Meurtre à la demande
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À propos de ce livre électronique
Et alors que la journaliste Anne Larsen mène aussi fébrilement des recherches sur le corps dans le marais, un homme l'appelle pour lui annoncer avoir des informations importantes sur cette affaire. Mais surtout, il est certain que le tueur va encore frapper ! La seule question est de savoir quand...
« Meurtre à la demande » est le deuxième tome de la série policière très populaire au Danemark mettant en scène l'inspecteur Roland Benito.
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Avis sur Meurtre à la demande
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Aperçu du livre
Meurtre à la demande - Inger Gammelgaard Madsen
Inger Gammelgaard Madsen
Meurtre à la demande
Roman policier
Traduit par Julien Degueldre
Saga
Meurtre à la demande
Traduit par Julien Degueldre
Titre Original Drab efter begæring
Langue Originale : Danois
Cover image : Shutterstock
Copyright ©2009, 2024 Inger Gammelgaard Madsen et SAGA Egmont
Tous droits réservés
ISBN : 9788728117491
1ère edition ebook
Format : EPUB 3.0
Aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, stockée/archivée dans un système de récupération, ou transmise, sous quelque forme ou par quelque moyen que ce soit, sans l'accord écrit préalable de l'éditeur, ni être autrement diffusée sous une forme de reliure ou de couverture autre que dans laquelle il est publié et sans qu'une condition similaire ne soit imposée à l'acheteur ultérieur.
www.sagaegmont.com
Saga est une filiale d'Egmont. Egmont est la plus grande entreprise médiatique du Danemark et appartient exclusivement à la Fondation Egmont, qui fait un don annuel de près de 13,4 millions d'euros aux enfants en difficulté.
Kila lenye mwanzo halikosi
kuwa na mwisho.
Tout ce qui a un début doit aussi avoir une fin.
Ancien proverbe swahili
1
Les champs fraîchement labourés dégageaient une odeur de terre automnale. Nombreux étaient les agriculteurs à avoir encore du pain sur la planche. Un tracteur s’affairait dans un terrain au loin en laissant derrière lui une traînée de poussière et une nuée de mouettes bruyantes et affamées. L’été chaud de cette année n’avait réellement commencé que vers la mi-août et s’était étiré tout au long du mois de septembre ; les températures de ces premiers jours d’octobre étaient d’ailleurs encore estivales : nul besoin de porter de veste malgré la saison.
Après une dispute cinglante à propos d’un jeu Nintendo Wii – pour lequel Lukas était trop jeune selon Mikkel – , leur mère avait envoyé les deux garçons jouer dehors pour profiter du beau temps. Ils pédalaient à vive allure en faisant crisser les roues de leurs vélos. Pour Mikkel et Lukas, il ne s’agissait cependant pas de vélo. Dans leur imagination, ils chevauchaient des chevaux au grand galop.
— Pan ! T’es mort ! lança Lukas dans le dos de son frère qui se retourna sur sa selle avec un air fâché.
— C’est pas toi qui dois me tirer dessus. Tu voulais être les Indiens !
— Et alors ? Les Indiens peuvent pas tirer sur les soldats, peut-être ? ronchonna Lukas.
— Pas un soldat comme moi là maintenant ! Je suis un soldat comme à la télé.
Âgé de neuf ans, Mikkel parvenait à suivre quelque peu les infos et pour lui, les soldats étaient tellement cool avec leurs armes et leurs casques ; mais pour Lukas, qui n’avait encore que six ans, les Indiens des westerns paraissaient bien plus intéressants.
Ils freinèrent alors subitement dans les graviers en produisant un nuage de poussière. Le vélo de Lukas dérapa et le garçon évita la chute de justesse en posant un pied au sol par réflexe. Les arbres délimitant le marais se dressaient devant eux. Les feuilles arboraient à présent les couleurs dorées, brunes et violacées de l’automne.
— On ferait mieux de faire demi-tour, Mikkel. On a pas le droit d’aller dans le marais sans maman et papa.
— Arh, arrête un peu ! Ça, c’était quand on était des bébés ! T’es plus un bébé, si ?
L’expression de Lukas se fit encore plus sévère, ce qui le fit encore moins ressembler à un Indien sauvage assoiffé de sang, en dépit de son bandeau au front décoré d’une plume de corneille et de sa hache de guerre qu’il portait à la ceinture – dont le deuxième rôle était tout simplement de tenir en place l’ancien pantalon de Mikkel, bien trop grand pour la taille frêle de Lukas.
— Mais maman dit que c’est dangereux. La sorcière des marais peut nous attraper pour nous noyer !
Lukas frotta nerveusement du doigt son nez couvert de taches de rousseur et rouge sous l’effet du vent et du soleil. Ses yeux bleus cherchaient à croiser ceux de son frère dans l’espoir d’y trouver la même inquiétude que la sienne.
Mikkel poussa un rire peu rassuré.
— C’est des bêtises ! La sorcière des marais, elle existe pas. Allez, viens !
Il laissa tomber son vélo dans l’herbe.
Après un instant d’hésitation, Lukas l’imita. Il perçut l’odeur des eaux du marais. Le vent fit tourbillonner quelques feuilles mortes à terre qui interprétèrent une danse de guerre autour de ses pieds ; Lukas poussa un hoquet de stupeur qui fut en partie couvert par le bruissement des feuilles, mais pas assez pour que Mikkel ne l’entende pas. Le sourire de ce dernier s’étira.
— Arrête ton cirque, il va rien se passer. C’est juste un marais !
Il avait déjà atteint les arbres.
— Mais… mais… La sorcière des marais existe vraiment, Mikkel. Quand y a du brouillard entre les arbres, c’est en fait elle qui prépare quelque chose dans sa marmite, bredouilla Lukas qui suivit néanmoins son frère en scrutant les environs de peur que la sorcière se cache derrière un arbre.
Son cœur battait la chamade dans sa poitrine et son souffle haletant n’était pas uniquement dû au trajet en vélo. Il se rapprocha de Mikkel qui sondait les eaux troubles et brunâtres du marais remplies de lentilles d’eau.
— Viens. Y a pas le moindre danger. Regarde, un poisson ! Ça doit être un gros brochet !
Lukas avait tout juste commencé en classe préprimaire ¹en août et l’institutrice avait raconté quelque chose à propos des brochets. Qu’ils pouvaient devenir très gros et très vieux. La curiosité repoussa quelque peu la peur. Il prit son courage à deux mains pour rejoindre Mikkel au bord de l’eau, mais son regard était toujours aussi craintif. Il n’y avait aucun poisson.
— Ah, il est reparti. Ou alors, c’était peut-être la sorcière des marais, plaisanta Mikkel en gloussant.
Se rendant soudainement compte du comique de la situation, Lukas se mit à rire aussi. Le marais n’était pas si lugubre que ça, en fait ! Il ne s’y était rendu qu’une fois, avec son père, mais c’était il y a plusieurs années – quand il n’était alors qu’un bébé.
Les oiseaux gazouillaient au sommet des arbres ; leur chant était parfois interrompu par un petit plouf dans l’eau – un poisson ou une grenouille. Lukas se détendit progressivement et osa explorer les environs par lui-même. Il y avait plein de trucs à regarder le long de la berge. C’était absurde de s’imaginer qu’une femme vivait ici : elle aurait fini par se noyer dans les eaux sombres. La logique était sur le point de l’emporter complètement sur la peur lorsque Lukas aperçut quelque chose. Quelque chose qui ressemblait à un pied. Se pouvait-il que ce soit elle ? La sorcière des marais ?
— Mikkel… ! Mikkel ! lança Lukas avec appréhension. J’ai trouvé la sorcière !
— Oh purée, arrête un peu !
Mikkel s’approcha à pas prudents, visiblement sur ses gardes. Il avait aussi repéré ce truc qui ressemblait effectivement à un pied brun dépassant à moitié de l’eau, sous les branches d’un buisson qui avait presque entièrement perdu son feuillage. Le reste des feuilles flottait dans la mare et arborait la même couleur que celle du pied. Mais était-ce vraiment un pied ? C’était peut-être un animal ou un poisson mort ? Mikkel s’efforça de se ressaisir. Après tout, c’était lui le plus âgé, le plus mûr.
— Ce n’est pas la sorcière. C’est… quelque chose d’autre.
Il ramassa une pierre pour la lancer vers le buisson. La pierre toucha sa cible. Il attrapa un autre projectile et visa, mais le pied sembla alors soudainement gigoter dans l’eau. Les deux garçons firent un bond en arrière.
La pierre avait percé un trou à travers cette couche de couleur cuir qui recouvrait l’eau, faisant apparaître une forme jaunâtre. Le jet de Mikkel avait fait pivoter cette chose mystérieuse qui émergea un peu plus de la surface. Ils avaient bien vu : il s’agissait effectivement d’un pied humain.
Mikkel lâcha la pierre qu’il tenait comme si celle-ci lui brûlait la main. Il saisit le bras de son frère et le tira à toute vitesse derrière lui jusqu’à ressortir du couvert des arbres et regagner la lumière du soleil.
— On s’en va ! ordonna-t-il d’une voix tremblante.
— C’était quoi, Mikkel ? C’était la sorcière ?
Lukas commença à pleurer.
— Tu dis rien à papa et maman de tout ça, entendu ? ! l’exhorta Mikkel, une fois qu’ils furent à nouveau sur leurs vélos. Ils s’éloignèrent à toute vitesse des arbres du marais.
Lukas pleura de plus belle.
2
La salle d’autopsie de l’Institut médico-légal était tout sauf ce qu’il appréciait le plus dans son boulot. Le corps de cette petite fille qui avait été retrouvée étouffée dans un containeur à ordures il y a deux ans lui avait longtemps donné des cauchemars. Il se souvenait encore de cette malheureuse allongée telle une poupée blanche sur la table stérile en inox. Certaines images ne s’effaçaient jamais complètement. Elles défilaient dans sa mémoire inlassablement tel un film d’horreur qu’il aurait été obligé de regarder sans pouvoir l’arrêter.
L’Institut médico-légal avait déménagé l’année dernière pour occuper les locaux spacieux, plus modernes et plus adaptés de l’hôpital universitaire de Skejby. Un déménagement heureux et triste à la fois. Le médecin légiste Henry Leander avait passé un grand nombre de ses soixante et une années de vie dans les pièces du vieil hôpital communal, qui était aujourd’hui devenu l’Hôpital d’Aarhus, mais il s’était également souvent plaint de devoir partager l’endroit avec les pathologistes. Il était en plein travail, penché au-dessus de sa table d’autopsie, lorsque Roland Benito entra dans la salle. Le médecin se redressa pour accueillir son vieil ami avec son grand sourire habituel qui faisait remonter jusqu’aux oreilles ses moustaches en forme de guidon de vélo.
— Bonjour, inspecteur ! lança-t-il joyeusement avant de se reconcentrer sur son travail.
Roland était en retard. Il revenait tout juste de vacances d’été bien méritées dans le sud de l’Italie, sa terre natale, et il peinait encore à se désacclimater du mode de vie italien. Il salua rapidement les autres personnes dont la présence était obligatoire durant une autopsie. Tous se tenaient en petit groupe serré à distance raisonnable de la table en inox. Seul un photographe dépêché par la division scientifique osa s’avancer avec son appareil photo en main. On pouvait lire le dégoût dans ses yeux au-dessus de son masque chirurgical.
Le corps fit immédiatement penser à Roland à un cadavre des tourbières – ce qui en somme était ce dont il s’agissait. Il tira un mouchoir de sa poche pour se couvrir le nez le temps que Leander lui trouve un masque. Le système d’aspiration de l’air, bien que plus performant que celui du vieil institut, n’était pas de taille face à cette odeur âcre cadavérique qui rappelait à Roland celle des rues de Naples jonchées de détritus pestilentiels. Cette puanteur dans la salle d’autopsie était pourtant supportable, car il ne restait au défunt plus que la peau et les os. Les gaz infâmes provoqués normalement par la putréfaction des tissus s’étaient déjà dissipés depuis longtemps.
— On a quelque chose qui nous permettrait d’identifier la victime, la cause ou l’heure de la mort ? Ou est-ce que c’est une nouvelle momie de Grauballe ² ? demanda Roland.
Il s’était rendu tôt ce matin avec son équipe et des gars de la police scientifique à l’endroit du marais où la dépouille avait été trouvée ; avec du matériel d’excavation, ils avaient extrait le cadavre brunâtre de l’eau pour le poser sur un brancard afin que Leander puisse ensuite l’inspecter tout en enregistrant ses observations dans son dictaphone.
Leander secoua la tête sans lever les yeux de son travail.
— On ne doit pas remonter si loin dans le temps. Ceci ne ressemble pas non plus à un sacrifice pour les dieux. La cause du décès semble être un ou plusieurs coups violents à l’arrière de la tête.
Leander tourna avec précaution le crâne de couleur brune (auquel s’accrochaient encore quelques restes de cheveux dont on ne pouvait plus qu’imaginer la teinte d’origine) afin que l’arrière de la tête soit bien visible pour Roland et les autres personnes présentes. Il pointa d’un doigt ganté un trou dans l’os.
— L’arme était selon toute vraisemblance un objet lourd et solide, capable de fracasser un crâne avec une grande violence. Un objet entre un et trois kilos je dirais.
Il fit un pas sur le côté pour permettre à Roland de s’approcher.
— Un meurtre ?
— Il y a fort à parier, oui.
Roland se pencha pour étudier de plus près le trou dans le crâne. Il se redressa ensuite et observa le reste du corps putréfié. La peau, brune et tannée, était collée aux os dont des bouts jaunâtres perçaient ici et là l’épiderme. Il était difficile de déterminer la couleur des quelques lambeaux de vêtements qui n’avaient pas été dissous ou emportés par les eaux du marais. Du visage, il ne restait plus que les deux orbites vides et béantes, un trou triangulaire à la place du nez et une rangée de longues dents jaunies complètement dénudées jusqu’à l’os. Roland avait l’impression que le crâne leur adressait un sourire macabre ; il détourna les yeux vers le médecin légiste.
— Une femme ?
Leander opina du chef ; il tourna avec précaution la tête de la dépouille du bout des doigts, comme pour éviter de réveiller la défunte. Le médecin avait une relation assez particulière avec les morts. Lorsqu’il était seul avec eux, il leur parlait comme s’ils étaient encore en vie et déplorait leur triste sort ; il les rassurait même : une fois qu’il aurait obtenu d’eux ces secrets que chaque cadavre renfermait, il veillerait à ce que le coupable soit coincé.
— Je dirais que oui vu la forme du bassin. Une femme ayant déjà enfanté. Selon mes premières estimations, dans la trentaine, mais j’ai envoyé quelques dents en odontologie pour être complètement sûr. Les dents permettront peut-être également d’identifier le corps. Pour ce qui est des empreintes digitales par contre, on peut oublier.
Tous les regards se portèrent sur les mains dont il ne restait plus que les os des phalanges au bout des doigts.
— Elle ne porte rien qui puisse nous renseigner sur son identité. Elle a dû rester un bon bout de temps dans la tourbière, poursuivit Leander sur le même ton détaché.
— Combien de temps exactement ?
Leander regarda Roland par-dessus le bord de ses lunettes.
— Au moins vingt ans.
Roland contempla le cadavre en silence pendant un moment avant de prendre pleinement conscience de ces derniers mots.
— Tu veux donc dire qu’on a affaire à un meurtre commis dans les années quatre-vingts ?
Il fixa les yeux gris acier de Leander.
— Il semble bien, oui. Il doit sûrement y avoir une affaire non élucidée de personne disparue quelque part. Je vous fournirai une date plus précise une fois que j’aurai reçu les résultats d’analyse.
— Pourquoi est-ce que le corps n’est pas revenu à la surface plus tôt ? Pourquoi juste maintenant ? On a toute une troupe d’ornithologues qui parcourent les marais tous les jours, comment ça se fait que personne ne l’ait repéré avant ?
Kurt Olsen avait enfin récupéré l’usage de la parole. Bien que récemment nommé commissaire à la suite de la réforme de la police, il en avait déjà vu de toutes les couleurs au cours de sa carrière.
— Les gaz de putréfaction font effectivement remonter un corps à la surface de l’eau. Le cadavre finit cependant par retomber au fond une fois les gaz dissipés, ce qui a dû être le cas ici il y a longtemps. Alors pourquoi est-elle soudainement réapparue maintenant ? Difficile à dire. Ça peut être dû à l’automne chaud qu’on a eu ou à un tout autre facteur, répondit Leander.
— Est-ce que le cadavre n’aurait pas dû se décomposer après une si longue période ?
Kurt gratta sa gorge couverte de ces mêmes plaques rouges qui se manifestaient toujours lorsqu’il était sous pression.
— Elle est particulièrement bien conservée après toutes ces années dans le marais. C’est grâce au fait qu’un cadavre des tourbières n’est pas exposé à diverses bactéries, car elles sont dissoutes par l’acidité due aux plantes. Si un cadavre est jeté à l’eau avant que les bactéries n’aient eu le temps de se répandre, on augmente les chances de conservation. C’est par exemple possible si le corps était conservé au frais.
— Tu veux dire qu’on l’a peut-être jetée dans l’eau alors qu’elle était… congelée ?
Roland passa une main dans sa sombre chevelure qui s’était quelque peu ternie sous l’effet du soleil de plomb du sud de l’Italie.
Leander hocha la tête.
— On a très bien pu la conserver dans un endroit frais avant de s’en débarrasser dans le marais. Les organes internes sont quasi intacts, ce qui indique qu’ils n’ont pas eu le temps de pourrir avant que l’acide de la tourbière fasse son effet. La faible teneur en oxygène de l’eau et peut-être les basses températures ont aussi pu aider. L’eau peut avoir été très froide à ce moment-là, on était peut-être en hiver. Il y a différentes possibilités.
Roland sentit une vague de nausée familière se répandre depuis ses intestins, suivie d’une sensation brûlante dans le fond de sa gorge : il n’allait plus pouvoir rester longtemps dans cette pièce. Ses longues années à la police l’avaient pourtant quelque peu endurci depuis sa première autopsie : il avait alors essayé de résister jusqu’au bout, mais avait fini par déverser son déjeuner sur les pieds du médecin légiste devant les autres aspirants policiers, dont le visage était tout aussi pâle que le sien et qui se retinrent de ne pas suivre son exemple.
— C’est deux gamins qui ont trouvé le corps dans le marais, si j’ai bien compris ? demanda Kurt Olsen en interrompant ainsi les souvenirs de Roland.
— Oui, il y a trois jours. Comme leurs parents leur avaient naturellement interdit d’aller dans le marais, les enfants n’ont pas osé souffler mot de leur excursion. Mais le plus petit a commencé à angoisser et à rêver que la sorcière des marais venait pour le capturer. Il a fini par craquer et a raconté à leur mère leur horrible trouvaille.
Kurt secoua la tête.
— Pauvres gamins. Mais c’est toujours pareil : le frisson de l’interdit est irrésistible.
— Est-ce que c’est aussi ce frisson qui a attiré la victime ? Qu’est-ce qu’elle fichait dans ce marais ? soupira Roland.
Leander avait reporté son attention sur le cadavre. Il introduisit une longue pincette dans la fracture du crâne. En dépit de l’avancée des nouvelles technologies, les pincettes, ciseaux et scalpels restaient les outils privilégiés des médecins légistes.
— J’espère qu’on parviendra rapidement à identifier cette malheureuse, marmonna-t-il entre ses dents en extrayant lentement quelque chose de l’os.
Il tint sa pincette sous la lampe puissante du plafond. Tous se rapprochèrent en plissant les yeux afin de mieux voir malgré le masque sur leur nez.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda l’employé de l’institut avec impatience ; lui aussi avait perdu toute envie de jouer aux devinettes.
Roland se pencha pour jeter un coup d’œil par-dessus l’épaule de Leander.
— C’est du bois ?
— Oui, un morceau pointu de bois poli. Un bois très dur. Il a été protégé par la boîte crânienne. Peut-être un résidu de l’arme du crime, répondit Leander. Le flash de Steen Dahl les aveugla durant une seconde. Henry Leander plaça le bout de bois dans un petit sachet en plastique qu’il tendit à Gert Schmidt, responsable de la division scientifique. Celui-ci, d’ordinaire bien plus bavard, remercia le médecin de sa grosse voix et promit d’analyser le fragment dans les plus brefs délais.
À peine sorti de l’Institut médico-légal, Roland fouilla sa poche à la recherche d’un paquet de cigarettes. La loi antitabac, entrée en vigueur il y a un peu plus d’un an, interdisait dorénavant de fumer dans l’enceinte du commissariat. Il ne s’y était pas encore habitué, surtout dans des moments comme celui-ci où il avait plus que tout besoin d’une cigarette. Ses doigts se refermèrent cependant uniquement sur un paquet de chewing-gums à la nicotine.
3
Le nouveau stagiaire, Nicolaj, faisait cliqueter son stylo-bille ; Britt faisait des bulles avec son chewing-gum jusqu’à ce qu’elles explosent avec un claquement agaçant, tandis que le volume de sa radio était encore plus élevé que d’habitude. La chaise de Mads Dam était vide, il était « en mission » quelque part. Où ? Personne ne le savait. Il était probablement installé dans un de ces bars en ville où il était encore permis de fumer. On sentait clairement que le rédacteur en chef Ivan Thygesen était en congé maladie et que tous les employés de la rédaction jouaient aux souris qui dansent en l’absence du chat.
Même si Anne appréciait de ne pas sentir le regard gris et perçant de Thygesen à travers la vitre qui séparait le local de la rédaction de l’étroit bureau du chef, cette ribambelle de nuisances sonores lui tapait sur le système et l’empêchait de réfléchir. Elle avait téléphoné plusieurs fois à son contact à la police pour obtenir des informations sur le cadavre de la tourbière, mais personne ne souhaitant lui fournir de détails, elle devait donc patiemment attendre la conférence de presse. Elle bouillait de plus en plus d’irritation. Elle n’avait cette fois pas pu apprendre la découverte du corps dans les marais avant tous les autres journalistes. Son acolyte qui disposait d’un système d’écoute illégale des ondes radio de la police avait été arrêté le printemps dernier et condamné pour possession de drogues. Il n’avait heureusement rien dévoilé concernant sa collaboration avec Anne. Elle avait rompu tous les ponts avec les gens de Nørrebro ³, n’avait plus parlé avec personne de là-bas depuis son déménagement il y a deux ans à Aarhus. Elle avait cessé d’adhérer à leurs activités qui s’apparentaient au final plus à de la simple délinquance. Elle ne s’était néanmoins pas débarrassée de toutes traces de son passé : elle avait conservé le dialecte de Nørrebro, clairement identifiable lorsqu’elle demanda sur un ton cinglant à ses collègues de faire moins de bruit en se levant pour aller chercher une tasse de café. Britt fit éclater une bulle de chewing-gum en la dévisageant d’un air outré.
— Oulala, on a maintenant la version féminine d’Ivan le terrible, répliqua Britt sèchement.
Le stagiaire poussa un gloussement. Il triturait quelques images sur Photoshop, un programme qu’il maîtrisait avec brio selon ses dires. Anne remarqua pourtant en passant derrière lui qu’il n’avait rien fait de plus que retoucher deux-trois clichés de mauvaise qualité d’un match de foot de l’AGF, le club d’Aarhus, pour un article que Mads Dam, leur responsable sport, était en train d’écrire – du moins, quand il n’était pas occupé au bar. Mais ce n’était en effet sûrement pas évident de travailler efficacement lorsqu’on passait son temps à rêvasser devant la fenêtre en jouant avec son stylo-bille. Si ç’avait été Kamilla, leur photographe attitrée, qui s’était chargée de ces photos, le travail serait déjà fini depuis belle lurette. Kamilla avait été engagée par la rédaction au début de l’année après avoir travaillé durant de nombreuses années comme free-lance. Mais elle était en congé aujourd’hui. Probablement à cause de sa mère hospitalisée. Comme si Kamilla n’avait pas déjà assez souffert…
— Tu fais du surplace avec l’affaire du cadavre des tourbières ? demanda Britt sur un ton un peu plus aimable lorsque Anne se rassit devant son ordinateur avec un gobelet de café tiède.
Britt diminua légèrement le volume de sa radio. Anne se réjouit d’avoir tout de même réussi quelque peu à obtenir le respect des membres de la rédaction. Ces derniers avaient en effet déjà eu plusieurs fois l’occasion de goûter à son tempérament enflammé. Ou alors était-ce parce que tout le monde était à présent au courant de son passé ? Ce n’était peut-être pas du respect qu’Anne inspirait, mais de la peur.
— Un corps dans la tourbe. Trop cool ! Mon oncle est dingue des oiseaux, il est même membre de l’Association ornithologique danoise, il travaille comme observateur pour eux. Il compte les oiseaux ! Un par un ! Il a sûrement déjà été dans ce marais, à l’affût avec ses jumelles, sans se douter qu’il y avait dans l’eau un vieux cadavre pourri ! ricana Nicolaj avant qu’Anne n’ait eu le temps de répondre.
Elle lui décocha un regard courroucé. En apparence, il avait l’air sympathique, avec ses yeux verts espiègles, ses cheveux roux bouclés et ses multiples taches de rousseur parsemant sa peau aussi pâle que celle d’Anne. Mais pour une raison obscure, il l’énervait. Peut-être parce qu’elle avait été désignée pour encadrer le stage du jeune homme qui s’intéressait particulièrement aux affaires criminelles ; c’était par conséquent à elle que revenait la tâche de le guider durant les six mois que durerait son stage à la rédaction et d’identifier ses forces et ses faiblesses. S’il avait vraiment l’intention de se consacrer aux histoires de meurtres, cette fascination pour les cadavres en putréfaction lui passerait bien vite.
— Oui, pas simple d’avancer lorsque personne ne veut donner le moindre détail. (Elle but une gorgée de café en ignorant Nicolaj.) La seule certitude est qu’il s’agit d’un meurtre commis il y a plusieurs années. Si au moins je pouvais savoir exactement combien d’années, je pourrais essayer de dénicher de vieilles infos sur cette période, mais là, jusqu’à quand est-ce que je dois remonter ?
Britt s’étira. Sa poitrine opulente déborda presque du décolleté bien trop plongeant de sa blouse ; Nicolaj y jeta un regard furtif avant de détourner les yeux en rougissant. Anne sourit derrière son écran. Thygesen s’était enfin décidé à engager des collaborateurs du sexe opposé – un changement rafraîchissant. À ses débuts à la rédaction, Anne avait dû travailler exclusivement avec des femmes, des pin-ups comme Britt. Mais Bertha, leur étudiante, avait décidé de travailler pour le journal Ekstra Bladet à la fin de ses études et avait déménagé à Copenhague ; Tove était ensuite partie en congé maternité et n’était jamais revenue bosser dans ce secteur incertain qu’est le journalisme. Aucun nouvel étudiant n’avait été engagé, et c’était finalement Mads Dam qui avait été choisi pour reprendre le poste de Tove, étant donné que personne d’autre ne s’y connaissait suffisamment en sport. Cependant, la raison pour laquelle Thygesen l’avait sélectionné lui parmi toutes les autres recrues qualifiées était un véritable mystère. C’était probablement dû au fait qu’ils étaient vieux amis – ou alors que Mads Dam avait été le seul à accepter de travailler pour un salaire aussi faible… Leur branche était sous pression. La guerre entre les journaux faisait rage, sans qu’un véritable vainqueur ne se démarque, et cette bataille était sans doute loin d’être la dernière. Les grands groupes de média fusionnaient en dérobant aux plus petits toutes les parts de marché – même jusqu’au niveau régional. Ivan Thygesen les avait plusieurs fois avertis qu’ils devraient peut-être mettre la clé sous le paillasson. Pourtant, Dagens Nyheder ⁴tenait encore bon, grâce notamment aux recettes des publicités de leurs fidèles annonceurs. Les publicités prenaient à présent presque plus de place que les articles et étaient parfois même utilisées en première page en dessous des gros titres.
— Peut-être que le cadavre appartenait à une personne isolée dont la disparition n’a jamais été signalée, suggéra Britt après sa séance d’étirements.
Elle sortit une cigarette de son paquet, malgré l’interdiction de fumer généralement respectée à la rédaction. Cigarette au bec, elle ouvrit grand les bras lorsque Anne lui adressa un regard de réprimande.
— Quoi, purée ? L’inspection du travail ne va pas débarquer ici quand même, se défendit-elle avant d’attraper un briquet jetable orné du logo Opel.
Anne secoua la tête.
— Ça peut effectivement être une personne isolée, dit-elle, mais je suis certaine qu’il y a un vieil avis de recherche qui traîne quelque part et qui ne demande qu’à être déniché.
Anne fut alors interrompue par la sonnerie du téléphone dans le bureau de Thygesen. Tous se regardèrent dans la rédaction.
— Laisse sonner, dit Britt avant de retourner à son clavier.
— Mais enfin, on ne peut pas faire ça ! Ça peut être la police, au sujet de la conférence de presse. Ils ne savent pas que Thygesen est malade !
Anne secoua la tête en se levant, exaspérée.
Il y avait toujours un relent de cigares digne d’un vieux pub dans le bureau de Thygesen. Anne le suspectait de ne pas être capable de résister à la tentation de fumer un cigare lorsqu’il était seul le soir dans les locaux. Les rayons du soleil traversaient avec peine la vitre sale et éclairaient la couche de poussière sur l’armoire. Pour des raisons budgétaires, ils n’avaient plus d’équipe de nettoyage, ils devaient donc eux-mêmes s’occuper du nettoyage à la rédaction. Elle renversa un mug rempli de crayons mâchonnés et de stylos-billes publicitaires lorsqu’elle se pencha par-dessus le bureau pour saisir le combiné. S’ils avaient pris la peine de refaire les raccordements après le coup de tonnerre de l’été dernier, elle aurait simplement pu appuyer sur une touche du poste à son propre bureau pour prendre l’appel.
— Bonjour, vous êtes sur le téléphone d’Ivan Thygesen, rédacteur en chef, comment puis-je vous aider ?
Elle redressa le mug et y remit les crayons et stylos. On apercevait à peine à travers la crasse de la vitre la tour de l’hôtel de ville, cachée par une brume à l’horizon. Elle n’entendit rien d’autre qu’une faible respiration au bout du fil.
— Allô, qui est à l’appareil ? demanda-t-elle, tentée de simplement raccrocher.
— Je vous retourne la question. J’aimerais juste parler au responsable de Dagens Nyheder !
Au son de la voix, on avait l’impression que la personne se tenait le nez ou souffrait d’asthme. Anne sentit qu’il s’agissait là de quelque chose d’important.
— Notre rédacteur en chef est malheureusement malade, mais je peux peut-être vous être utile ? Je m’appelle Anne Larsen, je suis journaliste.
Un long silence s’ensuivit.
— C’est vous qui avez écrit l’article sur le meurtre de cette petite fille ? Celle qu’on avait retrouvée dans un container, c’est bien ça ?
Ce fut au tour d’Anne de rester interdite un moment.
— Oui, c’est bien moi.
— Bon, vous pouvez sans doute aussi faire l’affaire. Je pense avoir des informations à propos du cadavre retrouvé dans le marais, continua la voix. Si mon pressentiment est exact, il va y avoir d’autres meurtres.
4
Roland venait tout juste de raccrocher après une conversation avec Gert Schmidt de la division scientifique lorsque l’officier Mikkel Jensen entra dans le bureau.
— C’était Gert ? demanda-t-il, comme s’il avait écouté aux portes.
Roland hocha la tête.
— Ils en savent un peu plus sur l’arme du crime.
Il prit la canette de Coca-Cola que Mikkel lui avait achetée à la cantine. C’était un accord tacite dans leur division : si quelqu’un « sortait » ou se rendait à la cantine, il rapportait quelque chose pour les autres. Roland jeta son chewing-gum à la nicotine dans la corbeille à papier et but une gorgée du soda, dont le goût paru étrange après celui à la réglisse du chewing-gum Nicotinell.
Mikkel tira bruyamment une chaise jusqu’au bureau et s’assit. Il ouvrit avec les dents un paquet de marshmallows. Il était environ quinze heures et son taux de glycémie était au plus bas. Roland observa son adjoint tandis que ce dernier engloutissait la première guimauve rose. Tout le monde avait son péché mignon. Le sien était le vin rouge italien et les cigarettes. Celui de Mikkel était les marshmallows, même si ça jurait quelque peu avec son apparence masculine, son crâne presque complètement rasé et son visage jeune aux mâchoires proéminentes. Des bonbons à la réglisse salée ou une friandise plus corsée lui iraient mieux. Roland se demanda si le sucre serait bientôt lui aussi interdit dans les lieux publics vu que c’était également un produit déconseillé pour la santé.
— De l’ébène, dit-il.
— De quoi ?
L’accent de Mikkel revint au galop, comme toujours lorsqu’il était étonné, trahissant ainsi ses origines aarhusiennes.
— L’arme du crime. Selon Gert Schmidt, c’est du bois d’ébène. D’Afrique, expliqua Roland calmement.
— On cherche un Africain, alors ? s’étonna Mikkel avec une expression naïve tout en mâchonnant sa friandise.
— Qui sait ? Le bois est d’excellente facture et finement travaillé. Un souvenir ramené d’un voyage, peut-être. En somme, ça peut venir de n’importe où.
— Des souvenirs africains, on peut même acheter ça ici. En ligne, par exemple, souligna Mikkel.
Roland avait suivi quelques cours d’informatique, mais outre l’utilisation qu’il en faisait au travail, il ne comprenait rien aux ordinateurs. Tout l’opposé des jeunes qui employaient leur machine et Internet, pour ainsi dire, tout. Même sa petite-fille de sept ans, Marianna, était plus à l’aise avec un clavier et une souris que lui.
— J’ai du mal à croire qu’un meurtrier agissant avec préméditation aille sur le net pour acheter un truc en bois d’ébène avec comme seul but de l’utiliser pour son crime. Je pense plutôt que l’arme se trouvait sur les lieux et que c’était l’objet le plus simple et efficace à portée de main.
— OK. Mais bon, je venais en fait avec des infos, moi, déclara Mikkel sur un ton semblant souligner qu’ils avaient autre chose à faire que de parler de babioles. On n’a aucune disparition non élucidée durant la période indiquée. Pas à Aarhus en tout cas. Mais j’ai étendu la recherche à tout le pays et là, j’ai obtenu des résultats.
Mikkel le toisa en haussant ses sourcils clairs pour inciter sur l’importance de sa trouvaille.
— Et ?
Roland prit un nouveau chewing-gum.
— Une femme a été portée disparue à Silkeborg en 1983. Elle n’a jamais été retrouvée. Ça pourrait être elle.
— L’âge correspond ?
— Yep. Trente-deux ans. Infirmière à domicile.
Roland hocha la tête d’un air absent. Une femme de Silkeborg. Comment avait-elle atterri alors dans un marais à Mundelstrup, quarante kilomètres plus loin ? Il décrocha le téléphone pour passer un coup de fil à l’Institut médico-légal afin de savoir s’ils avaient déjà les résultats d’analyse odontologique. Mais chou blanc. Il raccrocha le combiné, irrité.
Mikkel se releva et jeta le paquet vide de marshmallows dans la corbeille à papier de Roland.
— Quand est-ce que la conférence est prévue ? Les journalistes n’arrêtent pas de nous harceler.
La ride sur le front de Roland se creusa encore plus. Les journalistes. Les vautours, comme il les appelait. Toujours à planer avec leurs grandes ailes noires à l’affût d’une nouvelle croustillante pour gonfler les ventes de leurs torchons. La découverte d’un corps dans les marais était certainement une aubaine macabre pour eux, qu’ils se disputaient à présent pour en avoir la primauté. Roland ne put s’empêcher de penser à cette journaliste du Dagens Nyheder, avec laquelle il avait travaillé il y a deux ans durant l’affaire de la petite Gitte. Il avait dû reconnaître, à contrecœur, qu’ils avaient formé une belle équipe ; son aide avait été précieuse pour élucider le crime, ainsi que celle de la photographe blonde dont il ne se rappelait plus le nom. Il se souvenait en tout cas très bien de celui d’Anne Larsen. Il se demanda si elle travaillait toujours pour Dagens Nyheder. Si oui, il ne tarderait pas à l’avoir bientôt sur le dos.
— On devrait être un peu plus sûrs de nous pour l’identité de la victime avant d’en parler à la presse.
— Mais ils finissent par inventer des sornettes, ce qui – d’expérience, on le sait – peut être bien pire, lui rappela Mikkel.
Roland opina du chef au moment où il aperçut la porte s’ouvrir en cognant la chaise de Mikkel. Le
