Dossard 1112
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À propos de ce livre électronique
Un monsieur Tout-le-monde qui devient triathlète.
Un sportif du dimanche qui se rêve en champion.
Un quadragénaire, pris dans les soubresauts de sa vie, qui tente de leur faire face par une voie pas banale.
Un homme meurtri qui, pour rester debout, décide d’accélérer.
Une histoire de souffrance et de grands moments qui nous rappelle, comme l’écrivait Maupassant, que la vie n’est ni si bonne ni si mauvaise qu’on le croit.
Le témoignage émouvant d’un père, d’un fils, d’un frère, qui souffre comme il aime et rit comme il pleure.
Une ode à l’amour et à la sueur de vivre !
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Aperçu du livre
Dossard 1112 - Christophe Baniol
DOSSARD 1112
Un parcours de sueur
Christophe BANIOL
Published by Éditions Hélène Jacob at Smashwords
Copyright 2015 Éditions Hélène Jacob
Smashwords Edition, License Notes
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© Éditions Hélène Jacob, 2015. Collection Littérature. Tous droits réservés.
ISBN : 978-2-37011-307-8
« Si la souffrance n’entrait pas en jeu, qui diable s’embêterait à participer à des disciplines telles que le marathon ou le triathlon ? Ce qui nous procure le sentiment d’être véritablement vivants, c’est justement la souffrance, la souffrance que nous cherchons à dépasser ».
Haruki Murakami
Autoportrait de l’auteur en coureur de fond
À ma Mu
À ma Mum
À ma fille
Prologue
Paris – novembre 2013
On n’arrive pas au triathlon longue distance par hasard.
On ne s’aventure pas par hasard sur les routes d’Embrun le 15 août ou sur celles de l’arrière-pays niçois le dernier dimanche de juin.
On y arrive parce qu’on a quelque chose à dire. Aux autres, un peu, mais surtout à soi-même.
On y arrive parce que la vie a été chienne et qu’elle nous doit une revanche, ou au contraire parce qu’elle a été trop douce et qu’on souhaite lui montrer qu’on est là, que l’on n’a pas oublié d’exister.
Pour moi, ce fut les deux.
C’est pour certains une décision qui s’impose presque du jour au lendemain, un acte de révolte, un coup de sang qui fait péter les chaînes d’une existence trop morne. C’est pour d’autres, dont je suis, une décision qui peu à peu prend forme, la curiosité cédant le pas à la passion, une foulée après l’autre, de tour de roues en tour de roues.
Pour tous, c’est un choix de vie. Pour quelques-uns, pour beaucoup peut-être, ce sera l’aventure de leur vie.
Le triathlon longue distance n’est pas une question de vie ou de mort, comme certaines arrivées de course peuvent le laisser penser, non. C’est bien plus important que ça.
J’ai terminé l’Embrunman après quatre ans de triathlon. Quatre ans durant lesquels j’ai, pour la première fois de ma vie, appris à souffrir. J’ai souffert, oui, pour aller au bout de ces compétitions d’un autre monde ou pour les préparer, parfois plus encore. Et d’une certaine manière, de cette souffrance choisie, j’ai fait une armure. Une armure qui m’a permis d’affronter sans sombrer la solitude d’un foyer sans amour, d’un quotidien sans le sourire solaire de ma fillette adorée… C’est ainsi protégé que j’ai vu aussi, impuissant mais debout, ma petite Mum descendre au fond du gouffre… C’est cette armure enfin qui m’a permis d’accompagner vers la mort ma sœur unique et chérie sans me consumer, ou du moins pas totalement… Souffrance contre souffrance, donc, douleur contre douleur. Le mal par le mal, en somme.
Mais l’histoire ne s’arrête pas aux larmes, car chaque revers a sa médaille. La vie m’a rattrapé, à 40 ans, vacharde, aveugle, comme elle sait l’être souvent, certes. Et pourtant… Pourtant j’ai arraché à ce sombre voyage de vrais instants de grâce.
Il y a eu ces arrivées de course, uniques, transcendantes et le sentiment d’absolu qu’elles m’ont laissé souvent. Il y a eu avec ma fillette ces moments de partage presque surréalistes, magnifiés par l’absence, et notre relation agrandie par le vide. Il y a eu, avec quelques jolies femmes, des séquences de séduction et d’autres d’érotisme au goût d’éternité. Et il y a eu avec Mu, durant sa courte année d’agonie, de purs moments de vérité. Enfin, tout au bout du rouleau, il reste encore la Mum, amochée certes, mais vivante et aimante.
Le tri{1} s’est mêlé à ma vie, le tri s’est mêlé de ma vie dans un improbable pas de deux fait de souffrances et de joies.
Pour le meilleur.
Pour le pire.
Parce que sans doute il le fallait.
1 – Dossard 1112
Triathlon Embrunman – 15 août 2013 – Embrun, Hautes-Alpes
Il y a le sport, celui qu’on fait pour le plaisir, pour souffrir certes, mais juste un peu, pour l’amour du jeu surtout, de la compétition parfois.
Il y a le triathlon. Natation, cyclisme, course à pied.
Le triathlon qui commence dans l’excitation des formats sprints ou courtes distances pour finir dans la fierté des longues distances conquises à la sueur de sa sueur, dont on apprend à aimer la saveur.
Et puis vient l’Ironman, le grand, le vrai. 3,8 km de natation, 180 km de cyclisme, 42 km à pied, se suivant d’un seul trait. L’Ironman, l’incontournable totem, le tatouage sportif et social, son décorum, ses rêves d’Hawaï et de son championnat du monde, sa souffrance bling bling, ses frissons en cinémascope.
Encore un peu plus loin – au bout du chemin ? –, il y a Embrun… Embrun et son Embrunman… Posé là sur la route, il y a un bloc de granit, brut comme l’Izoard, sans chichis, sans à-côtés, pur comme un lac de montagne, un saut dans l’inconnu qui commence dans l’angoisse et se termine en corps-à-corps avec soi-même… ou avec ce qu’il reste de soi-même… Ça dépend.
Oui, moi, un monsieur Tout-le-Monde ce jour-là habité, un quadra sans éclat, j’ai plongé avant l’aube dans l’eau noire du lac de Serre-Ponçon pour quatre kilomètres de crawl sans autre point de repère que le phare du zodiac qui au loin accompagne les pros et sans autre réconfort que ma combinaison qui ne me laissera pas couler quoi qu’en pensent les autres fous à mes côtés qui veulent me faire la peau…
Oui, après 180 kilomètres sur la selle et près de 4 000 mètres de dénivelé positif arraché au cœur des Alpes, je me suis mis une nouvelle fois debout sur le vélo pour avaler Chalvet et ses cinq kilomètres à plus de 6 %…
Oui, j’ai été treize heures d’effort durant, « in the zone », dans un état d’harmonie physique et mentale irréel, me regardant nager, rouler, courir, hypnotisé par les battements de mon cœur, admiratif de ce qu’un corps peut faire quand on en tire le meilleur, extra lucide, heureux…
Oui, un peu plus tard, au kilomètre 35 du marathon, je me suis arraché d’un camion de pompier, d’une civière qui voulait m’engloutir, d’une détresse physique que je n’aurais pas cru possible pour repartir en claudiquant et finalement ressusciter, quatre kilomètres plus loin, par la magie d’une parole simple, prononcée par un pote. Merci, Antho.
Oui, j’ai terminé cette course, presque deux heures durant, par un voyage cauchemardesque, au bout du bout de moi-même, et pour finir, debout.
Oui, à Embrun plus qu’ailleurs, la roche Tarpéienne est proche du Capitole…
Oui, l’Embrunman est grand et je suis tout petit.
***
Je pourrais m’arrêter là, car au fond j’ai tout dit. Mais en même temps, tout reste à dire. Il me faut raconter, pour les autres, pour moi-même. Il me faut dire pour les aspirants Embrunman qui y trouveront l’effroi et la grandeur qui nourriront leur rêve, dire encore pour les déjà finishers, les seuls qui comprendront vraiment et revivront leur course, dire toujours pour mes proches qui s’interrogent sur le sens de ces croisades païennes, et dire enfin pour moi, pour tuer le dragon dont les derniers écarts agitent encore mes nuits.
Alors j’envoie !
C’est au cœur de l’hiver que l’aventure démarre, comme si la lumière avait besoin de l’ombre. Le temps sur Paris est plus rude que jamais en ce 6 janvier 2013 ; il ne donne pas envie de mettre le nez dehors ni même de penser à le faire. Je n’ai pas fait de sport depuis ma dernière course, le triathlon Naturman, le 7 octobre précédent. Un tendon d’Achille droit entamé par une fin de saison éprouvante m’a servi de passe-droit pour une vie de farniente. Je suis seul. La nuit semble être tombée depuis le matin même. Plusieurs semaines déjà qu’un projet un peu dingue me trotte dans la tête et voilà qu’il s’impose, évident. Quelques clics et me voilà inscrit. Date d’assaut : le 15 août 2013. Drop zone : Embrun ! Objectif : un maillot de finisher Embrunman ! Plus de retour arrière. Les dés sont jetés.
J’ai lu les récits de course des copains, j’ai expérimenté l’Ironman l’été précédent à Nice. Je sais dans quoi je m’engage, ou tout du moins je le crois. Je sais les sacrifices, je sais les renoncements, je connais la souffrance. Mais j’ai aussi goûté à l’adrénaline du jour J, à la saveur unique du mouvement perpétuel, à la beauté des moments de partage à l’entraînement avec les potes, à l’étincelle d’admiration dans les yeux de Léna, ma fillette. Et j’aime que passe sur ma vie un souffle d’autre chose.
Alors, moteur !
L’hiver s’étirera doucement. Des conditions climatiques difficiles, une envie vacillante limitent mon engagement. Je plafonne à huit heures d’entraînement par semaine. Je ne me prépare pas encore à la course, je me prépare… à me préparer ! Tôt ou tard, il faudra changer de braquet, en volume, en intensité. C’est chose faite le 15 mars, date à laquelle j’entame un coaching avec Jo. Nous partons sur une base de dix à douze heures par semaine jusqu’à l’été, pour monter jusqu’à quinze dans les deux derniers mois. Son approche est globale – entraînement micro et macro, récupération, alimentation, psycho. Elle est portée avec conviction et exprimée de manière limpide. J’adore. Tout cela va me coûter un peu d’argent, beaucoup de temps, mais j’aime l’idée d’aller au bout des choses qui en valent la peine et de vivre en grand cette grande aventure. Pour cette même raison, j’ai consulté un nutritionniste, fait des analyses assez pointues et adapté mon alimentation. Très rapidement, je fais quelques autres choix de vie qui favoriseront l’alignement des planètes le jour J : les vacances cet été se feront dans les Alpes, une semaine d’entraînement en juillet, puis quinze jours sur Embrun même, à partir de début août, en famille cette fois. S’y ajoutera la semaine de stage de préparation spécifique avec le Stade Français, programmé début mai. Côté boulot, j’ai l’avantage d’être en fin de poste, de maîtriser mon sujet et d’avoir une équipe en or. Cela laisse du temps libre. Côté Léna, elle aura droit à l’Embrunkid, programmé la veille de la grande course. Cet objectif, je le sais, nous mettra dans le même train… d’enfer ! L’Embrunman, l’Embrunkid occuperont une bonne part de nos conversations jusqu’au cœur de l’été et sûrement bien après, jusqu’à la fin du monde ! J’embarque aussi les parents qui nous rejoindront sur Embrun la semaine de la course. Ils ont bien choisi leur première ! Mais ont-ils eu le choix ? L’Embrunman est une quête égoïste qui ne se vit pas seul. Le projet prend corps.
À l’exception d’une petite blessure à la cuisse, qui me tient arrêté quinze jours en avril, et d’un gros rhume fin mai, la préparation se déroule au mieux, parsemée de trois belles courses, parce que rien ne remplace la compétition pour savoir si les points sont effectivement sur les i. Le triathlon courte distance de Fains le 2 juin, la cyclo Time Megève le 9 juin (145 kilomètres et cinq cols des Alpes) et le triathlon longue distance de Dijon le 7 juillet s’enchaînent avec leurs lots d’enseignements, de grands moments, de grands tourments.
Mes compagnons d’échappée sont aussi au taquet : Didier, Jean-Fa, Robert, Jean-Loup, JC, tous tendus vers le même objectif. Ils ont la détermination sans faille de ceux prêts à faire de grandes choses et l’enthousiasme rigolard qui les garde de se prendre au sérieux. Nous nous payons de magnifiques tranches de vie au grand air, des débats passionnés sur les chaînes glucidiques ou la vitesse de rotation des jambes en ascension, et des fous rires en cascade à se chambrer avec affection. Les petits bobos vont et viennent, mais restent de petits bobos. La semaine d’entraînement du 14 juillet dans les Alpes aux côtés de Jean-Fa, Didier et JC passe presque en souplesse malgré l’enchaînement de séances de Kosovars : trente-cinq heures d’efforts, 530 kilomètres de vélo avec 11 000 mètres de dénivelé (Izoard, Alpe d’Huez, Croix Fry, Bizane, Aravis, etc.), 55 km de course à pied et bien sûr un peu de natation pour se détendre, tout de même ! La reconnaissance du parcours vélo de l’Embrunman est pleine d’enseignements aussi, même si nous ratons la fameuse côte de Pallon !
J’arrive à Embrun début août, « fort dans ma tête et solide dans mon corps » écrirait un reporter de l’Équipe. Je m’envoie une dernière grosse semaine d’entraînement sur place. Puis arrive « l’affûtage » : une petite nat{2} par-ci, un petit footing par-là, quelques tours de roue faits sans y penser. J’ai parcouru le plan d’eau en long, large et travers, ainsi que le parcours du marathon à pied et à vélo. Léna a fait le 14 août un Embrunkid magnifique et inspirant, terminant 7e dans sa catégorie 8/9 ans. Mon pouls au réveil bat à 38 contre 44 en temps normal et j’affiche depuis quelques semaines 72 kg sur la balance contre 75 à 76 au cœur de l’hiver. Mon matériel a été vérifié, revérifié et sur-vérifié par tous les vélocistes de France. J’ai écouté religieusement le briefing d’avant course de Jo, clair comme l’eau du lac de Serre-Ponçon. J’envisage 15 heures comme temps pivot, mais je me sens capable d’approcher les 14. L’essentiel sera toutefois de finir ; ici plus qu’ailleurs, c’est le maillot de finisher qui compte ! Je suis PRÊT !
***
15 août 2013, 4 h 15 du matin, le réveil sonne. Surprise, j’ai bien dormi. Je me sens reposé, serein. Tout le contraire de Nice, un an auparavant. Je suis un peu inquiet, mais avant tout ultra concentré. Léna, dans le lit d’à côté, s’est réveillée bien sûr à la première sonnerie, surexcitée. Mes affaires sont prêtes depuis la veille ; je n’ai plus qu’à enfiler ma trifonction{3}, remplir les gourdes, récupérer au frigo du réfectoire du centre de vacances Chadenas le petit ramequin de pâtes préparé pour le sommet de l’Izoard et avaler lentement mon Gatosport.
L’aire de départ respire le calme et la concentration. Les mines sont fermées et les quelques sourires sentent un peu le moisi ! Il fait nuit noire, même si tout au fond, à l’autre extrémité du lac, le ciel semble moins sombre. Les réverbères diffusent une lumière pâlotte, inquiétante, qui sied aux circonstances. Je retrouve Jean-Loup puis Jean-Fa et JC pour de brèves accolades. L’heure n’est pas aux effusions. J’ai une pensée pour Didier et Robert qui auraient dû être avec nous. Fait chier quand même ! Mais bon, c’est aussi ça la course, être là le jour J ; c’est moins facile qu’on ne le croit. Je dépose mon sac ravito{4} que je récupérerai là-haut à l’Izoard et dans lequel j’ai glissé deux grands bidons pleins de boisson énergétique, 200 g de pâtes assaisonnées d’une cuillère d’huile d’olive et quelques friandises pas choisies pour leur goût. Mon intestin, bon prince, me pousse aux toilettes et choisit de se vider. De l’avantage d’être émotif… Un souci de moins pour la course ! Il fait un peu frais, mais nous savons que la journée sera chaude, 28 degrés à l’ombre prévus l’après-midi. En attendant, il n’est pas désagréable d’enfiler la combinaison. La température de l’eau est annoncée à 21,4 degrés, parfaite. Nous sommes 1 430 partants ; ça va swinguer sur