Journal d'une apprentie motarde: Repousser ses limites à 54 ans
Par Francine Gaulin
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À propos de ce livre électronique
à piloter son propre bolide ! Ce récit relate les démarches entreprises par Francine Gaulin,
une apprentie motarde cinquantenaire résolue à maîtriser ce véhicule à deux roues qui fait légende, quoi qu’en pensent les autres. Chaque étape de son parcours contribue à la naissance chez elle d’une véritable passion, laquelle devient une thérapie salvatrice quand arrivent les coups durs.
Attention : vous trouverez dans ce livre des motos qui tombent, des pneus crevés et des averses affrontées sans imperméable. Vous y découvrirez également des paysages bucoliques, des
milliers de kilomètres sillonnés avec le sourire fendu jusqu’aux oreilles et le plaisir contagieux de réaliser un rêve… peu importe son âge !
Francine Gaulin
Motarde indomptable et avide de sensations fortes, Francine Gaulin nous invite à partir à l’aventure le coeur léger, puis à nous laisser porter par le souffle enivrant de la liberté.
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Aperçu du livre
Journal d'une apprentie motarde - Francine Gaulin
À François, mon complice dans la vie,
qui tout au long de cette expérience
m’a guidée, soutenue… et soignée.
Une année improbable
Août 2020. Ma main droite tourne la poignée d’accélération et je sens la moto se cabrer sous la poussée du moteur. Aucune voiture ne peut procurer une telle sensation de puissance brute. C’est comme si mon corps était greffé directement sur le moteur de ma bécane. Nous deux, c’est fusionnel.
Je file entre les rangées de sapins, matérialisant un tout nouveau rêve : celui de monter en Abitibi à moto. Retour aux sources de la rebelle, à cheval sur son fougueux destrier. J’ai quitté ma terre natale pour aller étudier la guitare à Montréal et je reviens aujourd’hui, la tête remplie de musique, et surtout de mots à écrire. Car j’ai rangé mon instrument dans son étui, mais pas trop loin, pour me lancer dans des études en communication, prenant un embranchement vers la scénarisation. On a le droit de changer d’idée en cours de route. Ça pimente le voyage. Et puis, on n’a qu’une vie à vivre.
Abitibi, me voilà ! Mais d’abord, je dois affronter les deux cents kilomètres de route de la réserve faunique La Vérendrye. Des motards de Rouyn-Noranda l’ont baptisée la Bête noire, pour lancer un défi à leurs comparses : « Venez dompter la bête, si vous osez ! » Ils souhaitent la faire entrer dans le circuit des routes exceptionnelles à faire à moto – comme la Cabot Trail en Nouvelle-Écosse ou la Tail of the Dragon en Caroline du Nord (États-Unis). Plusieurs motards d’autres régions redoutent la Bête noire, probablement en raison de la sensation d’isolement qui les étreint insidieusement, en l’absence de toute civilisation. Faudrait pas tomber en panne ici ! Pour moi, le pire, ce sont plutôt les fous du volant qui forcent le passage n’importe où, lignes doubles incluses. Le danger peut aussi venir des animaux qui traversent le chemin sans crier gare. Mais la fierté de l’avoir matée, en saisissant au passage la beauté sauvage des paysages, la majesté des lacs qui entourent parfois la route des deux côtés, justifie l’épreuve.
Bon sang ! La musique qui joue dans ma tête pour m’accompagner dans mes virées sur deux roues est parfois si ridicule. Mais ça, je ne le choisis pas. Même pas de contrôle là-dessus dans mon propre scénario.
Scène d’extérieur, le soir. La motarde file sur une petite route déserte dans le soleil couchant sur les dernières notes de… Yogi l’ours ! Avouez que ça mine l’ambiance ! Rien n’est moins romantique que le refrain de Yogi l’ours quand on roule sous un splendide couvert d’arbres. Musique improbable pour aller avec « une année improbable ». Voilà un titre qui aurait très bien pu apparaître en couverture de ce livre. Car rien dans ma vie ne laissait présager tout ceci : pas d’antécédents familiaux, pas de rêve inassouvi de piloter une moto, pas d’attirance particulière pour la bête, jusqu’à ce que…
La liberté sur deux roues
Le premier achat important de ma vie fut un vélo CCM Targa 10 vitesses bleu ciel. J’avais douze ans et une grande soif d’indépendance. Je me souviendrai à jamais de ce jour béni où je suis allée chez Canadian Tire avec mon père pour le choisir. On aurait dit que la monture n’attendait que moi, sagement alignée avec ses congénères, rutilant de mille feux avec sa peinture lustrée et ses jantes chromées.
Comme je viens du fond d’un rang en Abitibi, ce vélo représente pour moi la liberté suprême, la possibilité d’aller plus vite, plus loin, de découvrir d’autres horizons. Rien de plus grisant que de sentir le souffle du vent caresser mon visage tandis que je dévale les nombreuses pentes semées le long de ma route. Oublions vite les pénibles montées escarpées, dont on ne peut venir à bout qu’en s’échinant, debout sur les pédales. Ne surtout pas mettre les pieds par terre. Par défi. Mais la récompense vaut l’effort, alors que je pédale à toute vitesse dans la descente pour prendre l’élan nécessaire afin d’affronter la prochaine épreuve. Comme tous les p’tits culs de cette époque, je n’ai même pas de casque, de gants ou de short en lycra rembourré pour amortir les chocs. On est fait tough !
Il n’y a pas une journée ensoleillée où je ne vais pas faire un tour. Mes minces pneus de vélo de route s’enfoncent dans la garnotte lorsque je dois m’écarter des roulières pour laisser passer une voiture. Chaque fois, je maudis les véhicules d’avoir coupé mon élan, de m’enfumer ensuite dans un nuage de poussière. Je rêve d’asphalte lisse en tentant d’éviter les trous creusés par la dernière averse. Mais peu importe, ma bicyclette et moi sommes prêtes à tout affronter ensemble.
Quantité de saisons de vélo plus tard, voilà que mon chum François m’invite à monter sur la selle passager de sa nouvelle moto BMW R1200 RT. Une énorme bête gris-bleu éléphant, prête à partir en safari, avec ses trois valises pouvant contenir toute l’excitation liée à l’aventure. Comment fait-il pour piloter un tel engin ? Ça représente une masse d’environ deux cent soixante kilos, plus le poids de nos deux corps, à faire tenir en équilibre sur deux roues !
Pour François, qui est né à Marseille et a grandi en Corse, la moto est une seconde nature. Son père lui a mis sa première bécane entre les mains à seize ans, heureux de lui offrir une façon d’aller où bon lui semble. En France, c’est d’abord un moyen de locomotion qu’on peut emprunter à l’année. Ici, c’est un loisir passablement luxueux pour le peu de mois où elle est utilisable. Mais quand on aime, on ne compte ni ses sous ni son temps.
Honnêtement, au départ, j’ai accepté d’entrer dans l’univers de François pour lui faire plaisir. Pour essayer de comprendre ce qu’il ressent quand il enfourche sa monture. Je n’ai pas été déçue du voyage !
Initiation à la moto 101
Bien calée sur la moto de François, la première sensation qui me frappe de plein fouet est une symphonie d’odeurs filtrant à travers les trous d’aération de mon casque. C’est comme si mon nez venait de retrouver sa fonction de reconnaissance olfactive. Il y a combien de temps que je n’ai pas pris ainsi de grandes inspirations, peut-être inconsciemment appliquée à bloquer la pollution atmosphérique ? Les odeurs me parviennent sans filtre, les unes après les autres, à mesure que nous avançons sur le chemin. Il y a autant de nuances dans cette palette olfactive que dans le tableau panoramique qui s’étale devant mes yeux. J’en prends plein mes sens. L’univers qui m’entoure m’apparaît magnifié.
Je danse un étrange tango avec mon partenaire au fil des courbes sur la route. C’est à la fois enivrant et terrifiant. Je me sens si fragile, à la merci des éléments, d’une erreur de jugement, d’un imprévu sur le parcours. Je n’ai plus le contrôle sur rien du tout, je suis devenue spectatrice de ma vie. Mais me prenant au jeu, j’enserre un peu plus fort la taille de mon chum en signe de gratitude. Nous n’avons jamais été si près l’un de l’autre, si unis dans nos destinées. À la vie, à la mort. En dehors de cet instant, il n’y a plus rien qui ait une quelconque importance. Allons découvrir le monde, allons explorer tous ces chemins auxquels hier encore je ne portais même pas attention.
En fait, notre première sortie à moto ne nous mène pas bien loin. Direction Val-David, qui étale ses ambitions de villégiature à quarante minutes de notre maison. Il doit faire un bon 29 °C bien senti et je crois que la selle chauffante est branchée ! Je sue comme dans un sauna, saucissonnée dans le blouson d’automne doublé et sans prise d’aération que François m’a prêté. Mais je n’ai pas du tout envie de me plaindre, trop contente de partager ce moment avec mon chum. François préfère qu’on voie si j’aime vraiment ça avant d’investir dans un bon blouson de moto. C’est logique.
À Sainte-Adèle, n’en pouvant plus, je tape sur l’épaule de mon compagnon pour lui transmettre mon impression d’être suffisamment bien cuite pour la dégustation.
— François, arrête-toi. J’pense que c’est pas normal, le siège est vraiment chaud !
— Hum… On dirait que la selle chauffante est activée. J’ai le contrôle seulement sur le siège du conducteur.
Le bougre a vu sur ses cadrans que le chauffage de la selle est en fonction et que cela risque éventuellement de m’incommoder, mais il a passé outre l’information en l’absence de remarques de ma part. Il s’arrête enfin et démonte le siège, prêt à débrancher les fils s’il le faut. Mais il n’aura pas besoin d’aller jusque-là, puisque, ce faisant, je repère le fameux bouton de contrôle.
— Dire que ceux qui m’ont vendu la moto ignoraient où il était. Grâce à toi, maintenant, je le sais !
— Eh ben ! C’est l’fun de le savoir ! Ça prouve qu’il n’est pas tellement accessible. Il me semble que les ingénieurs auraient pu faire mieux !
Il faut passer la main sous la cuisse droite, un peu loin devant. C’est déstabilisant et difficile à trouver. Ils auraient pu le mettre juste sous la selle près des fesses, par exemple. On ne veut pas être trop gentil avec les « back seats ». Il ne faudrait pas trop que les filles s’incrustent ! Parce que moto est synonyme de liberté, hein, les gars ?
Mais non, François n’est pas comme ça. Il a vite pris goût à nos balades à deux.
Il y a eu d’autres sorties, chaque fois un peu plus longues, la plupart du temps planifiées par moi : à Montebello, à Saint-Donat, à Berthierville, etc. À moto, tout semble différent, même les chemins connus retrouvent de l’intérêt. On ressent intensément notre environnement.
Je m’applique en tant que passagère, afin de ne pas nuire à mon pilote de chum. J’ai tout de suite compris comment monter en selle en transposant mon poids vers le centre de l’engin, pour ne pas trop déséquilibrer la moto. Et je sais qu’il ne faut pas lutter contre les mouvements du pilote dans les courbes. Mais j’ignore encore que lors des freinages un peu brusques, si tu serres bien les jambes autour des hanches de ton partenaire, tu ne t’affales pas sur lui. Alors je m’accroche aux poignées situées de part et d’autre de la selle passager jusqu’à en avoir les jointures blanches.
C’est quand même un peu frustrant de manquer la moitié du spectacle – celui-ci étant caché par le casque de François. Et puis, j’ai l’impression de n’être qu’un poids mort, de n’avoir d’emprise sur rien. De ne pas pouvoir mettre un pied à terre quand c’est tellement beau que ça mériterait une photo. Un gars, ça aime rouler sans s’arrêter, jusqu’à la fin des terres.
C’est donc ça, l’esprit motard
Fin septembre 2018. Du jour au lendemain, on est passés de petites balades de 200 à 300 kilomètres en un week-end à une sortie de 800 kilomètres, direction Lac-Mégantic. Le tout organisé par un groupe de motards possédant la même marque de moto que François. Des passionnés de BMW.
Je me sens encore trop vulnérable sur mon petit bout de selle derrière François pour oser affronter les autoroutes et les ponts de Montréal. Finalement, ça fait aussi l’affaire de François d’emprunter des routes plus tranquilles pour aller rejoindre le groupe à Thetford Mines, la première escale. Les chemins plats traversant Lanaudière aboutissent de l’autre côté du fleuve et de l’autoroute 20 sur une route lisse, neuve et délicieusement vallonnée. Des géants blancs nous accueillent avec majesté. Nous apercevons les éoliennes de loin, leurs pales tournant lentement au gré du vent. Elles nous attirent, plantées dans un tableau de verdure grandiose. De près, c’est encore plus impressionnant : Don Quichotte n’aurait jamais été de taille.
Après quelques heures à chevaucher notre monture de métal, nous arrivons enfin à destination. Ça va être bien de pouvoir me délier les jambes. Sur la moto, j’essaye de bouger le moins possible, afin de ne pas déranger François.
On a rendez-vous avec le groupe au musée Minéro, pour une visite culturelle. Il ne m’était jamais venu à l’idée que les motards faisaient ce genre de sorties. Plus tard dans la journée, il y a même un arrêt à la Maison du granit, à Lac-Drolet, pour visiter le Centre d’interprétation de l’histoire et de l’industrie. Ce dernier est juché sur un promontoire offrant une superbe vue sur la chaîne de montagnes des Appalaches. Tout compte fait, les motocyclistes, avec leur tendance à avoir la bougeotte, sont peut-être ceux qui font le plus rouler l’économie régionale. Ils ont l’air de planifier leurs déplacements avec un guide touristique autant qu’avec une carte des chemins les plus tortueux et les moins fréquentés.
Bon, le groupe n’arrive pas. Qu’est-ce qui se passe ? François tente de joindre Fred, son contact, par téléphone. On apprend qu’un des membres vient de crever son pneu arrière en roulant sur un clou. Heureusement, un des gars a ce qu’il faut pour lui venir en aide : outils, rustine, colle, même un petit compresseur pour regonfler le pneu. Alors, les plus débrouillards et compétents s’affairent à réparer l’accroc. Tous les autres demeurent sur place jusqu’à ce que l’infortuné et sa passagère soient en mesure de repartir sur de bonnes bases. Cet élan de solidarité m’émeut.
Les aiguilles de ma montre continuent leur chemin autour du cadran alors que celles du compteur de vitesse de nos motos sont désespérément immobiles. Nous poireautons dans le stationnement, ne sachant pas trop quoi faire. Finalement, Fred nous informe qu’ils ont décidé de se rendre directement au restaurant pour dîner. Nous allons donc les attendre là-bas.
On fait préparer une longue tablée. Je me sens fébrile comme si on recevait de la grande visite à la maison. Lorsqu’on aperçoit les premières motos par la baie vitrée du restaurant, mon cœur bondit d’excitation. Nous