Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Requiem pour une racaille: Thriller uchronique
Requiem pour une racaille: Thriller uchronique
Requiem pour une racaille: Thriller uchronique
Livre électronique391 pages6 heures

Requiem pour une racaille: Thriller uchronique

Évaluation : 4 sur 5 étoiles

4/5

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Tout aurait pu être rose pour les habitants de Villonne, si seulement les cafards étaient remplacés par des citrouilles et les chiens errants par des princes charmants.

Julien doit faire avec un appartement minable perché en haut d'une tour dans la zone de la cité de Villonne, une mère mourante et un frère simplet. Le changement d'une nouvelle société est en route et Julien, qui choisit son camp, se retrouve impliqué de très près dans la réorganisation de la cité. Il faut exterminer les cloportes sans état d'âme, sélectionner les plus forts et mettre les plus dociles et les plus fragiles à leur service. Telle est désormais la réalité de Villonne.
Des Elfes voudront s'échapper de ce nouvel ordre. Une jeune ébouriffée et son drôle de prince les prendront sous leurs ailes. Un vieil illuminé leur comptera une fable laissant entrevoir une issue aux allures féeriques. Sauf que, bien sûr, la réalité les rattrape. Ça n'existe pas les contes de fées... Même si, dans cette histoire aussi, on arrache des cœurs d'enfants.

Un thriller à l'ambiance noire et angoissante sur fond de dystopie... À découvrir sans attendre !

EXTRAIT

L’eau gouttait…
Julien serra les robinets au maximum, mais le goutte-à-goutte continua, imperturbable et lancinant, avec son ploc ! ploc ! dans l’évier en inox tavelé par le calcaire et rayé par le Scotch-Brite d’un milliard de vaisselles.
Il gifla le cou du mélangeur, celui-ci riposta en dégueulant une avalanche de gouttelettes, puis, marquant lugubrement les secondes, la clepsydre reprit.
Le joint était foutu… Putain de matériel… L’immeuble partait en capilotade, comme le reste.
Sur la table une blatte intrépide dardait ses antennes vers une croûte de pain. J’y vais t-y, j’y vais t-y pas ? Le poing de Julien s’abattit. Plus de blatte, pour elle, fini l’alternative, pas plus mal.
Il décolla le cadavre du tranchant de sa main, qu’il essuya sur son jeans et déposa la bouillie de blatte dans le cendrier ; il la ferait griller tout à l’heure.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

En quelques pages, le lecteur est plongé dans une nuit au climat oppressant, où manger, vivre en sécurité, sauver sa peau est devenu problématique… - Yves Carchon, Tv locale.fr

À PROPOS DE L'AUTEUR

Originaire du Val de Loire, après une jeunesse tourangelle, Gil Graff pose ses pénates dans le Sud. Pendant des années elle jonglera avec son poste dans la Fonction publique, la rédaction de ses romans et l’animation d’ateliers d’écriture pour des publics éclectiques : au sein de l’univers carcéral à la Maison d’arrêt des femmes de Perpignan, au Centre de détention avec les hommes, en psychiatrie avec des patients hospitalisés de jour, au lycée ou plus simplement avec les abonnés des médiathèques.
En 2015, elle plaque sa carrière professionnelle et mène désormais sa vie entre apiculture, restauration de vieilles pierres, maraîchage et… écriture, dans l’arrière-pays catalan.
Elle est l’auteur de sept romans à la lisière des genres : anticipation, social fiction, roman noir… réunis sous l’appellation « Polar ».
Toujours puisant aux sources du réel, le plus trivial souvent, Gil Graff est un auteur inclassable, au-delà des modes. Depuis des années, elle a su imposer son style : un humour baroque pour des histoires immorales, cruelles mais jubilatoires.
Pour cet auteur exigeant, littérature ne peut être que synonyme de défi.
LangueFrançais
Date de sortie30 oct. 2017
ISBN9782367710983
Requiem pour une racaille: Thriller uchronique

Auteurs associés

Lié à Requiem pour une racaille

Livres électroniques liés

Fiction d'horreur pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Requiem pour une racaille

Évaluation : 4 sur 5 étoiles
4/5

1 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Requiem pour une racaille - Gil Graff

    Préface

    En d’autres temps, Gil Graff, dont le style est aussi fluide que la silhouette, aurait eu un tout autre écho dans la littérature dite de genre. Mais la littérature de genre, comme tout le reste, et pour des raisons qui ont plus à voir avec les convenances du « marquétingue » qu’avec le goût du lecteur, est obligée de se ranger, au propre comme au figuré, dans des cases bien précises. Cette littérature de genre, historiquement, avant les calibrages obligatoires, était le domaine de toutes les libertés, de toutes les hybridations. Que l’on se souvienne d’un père fondateur, Edgar Poe, qui savait écrire des nouvelles qui instaurèrent le genre policier, le genre noir, le fantastique, l’horreur, le roman d’aventure et même la science-fiction avec « Les Aventures d’Arthur Gordon Pym ».

    Gil Graff est l’héritière de cette liberté-là, oubliée aujourd’hui.

    Il faut croire qu’elle a ce double tort de savoir écrire des histoires qui n’ennuient pas une seule seconde mais en plus, qu’elle a l’art de flirter, élégante comme un korrigan ironique, avec le polar, la SF, le gore… Chose plus délicate, paradoxalement, elle a su aussi, par exemple, écrire un roman gay tout en étant bien, à ce qu’il me semble, une femme.

    Il n’y a pas meilleure preuve ici, pour moi, qu’elle dispose de ces qualités rares que sont l’intuition et, au sens étymologique du terme, la sympathie, la vraie, celle qui consiste techniquement, à se mettre à la place de l’autre. Il faut savoir être radicalement autre quand on écrit, sinon à quoi cela peut-il bien servir ? Que ceux qui veulent se choquer se choquent, c’est bon signe. Que les autres, dont je fais partie, saluent cette virtuosité encore trop méconnue.

    Oui, finissons-en avec les cases toutes faites des grandes librairies franchisées ou celles des cerveaux de lecteurs timides qui, et c’est un comble, aiment avoir l’imaginaire… bien rangé !

    Et Chronodrome n’a pas franchement – quel bonheur pour nous ! – l’imaginaire bien rangé. Il est reflet de la vision tour à tour libertaire, cruelle, inquiète, drôle et sensuelle de l’auteur. Gil Graff, si vous voulez, et dans Chronodrome plus qu’ailleurs, c’est Claudine égarée dans un Disneyland préfasciste.

    On l’imaginerait bien raconter des histoires de chats que l’on caresse sur des murs de pierre chauffés par le soleil mais voilà, on n’a plus le temps, ses personnages se retrouvent dans des centres qui, derrière leurs allures tranquillement administratives, sont des gares de triages pour l’enfer. Chronodrome, qui fut publié une première fois en 2005 et qui vous est ici proposé de nouveau, sera appelé par commodité, un roman de science-fiction.

    À quoi reconnaît-on un bon auteur de science-fiction ? Ou d’anticipation ? Eh bien s’il a réussi son coup, son roman de science-fiction devient, avec le temps, un roman… historique !

    Il y a moins de dix ans, Chrondorome avait des allures de cauchemar, aujourd’hui on sent bien que ce qu’il raconte, que ce qu’il suppose, est presque notre présent, que l’horreur rendue sans complaisance de son sujet pourrait bien devenir notre quotidien, est déjà devenu notre quotidien.

    Je m’explique : Gil Graff a le même don quand elle se glisse dans la peau d’hommes aimant les hommes que lorsqu’elle peint le futur proche. Elle dispose d’un système de détection très élaboré. Elle a ainsi compris que le futur proche, avec l’accélération démente de la technologie et de la folie idéologico-religieuse ambiante, devient assez vite notre présent. On pourra, ici, faire la comparaison entre ce qui avait été pressenti et ce qui est.

    Et de cette comparaison, Gil Graff, cette Cassandre des abattoirs programmés, de la Société du Spectacle poussée à l’extrême, en ressort étonnamment grandie.

    C’est bien le signe que l’on a affaire à un écrivain. Et des meilleurs.

    Jérôme Leroy

    1re partie

    L’eau gouttait…

    Julien serra les robinets au maximum, mais le goutte-à-goutte continua, imperturbable et lancinant, avec son ploc ! ploc ! dans l’évier en inox tavelé par le calcaire et rayé par le Scotch-Brite d’un milliard de vaisselles.

    Il gifla le cou du mélangeur, celui-ci riposta en dégueulant une avalanche de gouttelettes, puis, marquant lugubrement les secondes, la clepsydre reprit.

    Le joint était foutu… Putain de matériel… L’immeuble partait en capilotade, comme le reste.

    Sur la table une blatte intrépide dardait ses antennes vers une croûte de pain. J’y vais t-y, j’y vais t-y pas ? Le poing de Julien s’abattit. Plus de blatte, pour elle, fini l’alternative, pas plus mal.

    Il décolla le cadavre du tranchant de sa main, qu’il essuya sur son jeans et déposa la bouillie de blatte dans le cendrier ; il la ferait griller tout à l’heure.

    Julien alla se poster devant la fenêtre, il faisait chaud, bien trop pour ce mois de novembre et il pleuvotait. L’horizon de béton était de toute façon gris et sale, quel que soit le temps. De son dixième étage, il contempla la cour de l’immeuble. Sinistre. Des petits gosses se chamaillaient dans un bac à sable miteux empuanti par les déjections tant canines que félines. C’était bien ; ainsi les enfants apprenaient très tôt le goût et la couleur de merde, s’y vautrer dès leur plus jeune âge était une façon comme une autre de se vacciner pour l’avenir, de faire de la sanie une odeur amie.

    Julien, qui n’avait pas encore vingt ans, chercha à distinguer sa fille Houria parmi les nains querelleurs. La gosse aurait deux ans bientôt. Il crut reconnaître la petite sous un K-way rouge. Il eut confirmation d’être parvenu à l’identifier, lorsqu’il aperçut Farida s’échapper d’un groupe de pipelettes pour retenir l’enfant qui venait de décider de massacrer un petit mongolien à coup de pelle merdeuse.

    Il n’y avait que Farida et lui à savoir qui était le père de la môme. Kader était stérile, Farida en était certaine, de son côté rien ne clochait ; après maints examens, le médecin le lui avait assuré. Elle en avait eu assez de se prendre des coups à chaque menstrues, puis avait craint d’être déconsidérée par « la famille ». Kader userait plusieurs femmes avant que l’on ose seulement suggérer que, peut-être, l’anomalie vienne de lui. Alors elle avait demandé ce petit service à Julien.

    T’es un super beau mec, Julien, tant qu’à faire ; puisque je peux choisir…

    Trois coups de reins, une giclée, il ne pouvait pas lui refuser ça…

    Qu’est-ce qu’il fait ce con, bougonna-t-il en se mordillant le tour de l’ongle du pouce. Cela faisait maintenant plus d’une demi-heure qu’il avait envoyé David lui acheter des clopes.

    Au fond de l’appartement il entendit sa mère tousser et cracher.

    Ça sent le sapin, pensa-t-il.

    Il quitta la fenêtre et se tourna vers le couloir :

    — Ça va m’man ?

    — Viens mon chéri, réclama-t-elle aussitôt. Sa voix essoufflée était fantomatique, triste présage.

    Julien soupira : bien fait pour moi, je n’avais qu’à la fermer.

    La chambre de sa mère puait la maladie. Il fronça le nez avant d’entrer dans la pénombre. Il s’assit sur le bord du lit et prit la main décharnée qui reposait sur la couverture pour l’emprisonner dans les siennes. Après une profonde inspiration, comme s’il s’apprêtait à plonger dans un cloaque nauséabond, qu’il dissimula en baissant un peu trop la tête, il déposa un baiser sur les phalanges osseuses. Il trouvait que ce geste affectueux faisait bien dans le paysage…

    Combien de temps encore à supporter ça ?

    Le crâne glabre et blafard de sa mère lui inspirait une véritable répulsion, mais, afin de parfaire le tableau « fils au chevet de la mère malade », il tendit la main et le caressa doucement.

    — C’est bientôt la fin je crois, murmura-t-elle.

    Il ne chercha pas à démentir. Ratatinée comme elle l’était, c’était une suite logique.

    — Tu as peur ? s’enquit-il à mi-voix, réellement intrigué par ce qu’elle devait ressentir.

    — Non, enfin pas pour moi, je me fais du souci pour toi et pour ton frère. J’aurais dû le placer, qu’est-ce que tu vas faire de lui ?

    — Ça va m’man, on s’en sort…

    Julien n’avait pas hérité des vertes prunelles maternelles, son regard brun (peut-être ce qui avait fait pencher le choix de Farida) ne s’adoucit pas d’un iota tandis qu’il lui souriait.

    — Je suis si fatiguée, tu sais, gémit-elle.

    Dans son for intérieur Julien se dit qu’elle « piaulait » et que ça le gonflait.

    — Tu es beau, mon fils, reprit-elle de façon plus dynamique comme si elle avait perçu ses pensées. Tu es même la plus belle chose qui m’a été donnée. Pour ton père… Tu as bien fait Julien, sois en certain, tu as bien fait.

    — Parle pas de ça !

    Il lâcha la main d’oiseau et se leva brusquement, conscient que faire l’acteur trop longtemps c’était pas son truc. Non, lui c’était le genre court métrage.

    — Oui, oui, je me tais, s’empressa-t-elle de le rassurer. Où est ton frère ?

    Julien reprit position, du bout des fesses, sur le bord du lit. Malgré cette précaution, le corps frêle roula contre sa cuisse.

    — Je l’ai envoyé faire une course, il ne va pas tarder.

    Il sursauta lorsqu’on cogna à la porte de l’appartement.

    — Ce doit être le médecin, souffla sa mère.

    Julien perçut du soulagement dans sa voix.

    — Certainement, David ne frappe jamais. S’il n’a pas sa clé, ce con donne des coups de pieds dans la porte, ajouta-t-il méchamment.

    Sa mère en était au stade ultime d’un cancer ; c’était une femme qui attirait les emmerdements. La tumeur était d’abord apparue dans un de ses seins : soins, rémissions, rechutes, l’infernale ronde avait commencé, puis les métastases avaient migré et atteint plusieurs organes. Il n’y avait pas de place en unité de soins palliatifs, donc Julien se cognait le plaisir de la voir mourir lentement à la maison. Le médecin la shootait à la morphine matin et soir. Une aubaine pour le toubib, cette patiente en phase terminale : il venait, déballait son petit matériel, piquait, réclamait une étiquette de l’AMG (vive l’aide médicale gratuite) afin de se faire payer, puis partait, une vraie rente… Idem en ce qui concernait l’infirmière qui venait chaque matin pour les soins corporels : une petite douche génito-anale, un coup de gant de toilette, une étiquette AMG et hop ! Pour l’un comme pour l’autre, pas besoin de questions oiseuses ni de discours réconfortants, c’était une affaire réglée d’avance.

    Ce corps en partance était un vrai commerce.

    Il laissa le médecin et sa mère dans la chambre. Était-ce à cause du lieu, il y avait dans ces rendez-vous médicaux quelque chose de vaguement sexuel. De fait il entendit sa mère gémir.

    Julien retourna à la cuisine, les blattes avaient profité de son absence pour tenter une sortie et, pour l’heure, se livraient à une sorte de rallye désordonné sur la table en formica.

    Lorsque le médecin, sa tâche accomplie, passa dans le couloir, il eut la vision d’un grand gaillard qui assenait son poing sur des cafards. Le toubib eut un froncement de sourcils et une moue écœurée : Hygiène, hygiène… Il trouva l’étiquette qui facturait sa visite punaisée sur la porte. Son passage bi-quotidien dans cet appartement lui fichait presque la nausée, c’était déprimant de malheur et de misère.

    La sortie du praticien coïncida avec l’entrée de David. Celui-ci se dépêcha d’avaler le bonbon qu’il avait dans la bouche avant que son frère ne s’avise de sa présence ; peine perdue.

    — Qu’est-ce que tu foutais, gros con ? Et qu’est-ce que tu as dans la bouche ?

    — Rien, répondit David aux deux questions en faisant le gros dos.

    — Viens ici ! lui enjoignit Julien en désignant le sol à quelques centimètres de ses pieds.

    David roula de gros yeux d’un vert délavé et regarda son frère « par en dessous » puis, en souriant niais, tendit, comme une humble offrande, le paquet de cigarettes qu’il avait eu pour mission d’aller acheter.

    Julien n’esquissa aucun geste, son doigt restait pointé sur le sol.

    David s’approcha, la moue chagrine : il allait se faire gronder.

    — Souffle ! lui ordonna Julien.

    David envoya une haleine sucrée dans le visage de son frangin.

    Il reçut en retour une énorme beigne qui le fit reculer d’un pas en titubant, puis il se mit à chougner en se protégeant le visage de son avant-bras replié.

    — Espèce de débile, tu as volé ? Je sais que tu avais juste de quoi pour les clopes, réponds ou je te massacre, tu as chouravé ?

    David acquiesça et se mit à pleurer plus fort.

    — Donne ! hurla Julien

    David se mit à vagir, le visage toujours caché derrière son bras. Au bout de quelques secondes, il finit par l’abaisser et, en tremblant, sortit de son blouson un énorme paquet de fraises « Tagada », puis, dans la foulée, un livre de « terreur » pour enfants : « À partir de 9 ans » comme cela était stipulé en lettres de sang sur la jaquette.

    L’instant d’après une avalanche de claques lui pleuvait dessus, bonbons et livre tombèrent sur le sol.

    Si Julien était grand, David lui rendait encore quelques centimètres. Il frisait les deux mètres (tous deux tenaient de leur père), David était plus lourd, parce que plus gras, que Julien, il aurait donc pu aisément se défendre, mais cette idée ne l’effleurait même pas. Julien était son grand frère, Julien était celui qui savait, celui qui prenait soin de lui. Et puis, de toute façon, David ne savait pas, ne voulait pas taper qui que ce soit.

    — Môman ! appela David, en se vautrant comme ses trésors sur le sol carrelé.

    — Fous-lui la paix à la mère, elle a sa dose. Gros con ! Combien de fois je t’ai dit de ne pas voler ! Si tu te fais prendre, tu iras à la police et après on te conduira chez les fous. Remarque… Comme ça je serai bien débarrassé, ajouta Julien avant de clore la correction d’un coup de pied dans le postérieur de son frère.

    Celui-ci se mit à gémir comme un chiot.

    — Nan, Julien, je veux pas aller chez les fous, pas les fous, pas les fous ! La supplique devenait une litanie.

    — Alors, arrête tes conneries, imbécile ! Ramasse tes cochonneries et fiche le camp dans ta chambre.

    — D’accord ! clama David, il s’empressa de récupérer ses sucreries et son bouquin. Avant de s’en aller, il tenta un timide sourire de réconciliation, il n’eut pas de retour. Le cœur gros, il disparut tout penaud dans sa chambre.

    Resté seul, Julien ouvrit le paquet de cigarettes et s’en alluma une. Comme il inhalait avec délice la première bouffée, le découragement lui tomba dessus.

    Vraiment, c’était pas une vie… À dix-sept ans, David avait l’âge mental d’un enfant de huit ou neuf ans et encore, un gosse pas très futé. Autrefois, lorsque leur père les battait, eux et leur mère, Julien braillait, essayait de parer et même quelquefois de rendre les coups (c’était un as du coup de pied furtif dans le tibia). David, lui, se bouchait les oreilles pour ne pas entendre les injures et se roulait en boule dans un coin ou sous la table (une mocheté Henry II qui refit sa vie dans un dépôt-vente), il gémissait jusqu’à tomber dans une sorte de prostration. Il lui fallait ensuite plusieurs heures avant d’émerger de cet état catatonique.

    — Les cris me font mal, avait-il un jour confié à Julien.

    — Mal ? Tu veux dire peur ?

    — Aussi, mais surtout ça me fait mal sous la peau. Comme si mes nerfs se mettaient à faire des nœuds ou devenaient des piquants, ça me fait très mal.

    Julien avait été étonné, mais pas plus que ça, il savait que son jeune frère était un peu cinglé. Le pauvre garçon avait triplé le cours préparatoire et, à l’issue de ces trois années, il n’avait toujours pas appris à lire, enfin il déchiffrait, mais si laborieusement que les mots même devenaient incohérents. C’était une véritable souffrance que de l’entendre ânonner à haute voix : il ne savait pas faire autrement que de brailler les syllabes. Il avait été envoyé dans un centre d’études spécialisées, en « perf », comme avait dit la psychologue scolaire où il avait végété quelques années sans rien perfectionner du tout. Il était sorti de cette voie de garage à seize ans, sans aucune perspective à l’horizon. Il n’y avait déjà pas de travail pour les sains d’esprit, alors les débiles…

    À présent, les seules choses qui menaient David étaient les histoires que lui lisait son frère (d’où le livre volé), les dessins qu’il faisait après les avoir entendues, la bouffe et son amour pour Julien. Même leur mère passait au second plan. Il était un peu caractériel et fort en plus, mais il n’était pas méchant, sa violence ne s’exerçait que sur les objets ou sur lui-même. Avec tout ça, il était évident qu’il ne pourrait jamais vivre seul ni subvenir à ses besoins. Alors quoi ? Le placer ? Pour l’instant Julien refusait de l’envisager.

    Sa cigarette était terminée, le jour déclinait, il se secoua : il devait faire la popote.

    Il est même pas fichu de se faire à bouffer tout seul, maugréa-t-il en allant inspecter le contenu du frigo.

    — Ça te ferait rien de fermer la bouche quand tu manges !

    David se redressa au-dessus de son assiette et s’appliqua à mastiquer en silence.

    — Essuie-toi la bouche avant de boire dans ton verre, merde ! T’es dégueulasse !

    David prit sa serviette et s’exécuta.

    — T’es toujours fâché après moi hein ?

    — Je suis toujours fâché après toi parce que tu n’écoutes rien de ce que je te dis, des fois je me demande si ta tête n’est pas qu’une boîte vide.

    L’image fit sourire David.

    — Ça te fait rire en plus, finis ton assiette et va te mettre en pyjama, je te lirai ton histoire après.

    Julien se dit qu’à quelques blocs de là, Farida disait peut-être la même chose à sa fille…

    Après avoir fait la vaisselle puis donné un coup de balai dans la cuisine, Julien alla comme promis lire une histoire à David. Le livre en cours comptait l’histoire d’une poupée vampire dont les intentions cruelles, envers l’enfant à qui elle appartenait, étaient devinées par un brave nounours promis à être bientôt mis au rebut au fin fond du grenier de la maison (Julien se dit que cela se passait donc chez des riches, sinon l’ours aurait été mis au rencard dans la cave située au sous-sol de l’HLM).

    Durant le récit, David était à sa table et dessinait ; les crayons de couleurs semblaient disparaître entre ses gros doigts. Ainsi occupé à dessiner, Julien se fit la réflexion, comme souvent à ce même moment, que son frère avait l’air presque normal, la bouche était peut-être un peu trop entrouverte, mais cela pouvait passer pour un signe de concentration.

    Le livre refermé à la fin du chapitre (en plein suspense, le nounours ayant perdu une oreille au cours d’une bagarre avec la méchante poupée), Julien alla jeter un coup d’œil par-dessus l’épaule de son frère. La poupée qu’il avait dessinée était bien plus terrifiante que celle qui illustrait la couverture du livre, quant à la brave peluche qui se sacrifiait ainsi pour la petite pécore qui le délaissait, Julien vit que David l’avait dotée de prunelles d’un vert délavé…

    Après le frère, la mère ! marmonna-t-il en se dirigeant d’un pas traînant vers la chambre du fond.

    Rite immuable : chaque soir, il s’asseyait près de la malade sur le rebord du lit et il lui détaillait ce qu’il allait faire le lendemain ; des trucs anodins : la lessive, quelques courses… Et toujours elle répondait dans un murmure essoufflé : c’est bien, c’est bien.

    Souvent, en gagnant enfin sa chambre ou en allant faire un tour dehors, selon son humeur et le temps, Julien se disait qu’il devrait faire un effort pour être plus gentil avec elle, disons plus prévenant. Ils avaient sûrement des choses à se dire avant qu’elle trépasse…

    Ce soir-là, quand il partit se coucher, il se rappela qu’il n’était pas descendu à la boîte aux lettres. Il attendait la déclaration trimestrielle de ressources à remplir puis à renvoyer à l’organisme qui leur versait leur allocation de RMI, il avait horreur de s’occuper de ce papelard : apposer lui-même 0 ou aucun revenu sur les lignes le consternait.

    Le papier attendu n’y était pas, en revanche la cellule d’insertion dont ils dépendaient, David et lui, les invitait à se présenter dans les quatre jours. En tout petit, en bas, il y avait écrit :

    La non-présentation des sus-nommés entraînera la radiation pure et simple sur la liste des bénéficiaires du RMI.

    Julien remonta les dix étages par l’escalier afin de s’imaginer qu’il faisait un peu de sport, il voulait voir dans ce papier une bonne nouvelle. Enfin, peut-être que, dans sa vie triste et grise, tout allait changer !

    Le début du changement

    Morte, défunte, décédée, raide… Ainsi la grande scène d’adieu qu’il avait parfois imaginée, pour venir compenser son manque de chaleur, n’aurait jamais lieu, ou plutôt, mine de rien, elle avait eu lieu la veille. Il chercha à se rappeler ses dernières paroles : il faudra que je fasse une machine et j’en profiterai pour laver tes draps, auxquelles elle avait répondu son sempiternel : c’est bien, c’est bien

    Ben merde alors !

    Julien resta plusieurs minutes à contempler le corps décharné et blafard ; elle semblait s’être débattue avant de « passer », peut-être avait-elle voulu l’appeler ? Un truc important à mettre à la machine et qu’il ne fallait pas qu’il oublie ? Il s’en voulut aussitôt de son cynisme. Draps et couvertures étaient épars, rejetés au loin sur la carpette, et la chemise de nuit était retroussée haut sur son ventre.

    Il avisa, malgré lui, le sexe pauvrement touffu et pourtant ébouriffé de sa génitrice, il trouva le spectacle navrant. Ainsi, pour David et lui, tout avait commencé ici…

    Il entendit son frère remuer dans la chambre. Comme chaque matin, l’imbécile heureux allait débouler pour venir embrasser sa môman.

    Julien retrouva aussitôt l’usage de ses mouvements. En trois enjambées, il fut près du lit, rabattit chastement la chemise de nuit, puis ramassa la literie qu’il jeta sur le corps sans vie. Lorsque sa main entra en contact avec la peau glacée du cadavre, il eut un geste de répulsion ; il n’était donc qu’un salaud ? Tout de même, ce corps était celui de sa mère.

    Il perçut une joyeuse galopade, puis David le bouscula en braillant :

    — J’ai bien dormi maman !

    L’idiot commença à cloquer ses gros bécots sur le visage de la morte, ses embrassades rejetèrent la tête de leur mère en arrière. Les lèvres s’entrouvrirent et exhalèrent les restes d’une haleine pestilentielle.

    Julien eut un hoquet, son estomac joua au yoyo.

    David recula, il resta figé une seconde puis comprit.

    — Môman ! Ma pauvre môman !

    Nonobstant l’odeur nauséabonde, il tomba à genoux et déposa des petits baisers autour des lèvres mi-closes en gémissant comme un caniche.

    Julien courut dégueuler.

    Comme souvent, il fut catalogué « mauvais fils ».

    Après avoir appelé le médecin et prévenu la voisine la plus proche, il s’enferma dans sa chambre, refusant catégoriquement de s’occuper de quoi que ce soit. C’est au travers de la porte qu’il apprit que, dans un premier temps, sa mère allait être transportée dans la chambre funéraire du crématorium tandis que la crémation elle-même aurait lieu dans la soirée.

    Les voisines entouraient un David pleurnichard, mais qui, malgré tout, restait auprès de sa « pôvre môman » tandis qu’elles s’activaient à remettre la chambre en ordre. L’idiot, tout en reniflant, essayait d’aider, les guidant jusqu’aux placards contenant les effets de la défunte. Et les commères de se consulter pour quels vêtements choisir afin d’affubler le cadavre correctement. Celui-ci, une fois vêtu, fut vite emmené. Malgré l’automne, il faisait chaud, il ne fallait pas traîner.

    Dans la matinée Farida vint gratouiller à la porte de Julien.

    — Tu veux que je te colle le deuxième maintenant ? aboya-t-il, claquemuré dans sa carrée.

    Elle s’enfuit le rouge aux joues, en espérant qu’aucune des voisines présentes n’avaient saisi le sens de ses paroles. Les bonnes femmes continuaient d’entourer David. Ce matin, décidément, il n’était plus l’idiot du dixième, mais « un brave garçon ». Aux travers de leurs bribes de conversations, Julien comprit qu’on le taxait, lui, d’être un sale petit con sans cœur.

    Il se retint pour ne pas aller savater leur ventre flétri ou botter leur gros cul flasque de ménagères bien pensantes détentrices de tout un tas de vérités sur les façons de faire des économies au supermarché, de leur science sur les machines à laver et de la manière d’éduquer les enfants entre deux feuilletons télévisés, car même si elles avaient pondu des voleurs ou des toxicos, elles n’avaient sûrement rien à se reprocher. Des connasses qui avaient glané et appris dans les Sitcoms de la télé un tas de proverbes et de lieux communs qui leur servaient de conversations savantes. Des femmes vieilles d’un fatalisme chopé dès leurs premières règles.

    Ces bourriques pouvaient bien déblatérer sur son compte. Lui, à quatorze ans, il avait tué pour sa mère. Il avait occis le croque-mitaine, le papa géant aux gros poings, un sale boulot épuisant.

    S’il avait l’allure et le passé d’un rugbyman, Julien n’avait jamais vu son père taquiner le ballon de près ou de loin. En revanche, celui-ci suivait tous les matches à la télévision. C’était un vrai supporter qui devenait hargneux lorsque son équipe favorite était menacée et que dire lorsqu’elle perdait… David en avait fait les frais alors qu’il n’avait que cinq semaines, une colique l’avait fait brailler lors d’une demi-finale. À bout de nerfs, le père avait « bousculé » le nourrisson afin de lui apprendre à se taire lorsque papa faisait du sport. Le fragile petit crâne avait cogné un peu trop fort contre le bois du lit : quinze jours de coma. Était-ce à cause de cela qu’il était resté idiot ? Certainement, mais personne n’aurait osé le laisser supposer à haute voix, David n’était même pas au courant de « l’incident ».

    Leur père était un cogneur, il tabassait régulièrement leur mère, il était sans travail depuis des années, mais il voulait être respecté comme un patriarche, quoi : c’était lui l’homme, il avait les couilles de ne pas aller bosser comme une crevure parce que le SMIC et le RMI c’était du kif : la besogne en moins ! Ah non, il n’était pas si con, à moins de dix mille balles par mois et des politesses, il ne léverait pas son cul ! « Et la reine d’Angleterre, elle le ferait votre boulot de merde ? », déclarait-il aux conseillers de l’ANPE qu’il lui arrivait de croiser dans le centre communal d’action sociale.

    Puisqu’il était un pauvre type hors de chez lui, il fallait qu’il règne en maître dans son fief ; son F4 exposé plein sud dans la zone.

    Généralement, après avoir assené gifles et coups de poings à sa moitié, il se calmait et les garçons n’écopaient que de taloches comme reste de sa mauvaise humeur.

    Et puis, un jour, la scène de ménage avait dégénéré, cette fois-ci rien n’avait semblé calmer leur père, ses coups tombaient indifféremment sur femme et enfants ; il broya même une chaise. Tout d’un coup, il était resté une seconde immobile : la tête inclinée, comme si on lui chuchotait à l’oreille, l’instant d’après il avait entraîné tout le monde dans la chambre conjugale : une seule main lui avait suffi pour empoigner les chevelures de ses fils alors âgés respectivement de douze et quatorze ans. Une fois tous réunis dans la chambre, il avait verrouillé la porte de la carrée, s’était planté devant et avait déclaré :

    — Et maintenant, les garçons, regardez bien comment on corrige une femme qui ne vous respecte pas, la seule vraie punition du soldat au vaincu : je vais l’empaler !

    En quelques gestes brusques et précis qui trahissaient une longue habitude (Julien avait l’impression de le voir plier une chaise de camping), leur mère s’était retrouvée immobilisée à genoux, déculottée les fesses en l’air, la face appuyée sur la moquette, plaquée au sol par les grosses paluches qui ne servaient à rien dans la vie si ce n’est faire mal. Devant ses fils tétanisés par l’horreur, en soudard, déchirant ce qui refusait de s’ouvrir, il l’avait forcée en éructant ses commentaires.

    — L’homme c’est moi, elle se la prend dans son cul bien profond, je lui bourre les intestins, elle comprend maintenant qui qu’est le maître !

    David avait fermé les yeux et se bouchait les oreilles.

    Julien avait regardé, entendu, il avait vu sa mère humiliée, mais muette, qui tentait de se cacher le visage ; elle avait réussi à libérer un de ses bras de la clé qui l’entravait, ses longs doigts fins sur l’un desquels une alliance brillait, tremblaient. Son corps malade déjà trop maigre tressautait sous l’assaut.

    Julien s’était dit que là, ils avaient touché le fond du sordide, que si l’instant était odieux, la vie qui viendrait après ne pourrait être que du même tonneau, il fallait y mettre un terme. Il avait guetté le moment.

    Comme son père se cabrait en grimaçant son plaisir vers le plafond gris et fissuré, il avait su que l’instant était à lui. Il avait pris son élan, calculé avec une lucidité presque sereine, et avait shooté comme dans un ballon dans la tempe de son père. But !

    Après un claquement de dents, le bonhomme s’était affaissé et avait basculé sur le côté entraînant sa chétive monture qui avait osé couiner lorsque ses reins avait supporté d’un coup le poids du « maître ».

    David s’était recroquevillé sous la table de nuit. « Pas moi papa, pas moi ! », pignait-il en s’efforçant de disparaître sous la moquette.

    Julien n’avait pas saisi immédiatement le sens de ses paroles, il devait y repenser plus tard. Avec des gestes gourds et l’impression que ces tripes se liquéfiaient dans son ventre, il avait aidé sa mère à s’extraire de sous son tourmenteur.

    — C’est fini, m’man, c’est fini, répétait-il tandis qu’elle rabattait sa jupe. Du sang ruisselait le long de ses cuisses.

    — N’aie pas peur, ce n’est rien, j’ai mes règles, murmura-t-elle dans un souffle.

    Gêné, Julien la vit repêcher, près du lit, une culotte sur le fond de laquelle adhérait une serviette hygiénique tachée.

    Son père geignait, bite au vent, le gland flapi était strié de filets bruns : de la merde. Julien ferma les yeux sur ce détail qui s’imprima à tout jamais dans sa mémoire : un dimanche soir sur la terre, à Villonne, dans la cité du Sanitas, les Terriens règlent leurs comptes.

    Il devina sa mère à ses côtés, il osa enfin la regarder, elle avait les lèvres éclatées et un œil terriblement poché, sa joue droite était gonflée, la pommette qui virait au pourpre gardait l’empreinte des fibres de la moquette.

    Julien retint un sanglot, il aimait mais en même temps il haïssait cette femme, cette victime, cette vaincue qui s’obstinait à vivre avec ce type odieux. Ce mec veule, ce blaireau, elle en avait fait leur père, comment ? Pourquoi avait-elle osé leur imposer cela ? Juste histoire de ne pas être toute seule dans la mouise ?

    Les femmes battues sont des connes et

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1