, il n’y a aucun moyen de prouver cette théorie et il vaut mieux éviter de croire ce que les gardiennes nous racontent, elles sont loin d’être fiables. Elles profitent de notre vulnérabilité.

    — Mesdemoiselles, bon après-midi !

    Je me redresse en un bond dès que je reconnais la voix. Elle appartient à Madame X, cette bonne femme à la taille de guêpe et aux manies énervantes. Son ton toujours autoritaire est reconnaissable entre mille, elle n’adopte que lui lorsqu’il est question de nous adresser la parole. Elle n’est pas notre amie, nous a-t-elle déjà expliqué, il faut mettre une certaine barrière entre nous et elle ; ce qui revient à nous hurler dessus pour une broutille chaque fois que l’occasion se présente.

    La plupart des filles restent couchées dans leur lit lorsqu’elle apparait dans le cadre de la porte, mais les apprenties sont toutes debout, prêtes à suivre la directrice. Elle n’a pas eu besoin d’annoncer la raison de sa visite, nous la connaissons toutes. De toute manière, pour qu’elle ose se pointer dans le dortoir, il lui faut une bonne excuse ; et la téléréalité en fait partie. Madame X chargée  de la supervision de notre préparation et, si elle faillit à sa tâche, le gouvernement peut la destituer de ses fonctions — mais cela n’arrivera pas, bien sûr —, d’après ce qu’elle nous a dit. C’est pourquoi elle nous suivra en tout temps pendant ces deux prochaines semaines, à notre plus grand désarroi.

    Il n’y aura pas une seule heure où nous aurons la paix, pas une seule.

    — J’espère que le repas a été bon, lance-t-elle avant de me jeter un coup d’œil méprisant. Les apprenties, vous avez une journée très chargée en perspective, je vous demanderai donc de me suivre les mains vides. Tout objet se retrouvant sur vous au moment de votre premier cours vous sera confisqué. Quant aux autres, vous avez temps libre !

    Elle s’attend sûrement à quelques cris de joie, les temps libres étant rares, mais rien ne sort de nos bouches. Nous avons beaucoup trop peur de sa réaction ; nous avons appris à nous taire dès notre arrivée ici. Je l’ai déjà vue frapper une gamine de douze ans cinq fois parce que cette dernière avait osé parler un peu trop fort à son goût. Cette femme est complètement timbrée.

    — Le silence est de mise dans le couloir, nous rappelle-t-elle alors. Avant de sortir, l’une d’entre vous aurait-elle une interrogation quelconque ?

    — Est-ce que nous aurons un horaire durant ces quelques jours ? demande aussitôt une brune dont je ne connais pas le nom.

    L’Institut est maniaque des horaires, de la routine et de ce qu’il appelle la discipline. Pour lui, tout doit être précis et calculé à l’avance, afin d’éviter le moindre écart. D’ailleurs, dépendant de notre groupe d’âge, nous avons tous un horaire particulier à suivre, chaque erreur étant sévèrement punie. Peu importe votre raison.

    — Excellente question ! Vous le savez bien, la routine précède l’organisation et l’excellence. C’est pourquoi un horaire vous sera effectivement donné à la fin de la journée. Comme à l’ordinaire, n’oubliez pas de le ranger précieusement et de ne surtout pas le perdre. Maintenant, veuillez me suivre.

    Madame X sort ensuite du dortoir encombré, et nous formons un rang bien ordonné derrière elle. Le chemin sera long, je le sens. En effet, les corridors de la section des filles sont anormalement ennuyants, peints en gris et dépourvus de toute décoration. Il n’y a rien d’autre à voir que le plancher couleur vomi. De plus, les salles de classe vers lesquelles nous nous dirigeons se trouvent de l’autre côté de l’édifice, à la limite des sections des filles et des garçons. Sans oublier que nous devons garder le silence, sous peine d’être punie par une gardienne ou Madame X elle-même.

    Je suis donc prisonnière pendant quelques minutes de mes innombrables pensées, des pensées se multipliant à une vitesse folle dans mon petit cerveau.

    Je n’ai jamais pu découvrir la totalité de l’endroit, mais je sais de source sûre que c’est immense. Il s’agit d’un véritable dédale de couloirs sans fin, créé afin d’empêcher toute fugue. Cela permet également aux filles de ne jamais rencontrer les garçons et les autres groupes de filles. Tout pour nous isoler.

    Mine de rien, les Normaux peuvent être intelligents. Ils se doutent bien que, si nous le pouvions, nous nous échapperions le plus vite possible. Nous ne sommes pas des animaux qui se moquent d’être enfermés ; tout ce que nous voulons, c’est autre chose.

    Mais quoi exactement ?

    Après quelques minutes de marche dans une ambiance silencieuse et pesante, nous arrivons finalement à destination. Les corridors ternes ont fait place à quelque chose de beaucoup plus intéressant : des salles de classe. Celles-là mêmes que nous utilisons pour nos cours habituels de la semaine ; désormais remplacés par quelques jours de préparation à la téléréalité. Il y en a à notre gauche et à notre droite, remplies de bureaux et d’élèves. Je crois même apercevoir des garçons, mais quelqu’un me pousse en avant à ce moment-là et je n’ai d’autre choix que de suivre mon petit groupe.

    Nous entrons dans la dernière pièce du couloir, le message est on ne peut plus clair : il s’agit de notre propre salle de cours, nous passerons donc les prochaines semaines ici.

    Lorsque je pénètre à l’intérieur, un mauvais pressentiment me prend aussitôt. Les murs bleu pâle et l’absence totale de fenêtre ne me plaisent pas du tout, mais au moins, l’endroit est vraiment plus aéré que dans notre petit dortoir où l’air se fait plus rare. Il y a beaucoup d’espace entre les bureaux, ce qui est agréable. Pourtant, une petite voix me chuchote à l’oreille que les prochaines minutes dans cette pièce ne seront pas des plus agréables…

    Je m’assois aussitôt à la dernière rangée, aux côtés de Sofia et Riana. Je n’ai franchement aucune envie d’être en avant, là où l’immense tableau électronique se dresse ; il ne me dit rien qui vaille.

    — Allez, les filles ! nous presse Madame X. Il vaudrait mieux pour vous que vous ayez toutes un siège lorsque votre professeur entrera.

    À cet instant précis, la porte à notre gauche s’ouvre à la volée, dévoilant une petite femme au large sourire et aux dents impeccables. Sa vue devrait me rassurer, mais c’est tout le contraire. Cela me parait tout à fait étrange qu’une employée de l’Institut fasse preuve d’autant de bonne humeur devant des Fades. Ne serait-ce qu’un masque destiné à nous mettre en confiance ? Je ne serais pas surprise ; après tout, la tenue décontractée — tee-shirt et jeans — de la nouvelle venue est tout sauf habituelle, sans oublier le fait qu’elle ne soit pas une vieille grincheuse comme les gardiennes.

    — Bonjour, jeunes filles ! commence-t-elle aussitôt. Je me nomme Lory Aulbert, mais appelez-moi tout simplement Lory. J’ai horreur qu’on m’appelle madame, souvenez-vous-en !

    Son enthousiasme débordant retombe un peu à plat lorsqu’elle constate que nous ne partageons pas sa joie ; en effet, on pourrait entendre une mouche voler tant le silence est lourd. Elle devrait y être habituée pourtant, ce n’est pas comme si les Fades étaient reconnus pour éprouver des sentiments.

    Même si nous en éprouvons. Il ne faut pas croire tout ce qu’on dit dans ce monde rempli de mensonges.

    — Ah, mes coquines, vous êtes gênées ! Ce n’est rien, je vous promets que nous allons travailler ce point, vous en aurez bien besoin pour la téléréalité ! Elle approche à grands pas, alors je vous conseille de vous donner un grand coup de pied au cul et de bosser à fond.

    Elle prend une pause tout en se dirigeant vers l’avant de la classe, puis s’arrête brusquement et se tourne vers nous.

    — Êtes-vous prêtes à jouer ?

    2.

    La première journée se déroule à toute vitesse, et il ne se passe pas grand-chose d’intéressant. Lory s’est contentée de nous interroger une par une en ce qui concerne nos goûts, notre personnalité et ce que nous aimerions faire si nous n’étions pas des Fades. J’ai trouvé cette dernière question particulièrement cruelle, mais j’imagine qu’elle sert à cerner qui nous sommes afin de bien préparer la téléréalité. Il va falloir se démarquer des autres, je le sens déjà, pourtant j’ignore en quoi je suis meilleure que les autres. Personne ne m’a jamais laissé ma chance…

    Malheureusement, elle ne nous a pas encore parlé de l’événement, j’imagine qu’elle le fera aujourd’hui. En tout cas, je l’espère parce que nous n’avons strictement aucune idée de ce qu’est la téléréalité et la nervosité se fait de plus en plus ressentir. Les jours défilent à toute vitesse et j’aimerais bien être prête moralement à ce qui nous attend, même si je doute que cela soit possible.

    C’est avec un peu d’espoir que j’entre dans la salle de classe le lendemain. Lory se trouve déjà sur

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1