Série Niørt - Tome 1: On ne réveille pas le dragon de Niort
Par Sebastien Acker
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À propos de ce livre électronique
Niort, décembre 1692. Glacial. Le soldat Jacobus Alloneau, condamné à mort, veut saisir sa chance de voir sa sentence levée : alors il s’en va défier le dragon qui terrorise la cité depuis quatre mois.
Niort, été 2014. Pourri. Les macabres découvertes se succèdent en ville, et l’odeur rance de ces crimes en série défie jusqu’aux plus hautes autorités de l’État.
Quel lien entre ces deux dates ? Voilà tout le mystère d’une enquête qui va hanter le quotidien du privé libertaire Milo Scharf et de Théodore Chanteloup, patron du commissariat de Niort. À travers une saga familiale, c’est le fameux mythe de la « serpe ailée » de Niort qui se rappelle à nous et éclaire le présent d’un autre regard. La fresque de l’histoire protestante éclate au grand jour : de la peste du Moyen Age à cet été 2014, combien seront-ils à apprendre à leurs dépens qu’on ne réveille pas impunément le dragon de Niort ?
Réponse dans ce premier opus de la Série Niørt de Sébastien Acker.
Sébastien Acker revisite la légende du dragon de Niort dans ce polar mystérieux et effrayant, premier tome d'une série policière.
EXTRAIT
Blague à part, Chanteloup est totalement ailleurs depuis la matinée. Un nouveau témoignage a corroboré les précédents qui affluaient au poste depuis la veille : combien étaient-ils à être persuadés d’avoir croisé un dragon ces cinq derniers jours ? Le policier ne peut se soustraire à ce décompte stressant. Une cinquantaine, soixante peut-être ? Comme une traînée de poudre, la rumeur du dragon de Niort enfle dans la ville. Elle aurait amusé Chanteloup si elle n’avait été assortie de cinq disparitions et deux morts épouvantables, durant ces cinq jours.
[...]
Les deux morts ont été retrouvés à des endroits différents de la ville mais dans un état tout aussi effroyable. Hortense Marceault a été réduite à un tas de chair impossible à identifier si on n’avait retrouvé sa prothèse de hanche dans un bouquet de glaïeuls, au beau milieu de la terrasse de la fleuriste, place Saint-Jean. Grâce au numéro de série, le médecin légiste n’a mis que quelques minutes à remonter vers son opération à Bordeaux, deux ans plus tôt. Personne ne retrouva son dentier, en revanche. Un chat était sagement occupé à savourer son cerveau quand les sapeurs-pompiers vinrent enlever les rebuts du corps de la mamie gâteau de 76 ans pour les glisser dans des sacs poubelles.
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
Une belle légende que celle du Dragon de Niort, racontée dans ses moindres détails historiques par l'auteur. - NLG, Images de Romans
À PROPOS DE L'AUTEUR
Sébastien Acker est né à Laval (Mayenne). Lecteur compulsif, fondu de littérature nordique et yiddish, il a publié son premier roman en 2011. Journaliste dans la presse quotidienne régionale (La Nouvelle République du Centre-Ouest), passé par le Berry pendant douze ans et très attaché à cette région, il y a entamé une série romanesque où il revisite des écrivains nés ou qui ont vécu en Berry et Sologne («Les Berrypéties»). Ces deux romans noirs ont été publiés dans la collection «black Berry» des éditions de La Bouinotte : Plus sombre que l’ombre de tes ailes (2011) et La Forêt pleure souvent, tu sais (2013). Arrivé à Niort voici deux ans, On ne réveille pas le dragon de Niort..., son troisième polar, est le premier opus de sa Série Niørt. On y découvre notamment sa fascination pour ce qui compose l’infime frontière entre fiction et réalité et son plaisir de jouer sur ce fil ténu.
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Avis sur Série Niørt - Tome 1
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Aperçu du livre
Série Niørt - Tome 1 - Sebastien Acker
Chapitre 1
Un pince-oreille traverse l’écran d’ordinateur. Longues antennes en avant, six pattes délicates et malhabiles, l’insecte glisse comme un patineur, l’hiver, place du Temple. Théodore Chanteloup sort de ses songes. Le commandant devisait depuis bientôt trois heures dans le noir, l’éclairage de son écran accroché à son visage blafard. Le petit dermaptère le ramène sur terre. Chanteloup suit un instant la destinée de cet invité nocturne sur son écran, puis file à la fenêtre. Le flic grimace en deux craquements de genoux, trois mouvements. Quelques miettes de tabac gisent encore sur son bureau.
La ville sent la pierre à feu des soirs d’orage. Par la fenêtre ouverte de son placard du commissariat, l’enquêteur respire le souffle chaud et moite de ce début d’été pourri. Des relents d’égouts traînent leur sale haleine dans la nuit. Niort, l’endormie, pue de la bouche. Le commandant Chanteloup allume une autre cigarette. La pluie balayera bientôt les mégots, le long des trottoirs. « Pays de pluie ! », éructe-t-il à haute voix dans son commissariat désert. « Pleurs de femme et pluie d’été ne font pas un grand ruisseau », sourit-il, les pensées pleines à foison d’une collection complète de misogynies.
Blague à part, Chanteloup est totalement ailleurs depuis la matinée. Un nouveau témoignage a corroboré les précédents qui affluaient au poste depuis la veille : combien étaient-ils à être persuadés d’avoir croisé un dragon ces cinq derniers jours ? Le policier ne peut se soustraire à ce décompte stressant. Une cinquantaine, soixante peut-être ? Comme une traînée de poudre, la rumeur du dragon de Niort enfle dans la ville. Elle aurait amusé Chanteloup si elle n’avait été assortie de cinq disparitions et deux morts épouvantables, durant ces cinq jours.
Son regard broussailleux se perd en pensées hirondelles. Un vent chaud s’engouffre dans son bureau en désordre. Des notes, des centaines de petits papiers bougent seuls, ils dansent dans le souffle brûlant de la nuit, sous la lumière électrique de l’ordinateur. L’insecte glisse sur l’écran, misérable, en silence. Il se prend pour un patineur sous les aurores boréales de Laponie. Délicatement ridicule.
Chanletoup transpire à grosses gouttes en rêvant aux vents glacés du Grand Nord. Un frisson parcourt son vieux cou boursouflé. Théodore Chanteloup redoute que l’enquête du dragon de Niort s’éternise jusqu’aux affres de l’hiver. Ce ne sera pas le cas. Tout ira vite. Le flair du fin limier, son flair légendaire ne le trahit jamais. Si l’on était logique, il faudrait bien au moins tout un été, un automne infini et le gris de novembre pour venir à bout de cette impossible histoire. Mais rien ne paraît logique dans cette sale mécanique.
Les deux morts ont été retrouvés à des endroits différents de la ville mais dans un état tout aussi effroyable. Hortense Marceault a été réduite à un tas de chair impossible à identifier si on n’avait retrouvé sa prothèse de hanche dans un bouquet de glaïeuls, au beau milieu de la terrasse de la fleuriste, place Saint-Jean. Grâce au numéro de série, le médecin légiste n’a mis que quelques minutes à remonter vers son opération à Bordeaux, deux ans plus tôt. Personne ne retrouva son dentier, en revanche. Un chat était sagement occupé à savourer son cerveau quand les sapeurs-pompiers vinrent enlever les rebuts du corps de la mamie gâteau de 76 ans pour les glisser dans des sacs poubelles.
Hortense Marceault, toujours pomponnée comme un dimanche de communion, a fini ainsi, en bouillie à peine humaine, sur le pavé niortais.
Célestine Rajaut, du moins ce qui restait de sa dépouille, était éparpillée en bord de Sèvre, près du petit pont de bois de Pré-Léroy, comme si un animal aquatique avait régurgité ici son repas avant de poursuivre sa nage vers le nord de la ville. Un jogger matinal faillit trébucher sur un pied de l’aînée et eut le bon réflexe d’appeler aussitôt la police.
On venait juste d’identifier les morceaux d’Hortense Marceault quand le sportif contacta Police secours, alors cela produisit son petit effet au commissariat. Célestine Rajaut, tendre grand-mère de sept petits-enfants tous plus mignons les uns que les autres, reine du pain d’épices et de la crème au chocolat, avait achevé sa vie en abats d’équarrisseur maladroit de manière totalement injuste pour une végétarienne de sa trempe. 77 ans, une année de plus que l’autre victime. Il ne fait pas être bon être une femme titulaire de la carte vermeil, en cet été 2014, à Niort.
À l’évidence, on aurait pu avoir affaire à un tueur en série, affublé d’un hobby certain pour l’humain en marmelade, féminin et à l’automne de sa vie de surcroît. Sauf que la liste des quatre disparus bouscule ces évidences : Gérard Cazeneuve, un Niortais de 56 ans et déjà retraité de la SNCF ; Casimir Estoufigue, 63 ans, né dans les Corbières mais toujours commissaire priseur jusqu’à ce que le concierge de la salle des ventes de la rue de la Gare s’affole devant les clients impatients ; Christophe Bougnon, chanteur lyrique le week-end et chauffeur-routier la semaine, 41 ans, un calendrier Aubade solidement accroché à la cabine de son 38 tonnes hyper bichonné ; enfin, Isabelle Le Goff, 29 ans, professeur d’histoire au lycée de la Venise Verte, née en banlieue parisienne, arrivée à Niort voici deux ans seulement. Et partie depuis cinq jours on ne sait où.
Première piste pour le commissaire Théodore Chanteloup, le compagnon d’Isabelle, un coureur de jupons d’une rare acuité dans ce domaine, est fiché au FIJAISV, le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes. Cinq ans de prison pour avoir confondu la tête de sa précédente petite amie avec un punching-ball, cela ne fut pas cher payé, surtout quand on sait qu’Estelle a perdu définitivement le goût et l’odorat pendant ses cinq jours de coma. La théorie de la tartine de confiture chère au commandant Chanteloup, celle qui retombe toujours du côté fraise, s’était encore vérifiée chez la jeune Estelle Saurigny. Aussi incroyable que cela puisse paraître, elle venait d’être admise à l’École supérieure du parfum de Paris quand elle se fracassa le maxillaire sur sa table en verre après avoir reçu un dernier uppercut d’Antoine Thibaudaud.
À la fenêtre du commissariat de Niort donnant sur la rue Saint-Gaudens, dans le remugle de soir d’été trop lourd, trop chaud, trop humide, Théodore Chanteloup laisse un moment la liste de tous ces noms valser dans ses pensées. En rabattant l’écran de son ordinateur sur le clavier, il écrase un pince-oreille qui avait mal choisi son moment pour jouer les Candeloro sur des pixels.
Funambule sur la frontière ténue de son petit matin souffreteux, Niort dort d’un sommeil d’or. Chanteloup traverse la ville comme un fantôme et ne peut s’empêcher de penser à ce fichu dragon qui doit déjà hanter les pires cauchemars des enfants de la ville.
L’image de ce flic gras et solitaire dans les dernières traces d’obscurité, escaladant la Brèche en soufflant comme un goret haletant, est aussi hopperienne que miséreuse. Quand il retournera au commissariat après quelques heures de ce genre de sommeil qui ne vous laisse guère dormir, Théorore Chanteloup aura à composer avec deux morts supplémentaires sur les bretelles, la pression de la préfecture sur des charbons ardents avec la venue inopinée du ministre de l’Intérieur, les journalistes affamés de questions, plantés devant la grille du commissariat. Et surtout Niort, tout Niort, la ville entière effrayée par cette histoire de dragons qui n’était jusqu’alors faite que pour amuser la galerie avec tout son folklore, voire au pire, effrayer sagement les enfants. On peut comprendre que Théodore Chanteloup, flic au flair légendaire, ait le somme fébrile.
Chapitre 2
Que peut-on ressentir quand on s’en va seul combattre, à la vie à la mort, le terrible animal qui terrorise la ville depuis trois mois ? Ce matin-là, Jacobus Allonneau observa très longuement Jehan, son petit garçon, avec les yeux d’un père perdu. Jacobus Allonneau avait échappé à la pendaison en acceptant de combattre le dragon de Niort. Quelles chances avait-il de réchapper à cet inégal combat ? Marché de dupe ? Pas tant que cela. Jacobus savait qu’il ne reverrait pas son enfant, certes, mais son fils unique garderait toujours de lui l’image du courage. Cela seul justifiait son trépas.
Dans sa bassine en bois, le dos sur sa couche de paille, Jehan gazouillait comme un bienheureux, avec toute l’insouciance de ses deux ans. Jacobus Allonneau lui adressa un rictus tendre, le plus beau des sourires qu’un papa puisse offrir à son chérubin, celui que l’on sait ultime.
Au 16 de la rue Cloche-Perse, dans la pénombre de ce glacial jour de décembre 1692, en pleine foire Saint-André, Jocobus entendait les cris des drapiers remontant la ville en direction de la tour du Prieur pour aller tâter les bêtes, en simples curieux, sur la place du Vieux-Marché. Quand le bruit de leurs pas pressés redescendrait vers la grande Halle, à l’ouverture du marché du jeudi, ce serait son heure. Le temps était suspendu. Il lui restait de maigres instants avant de se présenter, comme convenu, au gouverneur, dûment armé.
Jacobus Allonneau, premier client du nouveau tribunal criminel, tout juste libéré de ses quelques jours d’enfermement chez les Carmélites, était enfin libre. Mais de quelle liberté parlait-t-on ? Il avait obtenu la grâce du gouverneur du Poitou en personne, soit. En échange, le Sieur Réné-François de La Vieuville avait acquis du condamné à mort qu’il combatte le dragon de Niort. La levée de sa condamnation pour désertion était néanmoins inespérée.
— Il est l’heure de nous prouver que vous n’avez pas fui les Missions bottées de Louvois par lâcheté. Le Duc de Noailles en personne a accepté la grâce de l’un de ses bonnets à flammes porté déserteur, tâchez d’en être digne ! Vous obtiendrez la clémence en échange d’un grand service à rendre à notre pieux et bon peuple. Gagnez ce combat contre le dragon de Niort et vous serez libre, Allonneau. Le pouvoir royal consent même à vous laisser une dot de 100 livres. Plus de trente écus blancs, c’est une somme !, lui avait lancé Vieuville, dans l’humidité du cachot des Carmélites.
Une énième fois, le petit soldat avait voulu s’expliquer. Le gouverneur n’accepta pas de l’entendre. Le petit soldat du Roi avait quitté illégalement les rangs militaires, le fait était établi et qu’importe la raison invoquée, rien ne pouvait justicier un tel affront à Louis XIV. Le gouverneur était un rusé. Il n’ouvrait jamais la porte à ce genre de gémissements obséquieux.
Jacobus aurait pourtant pu invoquer sa grandeur d’âme. Lui, fils de huguenot niortais, enrôlé trop jeune dans les Dragons, victime d’une vengeance de notable local contre son père. Jacobus était destiné à suivre la longue lignée de drapiers, droguetiers et sergers. Mais la concurrence était telle entre les 400 artisans à Niort qu’un converti bien placé n’avait rien trouvé de mieux que de s’attaquer au petit dernier pour se débarrasser de cette famille travailleuse dont les affaires prospéraient raisonnablement. On ne sait combien d’écus avait dû miser ce salopard pour convaincre les édiles d’envoyer Jacobus chez les militaires.
Quel horrible sort, en vérité ! Le jeune Jacobus n’avait rien demandé à personne et se retrouva dans une position intenable : sa pauvre mère, si fière la première fois qu’elle le vit dans sa tenue sinople et or de cavalier, mourut de désespoir quand elle sut à quel destin était voué son fils unique.
C’était à l’automne 1668. Jacobus n’avait que 23 ans. Traître coïncidence. Sitôt enrôlé aux côtés de la jeune garde du marquis de Louvois, le novice cavalier fit partie des premiers cobayes que l’on envoya tester les dragonnades. Voilà l’intenable destin de Sieur Jacobus Allonneau, fils de marchands de Niort : il se retrouva dans sa propre ville à pourchasser les siens pour les faire abjurer. Au sein du premier détachement de dragons envoyé dans sa bonne ville, troupe bientôt renforcée de quatre compagnies de la soldatesque royale, Jacobus fut contraint de loger chez des protestants de son rang, de simples marchands, tous des roturiers, et de les ruiner pour les convaincre de se convertir au catholicisme.
Dans ce sordide automne pourri, on exécuta sommairement deux bourgeois et deux jeunes protestants furent pendus en place publique, telles des effigies. Jacobus Alloneau était beaucoup trop jeune alors pour avoir le courage de fuir les rangs de l’armée, aussi douloureuse fut cette première expérience. Il compta parmi ceux, très rares alors, qui ne rirent pas quand on roula Madame et Mademoiselle de Navailles dans la fange. La femme et la fille du gouverneur en personnes, victimes de débordements boueux, quelle affaire ! L’incident eut au moins le mérite d’offrir un répit au jeune Jacobus. Pour calmer les protestations de l’échevinage, Louvois et Navailles firent retirer les troupes. Jacobus