La dompteuse de tigres
Chaque fois que Chandra voyait partir les hommes du village dans la forêt, son anxiété la reprenait. On avait beau lui répéter que les accidents étaient rares – tout comme les tigres – elle tremblait à l’idée que Manooj ne revienne pas. Ils vivaient heureux entre la mer et la forêt. Pauvres, mais heureux. Ils habitaient avec leurs deux enfants, à proximité de la mère de Manooj qui pouvait ainsi les garder quand Chandra allait trier le poisson ou faire provision d’eau.
On vivait de peu dans les Sundarbans, sur ce littoral du Bangladesh où régnait la mangrove, dédale de canaux qui serpentaient entre les rives incertaines de la forêt de palétuviers. On prenait ce que le ciel vous envoyait et on remerciait les dieux de ne pas vous avoir fait naître sous un trop méchant destin.
Les femmes du village se moquaient parfois de Chandra et de ses craintes. Sa vieille voisine lui remettait les idées en place :
– S’il arrive ce qui doit arriver à ton mari, c’est son destin et tu n’y peux rien. De toute manière, les femmes n’ont pas le droit de pénétrer dans la forêt, tu le sais bien.
Chandra se souvenait du drame qu’évoquait la voisine : la malheureuse Barsha s’était fait attaquer par un tigre en allant, seule, chercher du miel dans la forêt. Elle n’avait pu être secourue.
D’habitude, les hommes – coupeurs de palmes, cueilleurs de miel, coupeurs de foin – partaient en caravane pour plusieurs semaines. La veille, Chandra avait vu s’élancer les embarcations qui se faufileraient à travers la mangrove au fil des canaux. C’était toujours un moment sacré, sacré comme la forêt dont ils respecteraient les arbres et les animaux en ne prélevant que le nécessaire, et en invoquant la déesse Bonbibi contre les tigres, les crocodiles et les pirates.
Chandra aurait préféré que Manooj fasse partie du groupe des pêcheurs, comme la famille dont elle était
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