Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Trois mots: Témoignage d'une mère sur la transidentité de sa fille
Trois mots: Témoignage d'une mère sur la transidentité de sa fille
Trois mots: Témoignage d'une mère sur la transidentité de sa fille
Livre électronique456 pages6 heures

Trois mots: Témoignage d'une mère sur la transidentité de sa fille

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

« Je suis trans. »

C’est par le biais de ces trois mots écrits sur un écran de téléphone portable, que Pauline Senier découvre un jour la transidentité de sa fille, Camille, autiste Asperger, alors âgée de 20 ans et née garçon. Passé l’état de surprise et les premiers questionnements, elle n’aura de cesse d’accompagner et de soutenir sa fille dans son parcours de transition. Épaulée par Julia, sa plus grande fille, et Laurent, son compagnon, elle va se battre contre vents et marées. Elle va évoluer au fil des rencontres et découvrir un univers qu’elle ne connaissait pas.

C’est avec pudeur et sensibilité que Pauline Senier nous invite à entrer dans son monde et à vivre à ses côtés tous les moments forts de ce parcours hors du commun. Un chemin souvent jalonné de difficultés et de souffrances, mais toujours rempli d’amour et d’espoir.

Le combat d’une mère pour sa fille. Un hymne à la différence, au droit d’être soi. Un hymne à la parentalité. Un hymne à la vie.


À PROPOS DE L'AUTRICE

Pauline Senier est sophrologue et praticienne en hypnose. Elle vit en région parisienne. Elle est aussi à l’origine de « Pauline en parle », une chaîne YouTube dans laquelle elle se livre sur son vécu de mère de personne transgenre et sur la transidentité en général.

LangueFrançais
ÉditeurPublishroom
Date de sortie3 avr. 2024
ISBN9782384549764
Trois mots: Témoignage d'une mère sur la transidentité de sa fille

Lié à Trois mots

Livres électroniques liés

Fictions initiatiques pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Trois mots

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Trois mots - Pauline Senier

    PROLOGUE

    Dès le début de cette aventure, de ce cheminement de maman plongée dans la transidentité de sa fille, j’ai effectué beaucoup de recherches sur le sujet. J’ai fouillé sur internet et dans la littérature dans l’espoir d’y trouver des témoignages de parents ou de proches de personnes transgenres. J’avais besoin de réponses à mes questions et, bien sûr, de soutien aussi.

    Malheureusement, à l’époque, je n’avais pas trouvé grand-chose… J’avais alors éprouvé une forme de frustration et de désarroi.

    C’est à ce moment-là que je me suis dit qu’il fallait que je partage mon expérience de maman avec d’autres parents ou proches, qui eux aussi seraient dans la même quête que moi.

    Poser les mots sur papier me semblait la meilleure façon de le faire. J’ai alors entamé l’écriture de ce journal dès le premier jour où tu as fait ton coming out.

    J’ai écrit pour moi, d’abord. Pour me libérer, pour laisser sortir au grand jour mes émotions, pour mettre noir sur blanc mes ressentis, mes peurs, mes doutes. Mais aussi mes espoirs et mes joies. Pour me ressourcer et m’apaiser.

    Puis je l’ai fait pour toi. Pour que tu aies une trace de cette aventure extraordinaire. Pour que je puisse écrire ce que je n’ose pas te dire tout haut. Pour que tu saches combien je t’aime.

    Et finalement, je l’ai fait pour, peut-être, un jour, partager tout cela avec celles et ceux qui en auraient besoin. Pour en parler, pour raconter. Parce que même si chaque vécu, si chaque expérience est unique, un point commun les relie tous et toutes : il est temps que les gens comprennent à quel point le parcours des personnes transgenres est un chemin long et difficile. Être transgenre n’est pas un choix et encore moins une mode. C’est le besoin viscéral et vital d’être soi. Le véritable soi. Pas celui que Dame Nature nous donne à la naissance.

    Les personnes transgenres ont pour la plupart vécu ou vivent encore de grandes souffrances. La douleur de ne pas être né.e dans le bon corps. De ne pas être accepté.e comme tel.le. De subir le rejet de leur famille ou de leurs proches. De ne pas être reconnu.e par la société qui a bien du mal avec tout ce qui ne rentre pas dans les cases. D’être victime de harcèlement, de transphobie. Beaucoup sont en dépression, certains mettent malheureusement fin à leurs jours.

    Et pourtant. Pourtant. Les personnes transgenres sont toutes dignes d’être acceptées, aimées et considérées pour ce qu’elles sont vraiment : des hommes, des femmes, et tous les degrés entre les deux.

    Bref, des gens comme vous et moi. Des gens comme tout le monde.

    25 juillet 2020 

    Je suis trans.

    Trois mots sur un écran de téléphone. Trois mots que tu m’écris parce que l’émotion est trop forte pour me les dire à voix haute. Trois mots que je lis, relis et relis encore, comme si mon cerveau avait besoin d’être sûr d’avoir bien compris. Trois mots qui vont marquer le début d’un long chemin. Trois petits mots pour un grand chambardement. Trois mots.

    Cela faisait plusieurs jours que je te trouvais triste, sombre, apathique. Il faut dire que je suis un peu habituée à ce que tu restes dans ta bulle. Tu ne sors habituellement de ta chambre que pour le repas du soir et pour te ravitailler dans la journée dans la cuisine. Depuis ton adolescence, tu as ce qu’on appelle un trouble de la communication sociale. À vrai dire, depuis que tu es petit, j’ai toujours pensé qu’il y avait quelque chose de différent en toi. Une mère, ça sent ces choses-là. Une mère perçoit ce que personne d’autre ne ressent, comme si elle avait des antennes ultra-sensibles, une sorte de radar perfectionné. Mais elle ne cherche pas à capter des signaux venus d’un autre univers, non, elle cherche seulement à rester en communication avec sa progéniture, à garder ce lien exclusif et imperturbable. Et elle est tant à l’écoute, que lorsque quelque chose ne va pas, elle le ressent au plus profond de sa chair. C’est comme ça.

    Je me souviens t’avoir emmené chez le docteur, tu avais 4 ans. Tu faisais beaucoup de crises, la fameuse phase d’opposition des 2 ans, le « terrible two » comme ils disent aux USA où on habitait à l’époque. Mais cette phase s’éternisait, tu avais un comportement difficile à gérer pour la jeune maman que j’étais. Et surtout, je sentais qu’il y avait un truc différent, comme si quelque chose clochait. Verdict du médecin : tout va bien, tu as un caractère bien affirmé, voilà tout. Un « strong will child » comme ils disent. Soit. Mais je n’en suis pas convaincue pour autant.

    Les années passent, tu ne fais plus de crises, mais tu te renfermes de plus en plus dans une sorte de coquille, de petite bulle à toi, où nous ne sommes pas toujours invités. Puis l’adolescence t’apporte son lot de difficultés. Tu subis à deux reprises le harcèlement scolaire. Cela va te causer beaucoup de souffrances et fragiliser ton être tout entier. Ta petite coquille va se fendre. Ça ne se répare pas comme ça une petite coquille. Il faut beaucoup de temps, beaucoup d’amour, beaucoup de patience pour ressouder une petite coquille fendue. Encore aujourd’hui, à 20 ans, ta coquille reste très fragile, et nul doute qu’elle portera encore cette cicatrice de nombreuses années.

    Par chance, mes antennes de maman remarquent que quelque chose ne va pas. Et ils avaient bien raison mes petits radars, car tu finis par nous avouer le harcèlement que tu as subi. C’est une épreuve terrible, pour toi, certes, mais pour nous aussi. Un cauchemar duquel on voudrait se réveiller. Et surtout, en tant que mère, l’impuissance est insupportable. On ne met pas au monde un enfant pour qu’il souffre et soit malheureux. Non. On lui donne la vie en espérant de toutes ses forces qu’il ait une vie heureuse et belle. Et là, pour la première fois, je te vois malheureux, meurtri, blessé. Alors moi aussi, je suis malheureuse, meurtrie, blessée. L’effet miroir.

    Malgré tout, on rebondit ensemble, en famille, avec amour et patience. Et les choses s’apaisent jour après jour.

    Mais à cette période, quelque chose s’installe en toi. Ou plutôt, se révèle en toi. Car je reste convaincue que ce petit je ne sais quoi, cette différence, est là depuis bien longtemps.

    Tu communiques de moins en moins. Tu n’aimes plus être touché. Fini les bisous et les démonstrations d’affection. Tu ne regardes presque jamais tes interlocuteurs dans les yeux. Tu ne vois jamais de copains en dehors de l’école, tu t’isoles de tout le monde, même de nous. Tu as des comportements inadaptés à notre société, comme si tu ignorais les codes sociaux avec lesquels nous vivons. Les repas sont très compliqués, tu ne manges que certains aliments que tu sélectionnes précisément. C’est comme si tu t’étais construit une espèce de bulle intérieure, un autre monde, et je n’arrive pas à y trouver ma place. Je reste de l’autre côté.

    Je suis inquiète et je me pose un milliard de questions. Et surtout, je sens en toi un mal-être, un vague à l’âme, une profonde tristesse. Comme si le poids de tout l’univers était sur tes épaules. Ta coquille déjà si fragilisée se fend encore un peu plus…

    J’essaie en vain de t’emmener voir une psychologue. Mais tu refuses. Jusqu’au jour où, enfin, tu acceptes. C’est un oui de souffrance, un appel au secours. Tu as toi aussi besoin de comprendre qui tu es.

    De rendez-vous en rendez-vous, de test en test, de psychologue en psychiatre, le diagnostic tombe : syndrome d’Asperger, autrement dit, un trouble du spectre autistique sans déficit intellectuel. Au fond de moi, je m’attendais un peu à ce diagnostic. À force de lectures et d’investigations, la piste de l’autisme me semblait en effet à privilégier. Mon intuition étant confirmée, je ressens beaucoup de soulagement. Enfin, nous pouvons mettre officiellement des mots sur cette différence, sur ce petit truc en plus ou en moins, tout dépend du point de vue, qui te caractérise. Je vais enfin pouvoir comprendre qui tu es. Je vais lire et m’informer sur le sujet, j’ai soif de savoir, j’ai hâte de te connaître vraiment. Et tu apprendras à en faire une force, j’en suis sûre.

    Les années passent et je suis apaisée. Je t’accepte comme tu es. Je suis même fière de cette différence malgré les zones mystérieuses et inaccessibles de ta personnalité. Pourtant, il reste au fond de moi une angoisse et une peur indéfinissables. Parce que ce mal-être et cette douleur sourde, je les ressens encore souvent chez toi. Et je voudrais tellement pouvoir les prendre pour moi, les porter à ta place…

    La vie est imprédictible et bien loin d’être un fleuve tranquille…

    Aujourd’hui, nous sommes samedi. Et je suis à mille lieues de me douter que ce ne sera pas un samedi comme les autres…

    Voilà plusieurs semaines que je te sens sombre, renfermé à l’excès, inabordable même. Je sens qu’un mal te ronge. Plusieurs fois, je tente de parler avec toi, mais il n’y a rien à faire, ou plutôt rien à dire. Je respecte ta volonté de ne pas parler. Je te connais bien. Mais ton silence est douloureux. Je me sens perdue et impuissante. Jusqu’à ce soir.

    Je viens te voir dans ta chambre. J’ai envie d’essayer de communiquer, de comprendre, de t’écouter. Tu es dans ton lit, il est pourtant 18 h. Ce n’est pas la première fois que je tente de te parler, mais cette fois-ci, quelque chose me dit que je ne dois pas laisser tomber. Et comme j’ai raison…

    C’est moi qui entame la conversation. Je comprends vite que notre dialogue se résumera à quelques questions de ma part, et à des oui-non de la tienne. OK, ça me va, du moment que je peux entrer en communication avec toi, je suis prête.

    –Est-ce que tu souffres ?

    –Oui.

    Vont suivre mille et une questions de ma part pour cerner ce qui te fait tant souffrir. L’école, la famille, la santé, le futur, ton trouble autistique, une addiction… tout y passe. « Non », « pas vraiment », « à peu près », « plus ou moins ». Je dois faire avec tes réponses vagues et je n’y comprends rien. Je tâtonne dans tous les sens.

    Mais que veux-tu me dire ? J’imagine des choses terribles, je commence à avoir peur. Au bout d’un très long moment, une idée me vient. Je te propose de m’écrire sur l’écran de ton téléphone portable les mots que tu souhaites me dire. Ces mots qui ont l’air si difficiles à prononcer. Tu acceptes. Après quelques secondes, tu me tends ton téléphone. Il n’y a que trois mots.

    Je suis trans.

    Je suis transgenre.

    Trois petits mots pour une énorme révélation.

    Je lis, relis et re-relis. Ai-je bien compris ces trois mots ? Mon cerveau imprime, mais il a besoin d’en être sûr.

    La première réaction qui me vient, c’est le soulagement. À notre jeu de questions-réponses, je me suis imaginée tout et n’importe quoi et, bien évidemment, surtout des choses graves. Parce que les mères, ça imagine toujours les pires scénarios. Donc là, je respire un peu.

    Ma deuxième réaction, la surprise. Je ne m’y attendais pas du tout. Pas le moins du monde. Je n’aurais jamais deviné, il n’y avait aucun signe que mes super antennes avaient détecté. À croire qu’elles ne sont pas si infaillibles que ça…

    Et là, c’est mon cœur de maman qui explose et qui parle tous azimuts : « Merci de me confier ce que tu viens de m’écrire. Merci de ta confiance. Je t’aime de tout mon cœur comme tu es aujourd’hui, alors je t’aimerai avec tout autant d’amour comme tu deviendras. Je serai là pour toi, tous les jours de ta vie, quoi que tu fasses, quoi qu’il arrive. Tu pourras te reposer sur moi, je t’accompagnerai dans ton long chemin, ma main et mes bras seront toujours là pour toi. »

    Libéré du poids de la révélation, rassuré par ma réaction, tu te confies progressivement. Tu me dis que tu y penses depuis plusieurs mois, que tu as peur, très peur, mais que tu as déjà fait le chemin dans ta tête. Tu veux devenir une femme. Tu ne veux plus vivre dans un corps d’homme. Tu en es sûr à 80 %.

    Je comprends mieux à présent ta tristesse et ta détresse. Peur du rejet, de l’incompréhension, peur de ma réaction, peur de me décevoir, peur tout court. Comme tu as été courageux. Comme je suis fière de ta bravoure. Sache que ma réaction a été guidée par tout l’amour que j’éprouve pour toi. Comment aurais-je d’ailleurs pu réagir différemment ? Je t’ai mis au monde, je t’ai entouré de tout mon amour. Je ne souhaite que ton bonheur, peu importe tes choix de vie, peu importe les chemins parcourus et à parcourir. Mon amour de maman est inconditionnel.

    Aujourd’hui, tu es mon fils et si demain tu deviens ma fille, je t’aimerai tout autant.

    Ensuite, tu me parles des aspects plus techniques de ta « transition ». C’est comme ça qu’on appelle le passage d’un genre à l’autre. Tu me parles des étapes à franchir, du psychiatre qu’il faut que tu rencontres pour obtenir l’attestation qui te permettra d’aller voir un endocrinologue, ensuite les hormones, l’orthophonie, le laser pour les poils… J’avoue, je ne connais rien à tout ça. Je l’entends pour la première fois. J’enregistre toutes ces informations. Je vais me renseigner. Je vais t’aider comme je peux.

    Et puis tu as fait une des plus belles choses pour une maman. Un geste extrêmement rare venant de toi et que j’avais l’habitude de ne plus attendre : tu m’as serrée fort dans tes bras. Très fort. Tu ne pouvais pas me faire un plus beau cadeau. Depuis l’adolescence, tu ne supportes aucune marque d’affection, les câlins te mettent mal à l’aise. Je m’y étais tant bien que mal résignée. Mais là, c’est une bouffée d’amour que je me prends en pleine face. Comme c’est bon ! Je veux bien recevoir d’autres révélations comme celle-là pour avoir de telles démonstrations d’affection !

    Puis, tu me remercies. Un merci qui vient de loin. Du plus profond du cœur.

    Je te redis comme je suis fière de toi, comme je te trouve courageux. Que je t’admire. Que je t’aime de tout mon cœur.

    Et je sors de ta chambre. Sonnée. Bouleversée. Pleine d’émotion. Pleine d’amour.

    Décidément, je ne m’étais pas trompée. Un samedi pas comme les autres.

    Par la suite, Julia, ta sœur, me dira que tu lui en avais déjà parlé quelques semaines auparavant. Je suis ravie que tu te sois tourné vers elle en premier. Tu as eu raison. Elle aura su t’écouter avec autant d’amour et de bienveillance que possible.

    26 juillet 2020 

    Je me réveille comme courbaturée après une intense séance de sport. Endolorie. Ma réaction est toujours la même, pas question de changer d’attitude. Je pense encore aujourd’hui, et avec beaucoup de sincérité, ce que je t’ai dit hier soir et c’est ce que je penserai toujours. Mais je commence doucement à réaliser le poids de cette révélation.

    Changer de sexe, changer d’identité, c’est devenir quelqu’un d’autre. Changer de corps. Changer de prénom. Assumer cette transition. Même si dans notre société, on commence tout doucement à accepter la différence, il y a encore beaucoup de chemin à faire. Les personnes transgenres ne sont pas toujours bien vues, il y a tellement de mythes et de fantasmes autour d’elles. Qui sont-elles ? Des travestis ? Des gens mal dans leur peau ? Des gens bizarres ? Tant d’ignorance qui mène à des préjugés absurdes. Des hommes et des femmes transgenres se font agresser, d’autres rejeter par leur famille, leurs amis, leur employeur. Il n’est certainement pas facile de vivre en tant que personne transgenre aujourd’hui. Mais les choses évoluent petit à petit. Tant mieux.

    Je passe ma journée sur le web à m’instruire, à lire des témoignages de parents, de jeunes transgenres, à m’imbiber de cette nouvelle vie qui nous attend peut-être.

    Je dis peut-être parce qu’hier soir, tu m’as confié être sûr à 80 %. Il reste donc 20 % de doute, de droit à l’erreur. Il faut en tenir compte et ne pas foncer tête baissée. Tu peux changer d’avis. Et dans un sens comme un autre, je serai là.

    Dans mes lectures, j’apprends que ne pas se sentir bien dans son genre initial s’appelle la « dysphorie de genre ». Joli mot pour un malaise.

    Je lis des choses très rassurantes, d’autres moins. Je découvre qu’il y a beaucoup de souffrance dans le parcours de ces jeunes trans. Beaucoup de douleur. Des tentatives de suicide. La route est longue et sinueuse. Mais souvent, le bonheur est au bout du chemin…

    Indubitablement, ça me fait peur. Souffrance, douleur, suicide, angoisse, rejet… des mots d’horreur pour une mère. Et puis je me rassure en regardant ces vidéos de jeunes filles épanouies, belles, heureuses d’avoir réussi leur pari fou, celui de devenir une femme alors que la nature en avait décidé autrement.

    Parce que oui, parlons-en, Dame Nature fait parfois de belles boulettes ! Une erreur qu’on va tout faire pour corriger. Je t’aiderai, promis. Parce qu’au départ c’est bien moi qui t’ai mis au monde, c’est aussi moi qui t’ai porté durant neuf mois. Mon corps, avec l’aide de ton père bien entendu, t’a fabriqué, nous t’avons accueilli, nous t’avons donné un prénom. Nous t’avons inscrit dans les registres officiels pour que tu existes dans notre société. Oui, mais voilà. Il se pourrait que cette fameuse Dame Nature se soit trompée… La coquine. Mais aussi la pauvre, car elle a tant à faire qu’elle peut bien avoir le droit de se tromper de temps en temps, je suppose…

    Je culpabilise un peu. Et si j’y étais pour quelque chose ? Tant de choses se bousculent dans ma tête.

    Tant de questions sans réponse.

    Je me demande si ton trouble de la communication est lié à tout ça. Est-ce que cela va arranger les choses de ce côté-là ou, au contraire, va-t-il s’aggraver ? Et si on s’était trompé dès le début ? Et si ton mal-être d’adolescent venait de là ? Et si et si et si…

    Encore tant de questions qui restent sans réponse.

    Et si tu te décides à faire le grand saut, vas-tu trouver le bonheur ? Quel sera ton avenir ? Ta vie sentimentale ? Ton métier ? Vas-tu trouver les bons médecins pour t’accompagner ? Vas-tu supporter les hormones ? Vas-tu assumer le regard des autres ? De la famille ? De la société ?

    Tant de questions, et toujours aucune réponse.

    Je me demande si cette décision est bien mûrie, si ce n’est pas une échappatoire, une fuite vers autre chose. L’avenir nous le dira. Le psychiatre aussi je suppose.

    Ta coquille, déjà maintes fois fragilisée, s’est fissurée, puis s’est réparée, puis s’est fendillée à nouveau. J’ai peur pour toi. Peur de ta fragilité. Peur que tu ne supportes pas toutes ces étapes, peur que tu t’essouffles avant d’arriver au bout du chemin. Que tu trébuches et que tu ne puisses pas te relever. Peur de ton obscurité. Peur de tes peurs.

    Malgré ces angoisses, sache que je serai toujours là quoi qu’il arrive, peu importe le chemin que tu décides de prendre. Peu importe les virages, les demi-tours, les trous et les bosses, les descentes et les montées. Bref, je serai ton GPS si tu en as besoin.

    Aujourd’hui, ma tête est sur le point d’exploser avec toutes ces questions. J’accuse le coup, je réalise très doucement ce que signifient ces trois mots. Je sais que ce n’est que le début d’un très long chemin. Je suis dans le questionnement, dans l’angoisse et aussi dans l’espoir que tu trouves enfin le bonheur. Et rien que pour ça, je me sens prête à bouger des montagnes. Et le premier pas est déjà fait.

    Demain, je reprends le boulot. Alors que ma tête est complètement ailleurs, je vais devoir faire comme si de rien n’était, comme si je venais de passer un week-end tout à fait banal. Mes collègues vont me demander comme d’habitude :

    –Alors, tu as passé un bon week-end ?

    –Oui, oui ! Au fait, j’ai appris que mon fils est transgenre. Et toi ?

    J’imagine avec un sourire non dissimulé leur tête ! Non, je vais simplement leur répondre :

    –Très bon et toi ?

    Le soir même, je retourne dans ta chambre. Je te demande comment tu te sens après cette révélation. Je te trouve plus léger, plus ouvert, plus loquace. Tu es soulagé de me l’avoir dit sans doute. Tu me parles d’épilation, de masquer ta barbe, de laisser pousser tes cheveux et tes ongles. Tu m’apprends que tu as déjà choisi ton nouveau prénom. Quinn. C’est joli, j’aime bien. Même si normalement ce n’est pas dans l’ordre des choses de choisir son propre prénom. Ça me fait bizarre, mais j’accepte totalement. Tu vas choisir de renaître une nouvelle fois. Pas de mon ventre cette fois-ci, mais je serai là pour t’accompagner lors de tes premiers pas.

    Je vais t’aider dans ta transition et tu m’aideras dans la mienne. Parce qu’il faudra bien que j’apprenne à être maman d’une fille de plus ! Il faudra que j’apprenne à t’appeler autrement, à te considérer autrement. Mais tu resteras toujours mon enfant, garçon ou fille, peu importe. Pourvu que tu sois heureux.

    Et avant que je quitte ta chambre, à nouveau, tu me serres dans tes bras. Et je suis la plus heureuse des mamans.

    Ce soir, je m’endors fatiguée, épuisée physiquement et mentalement. La tête pleine d’angoisses et de questions. Mais je me sens riche de ta confiance, prête à tout pour te rendre heureux… heureuse.

    28 juillet 2020 

    Tu m’avais dit que la première étape à franchir était d’aller voir un psychiatre. Je fais des recherches, je vais sur internet, j’essaie de trouver LA bonne personne qui pourra t’aider. C’est important. Je tombe sur le site d’un hôpital psychiatrique parisien de référence qui propose des consultations sur la dysphorie de genre menées par un psychiatre.

    Sans attendre, je te donne l’info et le mail du secrétariat.

    À toi de jouer maintenant.

    31 juillet – 2 août 2020 

    Début des vacances pour moi ! Enfin, deux semaines de repos bien mérité, j’étais épuisée. Au programme, un week-end de camping ! Toi, Laurent, mon compagnon, et moi au bord d’un étang en pleine nature. Je me dis que ça nous fera du bien à tous de prendre un peu l’air. Tu avais accepté de venir avec nous et j’étais ravie. On aura le temps de discuter, de passer du temps ensemble…

    Oui, mais.

    Depuis quelques jours, je te trouve à nouveau très sombre, fermé, triste, inaccessible.

    Quelque chose sonne dans ma tête, comme une alerte. Je déploie mes antennes, mais cette fois-ci, elles ne captent rien. Je suis inquiète, je me pose des questions. Au moment du départ, je viens te voir dans ta chambre, j’ai besoin de savoir quel mal te ronge. Mais comme souvent quand ton état te mène à l’isolement, tu ne souhaites pas parler, pas envie. Ta voix est faible, presque imperceptible, mais je lis dans tes yeux que ce n’est pas la peine d’insister, je n’en saurai pas plus. Ce n’est pas le moment. Je te redemande si tu veux toujours venir avec nous, tu me réponds que oui. Je quitte ta chambre avec une boule d’angoisse dans la gorge, j’espère que ça ira mieux, que tu réussiras à me parler, à profiter un peu de ce week-end qui nous attend. Je me dis qu’on aura le temps de parler pendant ces trois jours. Si j’avais su ce qui m’attendait, j’aurais probablement insisté…

    On prend la route, on arrive au camping, c’est magnifique. Un tout petit camping tenu par un particulier avec à peine trois emplacements. Un endroit calme, en pleine nature, tout au bord d’un grand étang. J’ai l’espoir qu’on va passer un super week-end. Mais tu es toujours aussi fermé, éteint. Tu ne prononces quasi aucun mot. Juste des sons que nous devons interpréter comme des oui ou des non à nos questions.

    Je t’aide à monter ta tente, tu as une énergie et une volonté proches de zéro, ce qui a le don de m’agacer. Je ne comprends pas ton attitude, c’est très difficile. J’ai l’impression de t’avoir emmené au goulag… Au bout de deux heures, je craque. Je te prends par le bras et t’emmène sur un banc au bord de la plage de l’étang. La vue est magique, des cygnes naviguent paisiblement sur l’eau, les oiseaux chantent, l’étang scintille sous les rayons du soleil couchant. Il fait chaud, mais il souffle une légère brise qui est très agréable. La nature ne se doute pas un seul instant de ce que tu es sur le point de m’annoncer, elle est complètement insouciante.

    Grâce à mes questions, la parole se libère enfin, même si elle se résume à de simples oui ou non.

    Oui, tu vas mal, oui, tu es triste. Et les mots sortent, comme des couteaux acérés :

    « Je me déteste, je déteste tout en moi, je n’aime pas ma voix, je n’aime pas mon corps, je n’aime rien en moi. Je ne me supporte plus. »

    Mon cœur de maman est atteint dans sa chair. Il se brise d’un coup et tombe par terre en mille morceaux dans un fracas assourdissant.

    L’émotion est vive, tranchante. Au travers de ta voix faible et vacillante, je perçois beaucoup de douleur, de détresse. Ma gorge se noue aussi, j’ai du mal à contenir mon émotion et mon propre désarroi face à tant de souffrances. J’essaie de te rassurer, de trouver les mots justes, les mots d’une maman qui a mal de voir son enfant souffrir. Mais je suis désemparée. Je reçois ton désespoir en pleine face. Et je ne peux m’empêcher de culpabiliser. C’est moi qui t’ai mis au monde, alors je me demande si j’aurais dû te « faire » autrement pour que tu sois heureux aujourd’hui…

    Je te sens terriblement fragile, à vif. Mon cerveau est en ébullition, je cherche à tout prix des paroles qui pourraient t’apaiser, te rassurer. Je sais que tu n’aimes pas le contact affectif, mais je tente tout de même de te toucher l’épaule, de t’apporter un peu de réconfort.

    Et puis je sens au fond de moi qu’il faut que je te pose LA question. LA question qu’on a toujours peur de poser. Je sais qu’il le faut. Et j’ai tellement peur de la réponse…

    Comble du hasard, j’avais récemment beaucoup lu sur la dépression, le désespoir et les idées suicidaires. Je suis du genre à toujours vouloir comprendre les choses, alors je lis beaucoup, en particulier sur la psychologie, sur l’humain. Ce sont des sujets qui me passionnent. Alors au détour d’un article sur les idées noires, justement, j’avais appris que dans ce genre de situation, il fallait poser LA question. LA fameuse question que l’on n’ose pas aborder de peur de faire germer cette idée dans la tête de l’autre. Or c’est en réalité tout l’inverse. Si graine il y a, elle germera de toute manière, avec ou sans nous…

    C’est vraiment une question que personne ne souhaite poser à son enfant, à son proche. Et pourtant, il le faut.

    Alors, la gorge nouée, je te pose LA question ou plutôt LES questions :

    –Je vois bien que tu es désespéré. As-tu des idées noires ? 

    La tête baissée, le regard vers le sol, le menton tremblant, tu me réponds « oui ».

    Ma gorge se serre de plus en plus. Mon ventre se noue, mon cœur s’emballe. J’ai comme le souffle coupé, j’attends la suite…

    –As-tu envie de partir ? Impossible pour moi de prononcer « l’autre » mot.

    Le regard toujours vers le sol, tu me réponds « oui » dans un sanglot. Les vannes s’ouvrent. Le barrage se fend et c’est tout un raz-de-marée que je me prends en pleine face.

    Je ne peux retenir mes larmes, je suis sonnée, même si au fond de moi, je me doutais de la réponse. Tu m’avais en effet déjà donné plusieurs indices…

    C’est un véritable cataclysme dans ma tête, un tremblement de terre dans mon cœur, une implosion dans tout mon être. Une bombe nucléaire. Mon premier réflexe est de faire face, de ne pas m’effondrer malgré les larmes qui trahissent mon self-control. Mon obsession est de trouver les mots justes. Te convaincre que tu ne peux pas partir, qu’on va se battre avec toi, que je vais tout faire pour que tu ailles mieux, que la vie vaut d’être vécue.

    Les mots sortent tout seuls, je laisse mon cœur parler. Mais j’ai la peur viscérale de me tromper, de ne pas dire ce qu’il faut, d’en faire trop ou pas assez. L’angoisse me tord l’intérieur, mais je me bats comme une lionne à tes côtés.

    Mon bébé ne peut pas et ne doit pas mourir de chagrin. Littéralement.

    J’ose alors te demander si tu as déjà pensé plus « précisément » à tout ça, à la manière de passer à l’acte. Mon Dieu que c’est difficile. Cette discussion me semble tellement irréelle. Une partie de moi n’en revient pas d’évoquer tout cela avec toi. Et pourtant, il le faut. Je ne réfléchis pas à ce que ça représente, je suis en mode pilotage automatique.

    À ma question, tu hausses les épaules :

    –Je ne sais pas. Mais je ne veux pas te faire de mal.

    Cette dernière petite phrase me rassure un peu, juste un peu.

    Quand on met au monde un enfant, on sait bien qu’un jour il partira. Nous sommes tous mortels. Mais la logique de la vie voudrait que cela arrive après notre propre départ. Mais il est tellement impensable, inacceptable et intolérable que son enfant décide de quitter cette terre de son plein gré, à cause d’une souffrance insurmontable, d’une détresse incommensurable.

    Comment est-il possible qu’une mère ne puisse pas empêcher ça ? Comment est-il possible qu’une mère n’arrive pas à protéger son petit ? Des questions sans réponse, hautement culpabilisantes pour toutes les mères qui ont vécu ce drame du suicide.

    Elles n’ont pourtant aucune raison de culpabiliser. Nous ne sommes pas des superwomen. Les choses peuvent parfois nous échapper. La vie de nos chers petits peut nous glisser entre les doigts, sans même que nous puissions réagir. Malgré tout notre amour.

    Pour avoir entendu et lu des témoignages de parents d’enfants trans, il s’avère que les tentatives de suicide sont plus fréquentes dans cette population de jeunes gens. Même si cela me donne des frissons dans le dos, j’essaie de ne pas trop y penser. Mais aujourd’hui, je ne peux pas faire l’autruche. Il faut faire face. Il faut agir. Maintenant.

    Notre discussion s’achève, je te sens libéré d’un nouveau poids. Tu m’as confié ta plus profonde détresse, je t’ai écouté, rassuré tant bien que mal, entouré de tout mon amour.

    Pour que tu ne partes pas. Pour que tu ne partes pas. Pour que tu ne partes pas.

    Je te propose de t’emmener voir un médecin, dès lundi. Tu es d’accord. Ça me rassure un petit peu. Tu as besoin d’aide, une aide plus « médicale » que je ne peux pas t’apporter.

    Et alors que s’achève notre moment, sur l’étang devant nous les cygnes continuent de nager paisiblement, les grenouilles se mettent à chanter prenant le relais des oiseaux. Le soleil couchant caresse la surface lisse de l’eau. Ce paysage idyllique contraste en tous points avec la gravité de nos émotions. Mais quelque part, cela nous fait du bien. Nous sommes dans l’œil du cyclone.

    De retour aux tentes, ma tête résonne encore de tous ces mots difficiles à entendre. J’ai besoin de parler, de me confier, de partager ce fardeau. Mais comment ? Parce qu’à partir de ce moment naît en moi une peur viscérale qui ne me quittera jamais : celle de dire ou faire quelque chose qui pourrait te pousser à passer à l’acte. Une parole mal interprétée, un geste déplacé, un regard mal compris. J’ai peur, tellement peur. Je fais comme si de rien n’était, car je ne veux pas montrer ma détresse. Je veux rester calme. Parce que j’ai peur que si tu me vois malheureuse, tu te sentes coupable de me rendre triste. Ce qui pourrait aggraver ton sentiment d’être une mauvaise personne. Et te pousser dans la mauvaise direction. J’ai peur d’ajouter de la douleur à ta douleur.

    Et puis c’est aussi, et sûrement inconsciemment, mon mécanisme de survie. J’ai en effet besoin de garder mon calme et la tête sur les épaules pour agir au mieux. Pas question de perdre mon sang-froid. Ce n’est pas le moment.

    Alors je fais comme si de rien n’était. Ou presque.

    Mais en réalité, peut-on vraiment agir « comme si de rien n’était » dans une telle situation ? Et puis est-ce la solution ? Vas-tu penser que je dédramatise ? Que je ne valide pas tout ce que tu m’as dit ? Que je minimise les faits ?

    Je suis complètement perdue. Je ne sais plus comment être, comment paraître. C’est une situation tellement inédite pour moi. À l’école des mamans, on n’apprend pas à gérer ce genre d’épreuve…

    Après le repas, je ne tiens plus, je dois parler. J’attire Laurent vers la voiture éloignée des tentes, j’écris une phrase sur mon téléphone et lui montre l’écran. Pour qu’il sache ce qu’il se passe. Mais pas question de parler à voix haute, j’ai trop peur. Il est sidéré, comme moi. Il a compris que c’est grave. Je décide d’appeler ta grande sœur, Julia, à l’abri dans la voiture. Elle comprend elle aussi que c’est grave. Je sens que ça lui fait mal, qu’elle est immédiatement inquiète pour son frère, mais elle gère.

    Toute jeune psychologue, elle connaît les réflexes à avoir dans de telles circonstances. Elle me dit qu’il faut que tu voies un médecin au plus vite. Elle me demande si tu as verbalisé un plan, si tu as des médicaments dans ton sac.

    Je ne sais pas, je n’en sais rien. Tout ce que je sais, c’est que nous campons sur la rive d’un étang. L’eau est à 3 mètres de ta tente… Des scénarios aussi noirs les uns que les autres se bousculent dans ma tête. L’angoisse monte, mais la présence de ma grande fille au bout du fil me calme.

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1