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Introduction à la Dogmatique Réformée
Introduction à la Dogmatique Réformée
Introduction à la Dogmatique Réformée
Livre électronique687 pages9 heures

Introduction à la Dogmatique Réformée

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À propos de ce livre électronique

Dans ce texte fondateur du néo-calvinisme français, Auguste Lecerf (1872-1943) s'efforce de justifier la foi réformée d'un point de vue philosophique. Se faisant tout à tous, tel l'apôtre Paul, afin d'en sauver quelques-uns (des philosophes), il adopte parfois un langage volontairement compliqué. Les questions qu'il soulève ne sont pas simples non plus, mais c'est avec beaucoup de bon sens, de brio et de force, que l'auteur vient toujours à la rescousse d'une pensée prise de vertige au bord d'un abîme de perplexité, en la ramenant à l'adoration du Créateur, et au repos parfait qu'elle trouve en sa souveraineté.
LangueFrançais
Date de sortie17 déc. 2019
ISBN9782322243891
Introduction à la Dogmatique Réformée
Auteur

Auguste Lecerf

Né dans une famille de communards réfugiée à Londres, Auguste Lecerf (1872-1943) est devenu protestant en lisant l'Institution Chrétienne de Jean Calvin. Après des études à la faculté de théologie protestante de Paris il exerce le ministère pastoral en Normandie une douzaine d'années, puis devient aumônier militaire pendant la grande guerre. Ses dons intellectuels peu communs le font recruter par la faculté de Paris où il a fait ses études, et où il enseigne le grec. Il reste surtout connu pour avoir cherché à provoquer un renouveau du calvinisme en France se montrant en cela précurseur du néo-calvinisme américain.

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    Aperçu du livre

    Introduction à la Dogmatique Réformée - Auguste Lecerf

    Table des matières

    Note ThéoTeX

    Avant-Propos

    De la nature de la connaissance religieuse

    Préliminaires

    Notion d’une introduction à la dogmatique. Principes et méthodes

    Les critères intérieurs de la vérité religieuse

    Le rôle que la théologie réformée assigne à la foi comme organe de la connaissance religieuse est-il acceptable ?

    Première partie

    L’innéisme

    L’empirisme

    Rôle de la conscience individuelle et de la conscience collective dans l’acquisition et l’élaboration de la connaissance

    Le réalisme critique modéré

    Deuxième partie

    La religion

    L’universalité et la persistance de la religion

    Troisième partie

    Que la connaissance religieuse a un contenu réel

    Examen de quelques doctrines particulières sous le rapport épistémologique

    Comparaison des principaux types actuels d’épistémologie religieuse avec le réalisme calviniste

    Remarques annexes

    Du fondement et de la spécification de la connaissance religieuse

    Première partie

    Questions méthodologiques et préliminaires

    De la conception calviniste de l’apologétique et de la polémique

    Le calvinisme et la philosophie

    Deuxième partie

    Que toute dogmatique chrétienne doit être théiste

    Examen de la critique du naturalisme agnostique ou athée de la validité de la certitude de foi

    Qu’il est conforme à la saine méthode de chercher la révélation de Dieu aussi bien dans l’étendue de l’univers physique que dans le temps

    Que la dogmatique devra être chrétienne orthodoxe

    Que la dogmatique chrétienne doit être protestante

    Examen de la valeur du principe externe et formel de la foi réformée. Théorie de l’inspiration.

    L’autorité de l’Ecriture et le témoignage que lui rend le Saint-Esprit. Le canon du Nouveau Testament

    Le témoignage du Saint-Esprit et le canon de l’Ancien Testament.

    L’unité de l’Eglise et le principe formel du protestantisme

    Que l’autorité formelle de l’Ecriture est un principe premier de la théologie et qu’elle possède toutes les qualités d’un principe

    De la nécessité d’une restauration calviniste. Pourquoi notre dogmatique sera-t-elle réformée ?

    Notes annexes

    NOTE THÉOTEX

    Nous avons déjà courtement présenté le dernier calviniste français comme on l’a parfois appelé, à l’occasion de la réédition de sa thèse : Le déterminisme et la responsabilité dans le système de Calvin. De fait, la postérité attribue plutôt à Auguste LECERF (1872-1943), le titre de premier des calvinistes modernes, et son Introduction à la Dogmatique Réformée est désormais considérée comme un texte fondateur du néo-calvinisme.

    Ainsi que l’auteur le signale lui-même dans son avant-propos, il écrit en philosophe, pour des philosophes, dans le but de leur prouver que la connaissance religieuse possède un contenu tout aussi réel et objectif que celui des disciplines scientifiques étudiant l’univers matériel. De plus, il entend établir que pour être recevable, la dogmatique, c-à-d selon lui l’expression scientifique de la connaissance religieuse, doit nécessairement être chrétienne, protestante, et réformée; programme qui a au moins le mérite de ne pas pécher par timidité.

    Marginal chez les croyants, le nombre des lecteurs de Lecerf est certainement infinitésimal chez les philosophes de profession, ce qui rend difficile de savoir si sa démonstration en a jamais convaincu aucun. On sait que la philosophie n’a généralement pas bonne réputation en milieu biblique : les évangéliques lui reprochent d’essayer de se passer de la révélation divine pour ne se confier que dans les lumières propres de la raison humaine. Les vrais scientifiques la brocardent aussi volontiers, parce qu’elle emploie vingt pages parsemées de mots pompeux, là où la pensée aurait pu s’exprimer en trois lignes et en termes simples.

    Au regard de la première critique, elle n’atteint nullement Lecerf, qui, en calviniste militant, poursuit sans faille sa mission d’amener la raison de l’homme captive aux pieds du Dieu transcendant et immanent, créateur de l’Univers et inspirateur de l’Ecriture.

    Au regard de la seconde, il est vrai que sa supériorité intellectuelle et langagière risque parfois de fatiguer le lecteur, plus habitué aux clartés évidentes du sermon qu’aux circonlocutions philosophiques. Sous ce rapport cependant, Lecerf reste comparativement modéré, et même agréablement concis dans certains passages, notamment ceux où il examine les données de la physique moderne sur la question du déterminisme. Pour lui, les principes d’incertitude formulés par la mécanique quantique, au début du 20e siècle, en opposition avec le calcul newtonien des positions, confirment le dogme calviniste d’un Dieu qui détermine de manière absolue chaque événement. Lorsqu’on demande comment Dieu s’y prend pour mettre en œuvre ce contrôle permanent, Lecerf ne peut qu’avouer qu’on a « remplacé une contradiction par un mystère ». Mais il argumente ensuite, non sans pertinence, qu’un mystère reste infiniment plus acceptable pour l’esprit humain qu’une contradiction, puisqu’il porte en lui-même l’espérance d’être un jour résolu.

    Les difficultés de toutes ces énigmes métaphysiques qui embarrassent notre intelligence lorsqu’elle suit Lecerf sur son chemin, pourraient au fond se résoudre par la réponse à une seule question : « Qu’en pense Dieu? » Bien sûr, nous admettons sans conteste que les pensées du Dieu infini ne sont pas complètement accessibles à l’homme mortel, ni même à l’homme glorifié probablement. Néanmoins, nous pouvons toujours nous rabattre sur la question plus abordable : « Qu’en a pensé le Fils de l’homme? » Qu’en a pensé Jésus-Christ, non en tant que Fils de Dieu, mais durant son séjour terrestre, en tant qu’homme parfaitement saint et en communion constante avec son Père? Si Lecerf réussit la démonstration qu’il se propose, alors le calvinisme n’est pas juste une option possible du christianisme, mais une obligation, il faut être chrétien protestant réformé. Dès lors la question se résume à : « Jésus-Christ a-t-il été calviniste? »

    En un sens, oui; Jésus a de multiples fois attesté la souveraineté de Dieu, dans les moindres détails matériels : « Ne vend-on pas deux passereaux pour un sou? Cependant, il n’en tombe pas un à terre sans la volonté de votre Père. Et même les cheveux de votre tête sont tous comptés. »

    En un autre sens, non; du moins Jésus s’est exprimé comme Calvin ou Lecerf ne l’auraient jamais fait : « Et tout le peuple qui l’a entendu et même les publicains ont justifié Dieu, en se faisant baptiser du baptême de Jean; mais les pharisiens et les docteurs de la loi, en ne se faisant pas baptiser par lui, ont rendu nul à leur égard le dessein de Dieu. »

    Par où nous nous permettrons de conclure avec une pensée soulageante, celle qu’il est possible de vivre sa vie chrétienne sans connaître les réponses définitives aux questions soulevées, et avec un conseil fertile, celui de l’apôtre, qui nous recommande d’« examiner toutes choses pour retenir les bonnes ». Il y en a assurément d’excellentes dans l’ouvrage d’Auguste Lecerf.

    Phoenix, le 10 mars 2014

    AVANT-PROPOS

    BUT, CARACTÈRE ET PLAN DE CET OUVRAGE

    Réagir contre l’invasion de l’esprit païen dans l’Eglise, rendre au fidèle la joie du salut par le Christ, tels furent les fins que se proposèrent les réformateurs du XVIe siècle; le soli Deo gloria, d’une part ; la justification du pécheur par le moyen de la foi seule, d’autre part, furent leurs mots d’ordre.

    Le luthéranisme mit au premier plan la préoccupation du salut ; les réformateurs suisses et Calvin subordonnèrent le légitime souci du salut à la restauration du sentiment de l’indépendance souveraine et de l’autorité exclusive de Dieu. De là, une conception plus rigoureuse de l’autorité formelle de l’Ecriture, le rôle attribué à la prédestination dans la piété, une conception plus spiritualiste des sacrements, une doctrine de l’incarnation qui tient un compte suffisant de l’élément humain dans la personne du Christ, une réforme plus radicale dans le culte. La dogmatique réformée est celle qui s’inspire de ce point de vue théocentrique en distinction des autres formes du protestantisme orthodoxe.

    On peut concevoir, et on a réalisé une introduction méthodologique à une telle dogmatique. Elle aurait pour objet de lui assigner sa place dans l’ensemble des disciplines théologiques. On peut également concevoir, pour elle, une introduction historique. Celle-ci devrait déterminer la marche de son développement, les causes de ses déviations et celles des restaurations et des progrès qu’on y peut constater.

    Mais le caractère de ces introductions et les conclusions auxquelles elles aboutiront dépendent nécessairement de la réponse préalable qu’on fera à cette question : qu’est-ce que la dogmatique réformée? La religion dont elle est l’expression scientifique est-elle le résultat d’une révélation divine, ou bien le produit de l’activité spontanée de l’esprit humain ?

    Or, c’est précisément à des questions de ce genre que doit répondre une introduction canonique ¹ à la dogmatique réformée. L’introduction canonique doit donc précéder les introductions méthodologique et historique.

    Il faudra avant tout dire pourquoi il doit y avoir une dogmatique et non pas simplement des spéculations philosophiques, puisées aux seules sources de la psychologie et de l’histoire. Et il faudra dire encore pourquoi toute dogmatique à prétentions scientifiques devra être chrétienne et non israélite ou musulmane, protestante et non catholique, romaine ou grecque, réformée et non luthérienne ou individualiste.

    Du point de vue scientifique, il ne suffit pas que le dogmaticien déclare qu’il adopte les principes qu’il propose parce qu’il les croit vrais.

    Le fait qu’il les croit tels justifie sa position moralement. Mais ce n’est là qu’un accident individuel. Ce n’est pas une nécessité scientifique. Pour que le fait qu’il étudie la foi en partant d’un point de vue plutôt que d’un autre cesse d’être un accident individuel, il faut qu’une discipline canonique mette en lumière la nature et la valeur des principes du dogme.

    Une discipline canonique : tel est le caractère que nous avons voulu donner à notre travail.

    Nous avons cherché à le faire plus complètement que cela n’a été fait jusqu’ici, même par H. Bavinck, qui, à notre sens, s’est rapproché le plus de l’Idéal que nous contemplons.

    Arthur J. Balfour, en écrivant un traité de la connaissance. Les Bases de la croyance, a cru écrire une introduction à la dogmatique. Pour nous, il n’en a ébauché que la première partie ; il s’est borné à montrer pourquoi on peut considérer Dieu comme le principium essendi de la religion.

    W. P. Paterson, dans son traité sur La règle de la foi ², compare les règles de foi proposées à la dogmatique et conclut en faveur d’un certain protestantisme ritschlien, teinté assez fortement d’influences calvinistes.

    Lui aussi croit avoir traité « de ce qui fait ordinairement la matière des introductions à la dogmatique ».

    En réalité, il n’a fait qu’esquisser la dernière partie de l’introduction canonique, puisqu’il se borne à assumer que l’homme sera religieux et chrétien.

    H. Bavinck, dans la partie introductive de sa dogmatique réformée, cette véritable somme du calvinisme contemporain, va bien plus loin.

    Il donne une esquisse des principes de la connaissance, tant générale que religieuse, et il formule la théorie des principes du protestantisme orthodoxe.

    Mais il n’éprouve pas le besoin de montrer pourquoi cette dogmatique doit être spécifiquement réformée.

    Nous avons voulu, en nous tenant sur le même terrain que Bavinck, fondre en une seule coulée, à notre manière et avec nos principes, la matière des ouvrages de Balfour et de Paterson, que nous venons de mentionner.

    C’est ce qui, à notre sens, constitue une introduction canonique à la dogmatique.

    Voici comment nous avons procédé : dans les préliminaires, nous donnons l’idée de l’introduction canonique et nous exposons les principes qui spécifient, du point de vue confessionnel, la dogmatique réformée.

    Nous traitons ensuite, dans une première partie, de la nature de la connaissance en général. Parmi les systèmes en présence, nous concluons en faveur d’un réalisme critique modéré.

    L’étude de cette connaissance, particulière par son objet, qu’est la connaissance religieuse, suppose qu’on est au clair sur la nature de la religion, sur son universalité, sur sa persistance indestructible. Cela constituera la matière de la deuxième partie du présent traité.

    La troisième partie considère la connaissance religieuse. Elle se subdivise en deux sections. La première devra montrer que la connaissance religieuse a un objet et un contenu réels. C’est là que nous indiquerons la position philosophique qui rend logiquement possible l’édification d’une théorie de la connaissance religieuse tenant compte du fait de cette connaissance.

    Par là, notre opposition aux théories qui s’écartent des traditions de la théologie réformée sera nettement déterminée ; telle sera la matière de notre premier cahier.

    Le second cahier comportera la deuxième section de la troisième partie. Celle-ci est destinée à établir la portée objective de la connaissance religieuse.

    Après avoir réduit les « preuves » de l’existence de Dieu à leur signification réelle, on s’efforcera de faire sentir que Dieu est bien le principium essendi de la religion; qu’il est l’auteur de la connaissance religieuse. Pour cela, nous en montrerons la genèse et nous ferons la critique des objections du réalisme, de l’idéalisme et des partisans du doute systématique.

    Puis, on présentera un essai de conciliation de la nécessité qui découle de la certitude et de la liberté, dans l’acte de foi.

    Les trois derniers chapitres montreront qu’il est nécessaire scientifiquement de spécifier la certitude religieuse comme culminant dans le dogme réformé, déterminé par le principe extérieur de l’Ecriture, source et norme suprême de la foi, et par le principe intérieur du soli Deo Gloria.

    Il nous est absolument impossible de donner ici une bibliographie complète du sujet. Elle ferait, à elle seule, la matière d’un volume.

    On trouvera l’indication des ouvrages que nous critiquerons, dans les notes, au bas des pages qui en traitent.

    Nous nous bornerons à indiquer dans les lignes qui suivent, les ouvrages qui nous ont particulièrement servi à édifier notre construction théorique, pour le présent cahier.

    Pour la partie méthodologique, nous nous sommes inspirés surtout, après Calvin, de Abraham KUYPER, Encyclopédie der Heilige Godgeleerdheit, trois vol. Kampen, 1908 (le troisième volume); et de H. BAVINCK, Gereformeerde dogmatiek, trois vol. Kampen„ 1918 (le premier volume). Le premier volume de chacun de ces deux ouvrages traite des principes et de la position du calvinisme réformé par rapport à la philosophie et aux sciences particulières.

    Pour l’édification de la théorie réaliste de la connaissance, nous avons consulté : AUGUSTIN, Contra academicos, Soliloquia ;THOMAS D’AQUIN, Summa Theol., ; H. ZANCHIUS, le premier scolastique calviniste, Opera, III, 636 ss.; et CALVIN, Inst. Chr., ch. 15.

    Parmi les modernes : J. Mc COSH, Psychology : the cognitive powers, London, 1886 ; Realistic philosophy defended in a philosophical series, deux vol., London, 1887. Mc. Cosh était, en même temps que philosophe, un théologien calviniste.

    LIBERATORE, Die Erkentnistheorie des h. Thomas von Aquin, Maienz, 1861.

    H. BAVINCK, Geref. Dog. ; Christelyke Wereldbeschouwing, Kampen, 1904.

    Traité élémentaire de philosophie, par des professeurs de l’Institut supérieur de Philosophie de l’Université de Louvain, Louvain, 1922 ; J. MARÉCHAL, Le point de départ de la métaphysique, plus particulièrement le cahier V. Le thomisme devant la philosophie critique, Louvain et Paris, 1926; Et. GILSON, Le thomisme. Introduction au système de saint Thomas d’Aquin, Strasbourg, 1920 ; G. KRÉMER. Le néoréalisme américain, Louvain, 1926 ; La théorie de la connaissance chez les néoréalistes anglais, Louvain, 1928.

    PARODI, La Philosophie contemporaine en France, Paris, 1919.

    Sur les matières scientifiques, notamment sur la théorie de l’évolution : A. S. EDDINGTON, La nature du monde physique, traduction C. Cros, Paris, 1929; Albert FLEISCHMAN, Der Entwikelungsgedanke in der Gegenwartigen Natur u. Geist. Wissenchaft, Leipzig, 1922 ; L. VIALETON, Morphologie générale. . . Critique morphologique du Transformisme, Douin, 1924 ; L’Illusion transformiste, Paris, 1929.

    Sur la nature et l’origine de la religion, parmi les anciens : THOMAS D’AQUIN, Sum. Théol, II, 2 q. 81.

    CALVIN, Inst. chr., I, ch. 1 à 5, 10 à 12 ; Opera, passim ; le second catéchisme contient notamment les éléments d’une philosophie de la religion, dans ses deux premières sections ; URSINUS, Catéchisme de Heidelberg, qu. 94 à 103 ; ZANCHIUS, De Natura Dei, De Operibus Dei, Op. II et III ; HOORNBEEK, Theol. Pract. IX, VI à VIII.

    Parmi les modernes : Abraham KUYPER, E. Voto Dordraceno, 4 vol. Kampen, notamment sur les questions 94 à 103 du catéchisme de Heidelberg ; H. BAVINCK, Geref. Dog. ; H. VISSHER, De Oorsprong der Religie, Utrecht, 1904.

    Mgr LE ROY, La religion des primitifs, Paris, 1909 ; P. W. SCHMIDT, Der Ursprung der Gottesidee, Munster, J. W. 1926 ; A. LANG, The Making of Religion, London, 1909 ; SERTILLANGES, Les sources de la croyance en Dieu, Paris, 1906; Xavier MOISANT, Dieu. L’expérience en métaphysique, Paris, 1907.

    MC. COSH, The Intuition of the Mind Inductively Investigated, London, 1860 ; HOBSON, English Theistic Thought, At the Close of the 19th century, Presbyt. and Reform. Review, oct. 1901, p. 509 à 559 ; H. H. KUYPER, Evolutie of Revelatie, 1903.

    Marc BOEGNER, Dieu, l’Eternel tourment des hommes, Clamart, 1929.


    1. Voir remarques annexes.

    2. W. P. PATERSON. The rule of faith, London, 1912.

    PREMIER CAHIER

    DE LA NATURE DE LA CONNAISSANCE RELIGIEUSE

    PRÉLIMINAIRES :

    DE LA NATURE DE LA CONNAISSANCE RELIGIEUSE

    I.

    NOTION D’UNE INTRODUCTION À LA DOGMATIQUE. PRINCIPES ET MÉTHODES.

    On admet assez communément, dans les milieux protestants, que la foi et la connaissance ont chacune un domaine distinct.

    La religion, — confondue avec la religiosité, — serait uniquement une « affaire du cœur ». Son domaine exclusif serait celui du sentiment. Elle n’ajouterait rien à nos connaissances. Le rôle d’étendre notre savoir serait dévolu à la science. Or, il est constant que la religion chrétienne réformée, comme fait social, traditionnel et historique, se présente comme la dépositaire d’une révélation qui ne vise le cœur qu’à travers l’intelligence. Elle n’attache de prix à l’émotion, à l’enthousiasme, que pour autant que ces sentiments sont provoqués par une vérité religieuse reconnue pour telle, par une promesse divine dont le sens ait été saisi et dont le caractère divin ait été vérifié intellectuellement. Sans doute le siège de la connaissance religieuse doit-il être au cœur plus qu’au cerveau, selon la parole bien connue de Calvin. Mais encore faut-il que, pour descendre dans le cœur et pour mettre la volonté en mouvement, elle ait été d’abord reçue dans l’entendement et intelligée par lui.

    Ainsi, même en tant qu’assimilée par l’individu et devenue religion subjective, la religion n’est pas purement affaire de sentiment et encore moins de sentimentalisme. A nos connaissances d’origine sensorielle et rationnelle, elle ajoute des connaissances supra-sensorielles et supra-rationnelles, touchant ce que Dieu veut que nous pensions de Lui, afin de Le glorifier et de trouver en Lui notre bonheur ou notre « unique consolation dans la vie et dans la mort ».

    L’organe qui saisit la vérité religieuse devrait être normalement ce que nous avons appelé la religiosité, c’est-à-dire la sensibilité intelligente de l’homme, orientée vers Dieu. Cette sensibilité doit être considérée avant tout comme faculté représentative ou mieux, pour parler avec le philosophe A. Wolff, comme faculté présentative, mais cette faculté a été gravement endommagée par le péché : elle doit être régénérée et restaurée. Elle prend alors le nom de foi virtuelle. Celle-ci est pure réceptivité, aptitude à reconnaître la réalité divine, habitude, au sens scolastique de disposition stable. La foi en acte est la connaissance religieuse elle-même saisie et possédée par le sujet.

    D’une manière générale, on peut dire que, pour l’Eglise de Rome, la foi est une pure et simple adhésion intellectuelle à la doctrine de l’Eglise infaillible. Les réformateurs ont profondément modifié cette conception. Pour Calvin, par exemple, la foi en acte est « une certaine et ferme connaissance de la dilection de Dieu envers nous, selon que, par son Evangile, il se déclare être notre Père et Sauveur par le moyen de Jésus-Christ ³ ».

    Ici, la foi n’a plus l’Eglise pour objet mais Dieu et les promesses de Dieu. Elle repose sur la Parole de Dieu. Elle n’est plus seulement un état intellectuel. Elle est aussi inséparable de la confiance du cœur que le soleil de sa chaleur ou de sa lumière ⁴, elle a un objet qu’elle saisit intellectuellement : Dieu, son amour, le Christ, son œuvre rédemptrice. Elle est une connaissance de ces choses, et une connaissance fondée sur l’autorité de Dieu, parlant dans et par l’Ecriture. L’acte d’adhésion de la volonté suit et ne précède pas la connaissance, car c’est celle-ci qui le conditionne.

    C’est à l’aide d’un Deus dixit que le réformateur a critiqué le système doctrinal de Rome, et c’est dans la Parole de Dieu qu’était pour lui l’Ecriture, qu’il a cherché tous les matériaux de sa construction théologique.

    Il résulte de là qu’une théologie qui ne tiendrait pas compte de ce fait et qui croirait pouvoir s’appuyer sur un fondement différent pourrait sans doute prétendre au titre de protestante, mais elle se placerait historiquement en dehors du courant de la Réforme. A principe nouveau, il faudrait un nom nouveau. Le titre inscrit en tête de cet ouvrage indique le point de vue où nous voulons nous placer, le principe formel externe et la norme suprême devant lesquels nous nous inclinons. Les livres canoniques de l’Ecriture sainte sont pour nous dans le sens où ils l’étaient pour nos pères, la source et la règle de la foi. « Nous croyons, dit la confession de la Rochelle, que la Parole qui est contenue dans ces livres est procédée de Dieu duquel seul elle prend son autorité, et non des hommes. Et parce qu’elle est la règle de toute vérité, contenant tout ce qui est nécessaire pour le service de Dieu, et pour notre salut, il n’est loisible aux hommes, ni même aux anges, d’y ajouter, diminuer ou changer; d’où il suit, que ni l’antiquité, ni les coutumes, ni la multitude, ni la sagesse humaine, ni les jugements, ni les conciles, ni les visions, ni les miracles, ne doivent être opposés à cette Ecriture Sainte, mais, au contraire, toutes choses doivent être examinées, réglées et réformées selon elle ⁵. »

    Le principe qui est, pour une religion, le principe de toute révision est lui-même irrévisable : c’est l’inconcussum ⁶. Le remplacer par un autre, c’est, du point de vue intellectuel, passer d’une religion à une autre. Ce n’est plus simplement réformer la religion ancienne. Or, nous entendons vivre et mourir dans la foi pour laquelle nos martyrs ont souffert et sont morts, parce que nous la croyons vraie. Nous ne pouvons pas faire autrement. Nous sommes liés par une force que nous percevons être la force de Dieu.

    L’idée qu’on puisse songer à rétablir dans toute sa rigueur le principe formel posé par le réformateur de notre Eglise sera probablement envisagée avec stupeur par ceux qui croient que ce principe est scientifiquement ruiné. Nous leur demandons de nous faire crédit jusqu’au moment où nous étudierons les rapports de la doctrine de l’inspiration avec les droits de la science.

    Puisque nous nous proposons de réaffirmer le calvinisme sur le terrain scientifique, c’est donc que nous ne songeons pas à condamner, en principe, la critique textuelle, ni la critique littéraire des documents de la révélation, faites d’après des normes rigoureusement scrupuleuses dans leur respect des faits. Mais nous estimons que le subjectivisme théologique a fait fausse route en suivant la ligne de moindre résistance. Au lieu de rétrécir progressivement le fait de l’inspiration, et de la limiter des mots aux idées, puis des idées aux choses, puis des choses aux personnes, et enfin des personnes à leurs émotions religieuses, il devait s’efforcer à trouver dans une conception plus souple, plus organique et vivante de l’inspiration totale elle-même, les ressources propres à rendre possible une conciliation principielle entre le dogme et l’effort de la science. C’est ce que nous tenterons de faire. Le lecteur jugera si nous avons réussi n exprimer clairement la conviction que nous portons en nous.

    Puisque l’Ecriture est le principe exclusif de la connaissance religieuse, la foi ne tire pas celle-ci de son propre fond; elle n’est que l’organe réceptif qui en prend conscience (Fides qua creditur). Par extension, ce mot peut désigner la vérité religieuse elle-même, à laquelle le croyant adhère (Fides quæ creditur), ce que l’on croit.

    Il est de la plus haute importance de remarquer que, contrairement à l’usage de la vie courante, croire ne signifie pas, dans la langue religieuse, tenir pour vrai quelque chose qu’on reconnaît comme seulement possible et qu’on ignore effectivement. Dans les deux sens du terme, la foi religieuse désigne la certitude suprême. . . La foi du sujet qui croit exclut le doute d’adhérence, et repousse le doute de tentation. La foi qui est crue, c’est-à-dire les objets de la foi, les dogmes, sont, soit directement, en vertu de leur force intrinsèque, soit indirectement en vertu d’un témoignage dont l’autorité a la même force intrinsèque, capables de s’imposer légitimement à l’adhésion. Le sujet qui croit a psychologiquement conscience d’être affecté par un objet dont l’entendement subit la contrainte : ce n’est que par l’adhésion que la foi est un acte libre.

    Du point de vue épistémologique, il suffira à la rigueur de noter deux moments dans le concept de foi. Un moment réceptif : l’entendement (sensibilité représentative et intelligente) est mis en activité réceptive au contact des réalités divines. C’est le moment de l’intuition et de l’intellection. Un moment dynamique : la volonté adhère et le cœur se confie. Ce moment est déterminé par l’acte de la grâce efficace. C’est l’acte de foi proprement dit ; la succession de ces deux moments a pour conséquence nécessaire une connaissance spécifiée par le repos de l’intelligence dans la certitude de foi divine.

    Le premier de ces moments implique que Dieu se connaît lui-même parfaitement (theologia archetypica) ; qu’il est capable de communiquer, sous le mode analogique, cette connaissance aux créatures douées d’intelligence, en particulier à l’homme (theologia ectypica). Nos anciens théologiens désignaient aussi ce mode de la connaissance religieuse par l’expression de theologia viatorum, théologie des voyageurs. Après la glorification dans le ciel, cette connaissance deviendra une connaissance de possession par la réalisation parfaite des promesses. Ce sera alors la théologie beatorum. La pensée religieuse du Christ, prophète et docteur suprême de l’humanité, était désignée comme une théologie de l’union personnelle de la nature divine et de la nature humaine (theologia unionis). Le second moment implique que la raison croyante est capable de recevoir une révélation communiquée en langage humain, et de systématiser la connaissance ectypique ainsi acquise.

    La dogmatique pourrait se contenter de n’être autre chose que la science, c’est-à-dire l’exposition génétique et synthétique des réalités dont la foi n’a qu’une connaissance spontanée, certaine, mais peu ou point organisée. Mais réduite à ces proportions, la dogmatique ne serait qu’une connaissance incomplète. Toute discipline suffisamment élaborée doit se prendre elle-même comme objet de ses recherches et réfléchir sur ses méthodes, ses principes, ses origines. Il ne suffit pas au théoricien de mettre de la précision ou de l’ordre dans ses connaissances ; il est bon qu’il puisse rendre compte de la voie qu’il a suivie pour les atteindre. Tout ordre de science est doublé de sa philosophie. C’est à ce besoin qu’ont essayé de répondre les introductions et les prolégomènes à la dogmatique, et aussi les philosophies de la religion ou de la croyance, quand elles étaient des philosophies de croyants. La théologie réformée elle-même, devenue cartésienne au XVIIe siècle, et donc formellement rationaliste, tout en demeurant matériellement orthodoxe, a été particulièrement féconde en traités de théologie naturelle. Ces traités n’étaient guère autre chose que des essais de philosophie de la religion. La théologie naturelle y était considérée comme une discipline autonome, constituée par les seules ressources de la lumière naturelle et conduisant au Dieu vivant, auteur de la révélation positive. Une fois cette vérité acquise, commençait le rôle de ladite révélation.

    Mais à y bien regarder, cette manière de procéder était inconciliable avec des dogmes qui ont, pour la religion reformée, une importance vitale. Parmi ceux-ci, citons le dogme de la corruption totale.

    Aussi les premiers théologiens calvinistes, Calvin lui-même, un Pierre Martyr Vermigli, par exemple, font-ils dépendre la certitude et l’exactitude des résultats obtenus par la lumière naturelle du principe même de la dogmatique. C’est là un des côtés les plus heureusement originaux de la théologie réformée primitive. Les théologiens calvinistes contemporains, E. Bœhl, A. Kuyper, H. Bavinck, sont revenus à la conception primitive, encore représentée par Vœtius, au XVIIe siècle. Nous nous rattachons nous-même à cette conception principielle.

    L’introduction à l’étude des dogmes est une philosophie de la foi par la foi. Elle constitue donc, non le dernier chapitre d’une métaphysique, mais la première partie de la dogmatique elle-même.

    Ce n’est qu’à la condition de justifier scientifiquement et par ses propres moyens ses principes et sa méthode que la religion, et la théologie, science de la religion, pourront échapper à la servitude insultante où le chef de l’Ecole sociologique, Durkheim, croyait déjà les voir réduites quand il écrivait ceci : « En fait, elle (la religion) ne se connaît pas elle-même. Elle ne sait ni de quoi elle est faite, ni à quel besoin elle répond. Elle est elle-même objet de science. Tant s’en faut qu’elle puisse faire la loi à la science. »

    C’est donc un devoir pour la pensée religieuse de montrer qu’elle a une réponse aux questions concernant la nature, les buts et la certitude objective de la religion.

    Elle le doit, si elle ne veut pas livrer les clefs de la forteresse entre les mains des satellites de l’homme au Totem. Or, l’homme religieux est seul qualifié pour cette tâche, précisément pour la raison qui le disqualifiait aux yeux de l’auteur des Formes élémentaires de la vie religieuse. « Nul ne doit, écrivait celui-ci, étudier la religion en tenant compte de son expérience propre de la vie religieuse. »

    Nous disons au contraire : il est religieux; par conséquent, en lui la religion non seulement peut vivre, mais elle peut prendre conscience d’elle-même et devenir, pour celui qui la vit, objet d’observation immédiate. Il la connaîtra de première main. Ainsi, à l’affirmation paradoxale de Durkheim, nous opposons qu’une connaissance personnelle de la matière et des procédés d’une discipline est la condition indispensable pour en faire la philosophie. Personne ne confierait à un mathématicien confiné dans sa spécialité, le soin d’élaborer une philosophie de l’histoire. Un aveugle serait outrecuidant qui voudrait discuter les idées d’un voyant sur une symphonie de couleurs. Ici, il convient plus que jamais de rappeler la parole d’un Aristote, citée par Hoffding, en tête du premier chapitre de sa Philosophie de la religion : οὐκ εστιν λύειν ἀγνοῦντα τον δεσμόν. Seul celui qui sait peut dénouer le lien.

    Mais, précisément, nous objecte-t-on, la pensée religieuse, analysant le contenu de la foi et tentant de synthétiser ses propres intellections, ne s’occupe pas du problème religieux proprement dit. Les problèmes dont elle s’occupe se posent à l’intérieur de la religion. La religion elle-même ne devient jamais un problème. Elle est prise comme un point de départ dont l’acceptation ne fait pas de doute ⁹.

    A cela, il faut répondre qu’en fait Hoffding se trompe. La pensée religieuse s’occupe des questions qu’il traite lui-même. Seulement il est bien vrai que le point de départ est différent. Aussi le problème religieux apparaît-il sous un autre aspect. Devant celui qui nie Dieu ou seulement qui doute de son existence, la position du croyant est analogue à celle d’un philosophe convaincu de l’existence des autres hommes et qui serait aux prises avec un idéaliste solipsiste. Dans ce cas, le problème consisterait non à démontrer l’existence des autres hommes, ce qui est impossible, mais à faire comprendre comment nous pouvons en être certains et comment cette certitude doit légitimement prendre rang dans la science. Un autre problème serait la recherche de la méthode propre à montrer l’illégitimité du doute que le solipsiste entretient à l’égard de l’existence objective du monde extérieur.

    Or, il suffit de transposer la question, et d’envisager le doute relatif à l’existence de Dieu, pour obtenir un problème religieux.

    Höffding prend pour accordé que son doute religieux est légitime pour la seule raison qu’il est possible et réel. Précisément l’existence de douteurs honnêtes, intellectuellement normaux, est un problème qui se pose devant la pensée religieuse et qu’elle doit chercher à résoudre.

    Pour le croyant, le problème religieux n’apparaîtra pas sous tous les aspects qu’il revêt chez Höffding ; il ne se demandera pas, par exemple, par quoi on pourra remplacer la religion pour sauver les valeurs suprêmes, quand elle aura disparu. Il sait qu’elle n’est pas remplaçable, et il peut dire pourquoi. Mais l’auteur de la Philosophie de la religion doit bien savoir qu’il y a des pseudo-problèmes. L’une des tâches d’une philosophie de la religion, conçue du point de vue de la foi, pourrait consister à déterminer les méthodes propres à éliminer ces pseudo-problèmes.

    Si l’introduction à la dogmatique est régie par les mêmes principes que la dogmatique propre, elle suit pourtant une méthode d’exposition différente. La méthode de la dogmatique propre est génétique et synthétique. Partant des données de la révélation, elle formule les dogmes, les mystères de la foi, met en évidence l’opposition interne impliquée par la rencontre de l’Infini et du fini, de Dieu et de la créature, puis elle s’efforce de déterminer le lien organique qui existe entre les mystères et de faire ainsi une synthèse. L’introduction à la dogmatique, elle, a pour objet de remonter des faits et des dogmes aux principes d’où découle l’exposition synthétique. Sa méthode est l’analyse. Mais autant que la dogmatique, elle est une science de la foi par la foi. Elle ne tenterait point, en effet, de guider les pas du chercheur vers son principe, si elle ne l’avait trouvé déjà pour son compte. Le credo ut intelligam ¹⁰ de saint Anselme vaut, pour elle, autant que pour la science dont elle est l’introduction.

    Dans les deux cas, il s’agit de comprendre ce que l’on sait déjà par la foi. Mais dans la dogmatique propre, nous l’avons vu, ce qu’il s’agit de découvrir, c’est le lien organique qui réalise l’unité du corps de la doctrine chrétienne : dans l’introduction à la dogmatique, ce que l’on se propose de comprendre, c’est la nature et le fondement de la connaissance religieuse elle-même. Seuls, les dogmes qui ont un rapport direct avec le problème épistémologique entrent en considération ici. De plus, ils ne sont étudiés que considérés sous l’angle de la connaissance religieuse formelle. Ce qu’il s’agit de faire voir, c’est qu’ils ont un liens intelligible pour nous; qu’ils ne sont pas des formules vides de tout contenu assimilable par la pensée.

    II.

    LES CRITÈRES INTÉRIEURS DE LA VÉRITÉ RELIGIEUSE.

    Des ouvrages comme : L’analyse de la foi et le vrai système de l’Eglise, de Pierre Jurieu; comme la Conformité de la foi et de la raison, de Leibnitz, ou encore comme The grammar of assent, de Newman; Les bases de la croyance, de Balfour ; L’esquisse d’une philosophie de la religion, de A. Sabatier ; le System der christlichen Warheit, de Franck; et tant d’autres, tous écrits dans un esprit de foi, mais à des points de vue extrêmement différents, prouvent que l’intelligence des croyants n’est pas fermée aux questions qui font l’objet de la philosophie de la religion. Höffding se trompe donc quand il avance le contraire.

    Quel sera maintenant le critère de la vérité religieuse ?

    On a eu recours à trois sources pour constituer une connaissance religieuse pouvant servir, pour ceux qui le désireraient, à conduire au Dieu de la révélation positive. Ces trois sources sont : la raison spéculative, la raison pratique avec son impératif catégorique, et le sentiment. Ces trois méthodes de constitution de la science religieuse ou de la vie religieuse nous donnent trois critères de la vérité religieuse. Suivant qu’on adopte l’un de ces points de vue, la marque interne d’une vérité religieuse sera son caractère rationnel, son rapport de convenance avec la loi morale ou les satisfactions qu’elle donne aux sentiments et même à la sentimentalité.

    Nous aurons nécessairement à revenir sur ces trois méthodes et à en présenter la critique.

    Pour le moment, nous désirons montrer qu’on doit reconnaître que l’emploi de ces méthodes procède d’une philosophie de la croyance qui peut être une philosophie de croyant. Nous voulons montrer en second lieu pourquoi la théologie calviniste est obligée par la logique interne de son système de se créer une autre méthode qui procédera d’une conception plus spécifiquement religieuse.

    A. La raison spéculative.

    La scolastique médiévale thomiste distingue entre des vérités religieuses démontrables par la raison, l’existence de Dieu, la liberté, l’immortalité, et d’autres que, seule, l’autorité de l’Eglise nous garantit. C’est ainsi qu’on peut démontrer rigoureusement, à l’aide de preuves a posteriori, l’existence de Dieu. La crédibilité d’une révélation naturelle et de l’institution du magistère infaillible de l’Eglise peuvent être établies ensuite également par le raisonnement ¹¹. Ainsi la religion naturelle, fondée sur la science ontologique, est ou peut devenir le préambule de la religion surnaturelle, fondée sur la foi. L’existence de Dieu, disait naguère encore le cardinal Mercier, n’est pas objet de foi ¹². Y a-t-il à la base de ces assertions une philosophie de la croyance, pouvons-nous y souscrire ?

    Si nous entendons, avec Höffding, par philosophie de la religion, la religion se prenant elle-même pour objet d’étude du point de vue du doute, du libre examen, de la recherche indépendante de l’Eglise, il n’est pas douteux que nous nous trouvions en présence d’une véritable philosophie de la religion. On nous indique, en effet, ce que nous pouvons savoir par le libre examen de la raison, et pourquoi ce libre examen doit faire place, à un moment donné du travail de la pensée, à la soumission de la raison au décret de l’Eglise. En tous cas, cette philosophie part de l’idée d’une discussion conduite uniquement d’après les principes de la logique. C’est en son nom que sera expressément condamné le fidéisme absolu des Hermès et des Beautain.

    Elle repose sur les prémisses rationalistes, sur une notion précise de l’idéogénie.

    Quand, avec Thomas d’Aquin, elle repousse la preuve de l’existence de Dieu a simultaneo, et qu’elle déclare qu’on ne peut connaître Dieu que par un raisonnement ; a posteriori en partant des créatures, elle se révèle comme un rationalisme anti-innéiste. C’est l’aristotélisme qui est l’inspirateur.

    Quand elle fait appel, avec saint Anselme, à la preuve a simultaneo ¹³, c’est l’innéisme platonicien qui sert de point de départ. La raison toute seule serait alors la source de la connaissance fondamentale de la religion, de la connaissance de Dieu. L’homme apporterait en naissant l’idée impresse de Dieu et il la découvrirait dans son esprit quand celui-ci s’ouvrira à la réflexion. C’est la voie suivie après Anselme de Cantorbéry par Descartes, Malebranche, Gioberti et l’école ontologique, chez les catholiques; par Leibnitz, Guelinx, Heydan, chez les protestants, pour ne citer que quelques noms.

    Mais, de toutes manières, ce qu’on nous présente, c’est bien une tentative d’expliquer psychologiquement la nature et l’origine de la religion subjective, de la certitude de son objet suprême. C’est la réponse à la question capitale que se pose cette partie de la science des religions que Goblet d’Alviela propose d’appeler hiérosophie et qu’on désigne ordinairement sous le nom de philosophie de la religion : la pensée religieuse est-elle valide pour la pensée scientifique? Quels rapports a-t-elle avec l’activité intellectuelle ?

    Bien qu’ils aboutissent à d’autres résultats, parce qu’ils partent de prémisses différentes ou opposées, les Spinoza, les Schelling, les Hegel ne font pas davantage.

    Croyant avoir trouvé la méthode permettant d’atteindre à la certitude religieuse (il s’agit de la religion naturelle), on nous en présente du même coup le critère.

    Ce critère intérieur sera la conformité de l’affirmation religieuse avec les exigences de la pensée spéculative. Est vrai, en religion naturelle, ce qui ne présente aucune opposition interne, ce qui peut être démontré.

    Nous n’acceptons ni le point de départ de la certitude religieuse, ni le critère que nous propose la raison spéculative. Nous ne pouvons consentir à faire reposer les affirmations de la foi sur des raisonnements faillibles. L’expérience prouve que les philosophes n’ont pas même pu se mettre d’accord sur la valeur des preuves classiques de l’existence de Dieu. Les raisonnements métaphysiques sont d’un maniement délicat. Il est très difficile de s’assurer qu’on n’a pas commis une erreur légère de forme au point de départ. Les techniciens les plus habiles s’y trompent. On discute et l’on discutera sans doute encore longtemps sur la question de savoir si la preuve ontologique est la plus péremptoire des preuves ou un misérable sophisme. Ce fait explique qu’on n’arrive jamais, par la seule force des preuves, à une conviction stable. Calvin l’avait déjà remarqué. Ces arguments sont, tour à tour, honnis ou exaltés. Aussi les voyons-nous, même parmi les théologiens les plus récents, tantôt déclarés sans valeur après une critique sévère (E. Boehl, Wichelhaus), tantôt laissés à l’appréciation de chacun (Ch. Hodge), tantôt encore dépouillés de leur validité dialectique, mais utilisés cependant comme des indications précieuses fournies sur la marche de l’esprit humain, à la recherche de Dieu (Bavinck.) Des attitudes aussi différentes observées chez des spécialistes, dont le théisme et l’orthodoxie calviniste sont au-dessus de tous soupçons, laissent penser que Hodge n’a pas tort quand il s’en remet au jugement subjectif de chacun pour apprécier la validité des preuves en question. Elles sont ou ne sont pas concluantes suivant les prémisses philosophiques que l’on adopte. Elles ne peuvent donc servir de fondements solides à la certitude de foi divine de la religion positive. D’ailleurs ne serait-ce pas renoncer à l’autonomie de la dogmatique et de la foi elle-même que de faire reposer la connaisance spécifiquement religieuse sur le fondement nécessairement fragile d’une certitude de foi humaine ?

    Finalement, si l’on admet que la raison est capable de tirer de son propre fond une science de Dieu, à l’aide d’idées innées ou de formes de l’entendement, sans contact direct avec l’objet qui se révèle, cette science ne donnera pas Dieu, réalité vivante, mais, ce qui est bien différent, une idée de Dieu. On n’obtient ainsi que la révélation des facultés architectoniques de l’esprit. Dieu apparaît comme un être de raison, lui, le Créateur, créé de toutes pièces par celui qui est sensé le connaître.

    Incapable de fonder la certitude de la connaissance religieuse, la raison spéculative ne peut non plus nous donner le critère de cette vérité.

    La contradiction interne est bien, il est vrai, le signe de l’erreur. Une contradiction est un non-sens. Mais il ne suit pas de là que la vérité religieuse doive être circonscrite dans les limites de la raison. Une idée complexe, dont on ne peut coordonner les éléments d’une manière satisfaisante pour la raison, n’est pas nécessairement une erreur, tant s’en faut. Pour savoir qu’il y a contradiction, il faudrait que ces éléments eux-mêmes fussent clairement connus. Or, il y a des vérités que saisit l’intelligence et qui apparaissent en opposition avec d’autres, parce qu’elles ne sont connues que formellement, incomplètement et par analogie.

    Une doctrine religieuse suppose toujours, par quelques côtés, la rencontre de l’Infini, Dieu, avec le fini, la créature. Or, l’Infini n’est connaissable que comme supra-rationnel, comme incompréhensible. D’autre part, la créature elle-même ne nous est connaissable que d’une manière inadéquate. Une affirmation religieuse implique donc nécessairement une opposition interne, un élément mystérieux.

    Si cet élément lui manquait, nous aurions le signe certain qu’une part de la vérité a été éliminée. La contradiction est au-dessous de la raison qui la juge. Mais le mystère est la marque que l’être infini a mise sur son ouvrage, et il juge la raison. Le mystère est l’atmosphère nécessaire à la vie religieuse, parce que cette vie ne se conçoit qu’en union avec Dieu. La tâche de la théologie ne consiste donc point à faire disparaître les oppositions internes du dogme, mais, au contraire, à les mettre en lumière. Toutes les confessions de foi orthodoxes s’articulent par des Et Tamen, et cependant. . . parce qu’elles veulent respecter toutes les données du réel. Si elles n’étaient que des produits de la raison pure, rien ne leur serait plus facile que d’éviter toute apparence de contradiction, en supprimant un des termes du mystère.

    C’est ainsi que les théologies panthéistes ne voient que Dieu et nient la créature, et que les théologies déistes et pélagiennes, pour maintenir l’existence de créatures distinctes de Dieu, ne savent que rogner Dieu et le réduire à n’être qu’un primus inter pares, un être, le plus grand de tous, entre des êtres qui sont déjà des dieux.

    Nous concluons que le rôle de la raison spéculative en théologie se borne à intelliger la révélation, à inférer en partant des principes, à organiser, enfin à critiquer les formules contradictoires. Elle ne peut donner un critère positif de la vérité religieuse.

    B. La raison pratique.

    L’obligation morale, la forme du devoir, dont la raison pratique nous recommande de revêtir nos actes, voilà, nous dit-on, le fondement de la foi religieuse. La matière, dont la même raison nous commande de remplir cette forme, voilà le critère : l’universalisation possible de l’acte.

    Emmanuel Kant, Charles Secrétan, dans ces magnifiques leçons sur la philosophie de la liberté, ont prouvé, par leur œuvre même, qu’il y avait bien dans ce principe les éléments d’une philosophie de la religion, conçue du point de vue religieux.

    La thèse des partisans de cette école peut, croyons-nous, se résumer dans ces paroles de Secrétan : « Le devoir, dont la conscience est un fait, nous donne Dieu et notre liberté de choix qui sont des dogmes également essentiels l’un et l’autre ¹⁴. »

    Trois nuances peuvent se discerner dans ce groupe. Ceux pour qui le devoir est objet de science. Avec eux, la loi ne commence qu’à partir des postulats religieux : Dieu, la liberté, l’immortalité (Kant); ceux pour qui le devoir est lui-même objet de foi (Renouvier, les néo-kantiens); ceux pour qui l’obligation ne commence qu’à partir de la décision arbitraire du moi de s’obliger. On n’est lié qu’après s’être lié librement, « parce qu’on le veut bien ». (J. Gourdt, W. James.) ¹⁵

    L’Ecriture, elle, ne connaît qu’un seul législateur capable de faire vivre et mourir au sens spirituel : Dieu (Jacques.4.11-12 ; cf. Luc.12.4-7.) « Il n’y a donc que Dieu seul qui ait de droit les consciences sujettes à ses lois. » (CALVIN, Com., in loc.) : sa loi est respectable par elle-même, parce qu’elle découle de la justice éternelle et infinie de Dieu, et que la justice, ou mieux le Juste est respectable en soi.

    Nous sommes trop grands pour recevoir un ordre venant d’une volonté autre que celle de Dieu ou qui commanderait sans une délégation divine; nous sommes trop petits pour nous donner notre loi à nous-mêmes. Aussi, le calvinisme oppose-t-il à l’autonomie de la raison la théonomie du moi total (Ed. Bœhl). On conçoit aisément que le calvinisme ne puisse et ne veuille faire aucun usage des postulats kantiens. Il peut avoir recours à ce qu’on appelle à tort la preuve judiciaire. Celle-ci n’est autre chose que la conscience que nous avons de notre dépendance à l’égard de Dieu dans l’ordre moral, de notre responsabilité à son égard. Jamais nous n’accepterons que la pensée humaine puisse remonter de l’autonomie souveraine de la raison pratique, ou de la volonté humaine, faculté aveugle se donnant sa loi, à Dieu, dont le rôle serait de jouer les utilités sur le théâtre de l’activité morale.

    Contre l’efficacité de ce principe éthiciste pour servir d’appui à la religion, faisons remarquer qu’il aboutit facilement, comme Bœhl le montre, et qu’il aboutit en fait, comme Bavinck le rappelle, à des conclusions athées ¹⁶.

    Peu à peu, le bien, l’idéal se substituent à Dieu et la culture au culte. La chose se comprend d’autant plus facilement que la réalité ne se plie nullement devant les impératifs de notre morale autonome. Dès lors, la dégradation de la notion de Dieu, en passant par l’étape du manichéisme, est proche. Nous ne disons pas que ce processus soit la conclusion inévitable de l’éthicisme. C’en est du moins une des issues probables et c’en est la tentation proche. N’est-il pas plus désintéressé et plus conforme à l’esprit du devoir pour le devoir de renoncer à l’espoir de toute compensation ou récompense autre que la satisfaction du devoir accompli, à toute sanction autre que celle du remords? La vie future et Dieu sont alors sans valeur du point de vue moral, et par suite sans réalité de ce même point de vue. En effet, bien que Kant ait clairement montré qu’il fallait distinguer entre la valeur et la réalité, beaucoup de ses épigones, confondant l’une avec l’autre, nient la réalité quand la valeur a disparu. L’inspiration première de l’éthicisme est aussi peu religieuse que possible. La religion est souveraineté de Dieu. L’éthicisme est autonomie de l’homme.

    Dans sa première phase, la phase kantienne, cette autonomie est encore restreinte par le fait que l’affirmation de l’impératif catégorique est une nécessité scientifique. Dans la deuxième phase, avec des intentions très favorables à la religion, la passion de l’autonomie, de la liberté d’indépendance s’exalte au point que Dieu, conçu comme liberté pure, comme caprice absolu, n’existe, comme dans le système de Duns Scot, que pour pouvoir communiquer cette liberté à l’homme. Mais, cependant, une certaine restriction est maintenue : on reste obligé de s’obliger. Avec Gourd, cette dernière gêne est impatiemment rejetée : s’oblige qui veut.

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