Les légendes terrifiantes d'ici - La croix maudite de Causapscal

Par Dominic Bellavance

La croix maudite de Causapscal est assoiffée. Elle demande des offrandes de sang. Des sacrifices. En échange, elle réalise les vœux les plus fous. Au terme d’un long voyage en voiture, Jude et ses « amis » se rendent devant ce singulier monument. Au terme d’un long voyage en voiture, Jude et ses « amis » se rendent devant ce singulier monument. Les vœux sont énoncés. Le sang coule. Comme prévu. Les vœux sont énoncés. Le sang coule. Comme prévu. Et Jude tombe raide mort. Et Jude tombe raide mort. Son histoire ne fait que commencer. Son histoire ne fait que commencer.

• Langue: Français
• Éditeur: Éditions Scarab
• Date de sortie: 25 mars 2025
• ISBN: 9782898620638

Dominic Bellavance

Dominic Bellavance est bachelier multidisciplinaire en création littéraire, en littérature québécoise et en rédaction professionnelle. Il est lauréat d’un prix Aurora Awards et a été finaliste aux Prix littéraires Bibliothèques de Québec — SILQ.

Aperçu du livre

CHAPITRE 1

18 août

La chanson Miles On It de Marshmello & Kate Brown me défonce les tympans : les haut-parleurs se trouvent à deux doigts de mes oreilles, derrière les dossiers de la banquette arrière. Le rythme des basses me masse le cou. Je demanderais bien à Samuel de baisser le volume, mais je n’ai pas envie qu’on me colle l’étiquette de « casseux de party » sur le front.

Je dois me surveiller. L’erreur n’est pas permise. Pour une fois, je me retrouve avec la bonne gang… Celle des populaires. J’ai travaillé dur pour en arriver là.

La musique est forte ? Je dois tripper comme les autres – pas de demi-mesure. Bouger la tête sur le rythme, mimer le refrain avec mes lèvres, en faisant semblant que je connais les paroles par cœur.

Avec le temps, ça va devenir naturel.

J’espère.

Les fabuleux paysages de la vallée de la Matapédia défilent par les fenêtres, sous le couvert de la nuit. La route est perchée en haut des falaises qui longent la grande rivière. Un faux mouvement du volant, et nous plongerions vers notre mort.

Déjà quatre heures que nous roulons. Nous devrions arriver à Causapscal dans environ 15 minutes, d’après le GPS… La fameuse croix maudite nous attend là-bas.

Occupant le siège du conducteur, Samuel respecte consciencieusement les limites de vitesse. S’il devait faire une seule égratignure sur la BMW flambant neuve de son père, on le retrouverait crucifié le lendemain sur la devanture de son domaine.

Marilie, assise à côté de moi sur la banquette arrière, écarte ses cheveux dorés derrière son oreille.

— Peux-tu baisser le son, Sam ? On s’entend pu penser.

C’est Adam qui adoucit le volume, à partir du siège passager.

— Moi aussi j’trouve que c’est de la marde, ta playlist.

— Ta gueule, Adam, rétorque Samuel. Tu préfères qu’on mette quoi ?

— N’importe quoi, dude. Tate McRae, Sabrina Carpenter, Dua Lipa. Tout sauf du country.

— Toi pis ta musique de filles.

Marilie ajoute sa voix au débat :

— T’as quoi contre la musique de filles, Samuel Clément ?

— C’est beau, c’est beau…

Adam connecte son propre cellulaire sur la radio de la BMW. Ce gars-là est bâti comme un culturiste, a une mâchoire sculptée et laisse souvent glisser des commentaires machos hors de ses lèvres. Moi aussi, je trouve ça étrange qu’il préfère la pop féminine.

Il choisit Espresso de Sabrina Carpenter, et baisse le volume juste assez pour qu’on puisse s’entendre parler.

Marilie m’offre un drôle de sourire.

— Toi, Jude, t’as dit tantôt que t’étais lifeguard à la piscine municipale, c’est ça ?

Sa question m’envoie une décharge électrique à travers le corps. C’est plutôt banal comme entrée de jeu. Seulement… ça m’étonne qu’elle s’intéresse à mes occupations, moi qui suis le « nouveau » du groupe. Samuel, Adam et Marilie se fréquentent depuis belle lurette, et pour cette raison, on m’a à peine adressé la parole depuis notre départ de Québec. J’ai presque joué le rôle d’un fantôme.

— Ouais, c’est ma job d’été. Je travaille au parc Notre-Dame-de…

— Fais-tu ça pour regarder les bikinis des filles ?

Adam répond à ma place :

— Évidemment, pourquoi il ferait cette job-là sinon ?

— Je t’ai pas parlé, Adam. Faque, Jude ?

Cette question sent le piège à plein nez. Bien sûr que j’observe parfois les bikinis des filles. Je suis hétéro, c’est normal d’avoir le regard attiré par le sexe opposé, mais est-ce que ça fait de moi un pervers ? Je ne vais pas à la piscine uniquement pour ça. C’est mon emploi d’été. Emploi qui rapporte assez bien, d’ailleurs, comme c’est au niveau municipal.

Par contre, c’est possible que Marilie ne voie pas la chose du même œil.

Dans ce cas, j’y vais pour l’honnêteté ou j’essaie de trouver une réponse qui va préserver mon honneur ?

Ceux qui m’accompagnent dans cette voiture sont des alphas à l’école. Ils disent ce qu’ils pensent, tout le temps. La confiance rayonne de leur être.

— À travers les gamins qui courent partout, le monde qui se pousse, ceux qui savent pas nager… Ça laisse peu de temps pour le reste.

— Donc tu les regardes. Un peu, quand même.

— C’est surtout des mères et des bébés qui vont là-bas.

— Des bébés ! Ouache ! T’es ben perv.

Elle voulait seulement en arriver à cette conclusion, peu importe le chemin employé. Ça me décourage un tantinet sur sa personne.

— Penses-tu continuer la même job après l’école ? dit-elle plus sérieusement, cette fois sans son air malicieux.

— Voyons, Marilie ! Pourquoi tu lui demandes ça ? intervient Adam, qui secoue sa pompe d’asthme pour s’envoyer une dose de bronchodilatateur dans les poumons.

— Je… Je veux juste savoir. C’est tout. T’as un problème avec ça ?

Bizarre que cette question cause un débat. Elle était pourtant beaucoup moins intrusive que la précédente.

— Je vais probablement faire un DEP en machinerie lourde. Y’a beaucoup d’emplois sur les chantiers de construction, et ça paye bien.

— Ah ouin ? s’étonne Marilie.

Je m’attendais à cette réaction. Ces trois-là sont dans le programme d’éducation internationale de Rochebelle, notre école secondaire. Ça réunit uniquement la crème de la crème. Personne inscrit là-dedans ne va finir avec un travail manuel dans une usine.

— Toi, Marilie ?

— Je vais m’arranger pour devenir avocate. Pour mettre les perv comme toi derrière les barreaux.

Je renvoie ma question au chauffeur :

— Samuel, as-tu toujours l’intention de reprendre la business de ton père ?

Des trois, Samuel est celui que je connais le plus. Nous jouons dans la même équipe de basketball à l’école. C’est d’ailleurs lui qui m’a incité à accompagner le trio vers la croix maudite de Causapscal.

— Ouin. Si la compagnie existe encore.

— T’as des doutes ?

— Disons… que la compétition est forte dans le domaine pharmaceutique.

Marilie se mord la lèvre et baisse le regard.

— Adam, tu prévois faire quoi, de ton côté ? que je continue.

Le grand costaud reste immobile. Je sens un profond malaise se répandre dans l’habitacle, comme si je venais de lui demander s’il embrassait sa sœur sur la bouche, et que c’était secrètement le cas.

Peut-être que ses résultats scolaires le destineront à un travail moins prestigieux qu’anticipé.