À propos de ce livre électronique
La Chercheuse de Vie
enquête et aventures préhistoriques sur la trace des momies
Sur le littoral aride et déchiqueté de l'actuel Chili ont été découvertes, prisonnières des sables, les plus vieilles momies du monde. Ces humains préhistoriques, ornés et exceptionnellement préservés, témoignent d'une science sophistiquée qui, étrangement, s'est alliée à une foi profonde en la Pachamama. Pourquoi ? Que s'est-il passé il y a plus de six mille ans pour donner naissance à ce rituel stupéfiant ?
Depuis des lunes, le Village du Rivage est frappé par un mal affreux : des enfants meurent inexplicablement, menaçant la pérennité de la tribu. Malgré les rituels et les prières, les esprits sont en colère et la mort rôde toujours près de la rivière au fond de la vallée. Les cortèges funèbres se succèdent et les petits corps immobiles rejoignent inexorablement les autres Endormis, sous le sable de la dune sacrée des Achachilas.
Mais face à la détresse immense des mères endeuillées, Nayra refuse la situation. La jeune fille ne croit pas aux explications des Anciens et veut chercher à comprendre. À tout prix. Quitte à briser les tabous, à encourir les pires punitions et même la colère de son père, le yatiri. Animée d'un courage inouï, solitaire et déterminée, elle décide de faire parler les dépouilles des enfants, de comprendre les causes de leur décès et d'y chercher la vie.
Comment réagiront les autres villageois face à de tels actes ? Que feront les Anciens face à l'inacceptable vérité ? Pourquoi et comment ces momies ont-elles fait leur apparition dans le long fleuve tumultueux de la Préhistoire ? Plongez avec nous dans la résolution de cette énigme millénaire !
Peuples des Andes
L'Amérique du Sud précolombienne recèle certains des secrets les plus mystérieux de l'humanité. Vaincus puis décimés par la brutalité des envahisseurs à l'occasion de l'un des chocs les plus spectaculaires de l'Histoire – la découverte des Amériques – les Peuples des Andes étaient des civilisations brillantes et abouties. Mais rien ne disparaît complètement en dépit des génocides : ces populations anciennes sont toujours bien vivantes dans les nations d'aujourd'hui et se réinventent, puisant dans leurs racines passées. Car bien avant le débarquement des Conquistadores, le continent fut le théâtre d'autres antagonismes, d'autres puissances dont les artefacts et les ruines témoignent encore de la splendeur.
Telle une cicatrice gigantesque du nord au sud, la fameuse cordillère sépare ce continent en deux, offrant tout au long des hautes montagnes une multitude de mondes où habiter et vivre. Ces nombreux décors forment le cadre impressionnant du cycle « Peuple des Andes » qui pose certaines des questions les plus complexes du continent sud-américain. Fondés sur les découvertes scientifiques, les cultures ancestrales et l'imagination des auteurs, ces livres tentent d'apporter une explication à certaines des interrogations encore irrésolues.
Comment ces peuples ont affronté les défis du climat il y a des milliers d'années ? Quels savoir-faire ont-ils élaboré pour survivre, perpétuer leur culture et étendre leur puissance ? Quels liens ont-ils tissés avec les tribus venues de l'océan ? Quelles leçons pouvons-nous tirer de leur sagesse ancestrale à l'heure de la connectivité instantanée et du changement climatique ? Ces interrogations forment la toile de fond du cycle « Peuples des Andes » qui vous emmènera explorer les richesses incommensurables des Andes préhistoriques.
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Avis sur La Chercheuse de Vie
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Aperçu du livre
La Chercheuse de Vie - C.O. Rebiere
1.
Les longues mains ossues du yatiri* agissaient avec rapidité et précision sur le petit corps sans vie. Tout à coup, comme s’il avait entendu la question silencieuse qui torturait depuis si longtemps l’esprit de sa fille curieuse agenouillée près de lui, Auki s’adressa à elle sans pour autant tourner la tête :
— Tu vois Nayra, il faut masser les bras et les jambes tant que la mort ne rentre pas dans le corps et ne rende pas ce garçonnet immobile comme une branche sèche. Masser vite. Et bien. C’est comme ça qu’il faut faire avec tous ceux que la vie vient de quitter. Il faut les préparer à être recouverts du sable de la vallée pour les aider à continuer leur voyage vers la Pachamama.
Nayra hocha gravement la tête en signe d’assentiment, consciente de partager les secrets millénaires dont son père, le yatiri, était le gardien. Au loin, elle pouvait entendre les lamentations et les cris de la jeune maman, désormais dépossédée de son premier et seul enfant. Elle se concentra à nouveau, oubliant la hutte en adobe, surmontée d’un toit en roseaux, qui les abritait du soleil écrasant de la vallée, ignorant délibérément le bruit des vagues de l’océan qui rugissait à quelques dizaines de mètres de là. Le rite funéraire devait absolument continuer pour ne pas perturber le départ vers l’au-delà et il n’était pas question de poser des questions alors que tout le village attendait dehors.
La jeune fille écarquilla les yeux et se pencha en avant, les bras enlaçant ses jambes, enregistrant dans sa mémoire tout ce qui se passait avec une acuité étonnante. Elle était si proche de l’enfant décédé qu’elle pouvait détailler son petit visage, les ongles encore tachés de terre, les égratignures et les cicatrices sur ses genoux, témoignant de ses chutes et des parties de cache-cache dans les collines et les rochers du littoral accidenté. Mais surtout… ses yeux à jamais fermés. Les membres étaient encore flasques avant que la rigidité cadavérique ne les bloquât définitivement. Nayra inspira avec accablement en pensant au garçonnet inerte. Il ne courrait plus jamais avec les autres enfants du Village du Rivage. Il ne donnerait plus jamais vie aux poupées végétales qu’il aimait habiller et décorer de coquillages en jouant avec les filles ni ne lancerait plus la balle en peau d’otarie remplie de sable qui l’amusait tant. Plus jamais. Un vide se creusa au fond de son être.
C’est affreux, pensa-t-elle. Il était en train de jouer près de la rivière hier encore, avec les autres…
— Donne-moi l’argile maintenant ! lui intima Auki.
Nayra tressaillit, arrachée à ses pensées, et fit pivoter légèrement son corps sans se lever. Elle attrapa un récipient dans un coin puis tendit à son père le bol qui contenait le mélange noirâtre qu’elle avait préparé avec lui avant d’aller chercher la dépouille chez la mère éplorée. Il avait fallu insister, palabrer longtemps pour finalement presque ravir le petit cadavre des bras maternels. La jeune fille observa son père à l’œuvre alors qu’il commençait à pétrir la mixture avec un peu d’eau douce pour la rendre plus molle. La recette était toujours la même depuis la nuit des temps : de l’argile récoltée près du lit de la rivière qui coulait des lointaines montagnes, au levant. Tellement hautes qu’elles touchaient le ciel. La rivière ancestrale qui était censée les protéger, elle et sa tribu, mais qui semblait ne plus vouloir le faire... De l’argile et de la cendre d’un foyer sacré où le yatiri avait fait brûler des graines d’algarrobo*, l’arbre protecteur du Peuple du Rivage. Auki continua à réciter les prières sacrées.
Au bout d’un long moment de malaxage, l’homme saisit le récipient de la main gauche et y plongea la main droite avant de commencer à en badigeonner énergiquement le corps inerte. Comme s’il était totalement indifférent à ce qui lui arrivait, son âme déjà partie par sa bouche entrouverte, celui-ci se mit à gigoter au rythme des frictions, sa peau commençant à se revêtir de la couleur noire caractéristique des Endormis. Sa transformation rituelle commençait. Maintenant que la vie avait quitté ses bras, ses jambes, que sa voix ne sortirait plus d’entre ses petites lèvres bleutées, il allait être couché sous le sable de la colline. Comme les autres. Comme leurs ancêtres à tous. Comme tous ces autres enfants qui étaient partis dernièrement, de façon inexplicable et subite.
Auki se mit à psalmodier un chant, sa voix grave et forte s’élevant pour la première fois hors de la hutte des Endormis. La mélodie était répétitive, les paroles sacrées se mélangeant aux mots de tous les jours dans une mélopée triste. L’entendant enfin, un nouveau cri de douleur résonna au loin. Presque un hurlement de désespoir. La plainte d’une mère dépouillée du fruit de ses entrailles. Dans la hutte près du sage et du cadavre, Nayra dressa l’oreille.
Ataya pleure à nouveau, se désola-t-elle. La pauvre n’arrive toujours pas à accepter la mort de son petit garçon.
Le deuil de cet enfant était terrible, insoutenable. Mais c’était l’occasion pour Nayra d’en apprendre un peu plus sur les circonstances de ce nouveau décès. Le quatrième en quelques semaines ! Très affecté, comme le reste du clan, par cette malédiction terrible qui frappait leurs petits, bouleversé dans ses certitudes, son père n’affichait plus cette sérénité inébranlable qui l’avait caractérisé jusqu’alors. Le yatiri semblait disposé à se laisser aller, à lui parler, à lui permettre de regarder et apprendre son art. En effet, le vieux sage n’avait jamais vu une telle mortalité infantile et sa foi en la Pachamama en était ébranlée. Malgré tout, le rituel se poursuivit avec précision et dextérité.
C’était la première fois qu’elle assistait à la décoration d’un Endormi dont seul le yatiri était témoin. Une opportunité unique d’en savoir plus sur ce qui se passait après le trépas, et peut-être de comprendre. Totalement absorbée par l’observation attentive des mouvements des doigts de son père, Nayra ne pouvait se détacher de la fascination qui prenait soudain possession de son propre corps, de son esprit. C’était comme si la jeune fille, pourtant toujours agenouillée près de son père, le touchant presque, sentant le rythme de sa respiration profonde, de son chant grave et solennel, se détachait de son propre être et venait s’installer en lieu et place de l’homme sage qui préparait le mort pour son dernier départ vers la colline des Endormis.
Je veux comprendre pourquoi ce petit est parti. Pourquoi tous les autres sont morts aussi. Ce n’est pas normal tous ces enfants qui meurent. Je l’apprendrai, je chercherai pourquoi la vie l’a quitté si vite. Je le saurai un beau jour… se jura-t-elle dans le silence de son cœur. Elle se raidit, sentant qu’une nouvelle phase de la cérémonie allait commencer.
Les deux mains du yatiri étaient désormais noires de cendre et d’argile, alors que toute la partie visible du garçonnet était devenue sombre comme la nuit. La prière chantée s’interrompit et l’homme prononça d’une voix presque éteinte :
— Aide-moi à le retourner ! Maintenant, ajouta-t-il un peu plus fort.
Nayra se leva prestement et saisit les épaules du petit cadavre. Se coordonnant d’un seul coup d’œil, Auki et elle retournèrent ensemble la dépouille si légère. Il lui lança rapidement un regard plein de reconnaissance. Sa fille esquissa un bref sourire en essayant de lui insuffler l’énergie qui semblait l’avoir quitté. Après avoir récupéré du mélange dans le fond du bol, le yatiri en badigeonna le dos, les fesses, l’arrière des bras et des jambes puis la plante des pieds, sans pour autant insister sur l’uniformité de la couleur. Cette partie-là du corps était moins importante pour la cérémonie funéraire.
— Très bien, maintenant retournons-le sur la natte !
De nouveau, Nayra exécuta la manœuvre et le minuscule corps ténébreux se retrouva couché sur une pièce de tissu végétal aux motifs colorés représentant des arbres et des poissons. Ces fibres tissées représentaient simplement l’univers où il avait vécu, où il s’était nourri, avait joué et était mort. Brutalement.
Auki se releva.
— Il nous faut finir de le préparer pour l’ensablement, lui annonça-t-il avec un sourire triste.
Sans mot dire, Nayra lut la détresse dans les yeux de son père, malgré ses efforts de la lui dissimuler. Lui aussi voulait comprendre pourquoi la mort venait voler les enfants du Rivage, pourquoi la Pachamama les réclamait près d’elle si tôt. Où était-ce plutôt les ombres et les lézards du fond de la terre ?! La jeune fille sentait que les explications sur les esprits et la malédiction que le yatiri leur avait exposées à tous pendant les veillées n’étaient pas suffisantes. Elle n’avait que douze ans, cependant quelque chose de profond, d’inexprimable s’imposait à elle : elle devait savoir pourquoi ce petit garçon et ses autres amis étaient morts. Elle allait chercher comment faire vaincre la vie. Et rien ne l’arrêterait, pas même les rites immuables des Endormis, encore moins les croyances de sa tribu à elle, le Peuple du Rivage. Rien.
Serrant les poings, elle inspira profondément, se leva et attendit les instructions de son père.
— Maintenant, va chercher Ataya et sa famille ! lâcha le yatiri. Ne te presse surtout pas ! Ils viendront eux-mêmes vers toi. Va ! ajouta-t-il en s’effondrant près du corps immobile.
Nayra sortit de la hutte. Le soleil, déjà haut dans le ciel, lui frappa violemment le visage. Elle plissa les yeux pour s’habituer à la vive lumière qui inondait le Village du Rivage. Entre ses cils, elle distinguait la forme des quelques cabanes de joncs et d’adobe qui abritaient la dizaine de familles constituant sa tribu. Elle inspira et ses poumons se remplirent de l’air sec mais puissamment iodé qui venait de l’océan se trouvant à proximité. L’odeur forte du kelp, révélée par la marée basse, l’invitait presque à aller à la pêche à pied.
Nayra se ressaisit rapidement, se recentrant sur la réalité fatidique de son rôle. Il lui fallait annoncer à la famille endeuillée que le cortège funèbre pouvait se former. Elle avança de quelques pas sur la terre battue et la psalmodie de son père se fit à nouveau entendre dans la hutte qu’elle venait de quitter. Comme si elle était toujours sur place avec lui, elle put facilement visualiser dans son esprit le corps noir du petit Endormi, couché sur la natte colorée, et son père récitant encore les prières appelant les autres Endormis à l’accueillir parmi eux, à le laisser jouer avec les enfants muets qui continueraient d’exister dans l’au-delà et dans le cœur des vivants.
Un nouveau cri féminin déchira le silence. Puis les clameurs et lamentations de la famille s’élevèrent, et avec elles des mots enfin intelligibles.
— Il est prêt ! Le yatiri a fini.
— Nayra est sortie de la hutte des Endormis.
— Allons le chercher !
— Nous pouvons l’emmener aux Achachilas !
Nayra s’arrêta tout près du foyer éteint où avaient brûlé les graines d’algarrobo. Là, elle s’immobilisa et regarda. Il faisait chaud ce jour-là mais elle avait décidé de porter sa plus belle robe en l’honneur du petit mort dont elle était l’amie. Fabriquée en fibres végétales, elle affichait des motifs gais et colorés, embellie de minuscules coquillages qui brillaient de mille couleurs, tranchant avec la tristesse ambiante. En principe, on se réjouissait d’emmener un nouvel Endormi rejoindre les autres couchés sous le sable et il fallait marquer sa joie avec ses vêtements et ses parures. Néanmoins, tous ces enfants décédés récemment constituaient pour la tribu une catastrophe inimaginable. Cette profonde détresse se reflétait dans l’ambiance lugubre qui régnait dans la vallée et sur les habits des villageois.
Un tourbillon de poussière l’entoura lorsque la maman, le père et les membres de la famille proche la rejoignirent en courant avant de la dépasser pour se précipiter dans la hutte du yatiri, sans vraiment respecter la retenue protocolaire qu’il fallait observer en ces tristes circonstances. Elle ferma les yeux pour les protéger, puis se retourna. La famille du petit allait aider à porter le corps inanimé qui se retrouverait en tête du cortège funéraire, juste après son père.
Auki avançait en tête du groupe, la mine grave, se dirigeant d’un pas sûr vers les collines de sable sacrées, les Achachilas. Derrière lui, portant dans ses bras le garçonnet noirci gisant sur la natte végétale, son père s’efforçait de ne pas sangloter malgré les larmes qui lui lézardaient le visage. Juste à côté de lui, Ataya n’arrivait plus à se contenir, pleurant de toutes ses forces. Sa propre mère, encore vivante, peinait à la soutenir. Les trois autres mamans récemment endeuillées étaient, elles aussi, marquées par la souffrance.
Nayra suivait lentement la petite procession, sur le côté, détaillant la scène comme pour la graver dans ses souvenirs. Elle faisait attention où marcher pour ne pas blesser ses pieds nus. Même si elle connaissait tous les sentiers pour les avoir parcourus des milliers de fois, elle n’était pas à l’abri d’une pierre acérée ou d’une branche pointue tombée d’un algarrobo. Des dizaines de ces arbres particulièrement adaptés au climat aride avaient choisi cette vallée sinueuse où serpentait la rivière se frayant son chemin vers le grand océan. Ils fournissaient au Village du Rivage leurs graines nourrissantes qui étaient réduites en poudre pour en cuire des galettes nourrissantes et goûteuses. Le Peuple du Rivage respectait également cet arbre pour l’ombre bienfaisante et porteuse de vie qu’il procurait et pour les propriétés médicinales de la pulpe de ses fruits, mais aussi de sa résine, ses feuilles et son écorce. Tout leur était utile dans cet arbre qu’ils vénéraient, lui vouant un véritable culte.
Le cortège avait quitté le lit de la rivière et montait lentement vers la colline sacrée. Les sanglots avaient diminué en intensité, mais continuaient encore de résonner entre les parois abruptes de l’énorme vallée. Nayra leva la tête et s’arrêta. Elle contempla quelques instants les immenses dessins de pierre que les Ancêtres avaient réalisés sur le flanc de la falaise vertigineuse. Ces Achachilas, les esprits protecteurs du monde des morts – les Endormis – avaient finalement donné leur nom à la colline de sable qui était le lieu de sépulture de ceux du Rivage. Nayra distinguait clairement la Pachamama, la Terre-Mère, mais aussi les esprits du ciel et ceux de la Terre. Un animal géant, une araignée immense, l’esprit créateur lui-même, chacun dirigé vers la direction de son antre symbolisé par un cercle au motif différent, invitaient vivants et morts à les rejoindre. Chaque nouvel Endormi aspirait à s’unir à l’un ou l’autre de ces divers mondes, ayant quitté celui qui flottait entre le Ciel et la Terre. Que choisirait le petit garçon ? se demanda-t-elle un moment, incapable de trouver la réponse.
Émergeant de sa brève méditation, Nayra reprit sa marche vers les Achachilas, à la suite du cortège qui l’avait désormais dépassée. Devant eux s’étalait la Terre des Endormis, un lieu tabou où personne ne devait déranger leur repos, et dont chaque emplacement était signalé par un arbre planté et arrosé le jour de son ensablement. Les feuillages des algarrobos se balançaient lentement au gré de la brise qui avait fait son apparition, rafraîchissant agréablement les corps transpirants à cause de la montée. Les troncs et les branches couvertes de feuilles étaient d’âge et de formes divers, témoignant de l’ancienneté sans âge de ce cimetière préhistorique. Nayra profita de ce zéphyr bienvenu qui apportait un peu de soulagement dans cet événement lugubre. En effet, le vent s’engouffrait régulièrement dans ces canyons escarpés de la côte occidentale de ce grand continent du sud, ajoutant à la rudesse de ce lieu où les humains avaient pourtant élu domicile depuis des millénaires. Nayra se mit à chantonner, accompagnant d’une berceuse l’esprit du garçon qui devait déjà courir parmi les vivants, cherchant à savoir vers quel monde se diriger en tant qu’Endormi.
Enfin, ils arrivèrent à l’endroit où les Endormis reposaient à jamais. Les racines baignant dans une grande écuelle remplie d’eau, le jeune algarrobo qui allait être planté à la tête du jeune Endormi semblait attendre le corps dont il allait se nourrir par les racines pour pousser et grandir, transformant progressivement l’humain en végétal. Les habitants du Rivage savaient bien ce qui allait se passer car on avait déjà retrouvé des ossements pris dans les racines d’arbres tombés à terre. Telles les graines des plantes, les Endormis ensemençaient les arbres sacrés. Rien de plus naturel, de plus immuable.
Une fois arrivée devant la colline des Endormis, Ataya se tut complètement, rendue mutique par la contemplation de la disparition imminente de son petit garçon sous la fine couche jaunâtre. Soutenue par sa mère, elle s’écroula à genoux, se tirant les cheveux de douleur et manquant de se les arracher. Elle refusait encore et toujours l’inévitable, mais la fatigue et le désespoir avaient fait leur œuvre : la pauvre femme n’en pouvait plus. Son mari avait déposé doucement leur fils tout près de l’algarrobo qui attendait d’être planté. Tous s’approchèrent du corps sans vie, le regardèrent avec tendresse et lui parlèrent à tour de rôle comme s’il était encore vivant, lui recommandant de bien faire attention dans l’au-delà qu’il allait choisir, le monde du Ciel ou le monde souterrain. Ils resteraient ici-bas, en continuant de l’honorer et de penser à lui. À chaque fois, ils lui souhaitèrent un sommeil apaisé et lui demandèrent d’apporter leur message d’amour à celles et ceux qui s’étaient endormis avant lui.
Après cela, ils revinrent prendre place non loin de Nayra qui se tenait à distance. Elle aussi s’était adressée à l’Endormi, mais lui avait demandé autre chose dans le secret de sa supplique silencieuse : Permets-moi de comprendre ce qui t’est arrivé, je t’en prie… l’avait-elle imploré. Car elle savait que personne ne pourrait plus le ramener à la vie désormais. Son cadavre noirci renfermait encore le mystère des causes de son décès, elle en était certaine. Mais elle ne pouvait s’opposer au déroulement du rituel, encore moins à la douleur compréhensible de sa famille qui s’exprimait afin de tenter de soulager la souffrance intense causée par cette perte. Certes, les préparatifs funèbres auxquels elle avait assisté pour la première fois avec son père lui avaient beaucoup appris, mais de nombreuses questions restaient sans réponses et la torturaient encore, alors même que le corps qu’elle voulait examiner allait bientôt disparaître définitivement sous le sable. Nayra inspira profondément, très contrariée. Comment allait-elle pouvoir chercher cette vie qui était partie ? Comment investiguer, comment répondre à ses interrogations, comment trouver des réponses ? Comment éviter à d’autres enfants d’être touchés par le même mal et de quitter le monde des vivants trop tôt ? Il lui fallait apprendre
