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Hors du ghetto: un regard évangélique sur la culture et les arts.
Hors du ghetto: un regard évangélique sur la culture et les arts.
Hors du ghetto: un regard évangélique sur la culture et les arts.
Livre électronique533 pages5 heures

Hors du ghetto: un regard évangélique sur la culture et les arts.

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À propos de ce livre électronique

Lorsque nous examinons l'histoire culturelle du monde, que ce soit les œuvres de Proust, Confucius, Rembrandt, Blaise Pascal, Picasso, Bach, Vincent Van Gogh, Jimi Hendrix, Victor Hugo, l'art des Kwakiutl du nord-ouest du Pacifique, la photographie moderne, un site Internet multimédia ou un vase chinois de la dynastie Ming, nous sommes confrontés des démonstrations fort variées du phénomène de la créativité. Tous ces artefacts soulignent le fait que les humains sont mis à part des autres espèces du monde animal. Il s'agit d'une caractéristique de l’être humain que d'exercer et exprimer son génie créatif dans les choses qu'il produit. D’autre part, ce que nous produisons reflète, d'une manière ou d'une autre, la vision du monde de l'auteur d'une œuvre, cela reste vrai même lorsque ce n'est pas son intention consciente. Nous les humains portons, mêlé à notre nature déchue, l'image de Dieu et notre créativité en est un indice important.

Cet essai examine donc les arts et de la culture, mais en prenant appui sur la vision du monde judéo-chrétien et en jetant un regard critique sur la culture occidentale à l’aube du IIIe millénaire. Le ghetto, dont le titre fait allusion, réfère à une des thèses du livre, c'est-à-dire que diverses forces sociales (internes et externes) au mouvement protestant évangélique ont contribué à marginaliser ce dernier sur le plan culturel. Et à certains égards, comme les juifs au début du XXe siècle, l'évangélique se voit forcé de s'identifier et limité dans sa capacité de se déplacer dans l’espace culturel. Même si dans le passé la vision du monde judéo-chrétienne a fourni d’immenses contributions à la culture occidentale désormais la politiquement correcte a fait cette vision du monde un paria, un exclu.

Cet ouvrage examinera la question : comment intégrer démarches artistiques et prises de position éthiques édifiées sur la fondation des enseignements de Jésus-Christ ? En Occident, un grand nombre d'œuvres culturelles masquent leurs présupposés, leur vision du monde. Ce n'est pas le cas ici.

Ce volume comporte notes, index, bibliographie, illustrations et une table des matières paginée.

LangueFrançais
Date de sortie6 mai 2014
ISBN9782981460400
Hors du ghetto: un regard évangélique sur la culture et les arts.
Auteur

Paul Gosselin

Paul Gosselin is an independent researcher specializing in ideologies, belief systems and religions. He holds a Masters in Social Anthropology and is the author of books both in French and English. He has done extensive research on postmodernism. He has lived in Nova Scotia, California, Vancouver Island and currently resides in Quebec (Canada). Paul Gosselin est un chercheur autonome, spécialiste en postmodernisme et divers systèmes de croyances modernes. Il détient une maîtrise en anthropologie sociale et il est l'auteur de la série Fuite de l'Absolu ainsi que Hors du ghetto. Il a vécu en Nouvelle Écosse, Californie, l'île de Vancouver et réside actuellement au Québec.

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    Aperçu du livre

    Hors du ghetto - Paul Gosselin

    9782981460400_cvr.jpg

    Paul Gosselin

    Hors du

    Ghetto

    Un regard évangélique

    sur la culture et les arts

    S  A  M  I  Z  D  A  T

    Gosselin, Paul, 1957-

    Hors du ghetto: Un regard évangélique sur la culture et les arts.

    ISBN: 978-2-9814604-0-0 (EPUB)

    Couverture : Détail de L’enfant et l’oiseau. (61 X 91 cm)

    Constance Cimon, 2003 - Acrylique sur toile.

    (photos : Roch Théroux)

    Samizdat 2014© (édition Ebook, texte intégral avec révisions)

    [première édition papier 2003]

    Samizdat

    COP Jean-Gauvin

    CP 25019

    Québec, QC

    G1X 5A3

    www.samizdat.qc.ca/publications

    mise en page : PogoDesign

    polices

    Ezra SIL

    Gentium Plus SIL

    Licence, Ebook édition Smashwords.

    Cet ebook/livre électronique est autorisé pour votre usage personnel uniquement. Il est interdit de le revendre ou d'en distribuer des copies. Si vous souhaitez partager ce livre avec une autre personne, achetez s'il vous plaît un exemplaire supplémentaire pour elle. Si vous lisez ce livre et que vous ne l'avez pas acheté, ou il n'a pas été acheté pour votre usage personnel, alors s'il vous plaît procurez-vous une copie personnelle sur le site de Smashwords.com. Merci de respecter le travail de l'auteur.

    Smashwords Edition

    À la mémoire de Lorin Gosselin

    Table des matières

    Avant-propos

    1 / Préjugés et confusions

    Erreurs de parcours

    Héritage du passé et préjugés inconscients

    La Réforme : une porte ouverte

    M’accordez-vous cette... ?

    2 / Identités

    L’identification culturelle

    La valeur de l’individu

    Évangéliques inc.

    L’habit fait-il le moine ?

    La créativité à l’Église

    La pensée positive chrétienne

    3 / La création

    L’image de Dieu dans l’homme

    Les formes d’art

    Le souffle d’Éden

    Autres fonctions, autres buts

    En rire ou...

    Il ne faut pas en faire un drame...

    Le milieu évangélique francophone et les arts

    4 / Message en attente

    Pas dans mon Église !

    On exige un message sans équivoque !

    Le ghetto évangélique

    5 / La Chute

    La grande question

    Pierres d’achoppement pentecôtistes

    Le héros super spirituel

    Pour communiquer...

    Les points morts

    Le discernement

    Dieu et les arts

    6 / Artiste et chrétien

    L’artiste et Dieu

    Le pouvoir de l’imaginaire

    La créativité

    Relation de l’artiste avec son public

    Identifier et exclure

    Artiste et prophète ?

    7 / Artiste et l’Église

    L’Exil

    Le pouvoir de la Parole

    Limites des moyens d’expression

    La nudité

    8 / Le mythe fondateur

    Origine et définition de la théorie de l’évolution

    Qu’est-ce que la science ?

    Comparaisons

    L’évolution d’un évolutionniste

    Influences culturelles

    9 / Conclusion

    10 / Bibliographie

    Reconnaissances

    Considérations techniques

    Avant-propos

    Chaque individu a une vision du monde plus ou moins articulée. Parfois cette vision du monde est consciente, parfois elle est inconsciente. Dans un cas comme dans l’autre, c’est à l’aide de cette vision du monde que l’individu tente d’intégrer, de manière cohérente, les divers éléments de la vie. Et parmi les éléments que la vie peut apporter, il y a le beau. Si cette vision du monde peut fournir une explication logique, plausible de l’existence de la réalité et du beau alors on dira qu’elle est une vision du monde réussie. Si, par contre, cette vision du monde laisse certains aspects de la réalité flottant à la dérive, sans explication plausible, alors on peut considérer que cette vision du monde comporte des lacunes. Cet essai n’est pas un livre sur les arts uniquement, mais il s’intéresse à la culture dans son sens large, son sens anthropologique. À ce titre, la culture est donc une manifestation concrète d’une vision du monde via les arts visuels, la technologie, la littérature, des ouvrages multimédias, la musique, des institutions politiques et des ouvrages scientifiques.

    Pour le grand public, le monde évangélique est largement inconnu et ce qu’il en connaît est influencé dans une grande mesure par les stéréotypes médiatiques. Il faut souligner que certaines sections de cet essai, plus théologiques par moments, s’adressent directement au lecteur évangélique, mais si le lecteur grand public s’arme d’un peu de patience, il risque de se voir récompensé en ayant une vision intérieure de cette culture curieuse ; les points forts et les points faibles de la culture évangélique actuelle.

    Si l’on se réfère aux médias, on rencontre de nombreux stéréotypes à l’égard des évangéliques : le télé-évangéliste avare qui escroque ses télé-fidèles, le voisin inoffensif, mais quelque peu attardé, à la Ned Flanders dans la série de dessins animés américaine des Simpsons© ou encore le fanatique pro-vie qui tue des médecins avorteurs et fait sauter des cliniques d’avortement. Est-ce tout ? Même pour l’évangélique que je suis il faut admettre, d’un côté, que parfois certains aspects de ces stéréotypes sont justifiés, mais ça ne dit pas tout. Si on retourne la pièce de monnaie, il faut aussi admettre que ces stéréotypes, véhiculés par les médias, servent souvent à camoufler certaines réalités, sur lesquelles l’homme postmoderne moyen de notre génération et nos élites culturelles en particulier préfère ne pas réfléchir. Un peu comme des bouchons dans les oreilles… Fort commode lorsqu’il ne faut pas entendre… Et s’il faut écarter[1] un adversaire idéologique, tous les moyens sont bons. Dans les œuvres et productions de ces élites, nous voyons souvent des tentatives pour marginaliser le christianisme en établissant l’équation christianisme = violence, ou patriarcat oppressif, ou préjugés racistes, ou encore un esprit borné. Ce sont sans doute les exigences de la propagande qui font que le christianisme est examiné, inévitablement, de manière négative. Mais dans cet essai nous nous détournerons des stéréotypes faciles pour approfondir la question de la culture et des arts vus à partir de la vision du monde judéo-chrétienne.

    Qui sont les évangéliques ? Ce sont d’abord des chrétiens et plus particulièrement des chrétiens qui font partie d’un mouvement issu de la Réforme. Ce sont donc des protestants. Un grand nombre de groupements peuvent être considérés évangéliques[2] et bien que ces groupes puissent différer passablement au niveau des attitudes et pratiques culturelles ils ont (à peu d’exceptions près) ceci en commun, un très grand respect pour l’autorité des Écritures. Règle générale, les déclarations de foi de ces Églises placent l’autorité des Écritures au-dessus de toute autre en matière de doctrine et de pratique de vie. Là où les Écritures sont silencieuses, il y a la liberté.

    Les évangéliques croient aussi que le chrétien est non pas celui qui a hérité d’une religion chrétienne de ses parents ou de sa culture, mais plutôt celui qui a vécu une expérience de conversion personnelle. Expérience dans laquelle il a reconnu son état de pécheur, pris une décision personnelle de suivre les enseignements de Christ et s’est repenti de ses péchés. Cette expérience implique aussi une décision consciente, exempte de manipulation, de suivre les enseignements de Christ. Selon les termes de l’Évangile de Jean chap. 3, verset 16 il est né de nouveau. Au point de vue militaire, on pourrait qualifier un tel acte de capitulation sans conditions. Une très grande part de la liturgie évangélique tourne autour de cette décision capitale. Dans la logique des choses, cette décision implique alors que tous les aspects de la vie de l’évangélique doivent être soumis aux Écritures, que ce soit sur le plan éthique, sexuel ou moral.

    Pour comprendre l’évangélique, il peut être utile d’établir un contraste avec le catholicisme populaire en ce qui a trait au salut, c’est-à-dire à la question «Comment peut-on être sauvé ?». Pour le catholique moyen, on considère que si on est une bonne personne, cela devrait suffire pour aller au ciel bien que des relations en haut lieu (Marie et les saints) sont un atout utile. Par ailleurs, ceux qui font des vies exemplaires et des exploits de charité auront certainement la priorité. Les autres doivent espérer que des proches prient pour eux afin d’écourter leur séjour au purgatoire. Mais si on regarde les Écritures, s’il était possible d’être sauvé en étant une personne bonne aux yeux de Dieu nous serions tous Juifs. Le christianisme n’existerait pas, car le judaïsme avait déjà quantité de règlements indiquant comment devenir une bonne personne. Mais les Écritures nous indiquent qu’il est impossible pour nous de devenir, par nos propres forces morales, une bonne personne aux yeux de Dieu[3]. Dans l’épître aux Romains, l’apôtre Paul explore l’héritage de la loi juive et arrive à la conclusion qui suit :

    Nous savons, en effet, que la loi est spirituelle ; mais moi, je suis charnel, vendu au péché. Car je ne sais pas ce que je fais : je ne fais point ce que je veux, et je fais ce que je hais. Or, si je fais ce que je ne veux pas, je reconnais par là que la loi est bonne. Et maintenant, ce n’est plus moi qui le fais, mais c’est le péché qui habite en moi. Ce qui est bon, je le sais, n’habite pas en moi, c’est-à-dire dans ma chair : j’ai la volonté, mais non le pouvoir de faire le bien. Car je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne veux pas. Et si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est plus moi qui le fais, c’est le péché qui habite en moi. Je trouve donc en moi cette loi : quand je veux faire le bien, le mal est attaché à moi. Car je prends plaisir à la loi de Dieu, selon l’homme intérieur ; mais je vois dans mes membres une autre loi, qui lutte contre la loi de mon entendement, et qui me rend captif de la loi du péché, qui est dans mes membres. Misérable que je suis ! Qui me délivrera du corps de cette mort ?... (Rom. 7 : 14-24)

    Le prophète Ésaïe indique pour sa part « Nous sommes tous comme des impurs, Et toute notre justice est comme un vêtement souillé ; Nous sommes tous flétris comme une feuille, Et nos crimes nous emportent comme le vent » (Ésaïe 64 : 6). Les Écritures nous enseignent que pour nous sortir de ce cul-de-sac, Dieu a pourvu un autre moyen, le sacrifice de son fils à la croix. Christ lui-même a payé la pénalité que méritaient nos fautes. C’est par ce biais que nous sommes acceptés par Dieu. Dès que nous acceptons l’offre divine, les bonnes œuvres trouvent alors leurs sens. L’épître aux Éphésiens résume de manière fort précise cet équilibre entre la grâce de Dieu et les œuvres. « Car c’est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Ce n’est point par les œuvres, afin que personne ne se glorifie. Car nous sommes son ouvrage, ayant été créés en Jésus-Christ pour de bonnes œuvres, que Dieu a préparées d’avance, afin que nous les pratiquions » (Éph. 2 : 8-10). Il n’est donc pas question d’un compte de banque céleste où s’accumulent des crédits de bonnes actions contre le paiement d’un laissez-passer aux portes du ciel. L’évangélique affirme par ailleurs que l’homme, que ce soit sur le plan social ou individuel, est incapable de régler, par ses propres moyens, son problème le plus fondamental, le péché. L’évangélique croit aussi que nous vivons dans un monde déchu, un monde anormal. Pour l’évangélique, cet état déchu est évident, démontré tous les jours par la lecture d’un journal ou l’écoute des nouvelles à la télévision.

    Le christianisme n’est pas la propriété, ni de l’Occident, ni des évangéliques. La meilleure preuve de ce fait est qu’actuellement le christianisme est en croissance plus forte dans le tiers-monde. Le cœur du christianisme est la personne même de Jésus-Christ et la compréhension de son rôle dans l’histoire humaine, c’est-à-dire servir de sacrifice pour les péchés d’une race déchue.

    Il faut préciser que sur le plan humain, l’évangélique n’est pas issu d’une race supérieure sur le plan moral. Le chrétien évangélique est tiré de la même pâte[4], il est susceptible aux mêmes vices et défauts qu’on retrouve ailleurs. Il n’est qu’un pécheur ayant expérimenté la grâce et la repentance. S’il fait pénétrer ces vérités dans son cœur, il y a des chances de voir une différence dans sa vie. S’il s’en éloigne, on ne peut s’attendre de sa part rien d’autre que le comportement imbécile habituel chez l’espèce humaine. Le christianisme comporte un curieux paradoxe. Il ne faut pas se méprendre. Malgré les nombreux avantages de la culture chrétienne, ce n’est pas celui qui est chrétien sur le plan culturel qui sera sauvé, car les Écritures nous enseignent que certains ayant assimilé volontiers la culture chrétienne ne seront pas sauvés[5] et d’autres qui n’auront pas absorbé la culture chrétienne, avec toutes ces implications (on peut penser au bon larron en Luc 23 : 39-43), mais qui en avait saisi l’essentiel. Le cœur du christianisme est donc à la fois légal et interrelationnel, tournant autour de la nature de notre relation avec la personne de Christ et son sacrifice sur la croix.

    L’Occident de notre génération est schizophrène. D’un côté, il se targue d’être rationnel. De manière générale, nos élites institutionnelles adhèrent à une vision du monde qui est, pour l’essentiel, matérialiste. Si elles ne sont pas matérialistes sur le plan individuel, sauf de rares exceptions, sur le plan professionnel elles se comportent dans les faits comme des matérialistes. L’idéologie professionnelle[6] prévaut sur celle de l’individu. De l’autre côté, les masses (et un grand nombre des élites culturelles) sentent bien la faiblesse de cette vision du monde et se gavent de lamas tibétains, de gourous du Nouvel Âge, de chamans amérindiens, d’horoscopes et de films, de best-sellers sur les anges ou la vie après la mort, de séries télévisées sur les Ovnis[7], Au-delà du Réel, les X-Files, etc. Pour les plus jeunes, il y a les romans Harry Potter qui vantent les mérites de la magie blanche. Chassez les superstitions, le mystérieux et le spirituel et ils reviennent au galop, sous une forme ou une autre. Il y en a pour tous les goûts. Malgré le mépris des élites des grandes institutions savantes, affirmer que l’existence humaine n’a qu’une dimension matérielle n’est pas crédible pour un grand nombre d’individus postmodernes. En Occident, nous sommes inondés de technologies et d’information dont nous ne savons que faire, mais malgré tout nous sommes cruellement assoiffés de SENS. Nous admirons ceux qui cherchent, mais nous méprisons ceux qui trouvent… Rechercher éternellement sans point d’arrivée, n’est-ce pas une fuite subliminale ?

    Découlant de cette attitude, dans la culture populaire, on constate aussi toute la fascination pour le genre horreur. Les romans de Stephen King sont immensément populaires. Ça se vend ! Analysé à froid, un des concepts avancés par ce genre littéraire est l’idée étrange, pour l’homme moderne, que le Mal existe. Et il existe, non pas en tant que principe abstrait et désincarné, mais plutôt en tant qu’entité personnifiée et intelligente (voir l’Apocalypse). En somme, ce que nous dit un bon nombre d’œuvres de ce genre (de manière plus ou moins subliminale) c’est que le Mal est une personne ! Mais il y a, dans le genre horreur, autre chose, la réalisation que la vision du monde matérialiste est pauvre, ennuyeuse et qu’il doit y avoir autre chose de plus…

    Par rapport aux élites institutionnelles et aux masses sécularisées en Occident, l’évangélique offre une vision autre. Il croit évidemment que l’existence n’a pas qu’une dimension matérielle et il croit à l’existence du Mal, mais il croit aussi qu’il existe un Être suprême qui est la source du Vrai et du Beau et que cet Être s’est révélé à l’humanité dans les Écritures. Pour les élites médiatiques et institutionnelles occidentales, l’évangélique est véritablement un personnage suspect et un hérétique, car dans un monde où le bidon spirituel est de mise, il commet un sacrilège en affirmant qu’il existe une Vérité, un Étalon universel devant lequel toutes ces vérités doivent se plier, peu importe le contexte culturel ou historique. Il croit à l’existence d’une aliénation profonde au cœur de l’humanité (qui s’appelle péché) et au Jugement à venir. Il croit que c’est uniquement grâce aux Écritures qu’on peut vraiment regarder derrière la façade matérialiste afin de sonder et comprendre le dilemme de la condition humaine. Pour lui, est chrétien, l’individu ayant l’âge de la raison qui prend un engagement public de suivre les enseignements de Christ. Autrefois, les chrétiens constituaient le système, l’influence judéo-chrétienne dominait les grandes institutions sociales. Aujourd’hui, s’ils sont fidèles à leur Maître, les chrétiens sont les marginaux dont on tente d’étouffer le discours, les véritables rebelles, la contre-culture. L’évangélique rejette donc (bien qu’il soit tenté…) l’idéologie courante qui veut que l’on puisse arborer une série de croyances dans sa vie professionnelle et une autre pour sa vie personnelle. Il affirme que la Vérité proclamée par Christ est absolue et s’applique, sans exception, à tous aspects de la vie. Sans fragmentation, sans schizophrénie, sans hypocrisie.

    Sur la scène publique, l’évangélique est donc un personnage étrange. Tolérable, s’il ne remet pas en question la vision du monde politically correcte de la réalité moderne. Mais s’il s’affirme publiquement en faveur d’absolus, en termes moraux ou philosophiques, il devient pour tous un trouble-fête affirmant des choses ennuyeuses, des choses que l’on ne veut pas entendre. Il faut donc le marginaliser à tout prix. Tous les moyens sont bons. De l’avis de nos élites évidemment, il est un réactionnaire, un anti-progressiste qu’il faut rééduquer.

    Dans cet essai donc, on étudiera bien sûr la vision biblique des arts et de la culture, mais en jetant un regard critique sur la culture occidentale à l’aube du IIIe millénaire. Pour celui qui connaît peu la culture évangélique, cet ouvrage permettra donc de voir la chose de l’intérieur et permettra de comprendre l’effort de l’évangélique d’intégrer démarches artistiques et prises de position éthiques, édifiées sur la fondation des enseignements de Jésus-Christ.

    Notes

    [1] - Mais on peut arriver au but d’isoler l’opposition idéologique par toutes sortes de moyens. Par exemple, à d’autres moments une approche beaucoup moins agressive peut rendre d’excellents services. Une condescendance toute paternaliste peut être bien plus efficace qu’une approche agressive. Il suffit de juger de l’occasion.

    [2] - Parmi ceux-ci on rencontre les Baptistes, Mennonites, Pentecôtistes, Frères en Christ. Et chez les églises traditionnelles (Méthodistes, Anglicans, Presbytériens, voir quelques Catholiques) certains secteurs ou individus affichent parfois des convictions évangéliques.

    [3] - Voir en particulier Psaumes 14 : 3.

    [4] - Les Écritures nous disent en effet :

    Ne savez-vous pas que les injustes n’hériteront point le royaume de Dieu ? Ne vous y trompez pas : ni les impudiques, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les infâmes, ni les voleurs, ni les cupides, ni les ivrognes, ni les outrageux, ni les ravisseurs, n’hériteront le royaume de Dieu. Et c’est là ce que vous étiez, quelques-uns de vous. (1Cor. 6 : 9-11)

    [5] - En Matthieu 7 : 21-23, on nous indique :

    Ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur ! n’entreront pas tous dans le royaume des cieux, mais celui-là seul qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux. Plusieurs me diront en ce jour-là : Seigneur, Seigneur, n’avons-nous pas prophétisé par ton nom ? n’avons-nous pas chassé des démons par ton nom ? et n’avons-nous pas fait beaucoup de miracles par ton nom ? Alors je leur dirai ouvertement : Je ne vous ai jamais connus, retirez-vous de moi, vous qui commettez l’iniquité.

    [6] - Cette idéologie peut être d’autant plus puissante si elle est invisible et inconsciente…

    [7] - Certains d’entre eux sont présentés comme sinistres et malveillants (ex. Alien (1979), Independance Day, Species/Espèce), mais un grand nombre d’autres sont présentés comme des êtres sages qui veulent uniquement notre bien, des sauveurs (ex. Close Encounters of the 3rd Kind/Rencontres du 3e type [1977], ET [1982], Cocoon [1985], Contact [1997]). Des messies, somme tout, qui nous montrent à vivre en harmonie et en paix. D’autres films font d’une expérience irrationnelle, extatique, la source de la sagesse. Dans cette catégorie, on peut penser à Phénomène (1996) avec John Travolta, voir aussi Powder (1995). D’autres films encore font de l’Orient la source de la sagesse ! (voir Sept ans au Tibet 1997 avec Brad Pitt). Ces films tracent les tâtonnements de l’homme postmoderne à la recherche du SENS.

    1 / Préjugés et confusions

    Ne vous conformez pas au siècle présent, mais soyez transformés par le renouvellement de l’intelligence, afin que vous discerniez quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, agréable et parfait. (Romains 12 : 2)

    Mais qui voudrait se faire couper un doigt ou un orteil ? Qui serait intéressé si on le lui proposait ? La liste d’attente pour une telle opération ne serait pas longue, car à moins d’avoir des tendances masochistes fort prononcées, on aime bien jouir de tous nos membres. Et pourtant les Églises évangéliques, si on considère leurs attitudes au niveau des arts et des divers moyens d’expression, se sont, en quelque sorte, coupé les pieds et les mains ! Si l’on demandait à l’homme de la rue «Quel est, à ton avis, l’institution actuelle qui favorise le plus le développement de la créativité ?» il est peu probable que les Églises évangéliques seraient visées par la réponse à cette question.

    Il y a dans ce constat, un jugement contre nos attitudes touchant la créativité et le mandat d’assujettir le monde donné en Genèse 1. Dans le folklore évangélique, des versets tels que «ne savez-vous pas que l’amour du monde est inimitié contre Dieu ? Celui donc qui veut être ami du monde se rend ennemi de Dieu» (Jac. 4 : 4) ont fréquemment été évoqués pour condamner tout intérêt pour les arts et la créativité. Et si parfois l’évangélique s’attire le mépris des non-chrétiens, il faut constater que parfois on met de côté certains aspects de notre humanité. Dans les pages qui suivent, nous allons explorer les causes de cette situation et tenter d’établir une perspective biblique à l’égard des arts et de la culture.

    Erreurs de parcours

    Pour comprendre les mécanismes derrière les attitudes actuelles des milieux évangéliques touchant les arts, il est nécessaire d’examiner l’histoire de l’Église. Ces attitudes ont une longue histoire. A. N. Wilson note à ce sujet (1990 : 156) :

    Les Muses ont toujours été en guerre avec le Christ. C’est vrai depuis la fin de l’Antiquité classique, alors que Jérôme et Augustin voyaient tous les deux l’excellence littéraire avec les soupçons les plus graves.*

    Des études plus récentes semblent remettre en question l’attitude anti-art dans l’Église primitive[1], mais, au cours de l’histoire, on observe de nombreux exemples de cette guerre entre l’Église et les arts. On peut penser aux puritains en Angleterre qui, sous Cromwell, poussèrent le Parlement à émettre une ordonnance en 1642 imposant la fermeture de tous les théâtres, dont celui de Shakespeare (The Globe) qui d’ailleurs fut rasé en 1644[2]. De l’avis des puritains, le maquillage des acteurs était une abomination et, dans leurs attaques, ils associaient le théâtre à la prostitution. Ils affirmaient que toute émotion qui ne vient pas directement de Dieu est l’œuvre du Diable, raison pour laquelle le théâtre et les arts tombèrent sous leur jugement. Sans doute il faut admettre qu’à l’époque le théâtre anglais n’était pas un lieu très chaste[3], mais d’autres options auraient pu être envisagées…

    e_gosse.tif

    Edmund Gosse,

    critique littéraire

    En 1907, Edmond Gosse publia un récit autobiographique intitulé Father and Son qui relate son enfance et en particulier sa relation avec son père Philip. Philip Gosse était un biologiste, un contemporain de Charles Darwin. Il était membre de la Plymouth Brethren Church, un croyant. Il faisait partie des élites scientifiques de l’époque et fut membre d’un petit groupe de scientifiques à qui Darwin a confié sa théorie avant de la rendre publique. À l’été de 1857, Philip Gosse a conversé personnellement avec Hooker et Darwin au sujet de la théorie de la sélection naturelle que ce dernier projetait faire publier.

    Mais Gosse père rejeta les idées de Darwin et écrit un livre portant le titre Omphalos par lequel il tentait de réconcilier les idées scientifiques de son temps avec les Écritures. Sur le plan géologique, Gosse père rejetait les idées de Lyell voulant que la surface de la Terre ait subi, dans le cours du temps, d’infinies modifications graduelles liées à l’érosion, concept que l’on traduit par les termes d’actualisme ou uniformitarianisme. Gosse prônait plutôt une approche catastrophiste[4], semblable à celle du français Georges Cuvier. D’autre part, sur le plan biologique, Gosse père était d’avis que les espèces avaient été fixées une fois pour toutes à la Création et ne pouvaient changer. C’est la notion de la fixité des espèces. Philip Gosse fit donc l’erreur de penser que ses idées, ou les concepts biologiques développés avant Darwin, étaient aussi sûres que la Parole de Dieu elle-même. Malheureusement la notion de l’espèce à laquelle il se référait était défectueuse (les connaissances de l’hérédité de l’époque étaient encore très limitées) et cet aspect de son ouvrage fut démontré inexact. Son ouvrage fut rejeté à la fois par l’Église et les scientifiques. La presse populaire le ridiculisa.

    Sous la pression de ce discrédit, Gosse quitta Londres et coupa les liens avec le British Museum et la Royal Society. Coupé de la société mondaine et scientifique, il alla vivre avec sa famille en isolation au bord de la mer, où il continua de recueillir et disséquer des spécimens marins. Edmund note que ses parents étaient des chrétiens fidèles, ayant un très grand respect pour les Écritures. Dans leurs moments de loisir, il leur était coutumier de s’engager dans de longues discussions sur le sens des Écritures. Edmund note au sujet de son père que jusqu’à la fin de ses jours il prenait un grand plaisir à lire et méditer les Écritures.

    Mais la foi de ses parents avait d’autres caractéristiques moins admirables qui ont contribué sans doute à la chute du fils Edmund. L’attitude familiale était décidément anti-intellectuelle et ascétique, repliée sur soi. Les parents d’Edmund avaient abandonné tout souci de comprendre et de confronter l’esprit du temps. De l’avis des parents d’Edmund, la littérature et la science n’avaient d’utilité que pour garder le jeune homme hors du monde (éviter l’oisiveté) et fournir un emploi. Ils considéraient qu’il était erroné de trouver un quelconque plaisir dans la littérature, la science, ou n’importe quelle autre activité que la lecture et la méditation de la Parole de Dieu. Très peu de littérature était donc admise dans la maison Gosse. Les contes pour enfants et toutes les formes de fiction, séculiers ou chrétiens, étaient exclus. De l’avis de la mère de Gosse, tout conte imaginaire était un mensonge et sa rédaction ou sa lecture constituait donc un péché.

    Cette attitude ne fut pas sans conséquence dans la vie d’Edmund, leur fils. Malheureusement, les choses ont pris une tournure tragique puisque l’enfance d’Edmund fut privée de l’imaginaire, du sens de l’émerveillement et de ce qu’il appelait l’humanité, il rejeta totalement la foi de ses parents. Ce que Gosse père estimait au-dessus de tout, il le perdit complètement dans la vie de son fils qui se ferma à l’Évangile et devint écrivain et critique littéraire. Voici l’avis amer du fils, bien des années plus tard, sur l’héritage spirituel que lui ont légué ses parents (1907).

    Laissez-moi parler franchement. Après ma longue expérience, ma patience et ma persévérance, j’ai sûrement le droit de protester contre la fausseté (si seulement je pouvais utiliser un autre terme !) de cette religion évangélique ou n’importe quelle religion, sous une forme violente, qu’elle puisse être considérée un complément sain ou souhaitable à la vie humaine. Elle divise les cœurs. Elle établit un idéal vain, chimérique. Et dans la poursuite stérile de celui-ci, en échange de toute affection indulgente, de tout jeu ou loisir, tout plaisir exquis et les doux soupirs du corps, tout ce qui agrandit et calme l’âme, elle offre ce qui est dur, vide et négatif. Elle encourage un esprit sévère et ignorant, la condamnation. Elle déséquilibre l’esprit. Elle invente les vertus qui sont stériles et cruelles. Elle condamne comme péché, des activités innocentes et elle obscurcit le ciel de la joie innocente avec les nuages futiles du remords. Il y a là quelque chose d’horrible, si on peut y faire face, dans ce fanatisme qui ne sait rien faire d’autre avec notre existence, si pathétique et fugitive, que de le traiter comme l’antichambre, si inconfortable, d’un palais que personne n’a jamais exploré et dont le plan est connu de personne.*

    Le légalisme n’est donc pas sans conséquences[5]. Il faut malheureusement constater que plusieurs critiques de Gosse fils à l’égard du légalisme parental tombent justes, même si l’essentiel lui échappe. À vrai dire, l’exil social des Gosse préfigurait en quelque sorte l’exil culturel que subirait le mouvement évangélique dans son ensemble à la fin du XIXe et au début du XXe siècle.

    Si on s’éloigne du XIXe siècle, pour s’approcher de notre époque, l’on rencontre des anecdotes de pasteurs américains faisant campagne contre la musique rock et brûlant des albums de cette musique. Si on examine attentivement le passé, on se rend compte que cette attitude méfiante sinon méprisante à l’égard des arts, que l’on retrouve chez un grand nombre d’évangéliques et leurs ancêtres spirituels, est le résultat d’une infiltration d’idées qui ont une longue histoire en Occident. Et lorsqu’on examine la question, on constate qu’à l’origine du problème, il s’agit d’idées provenant, non pas de l’Évangile, mais qui ont leur source dans la Grèce antique.

    Sans doute il est utile de préciser qu’au cours de l’histoire, l’Église ne fut pas la seule à critiquer ou à rejeter les arts. Lorsqu’un régime politique moderne tente d’imposer sa vision du monde sur tous les aspects de la vie, il finit, tôt ou tard, à imposer des restrictions à l’égard des arts. Sous le régime soviétique (en particulier sous Staline), un artiste osant ne pas répéter le discours officiel de la victoire du prolétariat pouvait se voir attribuer une bourse gouvernementale pour un séjour de 25 ans ferme (toutes dépenses payées) dans le Goulag (billet, allez-simple). En Allemagne, sous le régime nazi, les choses ne furent guère mieux. À ce sujet, Wendy Beckett note (1995 : 341) :

    Avec l’avènement de Hitler dans les années 1930, la propagande nazie désigna sous l’appellation art dégénéré toutes les créations artistiques qui n’allaient pas dans le sens de l’idéologie aryenne. On alla jusqu’à organiser des expositions d’art dégénéré. La première eut lieu à Munich, où l’on présenta des œuvres de Van Gogh, Picasso et Matisse, arrachées de leur cadre et suspendues au milieu de peintures réalisées par des pensionnaires d’asiles d’aliénés. Profondément affecté par cette mise au pilori, Ernst Kirchner finit par se suicider en 1938. Beaucoup d’autres artistes durent s’exiler ou furent envoyés dans les camps.

    Le jazz, musique d’origine noire, a été tout aussi méprisé des nazis. Les talibans en Afghanistan, pour leur part, ont détruit d’innombrables œuvres artistiques lors de leur règne dans les années 90. Les communistes en Chine agissent toujours de manière comparable à l’égard d’œuvres d’art considérées incompatibles avec leur vision du monde socialiste.

    Héritage du passé et préjugés inconscients

    Plato.tif

    Platon, philosophe

    Pour comprendre les attitudes culturelles des évangéliques de notre génération, il faut remonter à l’Antiquité, lors de la naissance du christianisme. Rome est alors maître incontesté du monde connu. Dans ce contexte, la culture dominante était la culture grecque. Même si c’était l’époque où, aux niveaux technique, économique et militaire, dominait le pouvoir de l’Empire romain, sur le plan intellectuel et culturel, la philosophie grecque dominait sans conteste. Platon (428-348 av JC), un des philosophes grecs les plus renommés de l’Antiquité, enseignait une philosophie qui estimait par-dessus tout le spirituel, le rationnel (ou l’abstrait, telle la géométrie) et méprisait le terrestre, le corporel ou matériel (ce qui est perçu par les sens). D’après la mythologie avancée par Platon dans la première partie de la Timée, les êtres mortels, dont les humains, n’ont pas été créés par le Créateur, mais par des divinités inférieures. Le Créateur, donnant ses ordres aux divinités inférieures déclare (1925 : 157-159 [41-42]):

    Maintenant, écoutez ce que mes paroles vont vous apprendre. Il reste trois espèces mortelles qui ne sont pas encore nées. Si elles ne naissent point, le Ciel demeurera inachevé, (…) Mais, si je les faisais naître moi-même, si elles participaient de la Vie par moi, elles seraient égales aux Dieux. Afin donc que, d’une part, ces êtres-là soient mortels, et que d’autre part le Tout soit vraiment le Tout, appliquez-vous selon votre nature à fabriquer des êtres vivants. Imitez l’action de mon pouvoir, lors de votre propre naissance. Et, quant à la partie de ces êtres qui doit porter le même nom que les immortels, quant à la partie qu’on nomme divine et qui commande en ceux d’entre eux, qui voudront toujours vous suivre et suivre la Justice, j’en préparerai moi-même et je vous en donnerai la semence et le commencement. Pour le reste, ajoutant à cette partie immortelle une partie mortelle, fabriquez des Vivants, faites les naître, donnez-leur la nourriture, faites les croître, et quand ils périront, recevez-les de nouveau près de vous.

    Il dit ces mots et revenant au cratère, dans lequel il avait d’abord mêlé et fondu l’Âme du Tout, il y versa les résidus des premières substances et les y mélangea à peu près de même. Toutefois, il n’y eut plus, dans le mélange, de l’essence pure identique et invariable, mais seulement de la seconde et de la troisième. Puis, ayant combiné le tout, il le partagea en un nombre d’Âmes égal à celui des astres. Il distribua ces âmes dans les astres chacune à chacun : il les y plaça comme dans un char et il leur enseigna la nature du Tout. (…) la nature humaine serait double, et que, des deux sexes, le plus vigoureux serait celui qui recevrait plus tard le nom de sexe mâle ; que lorsque les âmes auraient été, par l’action de la nécessité, implantées dans des corps, que lorsqu’à ces corps des parties s’ajouteraient tandis que d’autres en partiraient, en toutes ces âmes naîtrait nécessairement, d’abord une même et naturelle faculté de sentir, suscitée par les impressions violentes, en deuxième lieu, l’Amour, entremêlé de plaisir et de souffrance et en outre, la crainte, la colère et les affections qui résultent de celle-là, ou leur sont naturellement contraires. Si les hommes dominaient ces affections, ils vivraient dans la justice ; s’ils se laissaient dominer par elles, ils vivraient dans l’injustice. Et celui qui aurait bien vécu, le temps convenable, s’en irait de nouveau dans la demeure de l’astre auquel il est affecté et y aurait une vie heureuse et semblable à celle de cet astre. Au contraire, s’il devait manquer ce but, il se métamorphoserait, prenant, lors d’une seconde naissance, la nature d’une femme.

    Pour Platon, la réalité véritable se situe non pas dans le monde physique habité par les hommes, mais dans le monde des idées célestes. Les choses que nous percevons avec nos sens ne sont que des copies, plus ou moins fidèles, des idées ou des formes célestes : les archétypes. Par exemple, à son avis, le poète (et l’artiste de manière générale) ne fait qu’imiter le monde physique des apparences et ne fait que produire des copies de copies. Bien qu’il admirât les grands poètes, Platon croyait que la poésie détournait les gens de la vérité (telle qu’il la concevait ; abstraite et ésotérique) et qu’il valait mieux bannir le poète de la république sinon le garder sous une censure sévère. Plus tard, les philosophes gnostiques du monde antique, qui ont repris beaucoup d’idées platoniciennes, croyaient à un salut surtout intellectuel, acquis par un savoir secret qui n’était accessible que par de multiples initiations. De l’avis de Platon, même le Créateur était contraint par les archétypes, ce qu’Augustin, qui s’est penché sur la question plus tard, rejeta. Le Créateur que nous fait connaître les Écritures n’est contraint d’aucune manière. Il agit ex nihilo (à partir de rien). Il pense la chose, il le dit et elle existe ! Sa créativité s’exerce dans la liberté la plus absolue.

    Dans le monde antique, en général, les métiers manuels étaient considérés comme des tâches inférieures et généralement confiés aux esclaves. La noblesse ne participait pas à la production d’objets (bien qu’elles étaient les premières à profiter de cette production), s’occupant plutôt des affaires politiques et de philosophie. Il est incontestable que les Grecs de l’Antiquité furent de grands penseurs, mais d’après Stanley Jaki (1974), le mépris du monde physique impliqué par leur vision du monde les a détournés de l’expérimentation et a été la cause du cul-de-sac dans lequel leur savoir scientifique a abouti. Chez Platon, les émotions, les passions et les sentiments qui donnent naissance aux divers moyens d’expression artistique étant, par définition, charnels et terrestres sont considérés inférieurs aux choses spirituelles, mais la raison humaine, étant le reflet d’un monde plus pur, n’étant pas affectée par cette chute, est considérée supérieure aux autres expressions de la créativité humaine[6]. Aristote, qui a repris la hiérarchie des mondes de Platon dans sa classification des savoirs humains plaçait au premier niveau la vérité, deuxièmement la connaissance pratique et troisièmement la technologie. Hardy explique comment les Grecs ont résolu, dans la vie quotidienne, les contradictions inhérentes à cette hiérarchie des activités humaines (1995 : 24-25) :

    Compte tenu de la nécessité de travailler pour satisfaire les besoins quotidiens récurrents du corps humain, comment trouver le temps de s’engager dans une carrière publique non rémunérée ? Comment éviter que tout notre temps soit dévoré par les activités qu’exige de nous la simple nécessité de l’ordre naturel ? La plupart d’entre nous travaillent à plein temps uniquement pour pouvoir joindre les deux bouts. Les Grecs avaient une solution à ce problème : l’esclavage. Quand un homme était assez fortuné pour se procurer des esclaves, ceux-ci étaient chargés de tous les travaux nécessaires, ce qui laissait l’homme riche libre de rechercher les honneurs d’une vie consacrée à la poursuite d’objectifs grands et nobles.

    Et par la suite, ceux qui avaient les moyens de charger esclaves et serviteurs des tâches quotidiennes s’appropriaient du titre de noble… Certains seraient étonnés d’apprendre que cette attitude de mépris des choses matérielles n’a donc pas sa source dans le christianisme, ni dans la Parole de Dieu. Ainsi, le concept biblique de la Chute ne fait pas d’exception pour la raison ésotérique. Il est vrai que les Écritures déclarent que ce monde ne peut être considéré autre chose qu’un refuge temporaire pour le croyant[7], mais il n’en demeure pas moins que ce monde, et les bonnes choses qu’il contient, émanent de la main créatrice de Dieu lui-même. De ce fait, ils sont bons…

    À l’époque où se développe le christianisme, le néoplatonisme domine. Largement inspiré des travaux du philosophe Plotin, le néoplatonisme affirme que Dieu est lumière, infini et absolu. Dieu seul ne comporte aucune matière. L’homme, par contre, est fait de matière. Il est constamment en conflit avec lui-même, car l’âme aspire à retourner à sa source, Dieu. Le corps est un obstacle sur cette route, car il est attaché à ce monde et à ses préoccupations. En se coupant du corps par diverses disciplines ascétiques, il peut alors s’approcher de Dieu et l’union parfaite avec la divinité donne lieu à l’extase.

    Les chrétiens des premiers siècles, à la fois intimidés et imbibés de cette culture dominante[8], ont combattu certaines idées, mais sans s’en rendre compte, avec le temps, ont fini par absorber un certain nombre d’idées n’ayant pas leur source dans les Écritures et, en particulier, cette attitude à l’égard du monde, que l’on retrouve chez Platon et les gnostiques, où s’opposent le matériel (mal) et le spirituel (bien). Lee Hardy, rends bien compte de la situation de l’Église de l’Antiquité (1995 : 31) :

    En effet, l’Évangile a d’abord été proclamé à une culture dominée par la vision grecque du monde et de la vie. De nombreux Pères de l’Église, élevés dans la philosophie grecque, ont interprété l’Évangile à la lumière de la pensée hellénistique. Ainsi, ils ont souvent donné l’impression que la Bonne Nouvelle du royaume des cieux n’était rien d’autre que la promesse d’une vie éternelle désincarnée adonnée à la contemplation de l’objet le plus noble qui soit, c’est-à-dire Dieu.

    Cette conception des choses créées a eu des répercussions énormes dans le christianisme bien au-delà des attitudes

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