L'arTmistice: Roman historique
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À propos de ce livre électronique
Béranger Milcent, jeune professeur, se souvient. Sur la route qui le conduit vers un vieil artiste agonisant, le passé ne cesse de ressurgir. Dans la chambre mortuaire, commenceront alors trois journées de rituels funéraires, de souvenirs et d’une longue messe de sépulture. Où l’on découvrira progressivement les secrets d’un homme aussi ardent que discret dans ses manifestations ; d’un époux zélé au milieu de nombreuses figures féminines. Où l’Art et l’Histoire se côtoieront parfois dangereusement. Où quelques secondes tragiques du premier conflit mondial sembleront décider de l’orientation de toute une vie d’homme.
Avec talent, l'auteur mêle art et guerre dans ce récit poignant.
EXTRAIT
Éployée sur le vieux chêne d’une table, j’en avais toute une trâlée. « Mais tu n’avais pas mis un plastique en dessous ! » C’était ma pointilleuse mère qui ne manquait jamais de surgir.
Je me souviens. Donc encombrant la table de Môman — au fond d’une souillarde ! — toute une trâlée de photos sur ce pays de terre et d’eau. L’alliance de mots semble faire fi de mes prétentions du moment. De trâlées, ici, on connaîtrait plutôt celles de saloperies. Et surtout, de gosses. Je crois me rappeler que trâlée descendrait d’un vieux mot — la traille — qui désignait un filet de pêche. Ce qui me ramène à mon sujet : mes photos. Sur la berge d’un étier, des joncs courbes et brisés ont fulguré des poissons-volants. Là, un agneau se désaltère dans le miroir d’une onde claire. J’ai renversé le cliché cul sur tête. Mais où est le reflet et où se trouve maintenant la bête ? Sur la table précieuse, mes photos commencent à rebiquer aux angles après une journée estivale de séchage. Je les ai tirées dans la nuit.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Gilles Perraudeau est né en 1947 à Bois-de-Céné (85) dans un milieu rural. Il a été enseignant en lettres et option théâtre. Il a longuement recueilli et publié la tradition orale du Marais breton-vendéen et du Pays de Retz. On lui doit de nombreuses collaborations chez Geste et l’Harmattan. Il a signé une vingtaine d’ouvrages, tant essais que fictions dont : Gars et filles de l’Ouest (Le cercle d’or, 1986), Les bourrines du Marais nord-vendéen (Séquences, 1988), Quand la mer reviendra (Geste, 1991) L’homme infidèle (Geste 1997), Et Waldeck fit la loi (Théâtre, Sol’air, 2001), La berge aux vierges de Grand-Lieu (Nouvelles, Petit-Pavé, 2004), L’invention du Marais nord-vendéen (Geste, 2006), Contes du Pays de Retz (Geste, 2007), Le printemps des massacres (Durand-Peyroles, 2013), Maraîchins, nous voilà ! (Geste, 2014).
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Avis sur L'arTmistice
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Aperçu du livre
L'arTmistice - Gilles Perraudeau
Table des matières
L’arTmistice
Première journée
Seconde journée
Troisième journée
Du même auteur
Dans la même collection
Résumé
Béranger Milcent, jeune professeur, se souvient. Sur la route qui le conduit vers un vieil artiste agonisant, le passé ne cesse de ressurgir. Dans la chambre mortuaire, commenceront alors trois journées de rituels funéraires, de souvenirs et d’une longue messe de sépulture. Où l’on découvrira progressivement les secrets d’un homme aussi ardent que discret dans ses manifestations ; d’un époux zélé au milieu de nombreuses figures féminines. Où l’Art et l’Histoire se côtoieront parfois dangereusement. Où quelques secondes tragiques du premier conflit mondial sembleront décider de l’orientation de toute une vie d’homme.
Gilles Perraudeau est né en 1947 à Bois-de-Céné (85) dans un milieu rural. Il a été enseignant en lettres et option théâtre. Il a longuement recueilli et publié la tradition orale du Marais breton-vendéen et du Pays de Retz. On lui doit de nombreuses collaborations chez Geste et l’Harmattan. Il a signé une vingtaine d’ouvrages, tant essais que fictions dont : Gars et filles de l’Ouest (Le cercle d’or, 1986), Les bourrines du Marais nord-vendéen (Séquences, 1988), Quand la mer reviendra (Geste, 1991) L’homme infidèle (Geste 1997), Et Waldeck fit la loi (Théâtre, Sol’air, 2001), La berge aux vierges de Grand-Lieu (Nouvelles, Petit-Pavé, 2004), L’invention du Marais nord-vendéen (Geste, 2006), Contes du Pays de Retz (Geste, 2007), Le printemps des massacres (Durand-Peyroles, 2013), Maraîchins, nous voilà ! (Geste, 2014).
Gilles Perraudeau
L’arTmistice
Roman
ISBN : 978-2-37873-019-2
Collection Blanche
ISSN : 2416-4259
Dépôt légal : janvier 2018
©couverture Ex Aequo
© 2018Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays. Toute modification interdite.
Éditions Ex Aequo
6 rue des Sybilles
88370 Plombières les bains
www.editions-exaequo.fr
Première journée
Éployée sur le vieux chêne d’une table, j’en avais toute une trâlée. « Mais tu n’avais pas mis un plastique en dessous ! » C’était ma pointilleuse mère qui ne manquait jamais de surgir.
Je me souviens. Donc encombrant la table de Môman — au fond d’une souillarde ! — toute une trâlée de photos sur ce pays de terre et d’eau. L’alliance de mots semble faire fi de mes prétentions du moment. De trâlées, ici, on connaîtrait plutôt celles de saloperies. Et surtout, de gosses. Je crois me rappeler que trâlée descendrait d’un vieux mot — la traille — qui désignait un filet de pêche. Ce qui me ramène à mon sujet : mes photos. Sur la berge d’un étier, des joncs courbes et brisés ont fulguré des poissons-volants. Là, un agneau se désaltère dans le miroir d’une onde claire. J’ai renversé le cliché cul sur tête. Mais où est le reflet et où se trouve maintenant la bête ? Sur la table précieuse, mes photos commencent à rebiquer aux angles après une journée estivale de séchage. Je les ai tirées dans la nuit.
— Honoré n’est pas bien ! Lucile vient de nous faire prévenir par Nan-nand ! Je saute au Plessis !
C’est mon père qui vient d’entrer brutalement par la porte de derrière.
Honoré et nous, les Milcent, ça a toujours été une vieille histoire d’affaires et d’affection, un entrelacs de soutiens réciproques. Je te fais ci, tu me fais ça. Jusqu’à s’être enfin rendus bien inutiles les uns aux autres. Et finir par se voir juste pour se voir. Les Milcent : on a hérité d’un patronyme à l’effectif aussi pléthorique que les hordes de rats musqués colonisant ces lieux. Pour nous distinguer des Milcent-goret et des Milcent-la moule, nous sommes les Milcent-les sous ! Un patronyme que, à défaut de le pouvoir gommer, mon père n’a eu de cesse de le vouloir auréoler en lui adjoignant un titre, quelque chose comme « maître », « docteur » ou « professeur ». C’est le premier qu’il a réussi à décrocher.
Je ramasse ma trâlée de photos. Honoré les verra-t-il un jour ? Je pars. Mon père est déjà rendu. De Saint-Philibert à Sertaine, la route tire un trait tout droit sur le vieux socle primaire qui affleure ici et lève le nez vers l’écharpe verte de la Dune, là-bas. Entre cet éperon et l’écharpe, une terre emmaillée comme un filet, lacérée, couturée, craquelée et dont le couchant va allumer le vif-argent des fossés et redessiner le modeste bossuage : le Marais. Enfin le Plessis-Mingot, acagnardé sous ses tilleuls et ses marronniers. Ici, on parle souvent de l’étale de la marée. Moi, j’appliquerais bien le mot à cette demeure. Malgré son étage, elle est posée au sol, y prend ses aises, s’ébouse comme une poire molle, s’élargit avec nonchalance, s’arrondit lascivement aux angles et s’appuie sur des jambes de force que festonnent de belles bouillées d’hortensias bleus. À la verticalité conquérante du 18ème siècle surmontée de gâbles et de pinacles ostentatoires, le Plessis-Mingot oppose son horizontalité sereine et jouisseuse. Hédoniste : c’est tout Honoré, ça ! L’entrée du logis, maintenant : double porte de guingois surmontée d’une imposte. Jambages de pierres blondes comme des pains de ménage : le calcaire voisin de Sertaine. La boucharde d’un tailleur y a laissé une date : 1743. Et ce qui semblerait être un triangle : la voile d’un navire, peut-être ? Les Mingot étaient des armateurs nantais qui avaient contribué à colorer de noir la toute jeune Amérique. Dans l’église de Saint-Philibert, arborant leurs noms et armoiries, un vitrail qui leur a servi de monnaie d’échange contre un billet de groupe pour voyager en classe-confort dans l’éternité. Ils en avaient bien besoin.
Pas un mois, pas une semaine peut-être, à partir de l’année 60, sans que nous ne vinssions, mes parents, ma sœur et mon frère, faire notre visite chez les Dupuis, au Plessis-Mingot.
***
— Bonjour à la compagnie !
C’est Lucile sur le pied de guerre, depuis une belle heure, mais feignant la surprise, qui nous accueille. Privilège des familiers, nous avons négligé la porte de 1743 et fait le tour par-derrière. Nous sommes à la porte du plein sud, celle qui reste toujours ouverte, sauf un jour de grand vent à dérouler les nœuds.
— Alors je me disais, ils vont pas venir ! poursuit Lucile en tendant la joue.
— On ne vous ferait pas ça, voyons !
Emma, la servante — une fausse servante — ne tarde pas à pointer son long nez.
— Dame ! Je me demandais : c’est-il pas eux qui sont arrivés ?
Et bise que je te rebise ! Sur un bout de joue, près d’un poil qui danse sous l’oreille, dans rien du tout. La bouche ne baise pas, les bras n’embrassent pas. Une sensualité de carême où la répétition tente vainement de racheter des effleurements maladroits et retenus. C’est quatre fois dans ce pays faussement bisou.
— Eh bien, vous avez amené le soleil aujourd’hui ! reprend Lucile.
— Oh ! Il y avait quand même une belle gelée blanche, à matin ! rappelle Emma avec cet air de gravité dont elle ne se départit jamais.
Sagesse profonde ou sensibilité mal étalonnée, le baromètre de ses émotions manque totalement d’amplitude entre le petit bobo et la mort d’homme, une poussée de doryphores dans les patates et l’invasion teutonne. Sur le seuil de la maison, les propos météorologiques constituent le prélude obligé à ces rencontres. La seconde étape de la rencontre, et qui en constituera le corps même du sujet, abordera une question fondamentale : comment va le Monde ? Lequel commence au seuil du Plessis et s’arrête là-bas à la Dune.
Mais voici Honoré qui arrive, traînant la savate et tout nimbé de fumée.
— Ah ! Ils sont venus, ils sont tous là… chantonne-t-il, parodiant Aznavour qui ne cesse de bêler dans le poste en cette année 1963.
Et bise que je te rebise à nouveau avec Pôpa et Môman. Il s’approche de nous et s’enquiert de notre travail scolaire en fourrageant dans nos tignasses.
— Alors elle est rentrée, cette règle d’accord du participe passé à la forme pronominale ?
Mon frère Aubin — mon aîné, mais resté néanmoins avec moi dans le même cours — a le regard fuyant. Je rassure Honoré. Il nous tarde de nous entendre dire que nous pouvons filer dans le jardin. Nous y attend, sous un toit conique, une terrasse ceinte d’un balustre métallique à rinceaux très Art Nouveau. C’est notre passerelle de navire avec son bastingage. Les deux moussaillons s’y appuieront face à la mer immense du Marais. Honoré se tourne vers notre grande sœur à la grande crinière. Va-t-il encore lui demander si elle a fini le troisième mouvement du Quatuor pour cordes en sol mineur de Debussy ? Non ! Il s’extasie devant le nouveau collier d’Héloïse.
Sur le tulle noir bien tendu au-dessus de sa jeune poitrine, une croix de Jésus qui brille, nichée dans un val qui doucement ploie sous le pouce et l’index d’Honoré. Le vide ou la rondeur souple de la chair ? Une chose nous a bien mis en émoi et nous travaille depuis quelque temps : notre sœur aurait des seins ! Bien perceptibles à l’œil nu, comme ces montagnes que, pendant l’été, nous avons vues. Aussi les avons-nous appelés, ses seins : Mont-Blanc et Mont-Dore. Cela manque juste d’un peu de pertinence plastique avec la confusion dans les ères géologiques et la juxtaposition de profils montagneux aussi différents. Mais ces métaphores hardies nous enchantent. Et c’est comme deux sésames inlassablement répétés et annonciateurs de la belle à chaque fois que nous entendons son pas pétillant venant de la pièce voisine. Honoré tient enfin la croix entre ses doigts.
— Dis-moi, elle est très originale avec ses extrémités pattées…
— C’est mérovingien ! répond notre savantissime sœur de quinze ans.
Notre sœur Héloïse. Elle est enchâssée dans l’argenterie, sertie dans la ferraille, caparaçonnée de quincaillerie. C’est la fille aux bijoux : son solitaire — du gros toc, quand même ! — jamais esseulé, le ras-du-cou doublé d’un sautoir, des anneaux olympiques aux oreilles. Et je n’oublie pas les chevilles. Ah ! Les chevilles. Une enfilade de petits cercles — là, on ne peut pas dire colliers ou bracelets — qui, au-dessus des deux tétons pointés de ses chevilles, grimpent sur le mollet comme sur des cous de femmes-girafes. Pour nous, Héloïse est la copine de Babifer dont nous lisons les aventures hebdomadaires dans Bayard, le journal des enfants édité par la Bonne Presse, forcément catholique. Nous appelons donc Héloïse : Miss Fer. « Eh ! Miss Fer ! » De sa planète à elle, elle ne daigne pas condescendre à bien vouloir s’abaisser pour répondre à nos agaceries permanentes. Et