Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

À la poursuite d'une sirène
À la poursuite d'une sirène
À la poursuite d'une sirène
Livre électronique112 pages1 heure

À la poursuite d'une sirène

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Enamouré d’une sirène croisée dans une piscine à Paris, Pierre se lance à sa recherche. Un motard au casque d’argent, accompagné d’un prêtre habillé d’une soutane en peau de caméléon, l’escorteront dans sa quête.
C’est à bord d’une bouteille de champagne propulsée par son bouchon, qu’ils traverseront la République Orientale de l’Uruguay. En même temps que ses origines, Pierre connaîtra les derniers indiens charrúas.

LangueFrançais
Date de sortie15 déc. 2020
ISBN9781005897772
À la poursuite d'une sirène
Auteur

Vince del Plata

Rêveur au long cours.

En savoir plus sur Vince Del Plata

Auteurs associés

Lié à À la poursuite d'une sirène

Livres électroniques liés

Fiction d'action et d'aventure pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur À la poursuite d'une sirène

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    À la poursuite d'une sirène - Vince del Plata

    — Bonjour patron !

    — Bonjour Pierre ! Combien ?

    — Six vers.

    — Et cinq verres pour ta peine !

    Sous le regard complice des habitués, Ingrid me servit un premier ballon aussi rempli que son corsage. Son mari déplia ma lettre de change :

    De vers en pieds

    En verres à pied

    Je marche, saute, cours

    Pense à rebours

    Au rab qui me reste

    J’ai l’crabe !

    André arrêta sa lecture avant le point d’exclamation qui ponctuait le dernier vers. Ses traits se décomposèrent.

    — T’as l’crabe et t’as pas trente ans ! Attends un peu Pierre ! Faut qu’on reste entre nous ! s’emporta-t-il.

    Si les fidèles s’éclipsèrent sans attendre, deux inconnus restaient attablés. André quitta le comptoir comme un capitaine quitte son navire, en laissant son ombre, l’odeur de sa pipe et le timbre de ses gueulantes. Ses mains se posèrent sur la table encore occupée. Il leur parla peu mais les raccompagna de façon pressante. Sa prestance nous ramena l’intimité d’une famille.

    — Ce soir, tu couches avec Ingrid ! déclara-t-il en regardant brièvement sa femme.

    Intriguée par un mot aux sonorités désaccordées, elle ignora cette inconvenance pour demander avec son accent slave teinté d’innocence :

    — C’est quoi l’crabe ?

    — L’crabe, reprit son époux en hésitant, c’est…

    — Comme le cafard ? proposa-t-elle.

    La naïveté de ma promise me rendait la légèreté d’hier, cette faculté merveilleuse avec laquelle j’avais traversé l’existence. André me laissait répondre ; il caressait l’espoir de s’être trompé, de découvrir un nouveau sens à ce mot, dont il est difficile de savoir, s’il qualifie un décapode, un crustacé, ou un signe zodiacal.

    À cet instant, il ne parvenait pas à chasser de son esprit, la vision effrayante d’un crabe verdâtre empêtré dans les entrailles d’un cheval mort. Le tourment qui l’affectait le magnifiait. Les boucles grises qui ceignaient son front d’une couronne d’argent lui faisaient une belle tête de César. Et pas marquée pour un rien ! Malgré son physique de boxeur à la retraite, il avait donné plus qu’il avait reçu ! Mais là, il était sans force. Je lui devais de répondre.

    — Exactement Ingrid ! Comme le cafard, oui c’est bien ça…

    Le visage d’André se détendit. Ses yeux devinrent complices, il s’approcha pour m’entourer de son bras démesuré.

    — Dix ans de Gare du Nord et dix ans de Pigalle, on me la fait pas à moi, mais toi mon Pierrot ! T’es pas tout le monde, t’es…, t’es toi quoi…un fils !

    En même temps que Dédé renouvelait ma consommation, Ingrid s’approcha de lui comme une chatte prête à se lover sur les genoux de son maître.

    — Didou, tu ne me demandes pas de… enfin…

    — Et pourquoi pas ?

    — Je suis ta femme et Pierre presque un fils, un fils ne couche pas avec sa mère !

    — Moi si ! lâcha l’homme en haussant une épaule. Elle avait plus de vigueur que l’vieux, c’est tout !

    Il en connaissait assez sur les méandres de l’âme humaine pour ne jamais devoir s’expliquer. L’ambiance, cette odeur palpable qui naît de l’excitation, était devenue âcre. André descendit à la cave comme un horloger remonte ses poids : nous aurions soif jusqu’à l’aube et au-delà.

    Nuit blanche où rien ne s’écrit.

    L’heure est devenue une chimère. Sur mes lèvres, le fard d’autres. Des expirations d’Ingrid, monte une vapeur de pur alcool que j’aimerais boire. J’en envie l’éther des salles de soins, mais aussitôt :

    Pense à rebours

    au rab qui me reste

    Les yeux fixes dans la pénombre, j’hésite à concevoir la menace qui se nourrit de mon futur.

    Trop las pour me lever, je renvide mes projets d’avenir autour d’un quotidien maintenant périmé, et sombre peu à peu, dans une eau saumâtre sur laquelle flotte une feuille pourrie, refuge d’un ignoble cafard. De ses longues mains blanches aux doigts de fée, Ingrid l’attache par une patte à la bobine de mes rêves. Elle lui coupe la retraite et le décapite. Mortellement blessé, l’insecte se traîne puis s’envole.

    Désormais, c’est lui qui déroule le fil de mon histoire, sans queue ni tête.

    Le bruissement osseux de ses ailes caparaçonnées me poursuit jusqu’à mon réveil. Les yeux ouverts, je le confonds un instant avec le froissement d’un journal posé sur la descente de lit. Ingrid me tourne le dos. Je me lève sans appréhender la gêne que nous laisse cette relation équivoque.

    Dans la glace de la salle de bain, mon visage n’accuse aucune ride. Presque imberbe, je me rase en un passage de lame. Les boucles de mes cheveux coupés courts se lissent à l’eau. Je regrette celles, beaucoup plus longues, que je n’aurai plus. Comment peut-on être malade sans le paraître ?

    Je laisse Ingrid à son silence. Sa main a feuilleté un magazine jusqu’à s’arrêter sur l’horoscope.

    Neuf heures, un dimanche. Rues désertes. Paris dort encore. Je multiplie cette matinée perdue par le nombre d’habitants : un million de jours, deux mille sept-cents ans. Faut-il se croire éternel pour laisser ainsi filer le temps ?

    Piscine des Halles ouverte. J’enchaîne les longueurs. Crawl avec palmes, allonge au maximum, le tranchant des mains écarte l’onde sans la blesser. Cinq cents mètres puis mille, allure grisante dans la contemplation du fond qui défile. Un murmure d’eau égrène ma poésie. Au dernier vers :

    J’ai l’crabe ! j’accélère pour lui échapper. Aux quinze-cents, mon cœur cogne. Ma respiration double pour atteindre les deux mille. Dernière longueur. Début de crampe : les passements de bras comblent le déficit de mes jambes.

    Plusieurs minutes dispensent l’échauffement provoqué par un arrêt brutal. Le souffle encore à la peine, un picotement au cou me fait tourner la tête.

    De ses grands yeux en amande surlignés de khôl, une sirène à demi émergée me caresse du regard. D’une ondulation, elle se glisse à mon côté. Ses mains palmées estiment mes aisselles dépourvues de pilosité. Ses lèvres s’approchent. Cent mille volts me traversent. Elle serre hâtivement ma poitrine puis glisse entre mes jambes, aspirée vers le fond. Un tourbillon se forme. Il s’éloigne et disparaît. Je renonce à le poursuivre mais garde entre les doigts un éclair solidifié.

    Ce morceau de foudre me fait une dague luminescente. Je peux la passer d’une main à l’autre mais impossible de m’en séparer. Tout ce que touche la pointe, hormis la peau, est immédiatement consumé. Je perds ainsi une manche de chemise, égalise la seconde, et trouve la solution pratique de tenir l’éclair par son extrémité.

    Dans le métro, un enfant s’émerveille :

    — Du tonnerre ton épée ! Tu l’as achetée où ?

    Je n’ai pas le temps de répondre que mon portable vibre : Dédé s’affiche sur l’écran. La transmission est mauvaise, une détonation puis plus rien. Je rappelle sans résultat.

    Coup d’œil aux correspondances. Descendre et courir. Changer de ligne. Escalier quatre à quatre. Métro à quai. En vol, lorsque la sonnerie d’alarme s’éteint avec la fermeture des portes du wagon, je sauve mon sac d’un mouvement sec et poursuis mon chemin dans le sens de la marche.

    J’atteins la tête du train avant son arrêt, saute sur le quai, glisse dans le couloir des correspondances, franchis les barrières de contrôle, sors et traverse le boulevard.

    La devanture du café est éclairée, la porte entre ouverte. A l’intérieur, une forte odeur de poudre assèche l’air.

    — Tu arrives après la chasse ! me lance André, d’une banquette sur laquelle il cajole Ingrid. Figure-toi qu’elle est arrivée ce matin en pleurant et en nous traitant de menteurs. La cause à un horoscope qui lui a fait croire que le crabe c’était le cancer. J’ai eu toutes les peines

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1