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Bruxelles est un pluriel: Marginales - 236
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Livre électronique164 pages2 heures

Bruxelles est un pluriel: Marginales - 236

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Découvrez un nouveau numéro en version numérique de la revue littéraire belge Marginales

Bruxelles se trouve dans tous les atlas, mais pratiquement pas sur les planisphères littéraires. On ne rêve pas de Bruxelles comme de Dublin ou de Vienne, de Lisbonne ou de Stockholm. Il lui manque, pour cela, l’aura que confère à une ville l’imaginaire de ses écrivains. En réalité, ce constat désolé n’est pas entièrement exact.
Plein de textes ont Bruxelles pour théâtre, mais ils n’ont malheureusement pas bénéficié du rayonnement suffisant. Il faudrait se livrer à une véritable archéologie textuelle pour porter au jour les pages que la ville a inspirées. Et pas seulement à des auteurs belges, d’ailleurs. Il y a de magnifiques poèmes de Auden, les considérations désenchantées de Charlotte Bronté, les sarcasmes de Baudelaire. Le goût de l’autodénigrement et la capacité de se moquer de soi ont fait des Belges les meilleurs propagandistes de la grande dénonciation de l’auteur des Fleurs du Mal, qui est venu perdre l’esprit en Belgique.

Des poèmes et nouvelles inspirés par la ville de Bruxelles avec des écrivains comme Thilde Barboni, Jacques Cels ou encore Luc Dellisse.

À PROPOS DE LA REVUE

Marginales est une revue belge fondée en 1945 par Albert Ayguesparse, un grand de la littérature belge, poète du réalisme social, romancier (citons notamment Simon-la-Bonté paru en 1965 chez Calmann-Lévy), écrivain engagé entre les deux guerres (proche notamment de Charles Plisnier), fondateur du Front de littérature de gauche (1934-1935). Comment douter, avec un tel fondateur, que Marginales se soit dès l’origine affirmé comme la voix de la littérature belge dans le concert social, la parole d’un esprit collectif qui est le fondement de toute revue littéraire, et particulièrement celle-ci, ce qui l’a conduite à s’ouvrir à des courants très divers et à donner aux auteurs belges la tribune qui leur manquait.
Marginales, c’est d’abord 229 numéros jusqu’à son arrêt en 1991. C’est ensuite sept ans d’interruption et puis la renaissance en 1998 avec le n°230, sorti en pleine affaire Dutroux, dont l’évasion manquée avait bouleversé la Belgique et fourni son premier thème à la revue nouvelle formule. Marginales reprit ainsi son chemin par une publication régulière de 4 numéros par an.

LES AUTEURS

Jacques De Decker, Patrick Roegiers, Gérard Adam, Anne-Marie La Fère, Daniel Soil, Michel Torrekens, Françoise Lalande, Luc Dellisse, Philippe Jones, Claude Javeau, Monique Thomassettie, Gaston Compère, Daniel Simon, Jean-Baptiste Baronian, Nicolas Ancion, Thomas Owen, Liliane Schraûwen, Éric Brogniet, François de Callataÿ, Jean-Louis Lippert, Adolphe Nysenholc, Emmanuèle Sandron, Patrick Virelles, Michel Joiret, Yves Wellens, Françoise Lison-Leroy, René Hénoumont et Alain Berenboom.
LangueFrançais
ÉditeurKer
Date de sortie5 févr. 2018
ISBN9770025293268
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    Bruxelles est un pluriel - Collectif

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    Éditorial

    Jacques De Decker

    Bruxelles se trouve dans tous les atlas, mais pratiquement pas sur les planisphères littéraires. On ne rêve pas de Bruxelles comme de Dublin ou de Vienne, de Lisbonne ou de Stockholm. Il lui manque, pour cela, l’aura que confère à une ville l’imaginaire de ses écrivains. En réalité, ce constat désolé n’est pas entièrement exact.

    Plein de textes ont Bruxelles pour théâtre, mais ils n’ont malheureusement pas bénéficié du rayonnement suffisant. Il faudrait se livrer à une véritable archéologie textuelle pour porter au jour les pages que la ville a inspirées. Et pas seulement à des auteurs belges, d’ailleurs. Il y a de magnifiques poèmes de Auden, les considérations désenchantées de Charlotte Bronté, les sarcasmes de Baudelaire. Le goût de l’autodénigrement et la capacité de se moquer de soi ont fait des Belges les meilleurs propagandistes de la grande dénonciation de l’auteur des Fleurs du Mal, qui est venu perdre l’esprit en Belgique.

    À part ce pamphlet, donc, dont ses propres victimes ont fait la publicité, le corpus des occurrences bruxelloises demande qu’on l’exhume. Et la moisson est plus généreuse qu’on ne pense. On découvre que Voltaire avait ouvert la voie à Baudelaire : « Pour la triste ville où je suis / C’est le séjour de l’ignorance, / De la pesanteur, des ennuis, / De la stupide indifférence. » Hugo, lui, qui fut un Bruxellois plus tenace il est vrai, parle de l’Hôtel de Ville comme d’une « éblouissante fantaisie de poète tombée de la tête d’un architecte ». Nerval ne put se consoler de l’absence de fleuve : « Qu’est-ce qu’une capitale où l’on n’a pas la faculté de se noyer ? » Eugène Fromentin, lui, reconnaît la prééminence de Bruxelles : « La Belgique est un livre d’art magnifique dont les chapitres sont un peu partout, mais dont la préface est à Bruxelles et n’est qu’à Bruxelles. » Mirbeau, à nouveau, verse du côté des dépréciateurs : il voit en Bruxelles la « capitale des sociétés des tramways du monde entier, reine de l’industrie des asperges précoces, des endives amères et des raisins de serre sans goût » et en conclut qu’« après tout, on peut aimer Bruxelles. Il n’y a là rien d’absolument déshonorant. »

    Tout cela n’est pas, au total, très stimulant. Mais cette relative désaffection a son avantage, pourtant : Bruxelles n’est pas encore usée par les discours que l’on a tenus sur elle. Il est impossible de traverser le Pont des Arts, de longer la Tamise, d’arpenter le Kurfürstendamm sans que des souvenirs de lectures assaillent le promeneur. Ces paysages urbains ont été à ce point évoqués qu’ils en ont perdu leur disponibilité à la rêverie spontanée. On y marche dans un espace que la littérature a déjà balisé, et parfois même vidé de sa substance. Comment revitaliser un paysage que les mots ont déjà formulé jusqu’à plus soif ?

    À Bruxelles, rien de pareil. L’inédit est à portée de main. Et le charme, dès lors, opère sans filtre en quelque sorte. En ce sens, Bruxelles est un défi : on y est souvent dans la position de l’explorateur débarquant en terre à peine défrichée, et encore moins déchiffrée. Mis à part quelques repères mythologiques, qui servent surtout d’écran, presque d’alibi (le petit bonhomme pisseur, la place emblématique, l’atome monstrueusement grossi, la justice monumentalement célébrée), tout reste à nommer, à désigner, à romancer. Et, à partir de là, les pré-textes foisonnent, qui ne demandent qu’à déclencher la fantaisie, à se muer en récits.

    Bruxelles, c’est beaucoup plus que Bruxelles. Ses faubourgs s’y sont agglomérés en gardant cependant leurs caractéristiques. Même si le tissu urbain semble compact, l’habitant sait qu’il ne hume pas le même air selon qu’il se trouve d’un côté ou de l’autre du canal, près de la forêt ou dans les communes septentrionales. C’est le premier signe de la pluralité bruxelloise : elle est un ensemble composite dont les éléments sont bien plus disparates que dans d’autres métropoles.

    Avec le temps, la ville s’est mise à attirer des résidents d’un peu partout, et pour des motivations diverses. Charlotte Brontë, qui a rebaptisé Bruxelles Villette, constate déjà qu’elle est « une ville cosmopolite » et que dans l’école où elle est appelée à enseigner « venaient des jeunes filles de presque toutes les nations d’Europe ». La tendance n’a fait que s’accentuer, faisant de Bruxelles une des cités les plus foisonnantes en langues et en cultures d’aujourd’hui. Cette pluralité-là empêche de parler de Bruxelles sous un seul angle, la ville appelle l’approche multiple, elle est un tel brassage qu’elle pourrait servir de cadre à des œuvres écrites en d’innombrables langues.

    Mais il faut, pour cela, libérer les vannes, débloquer les inhibitions. Cette livraison de Marginales a tenté de le faire, et correspondait, semble-t-il, à une attente, sans quoi elle n’aurait pas suscité autant de textes, et d’une telle ampleur. Une fois encore, nous nous trouvons tenus de consacrer à ce dossier tout le numéro, qui en devient forcément spécial. Des nouvelles sont nées, des évocations inspirées, des impromptus, des utopies. La littérature bruxelloise s’est, du même coup, considérablement enrichie. Et voilà Bruxelles, par la même occasion, plus susceptible d’être mentionnée ailleurs que dans les pages politiques, et en manchette des journaux économiques. À la veille d’assumer son rôle de capitale culturelle européenne de l’an 2000, ce coup de fouet littéraire ne peut pas lui faire de tort.

    Dans les choux de Bruxelles

    Patrick Roegiers

    L’esplanade vide où trône la statue équestre de Godefroi de Bouillon, rond-point de pierres grises, cerné par les rails du tramway. C’est là qu’immuablement inquiet de ne pas rater l’arrêt, ayant remercié d’un œil épeuré le conducteur, je descendais. L’incursion sur cette aire vaste érigée sur un remblai me conviait par réflexe à jeter un regard circulaire sur la place rectangulaire et symétrique, mélange de majesté et de calme placide, aux façades régulières symétriquement alignées, parfois évidées de leurs ajours, évents, baies ou châssis, de tout ce qui les tient ensemble et permet leur présence : l’intérieur éboulé, débâti, expatrié, parti, laissant passer l’espace et l’air en arrière-plan de ces pans murés et muets, mués en décor de carton-pâte, accusant l’effet de trompe-l’œil, d’illusion, de leurre attaché à cet endroit qui n’est pleinement lui-même que vide, intensifiant l’effroi suscité par son nom de Coudenberg (montagne froide). Le musée d’art moderne n’y avait encore qu’une discrète entrée et, en snobant l’arche qui embarque vers la porte de Namur, que les chauffeurs ivres emboutissent parfois de plein fouet la nuit, on pouvait avaler les marches solennelles qui montent à l’église Saint-Jacques où, avec la chorale de mon collège, je vagis des fausses notes, noyées par chance dans le concert des choristes, au baptême de celui auquel on accorde quelque quarante ans plus tard le titre de futur roi.

    Il résiderait dans cet austère, funèbre et triste palais gris, mâtiné par la bruine et le crachin, que seul égaye le petit fanion aux trois couleurs nationales, flottant au faîte lorsque l’hôte royal y séjourne, son second gîte étant une non moins sinistre demeure exilée à Laeken, où je me rendis tout guilleret un beau jour, convoqué par sa majesté, ravi de voir les brigadiers en tenue d’apparat au garde-à-vous et les lapins détalant à toute pompe à mon arrivée. Les colonnades, balcons et balustrades de cette morne bâtisse, qui mesure à vue de nez dans toute sa largeur plus de 250 m, prennent toute leur sévérité grave et renfermée quand on recule sur l’immense terre-plein pavé qui lui sert de marchepied, de proscenium, d’aire d’amas où la foule compacte des patriotes se masse en rangs serrés les jours d’ovation, de liesse ou de défilés comme celui du 21 juillet où, rivé aux basques de mon grand-père, ancien commandant des chasseurs ardennais, derrière les barrières qui me barraient la vue, je voyais parader des tanks, des jeeps, des camions, des canons, des gendarmes en bonnet à poil comme des horse-guards, avec des lances et de harnachés palefrois, souillant de crottin le pavé, tintant du claquètement des sabots, et dans le ciel des avions qui striaient l’air de leur sifflement suraigu. Le reste du temps, on raillait les troufions à béret (dont je serais un jour), tapant du pied, éructant d’insolites onomatopées, pivotant telles des toupies, tapinant pirouettant et patrouillant par troupe de dix unités, semant une à une ses sentinelles, larguées selon un rituel martial et ridicule - moins pourtant que celui du parlement d’Athènes ou la mimétique pantomime de celui d’Ottawa - tout du long de la bâtisse impénétrable et pétrifiée, à l’image de ces toiles de Magritte où l’univers vivant cède le pas à l’élément empierré, sans âme et dévitalisé, stratifié, statufié du dedans.

    L’estrade plate des pavés souvent mouillés me portait à franchir malgré moi les portes du parc attenant, cerné de hautes grilles qui donnent l’impression au promeneur égaré non pas de s’évader ou de vaquer à son gré, mais d’être mis en cage, captif, séquestré d’un enclos sans issue. La sensation est d’autant plus prenante qu’il s’agit d’un labyrinthe sans haies, aux dédales tracés au cordeau par les allées et plates-bandes des pelouses, jardin maillé à la française, havre insoupçonné, Éden atypique par sa rigueur et sa quiétude même. Il me semblait démesuré, inquiétant et réjouissant à la fois par les possibilités irrepérables et multiples qu’il contenait de s’y perdre. Les chemins menant le flâneur selon les méandres rectilignes de son tracé, j’allais à droite vers ce corps de logis aux façades de style néocolonial d’où nulle vie jamais ne sourd ; au nord, je butais, rebuté par le banal et terne asile du premier ministre, sis rue de la Loi, piètre d’abord à l’instar de l’idéal qu’en cette contrée on se fait de la fonction ; à l’est, je longeais le muret longitudinal du palais des Beaux-Arts où, plus tard, j’eus à la dérobée, par la baie vitrée et la volée d’escalier, mes entrées, mais je ne le savais pas encore. Et bien sûr il y avait le théâtre du Parc, avec son avancée en arc de cercle, ses dessertes et ses écuries, son kiosque de plein air, nouant le lien avec l’écrin des arbres, des boulingrins et des mails émaillés de stèles et de statues d’augustes figures, de sirènes fessues, de bassins à nénuphars et jets d’eau coupés l’hiver. Le parc de Bruxelles où je me louais de voir surgir un cygne, un paon ou un ange ailé (gardien de mon ombre, garant de mes fantasmes) qui m’escorterait, était une nécropole à ciel ouvert, un site de fouilles planes, ratissé comme tout dans ce pays, pour ne laisser poindre en apparence que le simulacre illusoire et rassérénant de l’équilibre et de l’harmonie, né d’une unité à jamais perdue.

    La Grand-Place m’est toujours apparue comme une dégoulinade d’entrailles, sorte d’immonde enluminure charpie par une horde de stucateurs hystériques, fous de gables et de gargouilles, de frises dentelées et de tourbillonnantes ciselures, de fioritures et de frisures dorées, fruit orgiaque de l’art pompier, du style hispano-rastaquouère, et de la jésuitique religiosité, alliée à l’ébriété débridée, hybride et orgastique des hordes conquérantes, y déféquant et débourrant en déjections puantes et redondantes fientes la splendeur barbare et rutilante de leurs étrons. Si la Belgique est une nation conchiée, c’est sur ce cloaque carré, dégorgé des bas-fonds marneux, que cela se voit le mieux. Et j’y entendais le ramdam des tambours, tandis que s’engouffrait dans l’arène d’ambre la faune fagotée de l’Ommegang et que voguaient dans l’éther, comme soufflés par un dragon furieux, les oriflammes bariolées qui lacéraient le dôme nocturne de leurs claquements. Cette aire de délire et

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