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Splendor veritatis: Roman historique
Splendor veritatis: Roman historique
Splendor veritatis: Roman historique
Livre électronique331 pages4 heures

Splendor veritatis: Roman historique

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À propos de ce livre électronique

Science et religion s'affrontent dans ce roman encensé par la critique

Rome, 1633. Un conflit de conscience déchire un membre de l'Inquisition chargé d'empêcher la diffusion des idées de Galilée. La théorie du mouvement de la Terre, un crime contre la Foi catholique ? Le père Melchior Inchofer, en bon jésuite, défend cette position intransigeante de sa hiérarchie ; mais lorsque cet astronome averti découvre que Galilée a été condamné à tort, il comprend qu’en entravant la recherche scientifique, l'Église trahit le message divin.

Doit-il se lever pour changer le cours des choses, au risque d'être victime à son tour de la machine inquisitoriale ? Ou au contraire fermer les yeux et devenir complice d'une Église à laquelle il doit tout, au risque de vendre son âme ?

À travers le face-à-face que se livrent Inchofer et Galilée, l'auteur nous emmène dans les coulisses de la fameuse Affaire, là où les idées sont incarnées par des hommes, pétris de certitudes jusqu'à l'aveuglement. On s'y bat pour un enjeu de taille : le pouvoir de dire ce qu'est la Vérité.

Un roman historique prenant, d'ores et déjà incontournable dans son domaine

EXTRAIT

"Des applaudissements saluèrent sa prestation.
Il avait réussi !
La vague sonore des dizaines de mains entrechoquées l’enveloppa, lui caressa la tête. Une forme de douce euphorie se répandit dans ses membres ; il se sentit tout à coup plus léger, débarrassé du poids de la responsabilité qui l’avait oppressé depuis deux jours. Cette sensation eut le don de faire ressurgir dans sa mémoire un épisode oublié de son enfance : la fois où il s’était étendu dans cette sorte de grande caisse que ses tantes remplissaient de plumes d’oie depuis des semaines – le souvenir d’un bonheur à l’état pur, avant les éclats de voix et une sévère correction, bien sûr."

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

« Avec Splendor Veritatis, François Darracq signe un polar haletant sur les ruses, les bas-coups et les jeux d’influence entrepris par l’Eglise du XVIIe siècle pour museler le génial scientifique. (...) on croche à l’intrigue, et la fluidité de la narration offre une lecture agréable – et instructive. » - Marianne Grosjean, La Tribune de Genève

« François Darracq nourrit sa trame narrative en usant de ressorts dignes des séries américaines. Du poil à gratter façon «Page-turner» qui fait que les deux cent nonante-six pages du récit se lisent comme autant de pépites. » - La Côte

« Le livre de François Darracq se lit avec autant de plaisir que d’intérêt. Plaisir procuré par un récit à la construction maîtrisée, aux personnages bien campés, à l’intrigue soigneusement déroulée, le tout servi par une écriture vive et mature. Quant à l’intérêt, il est autant soutenu par le rappel des circonstances d’un épisode majeur de l’histoire des
idées, que par l’accent mis sur le déchirement qui se joue dans l’esprit du jésuite, de plus en plus convaincu de la justesse des théories de celui qu’il est par ailleurs chargé de confondre.» - Bernard Pinget, Hayom

À PROPOS DE L'AUTEUR

François Darracq, de son vrai nom Stéphane Garcia, est historien de formation. C'est en rédigeant sa thèse que lui est venue l'idée derrière Splendor Veritatis, polar historique d'ores et déjà encensé par la critique. Quand il n'écrit pas, Stéphane Garcia enseigne l'histoire et occupe le poste de doyen au collège Sismondi.

LangueFrançais
Date de sortie29 mai 2015
ISBN9782832106815
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    Aperçu du livre

    Splendor veritatis - François Darracq

    1993

    PREMIÈRE PARTIE

    Sic transit gloria mundi

    I

    Rome, 30 octobre 1623

    Des applaudissements saluèrent sa prestation.

    Il avait réussi !

    La vague sonore des dizaines de mains entrechoquées l’enveloppa, lui caressa la tête. Une forme de douce euphorie se répandit dans ses membres ; il se sentit tout à coup plus léger, débarrassé du poids de la responsabilité qui l’avait oppressé depuis deux jours. Cette sensation eut le don de faire ressurgir dans sa mémoire un épisode oublié de son enfance : la fois où il s’était étendu dans cette sorte de grande caisse que ses tantes remplissaient de plumes d’oie depuis des semaines – le souvenir d’un bonheur à l’état pur, avant les éclats de voix et une sévère correction, bien sûr.

    D’un bref hochement de tête, il remercia le public. Il rassembla ses feuillets posés sur le pupitre, avec des gestes lents, comme pour mieux jouir de ce moment de reconnaissance que son inexpérience lui avait interdit de se figurer trop clairement. Il pouvait pourtant compter sur l’assistance de Dieu, fallait-il qu’il en eût douté ? Sitôt la conférence terminée, il irait Lui en rendre grâces. Combien il L’aimait ! L’ardeur de sa foi – était-ce possible ? – lui semblait avoir encore gagné en intensité à la faveur de cette épreuve surmontée de belle manière. Lui, Melchior, en parfait jésuite, se serait dit prêt à partir sur-le-champ aux confins du monde pour y répandre Son nom si les dirigeants de la compagnie le lui avaient demandé.

    Mais pour l’instant, il fallait simplement céder sa place d’orateur, comme l’y invita le duc Cesi en se levant et en lui désignant son fauteuil d’un aimable geste de la main.

    Les applaudissements se turent.

    — Vous avez eu la bonté, révérend père Inchofer, d’accepter de remplacer votre illustre confrère le père Grassi au pied levé, pour ainsi dire. Au regard de ces circonstances particulières, sachez que nous apprécions l’excellence de votre exposé à sa juste valeur. Soyez-en, à nouveau, vivement remercié.

    Federico Cesi marqua un temps, qu’Inchofer combla avec un authentique sentiment de gratitude envers l’organisateur de cette après-midi de réjouissances. Le duc aurait pu vouloir reporter cette réunion de quelques jours, le temps de permettre au père Grassi de se rétablir ; il avait préféré la maintenir et ainsi lui offrir à lui, Melchior Inchofer, simple membre de l’équipe d’astronomes du Collegio romano, une chance unique de se présenter. Finalement, le temps de préparation, un peu court, ne lui avait pas porté préjudice. Puissant aiguillon que l’attrait de l’opportunité, l’entreprenant Cesi devait le savoir !

    — C’est au tour maintenant de notre Christophe Colomb de l’astronomie de nous faire bénéficier de ses lumières, poursuivit Cesi. Ne m’en veuillez pas, chers amis, si je me permets toutefois de repousser brièvement le plaisir rare de l’entendre, le temps de vous servir un rafraîchissement. Nous avons patienté près de cinq ans pour connaître son avis sur la nature de nos trois comètes ; vous ne me tiendrez pas rigueur, je l’espère, de ces quelques minutes de délai supplémentaire.

    Un coup d’œil au majordome, et aussitôt, une armée de serviteurs s’activa dans la salle de réception. Tandis que les uns serpentaient entre les rangées d’auditeurs avec leurs plateaux garnis de verres multicolores, les autres faisaient coulisser du plafond la demi-douzaine de lustres en bronze pour en allumer les chandelles.

    S’étant assuré que ses gens procédaient avec toute la diligence requise, Cesi se rassit bientôt. Il constata avec aise que ses invités, sans exception, étaient restés solidement adossés au cuir de leur siège : à l’évidence, personne ne voulait prendre le risque, en s’absentant, de manquer ne fût-ce qu’une bribe de l’intervention de Galilée. Quelques-uns discutaient avec leur voisin, mais à voix basse, comme s’ils souhaitaient que l’intermède durât le moins longtemps possible.

    Melchior Inchofer, assis à part, de trois quarts face à l’assistance, se contenta d’abord d’échanger quelques œillades entendues avec ses confrères jésuites, qui occupaient la moitié de la première rangée ; à en croire leurs imperceptibles mouvements de tête ou de lèvres, eux aussi se montraient satisfaits de sa performance.

    Il accueillit avec contentement le verre d’eau fraîche qu’on lui proposa.

    Le religieux hongrois revenait à lui. Cette heure et demie de discours l’avait comme extrait du monde terrestre pour le projeter dans celui des étoiles. Il était temps d’en redescendre, comme le lui suggérait la fresque qu’il remarqua au plafond en suivant des yeux un lustre qu’on faisait remonter : Jupiter foudroyant les Géants. Il ne put s’empêcher de constater une ressemblance entre l’allure du roi de l’Olympe – sa barbe mi-longue ? son regard ? son port de tête ? – et celle de Galilée. Cette comparaison spontanée l’amusa plus qu’elle ne l’inquiéta. Elle l’incita pourtant à se souvenir que l’après-midi ne touchait pas encore à sa fin : l’exposé du savant florentin laisserait place à d’éventuelles questions du public, et donc à un possible débat. Il convenait de rester concentré.

    Mieux valait avoir parlé le premier, face à un public encore disposé à l’écouter de bout en bout. Les quelques fois où il avait levé les yeux de son texte, l’attention manifeste des auditeurs l’avait conforté dans l’idée qu’il les tenait. La tâche de Galilée, en revanche, s’annonçait plus délicate – Inchofer jeta un coup d’œil en direction de son prestigieux successeur. Il paraissait assez dubitatif, de l’autre côté du « u » évasé que dessinait la disposition des sièges. Calé entre les accoudoirs, les sourcils légèrement froncés, il caressait ses joues barbues du pouce et de l’index. L’embarras à l’idée qu’il lui serait difficile de faire mieux ? Le jésuite plissa les yeux à cette hypothèse qu’il jugea lui-même un peu présomptueuse : ce grand savant attendait tout simplement la fin du remue-ménage.

    La nuée de domestiques s’envola bientôt, et le silence s’installa.

    Galilée patienta encore, sans changer de posture. Le champ était pourtant libre, et tous les yeux rivés sur lui. Une minute s’égraina ainsi, deux peut-être, sans qu’un murmure ou un toussotement sacrilège n’osât rompre le silence de cathédrale qui avait envahi le grand salon du palazzo Cesi. Le maître des lieux lui-même ne cilla pas, comme s’il craignait de troubler l’apparente méditation de son ami. Inchofer, quant à lui, jugea le délai un peu long ; il commençait même à ressentir un certain agacement lorsque Galilée déploya enfin sa haute stature.

    Ce dernier esquissa alors un large arc de cercle, en longeant de près la première rangée de spectateurs. Les petits coups réguliers martelés sur les dalles de marbre par les talons de ses bottines claquèrent avec une force étonnante dans l’immense pièce de réception. S’il s’était trouvé quelqu’un dans le public pour l’avoir entendu quinze ou vingt ans auparavant à l’Université de Padoue, il aurait sans doute reconnu un rituel pratiqué par le professeur au début de chacun de ses cours : « Faire entrer les cœurs en résonance », avait-il un jour confié à l’un de ses étudiants…

    Le savant florentin passa tout près d’Inchofer qui, par réflexe, huma l’air de son sillage. Il s’attendait à l’odeur de velours de son pourpoint, moins à celle, agréable, de musc dont il l’avait parfumé. Il le regarda s’éloigner, remarquant son allure soignée et la noblesse qui émanait de sa démarche. Rien de cela ne cadrait avec l’image qu’il s’en était formée, sur la base de ce qui lui apparaissait maintenant comme de bêtes préjugés. Le célèbre serviteur du grand-duc de Toscane, courtisan dans la force de l’âge, n’avait en effet pas grand-chose en commun avec ces professeurs en fin de carrière qu’Inchofer avait eu l’occasion de côtoyer. C’était un seigneur de la science, que ce Galileo Galilei…

    Regagnant le centre de la salle, le nouvel orateur empoigna le pupitre et le décala vers l’arrière. Il se plaça face au public, sans plus d’obstacle entre lui et les invités, pas même quelques feuilles de notes.

    — À mon tour de m’incliner devant la pertinence des démonstrations de votre Révérence. Elles font, comme il se doit, honneur à votre vénérable compagnie.

    La voix grave et puissante du savant florentin manqua de faire sursauter Inchofer, assis à proximité. La parfaite acoustique de la pièce dispensait Galilée de brusquer ses cordes vocales ; elle n’en rendit que mieux son entame théâtrale. Le jésuite hongrois fut également surpris de l’entendre discourir en italien plutôt qu’en latin ; ce manquement à une règle tacite lui fit soudain concevoir un doute sur ses intentions. Mais c’est surtout cette manière bien toscane de transformer les « c » – la « Hompania », avait-il prononcé – qui imprégna immédiatement son ouïe, et probablement aussi celle des auditeurs, romains pour la plupart. Dès la première phrase, l’aspiration soutenue du « h » produisit un son comparable à celui d’une lame d’épée balayant l’air.

    Malgré les louanges liminaires, un frisson, un mauvais pressentiment parcourut l’échine d’Inchofer.

    La suite lui montra que sa réaction était stupide et infondée.

    Vitesse des comètes, nature de leur queue, caractère céleste ou sublunaire du phénomène, paradoxe de leur trajectoire rétrograde par rapport aux planètes, effet d’irradiation de la lunette astronomique… Pendant plus d’une demi-heure, Galilée passa en revue, dans l’ordre et avec une mémoire sans failles, les arguments du père Inchofer. Il distribua les bons points çà et là par quelques compliments sur leur pertinence ; il se permit même d’en étayer certains par des idées nouvelles auxquelles, manifestement, le jésuite n’avait pas songé.

    Loin de se formaliser de ce dernier aspect, Inchofer s’en réjouissait même. Il n’aurait su tout à fait expliquer pourquoi. Un mélange, probablement, de révérence juvénile pour un homme qui avait tant apporté à l’astronomie depuis une dizaine d’années, d’admiration pour la brillante maîtrise dont il faisait encore preuve à son âge, de désir aussi d’ouvrir un chapitre nouveau de collaboration entre Galilée et le Collegio romano. Le temps d’un instant, il se rêva en intermédiaire incontournable entre le grand savant et le groupe des astronomes de l’université jésuite, en animateur de leurs recherches communes, en moderator de leurs discussions. S’il devait exister une prime à son dévouement, à sa suppléance de dernière minute, ce pourrait bien être celle-là.

    Tout à son ravissement et à ses projets, Inchofer ne remarqua pas les signes de surprise, voire d’inquiétude, que commençaient à exprimer certains visages dans le public. Une partie de l’assemblée semblait s’étonner de ce discours somme toute très consensuel. Où était donc le duel promis, la confrontation espérée ?

    Mais bientôt Galilée cessa d’exécuter ses petits pas de danse.

    Campé au centre de la pièce, il donna l’impression de vouloir tenir une position dont nul ne le délogerait. L’attention du public regagna immédiatement en intensité.

    Commença alors la seconde phase de son discours.

    Un à un, les mêmes arguments que les auditeurs, quelques minutes auparavant, avaient cru approuvés, adoptés, sanctionnés par l’autorité scientifique du maître, furent jetés à bas, démontés, transpercés. Galilée assenait ses coups avec la précision et la détermination de celui qui a multiplié les parades en s’interdisant de répliquer. L’envergure de ses fentes frappa autant les esprits que son souci permanent de les exécuter avec style : son travail de sape systématique s’accompagna de plaisantes métaphores et de pointes ironiques que le public, habitué aux joutes littéraires dans les diverses académies de Rome, goûta peut-être plus encore que sa contre-riposte physico-mathématique.

    Inchofer restait comme tétanisé sur son fauteuil. Il se sentait métamorphosé en pantin d’entraînement pour escrimeur en mal de touches. Un objet de jeu en détresse, ballotté par un maître ès mise en scène. Comment osait-il ? Le jésuite ne put se raccrocher aux regards de ses compagnons : leurs yeux effarés restaient rivés sur l’orateur. Il dut subir seul les grognements et les rires étouffés qui montaient de l’assistance, au gré des traits d’esprit de Galilée.

    La conclusion ne sonna pas le terme de son calvaire. Au contraire.

    — J’ai reconnu dans votre exposé les mêmes erreurs que celles qui jalonnent l’ouvrage publié par le père Orazio Grassi à propos de nos comètes. Certes, je ne saurais vous faire grief d’avoir largement puisé à son De tribus cometis ; nous avons tous eu, jeunes, nos maîtres à penser. Cependant, je vous invite instamment à réviser les fondements mêmes de cette démarche scientifique que vous faites vôtre.

    » Voyez-vous, la science a parfois besoin d’une once d’imagination plus que de volumes de compilation. Je constate que vous faites partie du troupeau de ceux qui, pour accéder à la connaissance des effets de la nature, se retirent dans leur bureau pour feuilleter index et répertoires, et voir si Aristote n’en a pas parlé : quand ils se sont assurés du vrai sens du texte, ils n’estiment pas possible d’en savoir plus.

    » Je comprends bien votre besoin de vous réclamer sans cesse de son autorité universelle. Qui a traité de manière aussi ordonnée et complète des phénomènes naturels ? Quel autre auteur suivre dans nos universités et académies ? À qui recourir pour régler nos controverses, si on le détrône ? La tentation est grande, en effet, de lui prêter foi sans discernement. Mais vous conviendrez avec moi qu’Aristote était un homme, qu’il voyait avec des yeux, écoutait avec des oreilles et raisonnait avec son cerveau. Qu’avons-nous de moins que lui qui nous empêche de remettre en cause ses théories ?

    » Pour ma part, je ne fais pas de science de seconde, vingtième ou centième main : il se trouve que j’ai mis au point un instrument qui permet à mes yeux de voir trente à quarante fois mieux que ceux de ce grand philosophe. Vous qui profitez aussi de cette avancée technique, ne trouvez-vous pas qu’elle fournit une très bonne raison de réévaluer un savoir qui date de bientôt deux mille ans ? Le temps qui passe n’offrirait-il aucune chance aux hommes de faire progresser leurs connaissances ?

    Les mouvements de bras, dont l’orateur se montrait peu avare, se concentrèrent alors dans l’index de sa main droite, tendu en direction d’Inchofer. Ce dernier se sentit descendre d’un cran, comme sur une sellette au milieu d’une salle d’audience, dévisagé par les justiciers d’un tribunal de dernière instance.

    — L’autorité sacrée que vous et votre compagnie prêtez à Aristote s’arrête au seuil de cette salle. Les seuls juges que je reconnaisse en matière de science, ce sont ces messieurs, réunis ici, gentilshommes, prélats, hommes de bien et de culture, qui pèsent le pour et le contre de nos thèses respectives avec toute l’acuité de leur génie propre. Sans préjugé, et surtout avec le souci de précision qui a inspiré le titre de mon dernier ouvrage : Il Saggiatore.

    » Et, comme vous venez de je ne sais quelle contrée ultramontaine, permettez-moi de vous expliquer ce que ce terme signifie chez nous : il s’agit d’une petite balance très sensible dont les monnayeurs se servent pour les pesées délicates. Exactement ce dont notre cerveau a besoin sur le sujet qui nous occupe.

    Galilée laissa un court répit à sa victime, le temps d’effectuer quelques pas de côté pour prendre les deux exemplaires de son livre fraîchement sorti des presses, que le majordome, déjà, lui tendait. La mise en scène de son exécution avait été décidément bien réglée, remarqua Melchior Inchofer dans un accès de lucidité. Puis son bourreau revint lentement sur ses pas, et se planta devant lui en balançant son dernier-né comme une corde à nœuds.

    — Puisqu’une bonne génération nous sépare et qu’il ne faut jamais désespérer de la jeunesse, je conseille à Votre révérende Paternité de s’inspirer à l’avenir des quelques principes de méthode que mon faible esprit y a consignés. Tenez-vous-en, comme j’ai tâché de vous le montrer tantôt avec des exemples concrets, à la rigueur des raisonnements mathématiques et à la sévérité des démonstrations géométriques. Ce sont les seuls outils dont nous ait gratifiés Notre Seigneur pour décrypter le grand Livre de la Nature qu’il a ouvert devant nos yeux. Vous trouverez dans mon ouvrage, je l’espère, les clefs pour sortir de cette prison de la raison que sont devenus les textes d’Aristote, et surtout leur horde de commentaires poussiéreux qu’on fait apprendre par cœur dans vos collèges comme s’il s’agissait des saints Évangiles !

    Un murmure de réprobation monta du petit groupe de jésuites. Inchofer, quant à lui, resta bouche bée, stupéfait. Les bornes de l’admissible étaient dépassées. Il lui fallait se lever, protester… mais son corps resta comme pétrifié.

    Galilée lui tendit alors les deux ouvrages, en concluant tranquillement :

    — Le second exemplaire est destiné au père Grassi, auquel vous présenterez, je vous prie, mes respectueuses révérences, et mes vœux sincères de prompt rétablissement. Je regrette vivement que l’indisposition ait empêché votre illustre confrère de nous rejoindre ce soir. Puisse ma prose véhiculer quelque vertu curative pour lui – mais on m’a rassuré sur la gravité du mal dont il souffre – comme pour vous !

    Cette ultime pique provoqua quelques rires, que les applaudissements nourris du public ne parvinrent pas à couvrir.

    Comme réveillé de sa torpeur par la claque de l’auditoire, Inchofer se leva d’un geste vif et quitta la salle sans se retourner. Une demi-douzaine de soutanes noires lui emboîta immédiatement le pas. Un chœur à l’unisson d’une vingtaine de voix masculines les accompagna d’un « oh ! » de déception.

    La soirée s’acheva sans la Compagnie de Jésus.

    II

    Galilée n’eut guère le loisir d’apprécier les délicatesses de la collation bientôt servie. Sa démonstration lui valut d’être assailli de vigoureuses poignées de main assorties de félicitations dithyrambiques. Le départ des jésuites avait ôté toute limite à l’enthousiasme des commentaires.

    Le duc Cesi était aux anges de voir, dans l’attroupement désordonné autour de son ami, les visages rayonnants du Tout-Rome. Il prit le temps de savourer l’instant avant de se mêler à la liesse. Cet emballement de fin de conférence, par son côté délicieusement excessif, lui évoquait la bouffée d’air qu’aspire à pleins poumons le plongeur resté trop longtemps en apnée.

    La performance du plus célèbre représentant de l’Académie des Lynx avait surpassé les scenarii qu’avait imaginés son fondateur. Sans se l’avouer, Cesi avait craint, en effet, de ne plus retrouver le Galilée énergique, incisif, qui l’avait tant impressionné lors de son précédent séjour à Rome, sept ans auparavant. Il avait cru percevoir, à travers l’abondante correspondance échangée avec lui pour régler les détails de l’édition du Saggiatore, quelques signes de lassitude qu’il avait mis au compte de l’âge. Mais à l’approche de la soixantaine, le savant florentin venait de fournir la preuve éclatante d’un degré de maîtrise inégalé, qui inspirait à tout le monde l’admiration la plus profonde.

    Avec un tel homme, tout devenait possible !

    Car le duc y croyait maintenant dur comme fer : son académie travaillait avec succès à la conversion culturelle de Rome. L’ère de la nouvelle science approchait ! Ce qui venait de se produire chez lui l’illustrait de la manière la plus éclatante : quand Galilée pesait de tout son poids dans la balance, les sectateurs d’Aristote perdaient pied. Et l’admirable conjoncture offerte par le nouveau pontificat allait précipiter leur chute.

    Quelle merveilleuse ouverture, se répétait-il comme on se pince pour mieux y croire, que cette élection inattendue de Maffeo Barberini au trône de Saint-Pierre ! Quel retournement de situation, après deux pontificats marqués par l’influence étouffante sur la vie intellectuelle romaine de la Compagnie de Jésus ! Dix-huit ans… Et voici que se retrouvaient, chez lui, en communion, le savant le plus original qu’ait connu l’Italie depuis des lustres, et l’aristocratie intellectuelle de la Rome pontificale. Ce moment était historique.

    Il ne put cependant réprimer le sentiment que la partie qui venait de s’achever n’avait pas offert toute l’intensité dramatique souhaitée. Le jeune Inchofer s’était révélé un peu tendre pour un tel exercice. La défection du père Grassi lui apparaissait maintenant regrettable. La même démonstration face au titulaire de la prestigieuse chaire de mathématiques du Collegio romano eût offert à Galilée et à l’Académie des Lynx une victoire autrement plus glorieuse.

    Cesi soupçonnait le solide jésuite d’avoir volontairement laissé son second s’exposer aux coups de griffe. Il avait en effet accepté un peu trop vite que le débat se tînt dans l’antre des lynx, probablement synonyme aux oreilles des jésuites de lieu de damnation intellectuelle. Savait-il la partie perdue d’avance ? À moins tout simplement que la perspective de se frotter au sieur Galilei fût la cause de ses maux de ventre… Sujet intéressant que l’influence de l’esprit sur les entrailles, un thème d’étude à mettre au programme de l’académie, se dit-il au passage.

    Peu importait, finalement ! Le gant avait été jeté à la face de la Compagnie, le livre de Galilée prolongerait l’onde de choc qui briserait dans les esprits la chape suffocante imposée par les jésuites. Les murs de leur Collegio romano n’apparaîtraient plus que comme de frêles bastions de l’aristotélisme, trop crevassés pour qu’on ne songeât à leur effondrement prochain.

    De quelques coups brefs et énergiques, Cesi fit tinter un verre à l’aide d’une cuiller.

    — Cari amici… annonça-t-il d’une voix forte, dans l’espoir de faire cesser le brouhaha qui ne faiblissait pas. Per favore… Grazie ! Les visages radieux que je vois en face de moi traduisent, mieux que tous les superlatifs, la joie intense que nous a procurée notre grand Galilée. Je crois que nous nous souviendrons longtemps de ce moment étourdissant de bonheur intellectuel. Mais vous avez entendu le maestro : sa virtuosité a été mise en musique dans un nouvel ouvrage publié sous l’égide de l’Accademia dei Lincei. Un exemplaire a été réservé à votre attention. Nous n’entendons pas vous en priver plus longtemps.

    Les domestiques se mirent à distribuer des dizaines de livres reliés de maroquin brun, frappés au dos de l’emblème du lynx.

    — Prenez garde, l’encre n’a peut-être pas encore eu le temps de sécher ! lança-t-il à la cantonade, tout en s’approchant de Galilée.

    Mais sa plaisanterie se perdit au milieu des exclamations de ceux qui découvraient la surprise insérée dans les premières pages. Celle que Cesi avait imaginée et fait tenir aussi secrète qu’une procédure d’Inquisition : la dédicace du livre au nouveau pape Urbain VIII…

    — Voyez ce que ça donne ici, souffla-t-il à l’oreille de Galilée. Imaginez l’effet qu’elle produit déjà chez les jésuites !

    * * *

    Galilée se laissa tomber sur un fauteuil du petit salon, les bras pendant de chaque côté.

    — J’ai passé l’âge de ce genre d’épreuve physique, Federico !

    Cesi invita Mgr Ciampoli à s’asseoir face à Galilée. Lui-même rapprocha de ses deux amis académiciens, confortablement installés, une petite crédence à roulettes, garnie d’une fiasque de vin et de quelques verres de cristal.

    — Vous avez dansé comme ces jeunes nobles qui se distinguent dans les ballets, Galileo, et vous continuerez longtemps de le faire dans l’esprit de nos invités. Ne me dites pas que vous n’y avez pas pris plaisir, je vous ai vu !

    — Mes vieux os se souviennent surtout des cent cinquante milles parcourus ces derniers jours sur des routes en aussi mauvais état que vos chaussées romaines… Vous comprendrez mieux dans vingt ans ce que cela signifie.

    — Alors buvons à votre endurance, mon ami, car le périple commence seulement. Je sais que vous n’avez rien contre ce type de fortifiant, dit-il en remplissant le verre de Galilée.

    Après un échange de sourires complices, les trois hommes dégustèrent le nectar en silence.

    — Un barolo, répondit Cesi au regard extasié de Galilée.

    — Le problème avec vous deux, messeigneurs, c’est que vos arguments finissent toujours par me faire rendre les armes. Vous aimez avoir raison, et rien ne vous arrête avant qu’on l’admette.

    Cesi et Ciampoli éclatèrent de dire.

    — Nous avons été à bonne école, maestro, lui rétorqua ce dernier.

    Galilée opina du chef en les dévisageant avec affection, comme un père se rendant à l’évidence qu’il ne peut renier ses rejetons. Eux aussi forgeaient leur destin par la force de leur esprit.

    Giovanni Ciampoli offrait l’exemple par excellence de ce que le talent permettait d’obtenir à qui le possède et sait s’en servir. En à peine plus de trois décennies de vie, il avait déjà une longue carrière derrière lui. Galilée se souvint de ce tout jeune Florentin, de modeste extraction, qui brillait déjà à la cour du grand-duc de Toscane quinze ans auparavant. Sa facilité à composer des vers l’avait fait entrer dans l’entourage direct de Son Altesse : on lui confiait déjà la responsabilité de réciter des poèmes lors de mariages ou de baptêmes, autant d’occasions durant lesquelles il savait comme nul autre flatter la grandeur de la Casa des Médicis. Il mettait en mots ce que quelques autres savaient figurer de leurs pinceaux : ce pouvoir convoité lui

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