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Les Fiancés de la Briance
Les Fiancés de la Briance
Les Fiancés de la Briance
Livre électronique398 pages5 heures

Les Fiancés de la Briance

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À propos de ce livre électronique

Limousin, 1958. Marc vient d'entrer à l'école Normale d'Instituteurs, tandis qu'Hélène s'apprête à passer le concours pour le suivre. Enfants du même village et inséparales depuis leur plus jeune âge, ils ne tardent pas à se fiancer.
Mais en Algérie, les conflits sont de plus en plus violents ; et bientôt Marc est mobilisé pour la guerre. Et alors qu'Hélène grimpe les échelons académiques, elle est toujours plus éloignée de son fiancé dont elle ne sait pas si elle le reverra un jour...
« Les Fiancés de la Briance » est une fiction historique étalée sur vingt-sept ans, retraçant le destin d'Hélène, et de Marc, en même temps qu'ils évoluent dans une France en plein bouleversement.
LangueFrançais
ÉditeurSAGA Egmont
Date de sortie30 avr. 2024
ISBN9788727063072
Les Fiancés de la Briance

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    Aperçu du livre

    Les Fiancés de la Briance - Pierre Louty

    Pierre Louty

    Les Fiancés de la Briance

    Saga

    Les Fiancés de la Briance

    Image de couverture : Midjourney

    Copyright ©2022, 2024 Pierre Louty et SAGA Egmont

    Tous droits réservés

    ISBN : 9788727063072

    1ère edition ebook

    Format : EPUB 3.0

    Aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, stockée/archivée dans un système de récupération, ou transmise, sous quelque forme ou par quelque moyen que ce soit, sans l'accord écrit préalable de l'éditeur, ni être autrement diffusée sous une forme de reliure ou de couverture autre que dans laquelle il est publié et sans qu'une condition similaire ne soit imposée à l'acheteur ultérieur.

    www.sagaegmont.com

    Saga est une filiale d'Egmont. Egmont est la plus grande entreprise médiatique du Danemark et appartient exclusivement à la Fondation Egmont, qui fait un don annuel de près de 13,4 millions d'euros aux enfants en difficulté.

    A tous les amoureux de la Nature et de la Paix

    AVERTISSEMENT AU LECTEUR

    Ce roman est de pure imagination. Bien qu’il se déroule dans un cadre naturel réel où certains personnages publics ont bien vécu, tout rapprochement, toute assimilation avec la réalité ne serait que pure interprétation ou simple coïncidence.

    Seule la trame historique, les faits, souvent inspirés de la réalité, sont purement imaginaires.

    L’atmosphère reste cependant bien authentique.

    P - L

    Première partie :

    Une enfant de la guerre....

    27 Janvier 1942 : un hiver redoutable s’est installé en Europe. Les impitoyables divisions du IIIème Reich triomphent partout et écrasent l’indépendance des peuples. Le rêve hitlérien s’accomplit, les blonds guerriers aryens asserviront les inférieurs. La haine devient la morale, la dénonciation des insoumis est une règle. Une formidable bataille embrase l’Orient : des millions de soldats s’affrontent pour s’emparer de Stalingrad. Pour la première fois de leur marche triomphale, les divisions nazies ne peuvent espérer leur campagne-éclair. L’Armée Rouge, forte de ses renforts venus des peuples d’Asie Centrale, se dresse fièrement et se bat avec l’énergie de l’espoir. Ses jeunes chefs militaires, ses commissaires politiques ont su galvaniser leurs hommes. Et le terrible Général Hiver est au rendez-vous de l’Histoire. L’implacable tenaille de l’armée des Soviets se referme sur Von Paulus. Il eut été sage de se replier, de reculer pour se reprendre, mais les ordres du Grand Quartier Général allemand sont formels : tenir !

    C’est une question de jours.... les nazis sont pris et il leur faudra payer le prix fort : la IVème armée allemande est prisonnière et le Monde entier va l’apprendre. Stalingrad redonnera l’espoir perdu. La glorieuse Armée Rouge, fidèle aux idéaux de la Révolution d’Octobre, va stopper net une ambition démesurée : les hitlériens mettront longtemps à se rendre compte de leur échec mais ils ne s’en relèveront pas !....

    Et pourtant, cette bonne nouvelle passa bien inaperçue chez nous : la France subissait une Occupation humiliante et la collaboration était mise en oeuvre par le maréchal Pétain. En Juin 40, nos généraux avaient livré aux Boches la République. Paris, la fière capitale de la Liberté, la ville aux trois couleurs, avait été déclarée ouverte ! Le félon Weygand avait trahi et se vengeait du Front Populaire. Nos malheureux soldats, abandonnés par leurs officiers en fuite, tombaient par milliers dans les griffes de la Wermacht. Les populations fuyaient de partout : des millions d’hommes, de femmes, d’enfants, sur les routes de la débâcle !

    La classe politique française, dans sa grande majorité, capitulait et choisissait les chemins de la honte....

    Et ce fut ainsi qu’un jeune paysan limousin, Lucien Desroches fut capturé, avec cinq ou six compagnons, sur les routes de l’exode, avant d’avoir pu franchir la Loire. C’était le 25 juin 1940.

    Lucien Desroches avait vingt-cinq ans. Incorporé au 126ème R.I. de Brive-La-Gaillarde, le 10 Septembre 1939, il avait quitté la ferme paternelle de la Nadalie pour rejoindre son unité militaire et participer à la drôle de guerre, dans les tourelles de la ligne Maginot.

    Ah ! cette infranchissable ligne de fortifications réputées imprenables.... Elle devait protéger la France contre tout agresseur venu de l’Est et elle y réussit parfaitement : elle resta inviolée.

    Le malheur fut que l’agresseur arriva par le Nord.... et pénétra comme il voulut par la Belgique pour filer vers Paris et prendre à revers les gardiens de l’inutile ligne Maginot. Nos stratèges avaient vu juste : ils avaient berné notre Peuple et livré le pays aux Allemands qui n’eurent plus qu’à cueillir nos malheureux soldats en débandade !

    Lucien Desroches fut de ceux-ci. Désarmé, déboussolé, désemparé, il fut capturé et retenu prisonnier. Quelques jours passèrent et, en Juillet 40, il fut transféré en Allemagne et affecté dans une ferme pour travailler la terre....

    Travailler la terre ? Cela le connaissait : c’était son métier. A 14 ans, dix ans auparavant, il avait quitté l’école communale de Saint-Genest pour la métairie de La Nadalie, exploitée par Firmin, son père, qui avait, lui-même, prit la suite de Gustave Desroches, son grand-père, un ancien soldat de Napoléon III. Gustave ? Il avait lui aussi connu la défaite, en 1870, à Sedan et la captivité durant trois ans. Petit garçon, Lucien, en gardant les vaches avec ce vieux grand-père, avait reçu ses confidences.

    - Tu sais, mon Lucien, je n’ai pas passé que du mauvais temps, en captivité dans la Forêt Noire.... Et j’ai même pris, plusieurs fois, ma revanche sur les fritz.... Il y avait, là-bas, de belles filles blondes et charnelles.... Et nous, les petits prisonniers français, nous les servions" bien..... Elles ne souffrirent pas et on les engrossait, les unes après les autres, à la barbe de leur mari.

    - Et la Mémé le sait cela ?....

    - Non ! Bien sûr... C’était la guerre. Il y a cinquante ans : de l’eau a coulé sous le pont de Tralages..."

    Ce 14 Juillet 40, Lucien se rappelait ces paroles du Pépé prononcées dans le Patureau-Blanchou, à l’ombre des vergnes qui bordaient La Briance. Un vieux soldat allemand venait de le conduire chez Karl Kolh, un paysan de la Forêt Noire. L’homme était âgé d’environ 75 ans. Plus tard, Lucien apprendra que Hans avait combattu à Verdun, en 1916 : soldat de Guillaume II... Pour l’heure, il sut que Joseph, le fils, était engagé dans la IVème armée allemande, celle de Von Paulus qui volait de victoire en victoire, avant de connaître la défaite de Stalingrad où Joseph serait capturé par l’Armée Rouge.... Lucien devait remplacer ce malheureux soldat.

    Dans la ferme de Karl Kolh, vivaient aussi des femmes : la mère âgée et infirme, Birka, la femme de Joseph et sa jeune soeur Polkan.

    Birka et Polkan étaient jeunes et belles. C’étaient des paysannes saines et bien campées. Depuis six mois, elles assumaient tout le travail de la ferme, en l’absence de Joseph, mobilisé. Le vieux Hans les dirigeait. L’arrivée de ce prisonnier français allait les soulager et ce fut ainsi que Lucien fut accueilli avec joie par les deux soeurs.

    Si Hans lui parla sèchement, le doux sourire de Polkan et la bonne soupe aux choux que lui servit copieusement Birka le rassurèrent.

    Et, allez-donc savoir pourquoi Lucien se souvint des confidences de Pépé Gustave ?.... Il n’aurait pas su le définir mais il avait eu un heureux présage en arrivant ici.

    Cependant, Lucien Desroches n’était pas célibataire. En mai 39, il avait convolé en justes noces avec Félicie Pasquet, de Glanges. Félicie avait alors dix-neuf ans et était une très jolie bergère de cette vallée si riante de la Petite Briance. Elle avait plu à Lucien et ils avaient noué affaires...

    La guerre les avait séparés en Septembre 39, et, dès lors, ils n’avaient pu se revoir.

    Bien sûr, Lucien et Félicie avaient éprouvé le coup de foudre l’un pour l’autre et ils avaient pu concrétiser ce bonheur mais le sort les avait éloignés l’un de l’autre....

    Si la guerre ne s’était pas produite, leur vie aurait pu se dérouler comme un long fleuve tranquille. Ici, à La Nadalie, sur la rive droite de la jolie Briance.... Lucien aurait continué à suivre le pas lent et régulier de son attelage de Limousines ; Félicie aurait mené ses brebis laineuses paître l’herbe courte des collines adossées. Et le temps aurait déroulé son fil au rythme du quotidien. Mais il y avait eu ce fou hystérique d’Hitler : le chancelier du IIIème Reich avait déclenché la tourmente qui allait aspirer le Monde dans la diabolique spirale infernale. C’était une machine à broyer les hommes mais il ne faudrait pas surtout croire qu’il n’y eut pas de conséquences pour son peuple. Certes, les grands font ou défont l’Histoire, mais les humbles, les modestes, les anonymes ne peuvent traverser les mailles serrées de son filet, sans s’y frotter....

    Presque douze mois que Lucien n’avait serré contre lui sa tendre Félicie ! Douze mois d’abstinence ! Cela était un peu lourd à porter pour ce solide gaillard qui en était venu à des pratiques un tantinet déviantes pour soulager ses deux roupetoux surchargés. Et cela avait marché, puis, il y avait eu l’attaque des boches, fulgurante et meurtrière. Elle avait coupé à tous bien des fantasmes : ce n’était pas le moment d’y penser....., c’était plutôt la débandade !

    Tout ceci avait été si vite ! Et voici, maintenant, Lucien dépaysé ! Prisonnier certes mais libre d’aller et venir dans cette ferme de Karl Kolh, ici, dans cette bordure de la Forêt Noire, sur la rive droite du Rhin.... Et, en face de lui, deux jolies drôlesses lui souriaient.

    Oui, ici, la guerre semble loin, très loin. Et, pendant que Birka fait rissoler l’omelette aux lardons frais, Polkan pose devant cet étrange prisonnier une chope de bière blonde bien fraîche.

    La vieille mère va sortir une belle assiette en faïence de Munich et l’on verse l’omelette dans celle-ci. Le vieux Karl avait dit à Lucien :

    - Vous ? Manger d’abord, travailler ensuite. Compris ?

    - Ya ! Ya ! "avait répondu Lucien. Et Birka lui avait souri.

    La suite de cette histoire n’a pas besoin d’être racontée.... Le lecteur aura compris. Contentons-nous de la résumer car elle facilitera la compréhension de l’après-guerre et surtout de ce jour de Juin 1945 où Lucien Desroches retrouva la Nadalie....

    ***********************

    Ces années de guerre auront marqué à jamais la vie de l’Humanité. Et, même si la nature aura à peine changé en cinq ans, rien ne sera plus comme avant....La tourmente qui a embrasé notre vieille civilisation européenne aura creusé un fossé d’une profondeur inouïe, à tel point qu’on dira désormais : avant la guerre, .... après la guerre...." Et Lucien aura toutes les peines du monde à comprendre. Ce sera comme s’il était entré dans une profonde nuit de sommeil.

    Oui ! Une nuit véritable.... Et il aura cru rêver car, en posant les pieds sur le quai de la petite gare des Chemins de Fer, à Pierre-Buffière, ce 25 Juin 1945, il n’en croira pas ses yeux....

    Cinq ans se sont écoulés depuis son départ au 126ème R.I. de Brive. Jamais il n’était revenu ici. Et, sur le quai ensoleillé, l’attendaient ses vieux parents, sa tendre épouse et... une petite fille de trois ans ! Lucien croit rêver : il passe sa main sur son visage anxieux.... Il est pris par sa mère qui le serre contre son coeur.

    - Lucien ! Mon fils !... Te voilà ! Oh ! nous avons bien cru ne jamais te revoir... Et voici Hélène ! Ta petite fille....

    Lucien ne comprend pas bien. Hélène ?... Sa fille ?..... Cinq ans qu’il était prisonnier en Allemagne.....Comment ce miracle génétique a t-il pu se produire ?.... Lucien semble étourdi par cette révélation. Il devrait poser des questions mais il s’en est tellement posé à lui-même durant le voyage du retour qu’il n’a plus la force ni la présence d’esprit.....

    C’est que.... Là-bas, en Forêt Noire, il a laissé un beau petit garçon prénommé Erick....Et s’il demandait des comptes à son épouse, ne serait-elle pas en droit d’en exiger de lui ? Cette situation est des plus complexes... Il faudrait des heures et des heures pour y réfléchir et il faut se déterminer en quelques secondes.... Et tout cela à cause de cette maudite guerre ! Hélène ? Erick ?.... tous les deux sont des enfants de la guerre et Lucien est leur père.... Alors, il prend cette petite fille blonde dans ses bras tremblants, il la soulève de terre et la porte à son cou et il la couvre de baisers. Et, là, à trois pas de lui, sa femme, en habits noirs, laisse couler ses larmes. Elle pleure avec une profonde tristesse et lorsqu’il s’approche d’elle pour la consoler, elle murmure :

    - Pardon, Lucien ! Mais ce n’est pas de ma faute....

    Et il n’y comprend plus rien.... Comment pourrait-il d’ailleurs ? Il n’a rien connu de la vie ici durant l’Occupation et la Collaboration. Ce n’est pas ma faute... a dit son épouse et il la croit. Lui non plus ce n’est pas sa faute : ce désir qu’il avait eu de prendre sa revanche sur ces soldats aryens, ce sentiment un peu bestial qui lui avait fait engrosser l’une des filles de la métairie où il était détenu.... Alors, il comprit, mais il croyait savoir et, là, il était à mille lieues de la réalité.

    La réalité ? Il ne l’apprendra d’ailleurs jamais ! Bien sûr, il lui arrivera d’essayer de percer ce mystère, mais il se heurtera au mutisme absolu de ses proches.

    Ce n’est pas ma faute.... : ce sera toujours la seule explication qu’il recevra. Hélène avait trois ans : elle découvrait son père, elle comprenait encore moins que lui cette affaire.

    Ni lui, ni elle ne sauraient jamais !

    Quel événement s’était-il donc produit ce 25 Mai 1941 pour engendrer sa naissance ?

    Cette question ne serait jamais formulée, elle demeurerait donc sans réponse.... La naissance d’Hélène resterait un mystère. Bien plus tard, la petite fille devenue une femme mûre aura envie de le percer et de connaître la vérité. Elle n’y parviendra point. Jamais sa maman n’acceptera de lui confier ce terrible secret. Tout ce qu’elle pourra découvrir se résumera dans ces quelques mots : elle était une enfant de la guerre ! Et lorsqu’elle consultera les registres de l’Etat Civil, elle pourra lire son acte de naissance :

    "Nous, Président de la Délégation Spéciale du gouvernement de Vichy, avons enregistré ce 27 Janvier 1942, à 15 h 41 minutes, la naissance d’Hélène Desroches,

    fille de Félicie Desroches, demeurant à la Nadalie, sur le territoire de notre commune,

    et de : père inconnu...."

    Elle pourra aussi y découvrir, en marge, cette annexe :

    - Le 20 Juillet 1945, Lucien Desroches déclare reconnaître pour sa fille : Hélène, née le 27 Janvier 1942.

    Et ce sera tout, c’est-à-dire : bien peu, mais l’essentiel était corrigé sur le registre. Lucien l’avait reconnue pour sa fille, d’ailleurs, elle s’en souvenait parfaitement : désormais, elle avait un père.....

    *************************

    Juillet 1945 : l’effroyable conflit déclanché par l’hystérie hitlérienne était achevé, mais les pays qui avaient été engagés dans cette titanesque tourmente étaient exsangues. Le Monde, abasourdi, découvrait l’horreur extrême et retenait son souffle.

    Chez nous, en Limousin, les barbares germains, avaient été chassés depuis presque une année, mais les dernières hordes sauvages avaient laissé des marques indélébiles. A Tulle, la riante vallée de la Corrèze avait été le cadre des affreuses pendaisons pour punir une population éprise de Liberté... Oradour-Sur-Glane avait été rayé de la carte : la sinistre Das Reich avait assassiné, brûlé, fusillé une innocente population..... 642 victimes immolées à la gloire du national-socialisme !

    A juste titre, nos populations tremblent encore.... Et il n’y avait pas que les anciens P.G. qui rentraient au pays. On commençait à découvrir une autre horreur. Celle-ci était énorme, incommensurable. L’humanité ne pourrait l’imaginer : il faudrait du temps pour l’accepter, beaucoup de temps.... Et, pourtant, elle était bien là : la Déportation. Et les rescapés des camps de la mort, rentraient aussi. Et la honte s’amplifiait. On aurait bien aimé les oublier, ces revenants de l’au-delà... Ah ! si on avait pu les camoufler... car, voilà, ces squelettes désarticulés, en pyjamas rayés, ces matricules de l’enfer nazi.... ! c’étaient nos frères, nos soeurs.... et qu’avionsnous fait pour les défendre ? Et, parfois-même, n’avions-nous pas un peu aidé les miliciens et la Gestapo à s’emparer de ces malheureux patriotes ?.... Ah ! l’égoïsme humain.... On en venait à penser qu’il eut, peut-être, mieux valu qu’aucun ne revienne des camps.... Et, pourtant, Adrien, Léonard, Thérèse, et Marie..... et bien d’autres encore, débarquaient les yeux hagards et noyés comme dans une rêverie cauchemardesque. Ils étaient-là, ils avaient échappé au four crématoire, aux chambres à gaz.... ils avaient tenu bon à la scientifique usure par les travaux forcés... ils ne comprenaient pas bien encore pourquoi ils avaient survécu....

    Et ceux qui les avaient livrés aux boches se mettaient à frissonner et ces salauds se taisaient....

    Quant aux regards des autres, c’est-à-dire de la grande majorité de la population : ils préféraient se détourner un peu.....

    Enfin, il y avait ceux du Maquis... Lucien n’en avait que très rarement entendu parler durant sa captivité en Forêt Noire. Ce qu’il savait de ces hors-la-loi, c’est qu’ils étaient pour leur plus grand nombre des réfractaires au Service du Travail Obligatoire. En refusant de partir travailler en Allemagne, ces gens de l’ombre avaient empêché la relève et retardé le retour des A.C.P.G...... C’est ce que disait l’Etat Français.

    La réalité était bien différente. Cependant, Lucien n’avait pas bien apprécié ! Et, pourtant, c’étaient eux, les Anciens du Maquis, qui étaient les nouveaux élus de nos villages....

    Telle était donc l’atmosphère de ces mois de l’après-guerre.

    *********************

    Juillet 1945 : la famille Desroches semblait avoir traversé la guerre sans trop d’ennuis : tous ses membres étaient à nouveau réunis sur ces terres du Val de Briance, sur cette belle métairie de la Nadalie... Mieux encore ! Hélène était venue , tel un chaleureux rayon de soleil égayer ce foyer. Et, pourtant.... Rien n’était comme avant. La guerre semblait avoir épargné cet endroit. La ferme et les bâtiments paraissaient intacts ; ce n’était pas comme la Buissonnie sur l’autre rive de la Briance. Là, les nazis étaient passés, pourchassant les maquisards qui les harcelaient sur la R.N.20. Les mitrailleuses hitlériennes avaient crépité dans le ciel bleu de ce matin de Février 44, elles avaient transpercé Jean Dumas, le fils du voisin, qui fagotait paisiblement, à la lisière du taillis des Trois-Pins... Les lance-flammes étaient entrés en action et la grande ferme de la Buissonnie avait été transformée en un amas noirâtre et cendreux. Le père et la mère Dumas avaient été chargés, sans ménagement, dans les camions à la croix gammée..... pour ne jamais revenir de Dachau.... Les boches, dans leur folie meurtrière, avaient poursuivi leur râtissage systématique, dévalant la vaste prade. Ils avaient exploré chaque méandre de la Briance pour tenter de débusquer quelques partisans arc-boutés dans les ronciers. Les chiens hurlants n’avaient rien trouvé... A la Nadalie, les Desroches, traumatisés, s’étaient réfugiés dans l’ancienne carrière des Buiges.... On ne saura jamais pourquoi les soudards vert-de-gris ne franchirent point la Briance, remontèrent jusqu’à Glanges et se dirigèrent vers le pont de Jasse... Là, les F.T.P. de la 3651ème compagnie du lieutenant Navarro les guettaient et les arrosèrent copieusement avant de se débander vers les bois de Magnac-Bourg. Les S.S. furieux payèrent, ici, le prix de leur crime.... mais la belle métairie de La Buissonnie resta sans âme !....

    Lucien était chaviré par ces découvertes successives.

    Prisonnier de guerre, coupé de ce monde, il avait vécu comme dans un cocon et il n’avait pas imaginé, un seul instant, que ses hôtes de la Forêt Noire puissent avoir une armée aussi délictueuse. D’ailleurs il était convaincu que les Allemands, eux-mêmes, ignoraient tout de ces agissements criminels. La guerre paraissait si loin avant qu’elle ne déboulât brusquement sur eux, au début de 1945... Et Lucien n’avait jamais pu appréhender la réalité. Et, voici qu’elle lui tombait dessus, avec une violence inouïe !..... Jusqu’à cette histoire de procréation...... Il en était assommé : il avait éprouvé une grande joie en satisfaisant les drôlesses d’Outre-Rhin et, même, il avait eu ce suprême plaisir de mettre sa petite graine à la française dans le ventre duveteux de l’une d’elles qu’il avait vu s’arrondir au fil des mois avec la satisfaction du devoir accompli..... Prisonnier, Lucien avait eu l’impression de s’évader, de triompher fièrement.... Et voilà que son petit coin à lui n’était pas resté inviolé : la soldatesque ennemie était venue, chez lui et elle avait mordu.....

    Lucien en avait éprouvé un profond dépit : à l’instant où, avec tant d’autres, il avait cru triompher, il se rendait compte que les salauds n’avaient rien épargné. Et ce n’était pas tout.

    En reprenant la marche de la ferme à la Nadalie, il comprit en un instant, qu’il était revenu un quart de siècle en arrière !

    Ici, en Limousin, on moissonnait encore à la petite machine et lorsque son père lui parla d’aller faire les chemins autour du Grand-Champ, il ne put s’empêcher de penser à la motorisation de l’agriculture du IIIème Reich... Là-bas, les grandes moissonneusesbatteuses Klass ronronnaient dans les champs dès 1938.... Ici, la Poupée et la Blonde, deux braves limousines, tiraient, tant bien que mal, la petite machine" et les femmes se brisaient les reins à enlever les javelles...

    Au coeur de cet été brûlant de 1945, Lucien commençait à percevoir les raisons de notre échec de 1939 : le Français était un rêveur ; l’Allemand est un pragmatique.... Les idées généreuses des socialistes du Front-Populaire étaient restées aux oubliettes prussiennes, le national-socialisme d’Outre-Rhin les avait concrétisées outrageusement. Chez nous, et pour long-temps encore, les femmes se tordaient les reins, agenouillées au bord des ruisseaux... en Allemagne, les machines à laver étaient répandues dans les campagnes les plus reculées !

    Et ce n’était qu’un exemple de ce décalage extraordinaire entre deux sociétés.

    Lucien savait que l’Allemagne était écrasée sous un déluge de bombes incendiaires.

    L’ancien IIIème Reich n’était plus qu’un champ de ruines fumantes. La Royal Air Force avait vengé l’affront de 1940 et Churchill avait prouvé à Joseph Staline qu’il était aussi déterminé que L’Armée Rouge.

    Et, pourtant, Lucien ne pouvait s’empêcher de penser et de dire :

    - "Vous verrez, les boches ! Ils se relèveront plus vite que nous....

    En rentrant de captivité, j’ai vu ce qui restait des usines Mercédès....

    Eh ! bien, il y a fort à parier que Mercédès triomphera bientôt aux 24 heures du Mans !"

    Bien sûr, il ne faudrait pas en conclure, trop vite, à la supériorité du national-socialisme.... mais le lecteur pourra ainsi mieux saisir la complexité de la vie sociale de l’immédiat-après-guerre. La supériorité germanique avait été telle qu’elle rayonnait encore dans la défaite. Il n’en restait pas moins que la violence, la haine, et cette détermination barbare à asservir les autres avaient échoué. Les efforts conjugués des forces alliées avaient pris le dessus et l’Allemagne était pour l’heure partagée.

    Alors, Lucien se prenait à espérer. Il affirmait :

    - L’Allemagne paiera.....

    Et son vieux père rétorquait :

    - Je ne crois pas.... Ils sont trop malins... Regarde donc..... En 18... Nous devions bénéficier de milliards de réparations et, finalement, rien n’a été versé. Au contraire... Les industriels allemands étaient les plus forts et ils ont capté les capitaux français. Plutôt Hitler que le Front Populaire !.... Et, ce coup là, ce sera pareil... Plutôt Mercédès que Maurice Thorez ! Tu as raison Lucien : nous serons encore les cocus ! Et pendant que la petite machine" couchait les javelles dorées, à l’ombre encore fraîche du pommier Varnajoux, une petite fille de trois ans jouait avec sa poupée de chiffons....

    Hélène était une enfant de cette guerre dont elle entendait parler et ne pouvait rien y comprendre.

    Pour l’heure, elle s’amusait et elle jasait beau-coup. Elle s’inventait des histoires merveilleuses, des histoires dont toutes les petites filles de son âge ont envie de se délecter. Et, comme pour mieux exprimer ces contes de fées, elle les mimait avec des gestes furtifs et gracieux. Sa mère la surveillait tout en travaillant : la faucille en main droite, Félicie rassemblait les épis dorés de la javelle, les soulevait d’un tour de bras, les déposait à quelques pas et les écartait à nouveau pour que le brûlant soleil fasse son oeuvre. Dans cet incessant mouvement de haut en bas, il lui arrivait de se redresser et tout en frictionnant le bas de son dos meurtri, elle faisait un petit signe de la main à Hélène. La petite fille adorait sa mère et, posant sa menotte rose sur ses lèvres, elle lui adressait mille baisers. Alors, Félicie était comblée, elle pouvait reprendre son labeur si pénible....Cette petite fille aurait pu être, en d’autres circonstances, abandonnée, confiée aux bonnes soeurs de la Charité...

    Elle n’avait point été désirée par un couple uni, elle était venue dans cette tristesse de l’Occupation conçue de façon dramatique et profondément douleureuse. Elle aurait pu être un bébé de la honte....

    Et, comme toujours en pareille circonstance, parce qu’on était tombé au fond de l’abîme, elle fut un rayon de joie. A quel prix ? On ne le saura jamais.... Et, même son père adoptif, Lucien, ne percera point ce mystère. Et la petite Hélène sera si souriante qu’elle désarmera bien des tentatives indécentes à découvrir ce secret.

    Après tout, et dans ces moments exceptionnels, on avait assisté à tant d’événements inconcevables moralement, que l’on pouvait bien admettre la naissance d’une aussi charmante fillette....Pendant ces années de guerre où les femmes avaient dû effectuer tant de choses, seules, Félicie avait bien pu faire un bébé toute seule ! Et, Hélène était une réussite....

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    Février 47 : le terrible hiver s’était abattu sur la campagne limousine. Le vieux dicton : à la chandeleur, le froid fond en douceur ou reprend vigueur se vérifiait une fois encore. Les girouettes s’étaient calées sur le Nord-Est au tout début du premier quartier de la nouvelle lune et elles n’en démordirent point. Une mauvaise bise soufflait dans les airs jour et nuit. Le ciel était bleu et limpide. La journée, le soleil brillait de mille feux mais ne ramollissait guère le sol gelé. Le soir, la lune éclatante prenait sa suite pour se promener sous les scintillantes étoiles. C’était alors que le froid s’intensifiait. Le gel s’enfonçait dans la terre et, cette année-là, bien des serpents furent surpris dans leur engourdissement hivernal. La vallée de la Briance avait pris des allures féériques : le givre avait transformé aulnes et peupliers en un éblouissant rideau de dentelle. Les grandes fougères arborescentes des garennes d’En Chabrely avaient été dressées en sculptures figées et dantesques. Les cascades de la Grattade s’étaient tues : des montagnes de glace translucide et bleutée s’empilaient les unes sur les autres et, merveille des merveilles : une grosse truite de plus d’une livre, était restée prisonnière des flots cristallisés. C’était une fantastique inclusion qui attira près des chutes de la Briance des centaines de curieux. Et le froid intense dura quatre semaines.

    Vers le 18, il donna l’impression de s’atténuer mais, en fait, ce ne fut qu’une impression ! Dès le 20, il redoubla . Lorsque Lucien sortait dans la basse-cour de la Nadalie, bien avant le lever du jour, pour aller vers les étables, les sabots ferrés crissaient sur la terre dure comme les pierres et quand il posait sa grosse main sur le loquet de la porte de la grange, le pouce se collait contre la ferraille. Il avait eu beau calfeutrer toutes les ouvertures avec de la paille ou du foin, le froid avait fini par pénétrer à l’intérieur. Plus question de pâturer les bêtes avec les topinambours pris dans les terres gelées ! Heureusement les grosses rations de foin compensaient mais le point crucial résidait dans l’approvisionnement en eau pour satisfaire une soif grandissante des bêtes.

    La fontaine de la basse-cour cessa de couler.... la canalisation ancestrale fut prise en gel. Il n’y avait plus qu’une solution : détacher les vaches et les conduire vers la rivière.

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    Et le terrible hiver 47 abandonna la

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