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Assassins: Quatrième Âge: Guerres De L’ombre
Assassins: Quatrième Âge: Guerres De L’ombre
Assassins: Quatrième Âge: Guerres De L’ombre
Livre électronique540 pages8 heures

Assassins: Quatrième Âge: Guerres De L’ombre

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À propos de ce livre électronique

Au sortir de la Grande Guerre, les terres de la Nostraterra ne sont plus que ruines. Tandis que les Elfes, les Nains et les Hommes rebâtissent leurs royaumes, un sinistre projet est mis en branle : l'assassinat d'Alfrahil, l'héritier du trône d'Eldora. 

Alors que les flammes pleuvent sur les murs de la Cité, le jeune prince Alfrahil s'accroche à la vie et parvient de justesse à en réchapper. Bravant de périlleuses complications, il est bien déterminé à démasquer les conjurés et à lever le voile sur cette affaire.

Les pistes mènent toutes au frère d'Afrahil, le prince Daerahil, et au fourbe Premier ministre, Mergin. Mais qui se cache réellement derrière ce complot?

LangueFrançais
ÉditeurNext Chapter
Date de sortie15 juil. 2020
ISBN9781393810643
Assassins: Quatrième Âge: Guerres De L’ombre

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    Aperçu du livre

    Assassins - David N. Pauly

    Dédicace

    À ma tendre épouse, Minh Ha, pour avoir rendu tout cela possible, et à mon frère, James, le premier a y avoir cru.

    Prologue

    Dernier Jour du Troisième Âge

    Sur la silhouette menue de Bran tombait un des manteaux ensorcelés octroyés à tous les Marcheurs par Aradia, la reine des Elfes de la Phenicia. Des mois de préparation, d’adversité et de souffrance seraient enfin récompensés, sinon ses amis et lui périront ici, à Plaga Erebus, dans l’obscur royaume de Magnar. De la Brunna Hatan, la Fontaine de la Rancœur, émanait des cendres, là où la Foudre Noire crépitait et vrombissait au sommet de son pic métallique, à un mille de leur position. La cendre se propageait depuis la terrible fontaine, créant un sinistre nuage qui recouvrait le ciel, transformant le jour en nuit.

    Un funeste coup de tonnerre éclata derrière eux, frappant de tout leur long les frontières du domaine cauchemardesque de Magnar et formant une barrière impénétrable qui rendait superflu le besoin d’une garde frontalière. Presque l’ensemble des Elfes Noirs et des Hommes composant l’armée guerrière de Magnar gisaient sur les champs de bataille pervertis de haine des grandes terres de la Nostraterra. La plupart des survivants s’étaient rassemblés au Sanguine Templar, un énorme temple à quelques milles de la Fontaine, sacrifiant des prisonniers, toutes espèces confondues, pour alimenter la Foudre Noire. D’autres parcouraient les terres, patrouillant entre le temple et la Fontaine, les gardant de toutes interférences extérieures, tandis que Magnar couvait son aversion, planifiant d’ores et déjà son retour prochain.

    Aradia, la reine elfe de la Phenicia, chassée de son royaume et contrainte à l’exil en terre des Hommes d’Eldora s’était servie de ses pouvoirs pour trouver la moindre faille au cœur des mortelles défenses de Magnar, permettant aux Marcheurs de les pénétrer petit à petit sans rencontrer un seul des gardes de ce sombre royaume. Les chevaux ne pouvant passer par la voûte en pierre, seule entrée en ces terres, la cavalerie elfique patientait sur les collines en aval du dangereux barrage de lumière, attendant sa chance de pouvoir secourir les Marcheurs une fois leur quête couronnée de succès.

    Une pâle lueur les éclairait à présent ; l’aube pointait. Ils devraient frapper rapidement ou ils risquaient sinon d’être découverts à telle distance de la Fontaine. L’un des camarades Marcheurs de Bran, le roi nain Gneiss, se rapprocha et se pencha pour murmurer :

    — Il est temps, Bran. Reste en arrière le temps de voir si j’arrive à tailler ce conduit infernal.

    Gneiss et Bran s’approchèrent du trou fraîchement creusé de trois pieds, là où le haut d’une canalisation souterraine se découvrait et dans laquelle s’écoulait le flux de magie pure approvisionnant la Fontaine. Les trois plus proches amis de Bran, de leur patrie commune en Platonia, étaient réunis autour de lui, choisis parmi leurs confrères Gracies pour porter l’eau-de-vie du Printemps de l’Espoir en ce terrible endroit. Les quatre hommes d’Eldora rodaient non loin, leurs arcs bandés, tandis qu’ils couvraient le reste du groupe. En creusant, les trois ingénieurs nains accompagnant Gneiss avaient déniché ce bout de conduit suffisamment proche de la surface pour être fendu. Maintenant, restait à la magie des Nains de rompre l’épais métal de la canalisation pour que Bran puisse achever sa mission.

    Gneiss sortit de son paquetage un ancien marteau de guerre ornementé dont la tête était faite à partir d’un platina robuste, un métal inestimable miné par les Nains eux-mêmes. Il marmonna un ancestral sortilège en nanien[1]. Extrayant un cylindre de cristal reluisant enveloppé d’un platina brillant aux mille et une petites formes et couleurs, Gneiss le plaça sur un socle au sommet du marteau.

    Chuchotant aux autres de se tenir en retrait à l’exception de ses confrères nains, Gneiss l’élança dans le trou, frappant la canalisation dans un terrible écho métallique. De petits résidus de métal noirs s’envolèrent en dehors de la fosse et Gneiss, tiré par les siens, vacilla vers l’arrière.

    — Maintenant, Bran ! tonna Gneiss.

    Bran et ses trois camarades Gracies approchèrent du trou et, y jetant un coup d’œil, Bran aperçut une large fissure dans le sombre conduit à l’intérieur duquel on pouvait distinguer un épais liquide pourpre s’écouler jusqu’à la Fontaine. L’odeur de chair putréfiée en émanant était presque insoutenable. La Mort, sous forme liquide, pensa Bran. Ainsi, Aradia ne se trompait pas. La culture Gracie soutenait que seule la Vie pouvait venir à bout de la Mort, et ce fut pourquoi Bran déboucha un récipient contenant un liquide bleuté – les eaux-de-vie de Platonia. Ses camarades Gracies le retinrent au niveau du buste tandis qu’il versait les eaux et l’espace d’un instant, alors que rien ne se passait, Bran craignit avoir échoué.

    Puis, soudain, le liquide dans le conduit passa du rouge à un blanc aux nuances purpurines et jaillit de la canalisation dans la fosse. Le sol se mit à trembler sous leurs pieds. Le murmure des palpitations de la Fontaine au-dessus de leurs têtes oscilla et s’éteignit. Un silence surnaturel s’abattit ainsi sur le domaine. Alors, la Tour éclata en un voile énergétique d’étincelles chatoyantes, des éclairs bleutés foudroyant depuis le sol le ciel dans une danse actinique, glissant sur le tapis de cendres du désert environnant. Le rugissement fracassant fut à maintes reprises percé par le ronflement strident de nouveaux éclairs pourfendant les alentours. Bran fut tiré en lieu sûr hors de la fosse par ses amis Gracies, lorsqu’une effusion de gaz et de liquide dégorgea du trou, emportant deux de ses camarades. Leur escorte humaine attrapa Bran et son ami Arwel, poussant les Gracies à courir aussi vite que possible, suivant les Nains jusqu’aux frontières du territoire et comptant sur la cavalerie elfique pour leur porter assistance.

    Les éclats de la Foudre Noire illuminant ciel et terre, les secondes devinrent des minutes alors que Bran cavalait aussi rapidement que ses petites jambes pouvaient le porter. Bran s’arrêta au sommet d’une petite montée, à bout de souffle, et se retourna pour voir la Fontaine décharger son énergie sur le Sanguine Templar. La structure entière du temple fut recouverte des gerbes d’éclairs ébène et il éclata en tous sens ; des blocs de pierre grenat projetés à des centaines de pieds dans le ciel avant de s’écraser finalement. La magie du Sanguine Templar s’éteignit, son halo sanguin disparaissant enfin. Puis, la Fontaine se mit à rejeter sa force magique, les éclairs s’abattant de plus en plus loin du pic.

    — Fuis, Bran, fuis, cria Gneiss, et tournant la tête vers le nord, Bran aperçut les Nains en amont tandis que les hommes gardaient leurs arrières. Une odeur de cendres, de poussière et de décomposition lui agressa les narines, tandis qu’un amer goût alcalin se glissait sur sa langue, des vapeurs âcres hachant sa respiration. Haletant, il dégringola la pente du talus, distinguant les sombres collines que la cavalerie dévalait, le barrage mortel ayant été terrassé. Une étincelle d’espoir inopportune palpita dans sa poitrine.

    Nous l’avons fait, nous avons détruit Magnar et Platonia est hors de danger, je vais pouvoir rentrer chez moi, pensa-t-il, mais alors, l’un des derniers éclairs de Foudre Noire s’abattit sur lui, ses filets bleu foncé lui brûlant le visage et le reste du corps. Dans son oreille gauche éclata une terrible cacophonie et il se tordit de douleur sur le sol. Arwel avait enduré le plus gros de la fulguration et avait pris feu, tandis que les hommes derrière eux avaient disparu pour toujours. Alors que Bran était étendu sur le sable du Plaga Erebus, il contempla les cendres noires couvrant le ciel, le triomphe qu’il ressentait au vu de la destruction de la Fontaine remplacé par de la détresse et du désespoir lorsqu’il comprit quel en avait été le prix. Bran songea qu’il mourrait sûrement quand les bras puissants de Gneiss l’attrapèrent et le traînèrent en direction des lointaines collines sur lesquelles sa dernière vision lui permit de deviner une petite colonne de cavaliers galopant vers eux à travers le cruel désert.

    ***

    Lorsque Bran reprit connaissance, il sentit une terrible douleur le traverser de toutes parts. Il hurla de vive voix, son dos se cambrant au-dessus du sol. Il était couché, nu, au milieu d’une tente en soie avec pour seule compagnie un jeune Elfe installé non loin sur un tabouret.

    — Ma Dame, il est réveillé ! cria l’Elfe. Tiens, jeune Gracie, bois cette potion, elle calmera la douleur, affirma Drindar, le guérisseur elfique.

    Soutenu par Drindar, Bran avala volontiers l’épais et écœurant breuvage. La douleur commença à refluer presque immédiatement, mais la potion ne l’en délesta que d’une infime partie, et ce fut tout ce qui empêcha Bran de se remettre à hurler.

    Un Elfe blond de haute taille entra dans la tente. Ses pommettes saillantes et ses yeux bleu saphir donnaient à son visage une beauté surnaturelle. Aradia était vêtue de robes gris pâle qui enserraient son corps svelte et elle portait sous le bras un petit baluchon. Elle s’approcha de Bran et prit la parole.

    — Bran, ta blessure est mortelle. Sans assistance magique de la part des Elfes, tu succomberas d’ici le jour qui vient. Je sais les tiens être dans l’interdiction de toucher à la magie, mais si tu le souhaites, je peux ralentir le poison que tu abrites, déclara-t-elle.

    Bran y songea un court moment, dans l’incapacité de parler entre les dents qu’il serrait de douleur, puis, finalement, il acquiesça.

    — Drindar, laisse-nous, je te ferai mander lorsque j’en aurais terminé.

    L’Elfe guérisseur quitta la tente et Aradia ouvrit son baluchon, en sortant une fine tige de cristal paraissant générer une douce lueur rosée. S’agenouillant aux côtés de Bran, Aradia posa la flûte sur ses lèvres et se mit à y souffler comme s’il s’agissait d’une banale flûte. La lumière rose s’intensifia, ses filets se mouvant jusqu’au corps de Bran au rythme de la riche et chaude mélodie en émanant. Les nitescences rosâtres se déployèrent et s’entrelacèrent, enveloppant dans une toile magique toute particule de peau frappée par la lumière. Il sentit sa souffrance s’amenuiser et il put enfin détendre sa mâchoire dans une tentative de parole, cependant Aradia secoua doucement la tête sans perdre contact avec sa flûte enchantée.

    Quelques minutes plus tard, Aradia s’arrêta, ses traits sereins à présent cernés par la fatigue, et replaça la flûte dans son étui. Elle baissa les yeux vers Bran et nota que les stries violines laissées par la Foudre Noire ayant pulsé et luis lorsqu’elle avait pénétré la tente n’étaient plus qu’à peine visibles. La plaie béante barrant le torse du Gracie commençait à se refermer, mais Aradia avait conscience qu’il ne s’agissait là que d’un répit momentané.

    — Bran, m’entends-tu clairement, à présent ?

    — Oui, ma Dame, répondit Bran, épuisé par ses blessures.

    — Les pouvoirs curatifs de cette Flûte au Soupir sont uniques et bien qu’ils eussent sursis à ton trépas en purifiant le poison de la Foudre Noire, le Cristal n’est pas suffisamment puissant pour que ta vie soit sauve. Un choix s’offre encore à toi : tu peux embarquer avec moi pour Elvalon, la terre éternelle des Premiers Elfes. Là, tu seras soigné par des maîtres guérisseurs. Néanmoins, sache que leur magie s’estompera si tu tentes de quitter Elvalon pour revenir en Nostraterra. La mort te prendra rapidement. Mais en demeurant à Elvalon, immergé dans notre magie, ta vie n’aura aucune fin naturelle.

    — Je désire cependant rentrer chez moi, pour voir les miens sains et saufs, et non partir en exil même si ce faisant je gagne l’immortalité !

    — Cela prendrait quatre semaines à dos du cheval le plus preste pour t’emmener en Platonia et c’est autant de temps que je puisse te maintenir en vie. Tu aurais un jour, peut-être deux, pour revoir ton pays avant de trépasser d’une mort atroce. Il te faut maintenant décider quel voyage tu souhaites entreprendre.

    Amèrement, Bran dit :

    — S’offre à moi mon décès en mes terres ou une existence éternelle par-delà les mers. Pouvez-vous me promettre que je survivrai au voyage à Elvalon ?

    — Non, tout ce que je puisse faire est de t’y emmener par le navire le plus rapide à disposition des Elfes et espérer pouvoir te conduire aux maîtres guérisseurs avant que tu ne trépasses à son bord.

    — Espoir, voici que revient encore ce terrible mot. Tout ce que « j’espérais » accomplir était sauver Platonia de la destruction.

    — Tu t’en es acquitté, Bran. Magnar n’est plus et tandis que tu demeurais dans l’inconscience, j’apprenais que Platonia n’a point été attaquée et qu’elle reste inviolée comme elle la toujours été. Ta tâche a été menée à bien.

    — Je m’en irais avec vous, ma Dame, en votre terre. Je ne peux qu’espérer y trouver le repos.

    — Dors donc, alors, Bran, car nous partons en direction du vestige de ma cité, la Phenicia, dans l’heure. J’enverrai Drindar te vêtir et te préparer pour le voyage. Il nous faut nous hâter. 

    Alors qu’Aradia quittait la tente, Bran pleura ses amis et son prochain exil avec peine avant qu’il ne sombre dans un sommeil bien agité.

    Chapitre Un : L’arrivée

    Aradia s’éveilla au parfum d’une averse, marié au bouquet du chuintement de la brise océane lui parvenant au travers la petite fenêtre de sa cabine. Le simple fait qu’elle soit ouverte pour la première fois depuis quatre jours lui en dit autant que le fit l’absence du hurlement du vent et du balancement anarchique du navire, l’Écume d’Argent. La grande tempête avait cessé sa course. Elle était sauve d’un éventuel naufrage.

    Alors que le mouvement rythmé de son lit aurait dû la bercer jusqu’au repos, elle ne pouvait s’empêcher de se tracasser au sujet de son ami Bran, qui se trouvait à l’article de la mort dans la cabine voisine. Bran était un Gracie. Ceux-ci avaient autrefois été des Hommes, mais ils furent transformés il y a fort longtemps par une mystérieuse épidémie. Persécutés en raison de leur petite stature – plus petits que les Hommes, mais plus grands que les Nains – ils avaient trouvé refuge en Platonia, une île cernée par une rivière tumultueuse dont les puissants esprits y résidant avaient conféré aux réfugiés leur protection. Ils y avaient vécu dans la paix et l’harmonie pendant des temps immémoriaux... avant que l’ombre de Magnar ne vienne les obscurcir. Pourtant, bien que les Gracies soient aussi minces que des tiges, leur apparence dissimulait une force morale et physique absente chez les autres espèces, ainsi que Magnar l’avait durement appris. Quand bien même, Bran avait largement outrepassé ses limites, et Aradia avait poussé le navire et son équipage au cœur d’une tempête, entamant une course contre la montre pour sauver Bran.

    S’habillant rapidement, elle avalait une petite coupe d’eau lorsqu’on frappa à la porte.

    — Entrez, dit-elle.

    Jerus, l’Elfe guérisseur, ouvrit la porte et se tint devant sa reine ; sa forte corpulence et sa petite taille, aux antipodes de la haute et fine stature des autres Premiers Elfes.  Le sourire amical et les yeux doux que Jerus arborait à l’habitude tapis sous des sourcils châtain clair étaient supplantés par la couleur maladive de son front couvert d’une fine pellicule de sueur. 

    — Ma Dame, puis-je m’entretenir avec vous ? lui demanda Jerus sur une légère révérence. Aradia acquiesça, sa silhouette de six pieds de long dominant Jerus de toute sa hauteur. Ses longues tresses blondes tombaient en cascade sur sa poitrine et ses yeux bleu saphir le scrutaient d’un regard pénétrant. 

    — Bran se meurt, est-ce bien cela, Jerus ?

    — Indubitablement, ma Dame. Ses blessures dépassent de loin mes facultés curatives. Je crains qu’il ne survive pas jusqu’à notre arrivée à Elvalon.

    Les traits exquis de la reine, ses pommettes saillantes surmontant une bouche parfaitement symétrique, se raidirent dans une sinistre expression alors qu’elle se tournait vers Jerus.

    — Partons en quête de Raghnall.

    Montant la fine échelle, Aradia rejoignit rapidement la poupe du navire, les Elfes autour d’elle s’affairant ouvertement à réparer le bateau du contrecoup de la tempête. La journée, fraîche et nuageuse, couverte par la brume et le lointain chant d’une mouette, était un heureux changement après des jours d’intempéries dont ils se seraient tous bien passés. Néanmoins, Aradia avait conscience que si le vent demeurait calme plus longtemps, Bran risquait d’y laisser la vie. Aradia aperçut Raghnall, le seul Esprit du Vent connu pour posséder une forme corporelle. Il s’était aventuré en Nostraterra, faisant fi des siens qui, pour une raison qui n’appartenait qu’à eux, prohibaient tout contact entre les Esprits du Vent et les mortels. Raghnall prenait la forme d’un Premier Elfe et comptait presque sept pieds de haut, ainsi qu’une lumineuse chevelure d’argent. Seuls les faibles reflets qui brouillaient occasionnellement sa figure le marquaient comme n’étant pas ce qu’il prétendait être.

    — Raghnall, tu affirmais que les Esprits du Vent m’accorderaient le passage de Bran à Elvalon pour qu’il y soit guéri si je me pliais à leurs exigences.

    — Ma Dame, les Esprits du Vent ont consenti à l’arrivée de Bran à Elvalon, mais ils n’ont jamais garanti qu’il y parviendrait en vie.

    Ses joues pâles s’empourprèrent de colère.

    — Je m’en vais retourner à son chevet pour voir comment il se porte. Jerus, dans une demi-heure, assure-toi que les bandages de Bran soient changés, ainsi que ses vêtements et ses draps. Reste ici jusqu’alors.

    Aradia traversa le pont, furieuse à l’idée que les Esprits du Vent aient pris avantage de sa situation et de sa tendresse maternelle à l’égard de Bran. Elle avait été forcée de se séparer de sa liberté et de presque l’intégralité de ses pouvoirs magiques pour assurer le sauvetage de Bran. Elle avait cru à l’origine qu’ils honoreraient autant l’esprit que le contrat ; que Bran survivrait jusqu’à leur arrivée à Elvalon, puis qu’il serait pris en charge par les Elfes guérisseurs les plus expérimentés. Toutefois, Aradia réalisait à présent que les puissants chez les Premiers Elfes avaient leur propre agenda et qu’elle avait conclu un marché avec des entités échappant à son contrôle et à son entendement, qui n’étaient soumis qu’à leurs seuls caprices. Bien, s’ils veulent remettre en question les termes de notre accord, je ne m’en priverai pas non plus, pensa-t-elle avec une forte détermination.

    Elle descendit l’échelle et frappa à la porte de Bran. N’oyant rien, elle entra et trouva Bran plus inconscient qu’endormi. Le Gracie se tournait et se retournait, gémissant faiblement. La pestilence de ses blessures imprégnait l’air ambiant ; du pus verdâtre suintait en travers la dernière couche de ses bandages et de plus épais filaments de lumière purpurine balafraient son visage. Aradia sortit de nouveau sa tige enchantée de l’intérieur de ses robes, consciente que chaque utilisation de la flûte de sa part la rendait moins efficace. Le poison de la Foudre Noire était détenteur d’une magie qui semblait s’adapter à celle d’Aradia, contrant les effets des notes curatives et rapprochant plus vite Bran de la mort qu’elle ne l’avait d’abord envisagé.

    Les Flûtes au Soupir étaient de la conception d’Aradia et avaient été forgées par son époux, Justinus, peu après leur arrivée en Nostraterra. Leur collaboration avait porté ses fruits une fois auparavant lorsqu’ils avaient inventé une nouvelle forme de Souffles de Cristal, inconnus du grand-père d’Aradia, Phaidan, le patriarche des Premiers Elfes. Phaidan, jaloux de son talent et de ses innovations, avait demandé à ce que Justinus et elle révèlent les procédés qu’ils avaient mis en œuvre ce faisant, tout cela afin qu’il puisse régner en maître sur la magie des Premiers Elfes. Ayant refusé de les lui soumettre, Aradia et Justinus avaient pris la tête d’une rébellion composée de jeunes Elfes bien déterminés à créer un nouveau royaume libre de toute ingérence en Nostraterra.

    Portant la flûte à ses lèvres, Aradia sourit sombrement à la pensée même du visage de Phaidan prenant une teinte violine de fureur s’il découvrait un jour que Justinus et elle avaient transcendé la nature même des Souffles de Cristal. Ceux-ci étaient faits pour se mouvoir dans l’air, permettant à la magie des Esprits du Vent de circuler en travers, donnant ainsi vie à la magie des Premiers Elfes. Au lieu de ça, les Flûtes au Soupir recevaient leur souffle directement d’Aradia, lui permettant d’insuffler à l’air exhalé ses propres pouvoirs magiques, produisant de ce fait une magie qui était unique à sa personne. Si Phaidan apprenait l’existence d’une telle nouvelle forme de magie, il la ferait certainement jeter en prison jusqu’à ce qu’elle lui cède les secrets de sa création. Phaidan ne supportait aucun rival à sa suprématie magique ou à son statut de roi des Premiers Elfes.

    Aradia plaça ses lèvres sur un bout de la flûte et une mélodie s’éleva dans la cabine. Les nitescences rosées se mirent de nouveau en mouvement, mais cette fois-ci, l’effet ne fut pas aussi satisfaisant qu’il l’avait été la fois d’avant. Les filaments empoisonnés perdirent beaucoup de leur éclat et nombre d’entre eux disparurent, mais ils reviendraient plus fort qu’avant, remportant la guerre s’établissant dans son corps. Néanmoins, la terrible odeur s’estompa et Bran parut s’apaiser dans sa couchette, profitant enfin d’un sommeil réparateur.

    Aradia rangea la flûte dans ses robes et songea aux autres instruments similaires dissimulés à bord du navire. S’ils étaient découverts lorsqu’elle poserait pied à Elvalon, peu de clémence lui serait accordée. Bien que tous ici lui étaient loyaux, elle soupçonnait que ses bagages seraient minutieusement fouillés à son retour, mais avec l’aide du capitaine de l’Écume d’Argent, l’un de ses plus fidèles partisans, elle espérait être en mesure de dissimuler les flûtes jusqu’à ce qu’elle se risque à s’en servir de nouveau. Usée et affamée, elle quitta la cabine de Bran lorsque Jerus et un autre Elfe y pénétrèrent pour purifier son corps et changer ses bandages. Aradia retourna dans sa propre cabine, se lava et s’habilla, avant de remonter sur le pont juste à temps pour pouvoir partager son déjeuner avec le capitaine du navire, Sarton, accompagné de Raghnall et Jerus. Tout en se restaurant, elle demanda à Sarton :

    — Comment se porte le navire et quand pourrons-nous lever l’ancre de nouveau ?

    — Ma Dame, nous avons gardé espoir ses six dernières heures et nous devrions être en mesure d’appareiller en toute sûreté d’ici trois jours. Je m’interdis à risquer la sécurité du navire, répondit Sarton.

    — Combien de temps avant que nous atteignions Elvalon ?

    — De mon expérience, je dirais qu’un vent régulier venant du nord nous accompagnera la semaine qui vient, donc avec un peu de chance, nous arriverons d’ici six jours.

    Se tournant pour s’adresser à Jerus, elle demanda :

    — Reste-t-il six jours à Bran ?

    — Non, ma Dame. Je suis surpris qu’il ait survécu si longtemps. Au mieux, il trépassera dans les quatre jours. 

    — Sarton, quand pourrons-nous envisager de partir au plus tôt ?

    — Le grand mât est déchiré et notre beaupré s’est détaché. Six heures devraient suffire pour remplacer les voiles, mais même en l’absence d’une autre tempête, et avec une forte houle et un bon vent, nous ne sommes pas à l’abri d’une autre fuite. Si nous n’achevons pas les réparations, le navire à peu de chance d’accoster à Elvalon.

    — Dès lors que nous pourrons reprendre la mer, c’est ce que nous ferons.

    Sarton ouvrit la bouche pour protester, mais Aradia l’interrompit.

    — Nous, comme tous les habitants de la Nostraterra, devons notre vie à Bran. Le moins que l’on puisse faire, c’est de risquer la nôtre pour sauver la sienne.

    Acquiesçant en guise d’assentiment et reconnaissant la dette qu’ils avaient envers Bran, Sarton tourna les talons et beugla des ordres à son équipage d’Elfes.

    — Réparez le mât, renforcez le bouchon de la fuite du flan tribord, improvisez un beaupré. Je veux que nous soyons prêts à lever l’ancre au coucher du soleil.

    Aradia se retira pour une brève sieste, consciente qu’elle devrait risquer de nouveau l’usage de ses arcanes interdits pour déjouer les manigances des Esprits du Vent afin de tenter de garder Bran en vie jusqu’à ce qu’ils atteignent Elvalon. Le temps était devenu son ennemi et une fois de plus, elle devrait lutter contre la Fortune, non cette fois-ci pour se préserver elle-même, mais pour porter secours à son ami.

    #

    Trois jours plus tard, de nouveau aux portes de la mort, Bran fut transporté près de la rambarde. Ses blessures infectées et suintantes, à peine capable d’assimiler quoi que ce soit au travers des brumes de la douleur, il sentit sa poitrine se contracter, l’air quittant son frêle corps. Des taches noires envahirent sa vision et une froide grisaille recouvra ses yeux, telle une enveloppe nuageuse sur le versant d’une colline.

    Soudain, il sentit un tonique être posé contre ses lèvres. Il avala machinalement et le brouillard s’éclipsa. La vie, ainsi qu’une bouffée d’air frais, retrouva son corps meurtri. Il n’avait jamais connu une telle joie dans le simple fait de respirer. Bran sentit le soleil et les fruits du jardin, humant l’odeur des mélilots se balançant au bourdonnement des abeilles chargées de pollen. Puis, aussi brusquement que ces parfums eurent effleuré sa langue, ils disparurent, remplacés par une force nouvelle coursant dans chacun de ses membres. Aujourd’hui, il avait goûté à la mort pour la seconde fois, et cette fois-là, il s’était senti si vide, tellement vide. Il avait espéré être délivré de son étreinte glacée à Elvalon, mais plus encore, il avait aspiré à être libéré de la douleur l’assaillant une bonne fois pour toutes.

    Revenant à lui-même, Bran réalisa que quelqu’un avait appelé son nom. Il cligna des yeux, faisant disparaître les dernières brumes obscurcissant sa vision et tourna tête vers la gauche pour y découvrir son ami Raghnall. 

    — Tout va bien, Bran ?

    Lorsque Raghnall parla, Bran aperçut un éclat doré dans sa main. Il provenait d’une petite fiole de cristal qui brillait comme si on y avait enfermé le soleil levant. Raghnall rangea la fiole dans une poche de ses robes tandis que Bran lui répondait.

    — Était-ce..., commença-t-il.

    — Du cordial de Phenicia, si puissant qu’aujourd’hui seulement, il ne te faudrait qu’en avaler une goutte de plus avant que le breuvage ne consume entièrement ton corps. Les effets dureront jusqu’au crépuscule ; prie pour que nous parvenions à t’emmener à Elvalon à temps. Jette donc un œil, tant que tu as encore suffisamment de force pour le faire.

    Bran se détourna de Raghnall et regarda par-dessus la rambarde du navire. Des vagues azurées sifflaient en caressant la coque, l’accueillant à naviguer dans ces eaux étranges que son bois n’avait jamais connu. L’aube se levait et, dans l’est, une lueur dorée emplissait le ciel. Des raies rosées, safrans et saumons zébraient la mer, se mélangeant aux eaux enténébrées. L’écume blanc argenté grimpait au sommet des vagues, rejetée vers l’ouest pour retomber telle une forte averse dans l’océan.

    Le cœur de Bran fit un grand bond lorsqu’il aperçut au sud une rangée de blanches tours pointant dans le ciel de minuit. Dans leurs ombres s’étendaient des îles verdoyantes et leur présence presque sentiente donnait l’impression d’un baiser maternel sur le genou écorché d’un enfant. Paix et espoir en émanaient. Bran vit de petites embarcations loin de la berge, glissant au gré d’une brise venant du nord, désireux d’aller à la rencontre de leurs frères et sœurs des rives lointaines de la Nostraterra. L’équipe y répondit en redoublant leurs efforts pour maintenir le navire à flot suffisamment longtemps pour atteindre la terre ferme. Les dominant tous se dressaient les tours de Myrddin, de la cité des Terres Éternelles. Les tours s’élevaient par-delà les châteaux ivoiriens et les remparts, leurs sommets faits de cristaux qui chantaient dans la brise du matin.

    — Tu es le premier mortel à entendre le chant des immortels, clama Raghnall.

    Bran en fût émerveillé. Le chant lui parvenait dans la complainte des oiseaux, des flûtes des musiciens et des voix mystiques des esprits mêlés au bruit ambiant et au sifflement du vent. Les mélodies s’associaient dans une grande symphonie chantant la vie et l’espoir emblématique de la magie et du pouvoir traversant ces terres.

    Tandis que la journée avançait, le navire se rapprochait de l’île et les Elfes du premier bateau de bienvenue vinrent grimper les flancs du navire tels des écureuils sur un chêne. Nombreux furent les présents qu’ils apportèrent et claires furent leurs voix quand ils leur firent à tous un bon accueil en terres éternelles, cependant, Aradia écourta leur salut, les priant de retourner à Elvalon et de faire venir le maître guérisseur sur le quai aussi rapidement que possible. Plusieurs Elfes mariniers restèrent à bord de l’Écume d’Argent pour aider aux réparations, tandis que leur élégante petite embarcation rebroussa chemin vers Elvalon, leur voile latine d’argent ondoyant sur le mât, fendant les flots afin d’aller quérir de l’aide pour Bran.

    Raghnall et Aradia restèrent sur le pont et portèrent Bran dans un hamac. Jerus l’examina brièvement avant de se tourner vers Aradia, prenant la parole dans la langue des Elfes.

    — Trois heures après le coucher du soleil, ma Dame, c’est tout ce qu’il lui reste. Si seulement avait-il pu embarquer à bord du petit bateau, pourtant ce plus rude voyage aurait aussitôt fait d’achevé le travail du poison de Magnar.

    — Alors, naviguons aussi vite que nous sommes aptes à le faire.

    Sarton se tenait non loin et ordonna que toute chose les ralentissant quitte le navire éprouvé. Autant d’objets lourds que de provisions furent jetés par-dessus bord, leur fraîche eau potable répandue le long des flancs. De nouveaux craquements et grognements parvinrent aux oreilles d’Aradia depuis le mât central. Jetant un regard vers Sarton dans une sourde interrogation, Sarton répondit :

    — Ma Dame, ce navire doit rejoindre le port à la nuit tombée ou nous sombrerons avec lui.

    Exhortant mentalement le navire à avancer, Aradia observa l’île grossir lentement. Elle écouta la respiration de Bran se faire de plus en plus haletante et alors, elle se demanda s’ils verraient la lumière du jour prochain se lever.

    #

    Une heure avant le crépuscule, le navire atteignit les quais de Solana, le grand port de la face nord d’Elvalon. Une foule dense d’Elfes s’étaient rassemblés pour venir les accueillir, alors que Sarton guidait le navire en perdition le long de l’embarcadère, conscient qu’il devait l’échouer sur le sable doux près de la rive puisqu’ils ne seraient pas en mesure de demeurer à flot au quai. Aradia ouït le navire trembler et gronder, son mât central plongeant doucement jusqu’à ce qu’il vienne s’écraser sur le pont, les mariniers échappant tous d’un bond au nœud du gréement. Le navire fit halte et se pencha d’environ dix degrés vers l’embarcadère à tribord. Des Elfes pressèrent le pas à leurs côtés et des cordes furent lancées sur le navire tandis qu’une rampe d’embarquement fut rapidement levée et déposée sur le pont de l’Écume d’Argent. Bran fut envoyé à quai et emmené dans une tente hâtivement érigée sur l’embarcadère portant l’insigne du maître guérisseur, disparaissant ainsi complètement du champ de vision d’Aradia.

    Cette dernière vit son grand-père, Phaidan, Haut Roi des Premiers Elfes, surgir de la foule. Il la dominait d’un pied, ses cheveux noir corbeau couronnant extraordinairement son visage pâle. Sa profonde, riche et mélodieuse voix sonna avec dédain et mépris.

    — Ainsi, petite-fille, tu reviens en ta terre natale après avoir conduit une rébellion contre mon autorité. As-tu quoi que ce soit à dire pour ta défense ?

    Serrant les dents et ravalant la rage qu’elle ressentait à l’égard de cet homme qui n’avait eu de cesse de la tenir à l’écart de son véritable potentiel, elle dit :

    — Grand-père, acceptez mon pardon au regard de mes transgressions. Je ne demande rien pour ma personne, seulement que Bran soit guéri de ses blessures et autorisé à demeurer ici, à Elvalon.

    — Je perçois les flammes dans tes yeux et je ne crois pas que tu te sois repentie suite à ton arrogante folie. Pourtant, les nouvelles me sont parvenues hier quant au petit mortel dont tu as la charge. Il a accompli ce que tu n’as pas été apte à faire : il a mis bas Magnar et le mal dans son royaume. Il sera traité par nos guérisseurs et, s’il survit, il vivra à Elvalon pour l’éternité. Tu paieras le montant convenu pour ses soins. Va donc en cuisine, tu n’es rien de plus que la pire des souillons ici, sans aucun droit sur la famille royale. Lorsqu’un siècle se sera écoulé, ton comportement sera réexaminé et en l’absence de récidive, tu seras alors libérée des cuisines et placée en probation pour un autre siècle en tant que dame de compagnie. Présume une seule fois réitérer tes sottises et tu passeras l’éternité à récurer la vaisselle, et ton ami mortel vieillira et mourra en l’espace d’une poignée de jours. À présent, disparais de ma vue.

    Aradia ne put rien faire si ce n’est incliner la tête en guise d’acceptation, espérant que quelqu’un lui annoncerait le jour suivant si Bran avait survécu à sa cure de traitements. Elle se retrouva à se demander si elle avait fait le bon choix en venant ici, à questionner la valeur du sacrifice de son statut et de ses pouvoirs. Pourtant, moralement, elle n’avait d’autre choix que de demeurer le loyal servant de Phaidan tant que l’avenir de Bran la retenait en otage au bon vouloir du roi.

    Chapitre Deux : Au Paradis

    Quatrième Âge : L’an 100 – Printemps

    Un siècle après son retour à Elvalon, Aradia se tint sur le quai de la baie de Solana, des sentiments contradictoires brouillant ses pensées. L’aube se levait sur la face est du port, illuminant les maisons et les échoppes concentrées sur le croissant de petites collines qui l’encerclait. Les sons du port prenant vie commençaient à emplir l’espace autour d’elle. Le bruissement des rames d’une petite embarcation convoyant équipage et marchandises jusqu’à un bateau de pêche lui parvint depuis l’eau, accompagné d’une forte odeur de poisson qui provenait des filets séchant sur la rive.

    Ici, songea-t-elle. C’est ici même, sur cet embarcadère-là, que tout a commencé. Je me tenais à cet endroit précis lorsque j’eus fait le serment de ne jamais revenir... et m’y revoilà aujourd’hui.

    Dans sa jeunesse, Aradia avait pris la tête d’une rébellion de jeunes et talentueux Premiers Elfes mécontents des contraintes conservatrices du Conseil des Elfes quant à l’interdiction sur l’expérimentation de la magie elfique. Phaidan avait été le premier et l’unique Premier Elfe auquel les Esprits du Vent avaient confié les secrets de la confection des Cristaux et de leur utilisation. Alors que sa famille s’agrandissait, Phaidan s’était assuré que les compétences indispensables à leur fabrication restent limitées au sein des Premiers Elfes, même aux membres de sa lignée qui, pour leur part, ne possédaient aucunement les capacités magiques nécessaires pour user des cristaux. Phaidan ne souhaitait pas que quiconque soit en mesure de menacer son monopole de la création de la magie elfique. Dès le plus jeune âge, Aradia avait démontré un formidable talent magique, toutefois, Phaidan ne supportant aucun rival, s’était refusé à lui enseigner tout ce qu’il savait. Ainsi, afin de renforcer ses capacités et d’apprendre, elle s’était mise à expérimenter différentes combinaisons avec les cristaux existants d’ores et déjà, généralement avec pour conséquences des résultats catastrophiques. Chaque cristal était destiné à une tâche spécifique et Aradia en fut terriblement frustrée jusqu’à ce qu’elle rencontre Justinus, le meilleur élément parmi les apprentis des fabricants de cristaux. Justinus possédait une curiosité pareille à la sienne et le maître en charge de la conception des cristaux l’avait toujours défendu de dévier des traditions millénaires.

    Puis, Aradia et Justinus avaient pris une décision fatidique : Justinus s’occuperait de donner naissance à des cristaux d’une toute nouvelle conception et Aradia se chargerait de les étudier dans le plus grand secret. Rapidement, leurs efforts portèrent des fruits inattendus lorsqu’ils échangèrent leurs cœurs. Cependant, Phaidan découvrit leurs activités et ordonna la remise des cristaux. Pire encore, il interdit à Aradia de revoir Justinus étant donné que celui-ci n’appartenait pas à la royauté elfique. Refusant de se plier aux exigences de son grand-père, Aradia avait rassemblé d’autres jeunes Elfes rêvant d’indépendance et avait pris le large en direction de la Nostraterra, où ils seraient libres d’être eux-mêmes.

    Lorsqu’ils avaient mis les voiles depuis cet embarcadère sans considération pour le Conseil, Aradia et les autres dissidents avaient été convaincus de la supériorité du savoir et de la culture des Premiers Elfes. Il avait été dans le souhait d’Aradia de civiliser ce qu’elle considérait les espèces barbares et primitives de la Nostraterra ; bâtir son propre royaume loin de toute supervision paternaliste et de la direction de son grand-père qui avait lui-même formé son Conseil. Ses partisans et elle guideraient les espèces de la Nostraterra vers une nouvelle ère éclairée depuis la cité qu’elle fonderait et sur laquelle elle régnerait en tant que souveraine. Aradia, Justinus, et d’autres rebelles créèrent la cité de la Phenicia sur la côte sud de la Nostraterra, la plus belle et la plus évoluée des cités en terres mortelles, surprenant ainsi les autres espèces de la Nostraterra par leur immense pouvoir. Hélas, Aradia et les Premiers Elfes furent prohibés d’interférer dans les affaires des autres espèces en vertu de la Paix Spirituelle commandée par les Esprits de la nature qui avaient donné vie au monde.

    Au dire de Phaidan, lorsque la Nostraterra eut été nouvellement formée au cœur du néant, les Esprits avaient lutté les uns contre les autres, chacun se disputant la suprématie et créant des portions individuelles du monde connu, pour ensuite les voir être détruites par d’autres Esprits. La futilité de leurs actions finit de les persuader de cesser cette guerre sans but et tous convinrent d’influencer une partie de la Nostraterra à l’aide d’Esprits inférieurs, délimitant ainsi des espaces à la charge d’un Esprit de la nature en particulier. La Terre décida de renoncer à placer son pouvoir dans une profusion d’Esprits inférieurs et n’en créa qu’une poignée. Elle s’affaira à la place à donner naissance à une espèce de créatures mortelles : les Hommes, qui se reproduiraient rapidement et qui useraient des secrets élémentaires de la Terre pour parvenir un jour à régner sur la Nostraterra. Le Feu opta pour une foule d’Esprits inférieurs, mais il maintint la paix avec les autres Esprits en gardant le contact avec ceux-ci ainsi qu’avec ses propres mortels qui se faisaient tant distants que secrets. Ces derniers, appelés les « Nains », furent initialement peu en nombre, dotés d’une vie bien plus longue que celle des créatures de la Terre, et bâtir lentement leurs royaumes, espérant qu’ils puissent tenir plus longuement que les brèves vies des créatures de la Terre. L’Eau, la douce, ne désirait aucune domination sur la Nostraterra, seulement le droit de pouvoir créer la vie où et quand elle le souhaitait. Elle propagea son pouvoir par monts et par vaux, ne s’acquittant en Nostraterra que d’un seul Esprit inférieur, et elle mit au monde des êtres immortels, les Elfes Mineurs, qui s’occuperaient des forêts et des bêtes. L’Air, le plus puissant des Esprits, avait à sa disposition une large assemblée d’Esprits inférieurs, mais cette seule puissance était également sa plus grande faille, car les autres Esprits se ralliaient alors contre lui le plus fréquemment. Il décida d’éveiller les êtres les plus puissants en Nostraterra. Ils seraient immortels, et dotés d’un talent certain pour la magie et de capacités surpassant celles de toutes les autres espèces. Afin de maintenir la paix fragile au sein des Esprits de la nature, il fut contraint d’accepter que ses créatures ne s’immisçassent jamais dans les affaires des autres êtres vivants et que ses Esprits Inférieurs ne communiquassent que rarement avec elles. On les nomma les « Premiers Elfes ».

    Les Esprits soufflèrent la vie dans leurs créatures respectives et mirent en mouvement leurs desseins visant à une éventuelle acquisition de la prééminence, se plaisant à l’idée d’attendre des éons si cela valait à leurs créations la victoire sur toutes les autres. Dans le cas seul où la paix serait mise à mal, directement ou indirectement, ils gagnaient le droit de s’engager personnellement ou d’envoyer leurs subordonnés spirituels en leur nom. Jusqu’alors, les incessantes manœuvres et disputes de pouvoir tint les Esprits en haleine, toujours plus suspicieux à l’égard des actes de leurs compères. Cette méfiance se manifesta dans le cœur de leurs créations et chaque espèce regarda les autres avec défiance. Mais alors, le monde était jeune et la Nostraterra une terre vaste ; les grands conflits interraciaux étaient encore loin dans le futur lorsque les premières créatures mortelles s’éveillèrent et mirent en branle l’agenda de leurs créateurs.

    À présent, de retour à Elvalon, Aradia ne pouvait s’empêcher de noter que leur arrogance et leur fierté étaient ce qui les avait menés à la ruine. Trop tard, elle avait découvert que même un immense talent et une indéfectible force intérieure ne pouvaient prendre la tête d’un monde dont le peuple ne souhaitait pas être régi. Proscrit de toutes interventions directes dans les affaires des mortels par le Conseil elfique et les Esprits du Vent, Aradia fut contrainte à agir indirectement, prise de confusion et entravé par l’ignorance et la peur, l’avarice et l’égoïsme inhérents aux gens de la Notraterra. Ce ne fut alors que lorsque la Grande Guerre noya finalement la Nostraterra que son assistance fut implorée par les autres royaumes, et ce faisant, il était déjà bien trop tard.

    Justinus, en recherche de nouveaux matériaux pour créer de plus puissants cristaux à la lisière du Plaga Erebus, fut pris dans une embuscade lors de la première escarmouche entre les forces de Magnar et les Premiers Elfes. Justinus et son équipe de mineurs entière disparurent ; présumés morts.

    Magnar lança son attaque cinquante ans après qu’Aradia eut appris ces terribles nouvelles. Le secteur extérieur au royaume de la Phenicia fut mis à sac, laissant seule part intacte de la rive sud de la Nostraterra la capitale éponyme. Aradia pleura son époux, ne trouvant du réconfort qu’à

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