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La Petite Poupée
La Petite Poupée
La Petite Poupée
Livre électronique477 pages7 heures

La Petite Poupée

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À propos de ce livre électronique

Aarhus, Danemark. Lors d'un été lourd et pluvieux, une petite fille est retrouvée morte dans une benne à ordures, son amie Louise kidnappée.
L'enquête est une priorité absolue pour l'inspecteur italo-danois Roland Benito, ainsi que pour les journalistes Anne Larsen et Kamilla Holm. D'autant plus que l'affaire fait remonter des souvenirs bien trop sombres chez cette dernière...
Mais le temps presse, et les questions s'accumulent : Louise est-elle encore en vie ? Qui est le meurtrier, et quel est le lien avec le forum douteux que les fillettes avaient joint en mentant sur leur âge ? Mais surtout, va-t-il encore frapper ?
LangueFrançais
ÉditeurSAGA Egmont
Date de sortie1 mars 2024
ISBN9788728117484
La Petite Poupée

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    Aperçu du livre

    La Petite Poupée - Inger Gammelgaard Madsen

    Inger Gammelgaard Madsen

    La Petite Poupée

    Roman policier

    Traduit par Julien Degueldre

    Saga

    La Petite Poupée

    Traduit par Julien Degueldre

    Titre Original Dukkebarnet

    Langue Originale: Danois

    Image de couverture : Shutterstock

    Copyright ©2008, 2023 Inger Gammelgaard Madsen et SAGA Egmont

    Tous droits réservés

    ISBN: 9788728117484

    1ère edition ebook

    Format: EPUB 3.0

    Aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, stockée/archivée dans un système de récupération, ou transmise, sous quelque forme ou par quelque moyen que ce soit, sans l'accord écrit préalable de l'éditeur, ni être autrement diffusée sous une forme de reliure ou de couverture autre que dans laquelle il est publié et sans qu'une condition similaire ne soit imposée à l'acheteur ultérieur.

    www.sagaegmont.com

    Saga est une filiale d'Egmont. Egmont est la plus grande entreprise médiatique du Danemark et appartient exclusivement à la Fondation Egmont, qui fait un don annuel de près de 13,4 millions d'euros aux enfants en difficulté.

    Quand il se releva, ses chaussures Lloyd impeccables, qu’il ne mettait d’ordinaire pas pour les activités salissantes, s’enfoncèrent dans la boue ; il manqua de peu de tomber en arrière

    Cette sensation désagréable, celle qu’on éprouve lorsqu’on brise quelque chose de fragile entre ses doigts, se diffusa sous sa peau tel un picotement. Elle ressemblait pourtant à un frisson sexuel. Elle l’émoustilla. C’était étonnant – mais pas tant que ça au final. Cela lui rappela les crapauds qui vivaient dans les plantes autour du petit bassin, celui du jardin derrière la maison de son enfance. Ces horribles bestioles au dos couvert de verrues. Certaines étaient aussi grandes que la semelle des chaussures qu’il portait étant gamin. Lorsqu’il les piétinait, les batraciens secouaient en vain leurs petits bras terminés par quatre doigts courts, tellement courts que leurs membres paraissaient amputés. Quand il entendait leurs couinements, il avait juste envie de les écraser encore plus fort, jusqu’à percevoir un craquement, suivi du silence. Certains mouraient sans piper mot. Tous les crapauds n’étaient visiblement pas capables d’extérioriser leur douleur. Il jetait ensuite les bêtes mortes dans le bassin. Maman se demandait alors toujours quelle maladie avaient bien pu attraper ces crapauds pour que leur cadavre puant remonte ainsi à la surface, ventre en l’air. Mais pour ça non plus, elle n’avait pas tenté de trouver une solution.

    Il laissa retomber ses bras. Il serra et relâcha les poings pour évacuer la sensation de picotement. Son pantalon avait des taches jusqu’aux genoux. Il essaya tant bien que mal de le frotter pour enlever les traces de boue. Il respirait par à-coups et avec difficulté ; la sueur s’accumula sur son front telle une membrane poisseuse. Une chaleur accablante appesantissait l’air humide, comme une épaisse couverture. L’odeur de feuilles pourries et de terre détrempée emplit ses narines. Une panique sournoise se mélangea à sa frustration. Il regarda autour de lui. Personne. La pluie gardait heureusement les gens chez eux. Il leva la tête pour laisser l’averse ruisseler sur son visage. Le contact des fines gouttes glaciales sur sa peau le fit tressaillir. Encore une sensation qu’il n’avait plus éprouvée depuis son enfance. Les paupières closes, il goûta l’eau qui coulait entre ses lèvres. Il reporta brusquement son regard au sol, vers elle. La pluie commençait à s’accumuler dans les orbites de la petite fille, dont le corps se révéla étonnamment lourd lorsqu’il la souleva ; il sentit un bras glisser mollement et cogner contre sa hanche quand il avança. L’eau coulait le long des joues de la fillette, semblable à des larmes. Un sanglot lui empoigna la gorge. Pourquoi avait-elle crié ? Il détestait les couinements. Elle aurait dû tout simplement lui obéir. Il sentit le goût salé de ses propres larmes se mélanger à celui de la pluie dans sa bouche.

    1

    Le présentateur radio rapportait le cas de plusieurs incidents et attentats suicides au Moyen-Orient. Elle écouta la voix de l’homme, mais sans assimiler les informations. Comme toujours avec les nouvelles à la radio ou à la télé. Tout ça se passait si loin après tout. Sur une autre planète pour ainsi dire. Le risque d’une menace terroriste au Danemark avait augmenté depuis que les Danois avaient accepté de prêter main forte aux Américains pour leur guerre en Irak, lui avait expliqué son mari. Le monde était cruel. Mais pour elle, ce n’était pas son monde. Elle se sentait en sécurité ici au Danemark, en particulier dans le Jutland, et encore plus à Aarhus, où il ne se passait pas grand-chose à part quelques rares cas de viols et d’agressions. De tels incidents étaient graves aussi, naturellement, mais cela n’affectait pas non plus sa petite vie chez elle, dans le quartier de Brabrand, dans sa villa protégée par la haute rangée de troènes.

    Le bulletin d’informations prit fin, remplacé par le programme musical de l’après-midi. Elle fredonna avec le chanteur Richard Ragnwald sur une de ses chansons phares et jeta un coup d’œil par la fenêtre. Sa fille adolescente revenait à la maison en courant. Devant l’entrée, la poubelle était pleine à craquer, car ils avaient oublié de la sortir hier soir pour le passage des éboueurs au matin. Elle avait donc demandé à Maria d’aller la vider dans le conteneur à ordures, vu que sa fille ne faisait de toute façon rien d’autre qu’écouter de la musique dans sa chambre avec son iPod, son nouveau gadget. Elle ne s’en sortait plus entre tous ces nouveaux bidules technologiques que les jeunes filles se devaient absolument d’avoir aujourd’hui. Elle n’avait pas eu ce problème avec ses deux autres enfants, qui avaient depuis longtemps quitté le nid. Avec son mari, ils n’avaient pas vraiment prévu au départ d’avoir une petite troisième, mais bon…

    Elle leva les yeux vers le ciel. Il allait bientôt pleuvoir à nouveau. Avaient-ils seulement vu le soleil cet été ?

    Maria débarqua bruyamment dans la cuisine, à bout de souffle, sans avoir pris la peine d’enlever ses chaussures.

    « Maman, maman ! Il y a quelque chose dans le conteneur !

    — Quoi ça ? »

    Elle éteignit la radio, coupant ainsi le début d’un débat entre un journaliste et un responsable politique.

    « Une main. » Sa voix tremblait.

    Cette ado a vu trop de films, songea-t-elle en souriant. Elle continua de beurrer sa tranche de pain de seigle pour son déjeuner. Sa fille n’avait jamais non plus manqué d’imagination.

    « Tu crois pas plutôt que c’est juste une poupée que quelqu’un a jetée ?

    — Non ! »

    L’adolescente prit une profonde inspiration.

    Elle se tourna vers sa fille. Elle vit qu’effectivement quelque chose n’allait pas. Le visage de Maria était pâle comme un linge, ses yeux habités d’une expression d’effroi que sa mère n’avait jamais vue chez son enfant auparavant. L’adolescente tenait toujours le sac poubelle avec une main crispée. Elle s’effondra alors en larmes ; le sac d’ordures tomba sur le sol de la cuisine fraîchement lavé.

    Elle se frotta précipitamment les mains sur son tablier. « Mais enfin, ma puce, tu es sûre ? C’est bizarre ce que tu me racontes ! »

    Elle enfila rapidement un pull.

    « Allez, allons voir ensemble ce qui ressemble autant à une main. »

    Maria se mit à trembler de tout son corps. Elle fit asseoir sa fille sur une chaise à la table de la cuisine et alla promptement à l’évier remplir un verre d’eau fraîche qu’elle posa devant Maria. « Bois un peu, je reviens tout de suite.

    – Non, maman, n’y va pas ! Qu’est-ce que tu vas faire si le meurtrier est toujours là ? »

    Elle adressa à l’adolescente un sourire indulgent. « Laisse-moi d’abord aller voir ce qu’il y a vraiment, d’accord ? »

    En se dirigeant vers le conteneur à ordures, une certaine inquiétude la gagna néanmoins. Ses jambes tremblotèrent. S’il s’avérait que Maria avait raison, que faire ? Elle secoua la tête pour chasser cette idée. Bien sûr que non il n’y avait pas de main parmi les ordures. L’air chaud était lourd et humide. Elle secoua sa blouse pour se rafraîchir. La paire usée de galoches qu’elle avait chaussée en toute hâte tenait à peine ses pieds.

    Le conteneur était un imposant modèle avec vantaux. Le métal, rouillé à présent, avait jadis été rouge. Il y avait trois couvercles à l’avant, dont un était ouvert. Maria avait visiblement déguerpi sans le fermer. Elle jeta un coup d’œil à l’intérieur et une odeur rance de décomposition lui assaillit les narines. Les mouches bourdonnèrent autour d’elle. Elle aperçut la main, coincée entre des sacs poubelle noirs et un vieux coussin de chaise sale. Elle retint sa respiration, son cœur se mit à cogner dans sa poitrine. Cela ressemblait bien à une main humaine. Elle regarda autour d’elle à la recherche de quelque chose à utiliser pour arriver à cette main et son regard tomba sur un bâton à terre, qu’elle ramassa. Le bâton était tout juste assez long pour atteindre la main, qu’elle souleva ainsi précautionneusement. Cette manipulation fit dégringoler un des sacs noirs et révéla un bras, une épaule et un morceau de cou pâle. Grâce au faisceau de lumière qui s’infiltrait par l’ouverture, elle remarqua que la peau blanche du cou frêle était parsemée de taches bleu-noir. Elle ignora d’où lui vint ce courage ; elle ne réalisait pas ce que ces yeux enregistraient. Elle agit dans un état proche de la transe. Elle brandit lentement son bâton à nouveau et poussa une boîte en carton à hauteur de ce qui devait cacher le visage. La boîte chuta en roulant, presque au ralenti. Elle observa cette boîte tomber avant de reporter son regard vers l’emplacement initial du carton. Elle voulut crier, mais sa gorge se noua.

    Un visage était apparu. Des yeux vides et sans vie fixaient le fond du conteneur, une bouche entrouverte, des lèvres sombres et bleuâtres. C’était une enfant. Une petite fille.

    Elle jeta le bâton par terre et se précipita, la main plaquée sur la bouche, vers le buisson le plus proche, mais elle ne put contenir la nausée qui lui tordit le ventre. Un goût acide lui remonta dans la gorge. Elle écarta sa main au moment où le liquide chaud jaillit et vomit entre les buissons.

    2

    Elle entendit vaguement le téléphone à travers la porte de la salle de bain et l’épaisse serviette qu’elle avait enroulée autour de ses cheveux mouillés en sortant de la douche. Elle venait tout juste de se lever, bien qu’il soit plus de midi. Elle n’avait pas beaucoup de raisons de quitter le lit. À part naturellement le ménage, la lessive et la vaisselle. En regardant l’état de la maison, on aurait pu penser qu’elle avait fait la fête jusqu’aux premières lueurs du jour. Et vu sa migraine, elle l’aurait volontiers cru aussi. Si seulement… Cela aurait au moins voulu dire qu’elle avait passé un bon moment. Mais en réalité, elle avait passé la soirée avec une bouteille de vin rouge à la main, à regarder une émission stupide à la télé, dans un état complètement amorphe. Ses pensées avaient tergiversé vers une autre planète. Elle n’avait éteint la télévision que lorsque ses paupières étaient devenues lourdes et qu’elle s’était rendu compte que, dans un demi-sommeil, elle avait glissé dans une position inconfortable, promesse de torticolis le lendemain. Elle n’avait pas eu le courage de ranger le désordre et s’était écroulée dans son lit pour sombrer instantanément dans un sommeil agité par divers rêves et cauchemars, qu’elle ne parvenait maintenant plus à se remémorer. Il ne restait plus qu’une sorte de démangeaison dans un coin de son esprit. Quelques bribes, qui s’effacèrent ensuite rapidement de sa mémoire. Quelque chose dont elle refusait de se souvenir.

    « Est-ce bien Kamilla Holm à l’appareil ? demanda la voix dans le combiné téléphonique.

    — Oui.

    — Kamilla Holm, photographe freelance ? »

    Elle hésita. C’était probablement pour un job. « Oui », répondit-elle néanmoins. Elle songea au nombre de fois où elle avait décliné une proposition durant l’année écoulée et aux nombreux appels qu’elle avait ignorés.

    « Oui, c’est bien moi, confirma-t-elle alors plus fermement.

    — Quelqu’un m’a donné votre nom. Je suis nouvelle, expliqua la personne au bout du fil avec un accent copenhaguois et sur un ton plus enjoué.

    Nouvelle quoi ? se demanda Kamilla. Elle noua la ceinture de son peignoir de bain en maintenant le combiné coincé entre son menton et son épaule.

    « Je vous appelle depuis la rédaction de Dagens Nyheder ¹  », poursuivit la voix, comme si elle avait pu lire les pensées de Kamilla via le câble TDC. Sûrement alors une nouvelle journaliste. Les anciens étaient déjà partis depuis belle lurette ; toutes les personnes que Kamilla connaissait et avec qui elle avait travaillé sur tant de projets – de l’inauguration de compagnies jusqu’à la semaine de la fête à Aarhus et quelques affaires policières – avaient été remplacées par de nouvelles têtes inconnues. Voilà plus d’un an qu’elle n’avait plus travaillé pour le journal. Plus d’an qu’elle n’avait plus travaillé tout court. Ses réserves financières allaient d’ailleurs bientôt se tarir. La banque lui avait envoyé un courrier pour lui rappeler qu’elle était en retard pour son remboursement de prêt – comme si son compte sur le site internet ne le lui avait pas déjà signalé. La patience de la banque n’allait cependant plus durer une éternité.

    Quelqu’un donc à la rédaction se souvenait encore d’elle et l’avait conseillée. Quelqu’un qui était satisfait par le travail de Kamilla. Thygesen peut-être. Oui, ce devait sûrement être Ivan Thygesen, le rédacteur. Elle s’était toujours bien dit qu’il était du genre à travailler jusqu’à la retraite. Il était un de ces chefs dont les employés se demandaient s’il avait une vie en dehors du travail. Il bossait toujours lorsqu’ils partaient le soir et était de nouveau – ou toujours – là le lendemain à leur arrivée. Le seul signe d’un changement durant la nuit était la nouvelle chemise qu’il portait.

    « J’aurais un travail pour vous… si vous êtes intéressée ? » Elle avait prononcé le dernier mot avec une certaine hésitation. Thygesen avait dû avertir la jeune journaliste qu’elle risquait d’essuyer un refus et elle avait sûrement déjà le numéro d’une autre personne sur son bloc-notes à joindre le cas échéant. Et si aucun contact ne fonctionnait, tant pis, les photographes pigistes ne manquaient pas. Mais ça signifiait que la rédaction n’avait toujours pas de photographe en contrat fixe. En tout cas, la journaliste avait décidé d’appeler Kamilla. Une chance à ne pas manquer. Elle devait se ressaisir.

    « Bien entendu, s’entendit répondre Kamilla.

    — Peut-on se retrouver rue Edwin Rahr à Brabrand le plus vite possible ? Vous n’aurez pas de mal à voir où c’est.

    — Oui ! Je me mets tout de suite en route.

    — Au fait, je m’appelle Anne Larsen », dit la journaliste.

    Kamilla avait déjà ôté la serviette autour de ses cheveux avant de reposer le combiné sur le poste fixe. Après s’être passé un petit coup de sèche-cheveux et s’être habillée, elle réalisa qu’elle avait oublié de demander de quel type de travail il s’agissait. Qu’est-ce qu’elle avait voulu dire par « vous n’aurez pas de mal à voir où c’est » ? Premier job depuis plus d’un an et Kamilla oubliait déjà de demander un truc aussi important. Peut-être avait-elle perdu la main ?

    3

    Le médecin légiste Henry Leander arrivait toujours sur la scène d’un crime en même temps que les techniciens de la police scientifique. Il voulait être sur place avant que d’autres ne débarquent et piétinent des preuves potentiellement cruciales. Un simple cheveu pouvait parfois être déterminant pour une enquête.

    Bien qu’il se considère comme un médecin aguerri, il devait admettre être toujours un peu angoissé lorsqu’il était appelé pour un nouveau cas. L’angoisse de ne pas savoir à quelle horreur s’attendre. Pourtant, il y avait aussi une certaine excitation, l’envie de résoudre un mystère, de mettre à jour les failles d’un meurtrier – ou d’une meurtrière – dévoiler son identité. Oui, en réalité, il aimait beaucoup son boulot, même si pour cela il avait dû renoncer à se remettre avec une femme depuis le décès de Mary neuf ans auparavant. Durant vingt-cinq ans, elle avait été une épouse formidable et loyale, mais un cancer des poumons l’avait emportée peu de temps après leurs noces d’argent, conséquence d’une intense consommation de tabac. Même quand il lui arrivait de rentrer tard la nuit, elle n’avait jamais eu de problème à ce qu’il vienne se glisser contre elle dans le lit, sachant qu’il avait travaillé avec des cadavres en putréfaction toute la journée. Elle était vétérinaire : elle aussi avait parfois dû faire face à des choses peu ragoûtantes. Trois ans après le décès de sa femme, il avait fait la connaissance d’une jeune veuve via un groupe d’amis. D’origine anglaise, tout comme lui et Mary. Un point en commun. Mais le travail d’Henry, avec ses « macchabés » comme elle les appelait, la révulsait. Elle disait qu’il traînait partout leur puanteur et elle le repoussait quand il essayait de la prendre dans ses bras. Il avait bien tenté de lui expliquer qu’il utilisait des gants stériles avec les cadavres et qu’il se lavait intégralement avant de rentrer, mais rien à faire. Cette relation avait évidemment été condamnée à l’échec. Il s’était fait depuis une raison : si on ajoutait en outre ses cinquante-neuf balais à l’équation, il était temps d’arrêter la chasse. Il avait acheté à la place un setter anglais, qu’il avait baptisé Bruce à cause d’une certaine ressemblance avec Bruce Willis, et s’était inscrit à un club anglais de propriétaires de setters. Il avait ainsi recommencé la chasse, mais pour un autre type de gibier. Le chien et le club étaient deux bonnes choses pour sa vie sociale. La chasse s’associait parfaitement à son image d’aristocrate anglais, la tenue et le chapeau kaki lui allant à ravir. Il pouvait aussi pleinement arpenter les vastes forêts au petit matin, au moment où les gouttes de rosée étaient encore prisonnières des toiles d’araignée et une fraîche brume bleuâtre se mouvait tel un géant entre les arbres. Il ne croisait certes pas énormément de femmes – ce n’était peut-être pas le passe-temps idéal pour ce domaine –, mais Bruce s’était trouvé une petite femelle et était maintenant le père d’une portée de chiots ; la famille s’agrandissait tout de même en quelque sorte.

    L’inspecteur criminel Roland Benito était déjà sur place et le salua d’un simple hochement de tête lorsque Henry s’approcha du conteneur à ordures. Ils ne s’étaient plus vus depuis longtemps, mais l’ambiance ne prêtait pas à des retrouvailles plus enjouées.

    « C’est une petite fille », lui indiqua Roland, presque en guise d’avertissement.

    Un technicien de la police scientifique, équipé d’une combinaison de protection blanche et de surchaussures, était déjà grimpé dans le conteneur avec un appareil photo. Ses flashs percèrent l’obscurité de la benne. Le conteneur était étroit, il ne pouvait pas tous y tenir en même temps. Le technicien finit par en sortir et leur fit savoir d’un signe de tête qu’il avait terminé. Henry grimpa dans le conteneur tant bien que mal. L’ouverture était à environ un mètre du sol. Sa cheville s’enfonça dans un tas de déchets lorsqu’il posa le pied à l’intérieur. Quelque chose d’humide traversa sa chaussette. Il perçut directement une odeur de pourriture et pensa aux rats. S’il y avait bien un truc qu’il détestait plus que tout, c’étaient les rats. Ces sales bêtes étaient capables de complètement défigurer un cadavre, ce qui retardait l’identification et n’offrait pas un beau spectacle.

    Il alluma sa lampe de poche. La fille gisait sur un tas de sacs poubelle noirs. Ses yeux éteints fixaient l’un des vantaux du conteneur, comme si un détail avait attiré son regard. Henry eut un mouvement de recul involontaire et se cogna la nuque contre la paroi du haut. « Aïe, foutredieu ! s’exclama-t-il.

    — Un problème ? » demanda Roland en passant la tête par l’ouverture. Leander avait fait tomber sa torche. Le cône de lumière éclaira le visage de la jeune fille en projetant une ombre grotesque, comme les enfants quand ils essaient de se faire peur en mettant une lampe sous leur menton.

    Après avoir douloureusement constaté qu’il était impossible de se tenir debout dans le conteneur, Leander ramassa sa torche et s’accroupit à côté de la fille. Il écarta avec précaution une mèche de cheveux boueuse de la joue de la victime et faillit à nouveau perdre sa lampe quand un coléoptère sortit de son oreille pour trouver refuge sous un tas de feuilles pourries. Une grimace tordit son visage ; c’était un Necrodes littoralis, aussi appelé nécrophore. Il entretenait une passion pour les insectes depuis de nombreuses années. Encore un élément que beaucoup de femmes trouvaient bizarre. Il avait aménagé un petit local dans un coin de sa cave avec diverses étagères contenant des bocaux et des vitrines remplis d’insectes. Il en avait ramené certains de dehors, dans la nature, et fait éclore d’autres dans la cave, ces derniers n’ayant ainsi jamais connu la vie sauvage. Leur instinct et leur comportement restaient cependant intacts, ce qui était précisément ce qui intéressait Henry. Un insecte prodiguait une foule d’informations sur l’âge d’un cadavre. Les œufs et les larves se muaient en adultes en suivant un schéma bien rigoureux qu’Henry avait appris au fil de lectures et d’études passionnantes – il fallait bien sûr noter que la température et l’humidité de l’endroit où le cadavre se trouvait influençaient le développement des insectes. Il éclaira le reste du conteneur avec sa torche. Les conditions d’humidité n'étaient pas difficiles à définir. Des gouttes d’eau coulaient le long des parois. L’été lourd et moite créait un climat bien unique à l’intérieur du conteneur.

    « Depuis combien de temps est-ce qu’elle est morte ? » l’interrogea Roland depuis l’extérieur.

    Henry Leander leva la tête en entendant la voix de l’inspecteur.

    « On a déjà un phénomène de rigor mortis. La rigidité cadavérique commence à se manifester entre deux et quatre heures après la mort. Ici, tout le corps est raide, donc on est déjà à au moins huit heures depuis le décès. Maintenant, pour un enfant, c’est parfois plus difficile à déterminer. Mais je pourrai t’en dire plus une fois qu’on l’aura ramenée au labo. Elle a environ dix ans. Étranglée à mains nues. »

    Il souleva la main de la fille pour la soumettre à la lueur du jour.

    « Il semble qu’elle ait été ligotée, grommela-t-il en montrant du doigt les marques rouges sur les petits poignets. Roland détourna le regard.

    Henry Leander continua d’analyser le conteneur en silence pendant un petit moment. Roland connaissait bien son vieil ami. Ils bossaient ensemble depuis un paquet d’années. Le médecin légiste était sûrement occupé tel un chien de chasse à examiner le cadavre de la petite fille sous toutes les coutures, même si Dieu sait comme cet environnement était tout sauf idéal. Leander s’extirpa du conteneur avec une expression médusée. Roland lui tendit le bras pour l’aider à sortir.

    « C’est juste écœurant. Abandonner un enfant dans un endroit aussi dégoûtant ! »

    Roland ne répondit rien. Ils avaient tous deux eu leur compte d’horreurs – surtout de leur temps à Copenhague –, mais cela faisait heureusement un moment qu’ils n’avaient plus dû se charger d’un tel cas.

    Le vent faisait virevolter les rubans de délimitation rouge et blanc de la police autour du conteneur. Les deux hommes s’éloignèrent. Leander enleva ses gants blancs en latex et tira son masque buccal en dessous du menton. Ils gardèrent le silence, chacun songeant à ce qu’ils avaient vu dans le conteneur.

    Roland Benito alluma une cigarette une fois loin du lieu du crime ; il considéra Leander en plissant les yeux sous l’effet de la fumée. Le cadavre d’un enfant était l’une des pires visions possibles.

    « Tu as trouvé quelque chose d’intéressant ? demanda Roland.

    — C’est presque absurde de devoir porter un masque et des gants pour ne rien contaminer dans un tel merdier. Il y a tellement de crasse là-dedans qu’il va falloir passer le conteneur au peigne fin une fois qu’on en aura sorti la fille. »

    Roland acquiesça. « Ça paraît logique. » Il tira sur sa cigarette.

    Les gens avaient commencé à se garer illégalement le long de la rue Edwin Rahrs Vej et observaient avec un air ébahi la scène autour du conteneur. Ils n’allaient pas pouvoir garder le meurtre secret très longtemps, songea Roland.

    « J’ai bien peur qu’on ait affaire à un crime sexuel », affirma-t-il en surveillant férocement d’éventuels badauds qui pourraient tenter de se glisser sous la rubalise de la police. Il craignait les réactions des habitants. Le meurtre d’un enfant au Seeland était déjà capable de secouer profondément les Aarhusiens du Jutland, alors qu’est-ce qu’un meurtre pareil dans leur propre ville – à Aarhus, la ville souriante – allait bien pouvoir déclencher… Il voyait déjà les gros titres dans la presse : Une fillette assassinée dans la ville du sourire, Une enfant étranglée dans un conteneur. Pourquoi d’ailleurs fallait-il que ce soit dans un conteneur justement à Gellerup ? Bon nombre allaient sans aucun doute en profiter pour faire un lien avec les étrangers et avec le taux de criminalité en hausse dans la région. Le quartier était déjà assez critiqué comme ça, il n’avait certainement pas besoin d’un meurtre pour en rajouter.

    « La fille est toujours entièrement habillée. Seules ses jambes sont nues, ainsi que ses pieds dans des sandales blanches », souligna Leander.

    Ce détail étonna Roland. Le temps n’était pas vraiment propice à se balader en jupe ou en short cet été. Que tous ces pédophiles aillent en enfer. Que ces pourritures regardent des photos d’enfants nus était une chose, mais qu’ils laissent donc ces enfants tranquilles, et qu’Henry Leander n’aie pas à les retrouver sur sa table d’autopsie.

    « Aucun signalement de disparition ? demanda Leander en enjambant une flaque au sol.

    — Non, pas de fillette en tout cas. Juste les avis habituels pour des personnes démentes qu’on finit généralement par retrouver. Tu ne peux donc pas me dire le moment exact du décès ?

    — Pas encore, mais je pourrai sûrement après l’autopsie. Peut-être même qu’on aura alors une piste pour le véritable lieu du crime. Cette fille a été traînée jusqu’au conteneur seulement après sa mort.

    — Il y a par conséquent aussi le lieu du meurtre à trouver », soupira Roland.

    Leander opina du chef. « Le conteneur est juste l’endroit où le corps a été découvert. Le lieu du crime est bien plus important. Mais ça, c’est ton boulot, mon vieux. » Il tapota l’épaule de son ami pour adoucir ses paroles.

    Roland gratta ses cheveux sombres. « Oui, je sais bien. Et là, les techniciens pourront vraiment nous trouver des preuves accablantes – une fois qu’on aura localisé l’endroit, bien sûr.

    — Je pourrai probablement t’apporter des réponses rapidement, le rassura Leander. Les cheveux de la petite étaient couverts de boue et ses vêtements trempés – ce sont des pistes. Ça ne vient pas du conteneur.

    — De la boue ? De la flotte ? s’exclama Roland en exprimant son dépit d’un geste de la main qui éparpilla de la cendre de sa cigarette. Avec cet été pourri, ça peut être n’importe où ! »

    Leander leva les yeux au ciel ; les nuages se rassemblaient à nouveau pour une prochaine averse. « Ça dépend du type de boue qu’on parviendra à identifier. Il y a boue et boue. J’ai aussi trouvé du sang sur sa jupe.

    — Du sang ? Le sien ? » Roland craignit le pire.

    « Difficile à dire pour l’instant. Seul un test ADN pourra le confirmer. Mais de prime abord, je n’ai pas vu de blessures qui auraient pu expliquer une telle quantité de sang.

    — Et les blessures dues aux cordes ?

    — Ce sont juste des hématomes, pas des plaies ouvertes. Pour moi, elle n’est pas restée attachée longtemps. Juste assez pour laisser des marques. »

    Ils étaient arrivés à leurs voitures. Leander ouvrit la portière de sa vieille Volvo. Derrière eux, la presse commençait à affluer. Des agents dépêchés sur les lieux faisaient barrage au flux de questions ; ils n’avaient aucun commentaire et s’efforçaient avec peine de garder le troupeau de journalistes à distance. Les gyrophares bleus avaient attiré les gens à des kilomètres à la ronde, comme un gros aimant avec des aiguilles.

    « Les vautours sont là. Mieux vaut partir », soupira le médecin légiste.

    4

    Au moment de s’engager dans la rue Edwin Rahrs Vej, elle repéra tout de suite les gyrophares bleus de la police et les rubans rouge et blanc délimitant la zone. Elle regretta à présent de ne pas avoir demandé à la journaliste le type de travail qui l’attendait. Quelque chose de grave s’était visiblement passé ici, un accident ou un crime. Pas vraiment ce dont elle avait besoin pour le moment. Elle avait plutôt espéré devoir couvrir l’ouverture d’une nouvelle usine dans la zone industrielle ou la remise du prix du plus beau jardin par la société horticole de Brabrand.

    La journaliste vint à sa rencontre et la sonda de ses yeux gris sous un parapluie rouge. Son regard indiquait qu’elle était au courant de ce qui était arrivé à Kamilla. Le rédacteur Thygesen, toujours à l’affût de nouvelles sensationnelles, n’avait certainement pas pu s’empêcher de tout lui raconter, avec ce ton dramatique dont il avait le secret. Kamilla était lasse de ces gens qui la regardaient avec cette expression de pitié disant clairement : « oh la pauvre ». Elle détestait ça, car elle-même se voyait comme une personne solide. Ou est-ce qu’elle était agacée de ne pas s’être révélée aussi solide qu’elle l’aurait cru ?

    La jeune journaliste lui tendit la main : « Anne Larsen, se présenta-t-elle, avec un accent distinct de Nørrebro. Kamilla, j’imagine ? »

    Une Copenhagoise, cela ne faisait pas le moindre doute. Sa main était fine, aux tendons saillants. Une jeune femme petite et mince. Pourtant, malgré sa frêle corpulence, sa poignée était ferme et chaleureuse. Son teint de peau pâle était accentué par sa coupe de cheveux masculine, courte et sombre. Un de ses yeux, à la paupière sensiblement pendante, avait un air un peu triste. Elle devait avoir dans la vingtaine, selon les estimations de Kamilla. Son pull noir à capuche dépassait légèrement de son imperméable jaune et son jean, délavé par endroits et aux bords retroussés, révélait ses chevilles nues dans une paire de baskets blanches souillées de taches d’herbe et de boue.

    « Oui c’est bien ça. Kamilla Holm. Comment saviez-vous que c’était moi ? » répondit Kamilla en entendant son propre accent, un mélange caractéristique du dialecte d’Aarhus et d’Horsens. Elle eut l’impression soudaine de sonner comme une paysanne. Ça aussi, elle avait oublié de demander au téléphone : À quoi ressemblez-vous ? Comment est-ce que je vous retrouve ? Digne d’une amatrice. Elle plissa les yeux à cause de la pluie. Elle n’avait naturellement pas pensé non plus à prendre un parapluie ou un imperméable.

    « Thygesen m’a montré une photo de vous, lui expliqua Anne Larsen, le regard pétillant.

    — Et qu’est-ce qu’il s’est passé ici ? » Elle observa l’attroupement humide de badauds que les agents de police tentaient de garder à distance. Une pointe de nervosité perça dans sa voix.

    « Ils ont trouvé une fille morte dans un conteneur à ordures.

    — Une fille ? Morte ? » Kamilla suivit avec répugnance la frêle journaliste qui se dirigea à grandes enjambées vers la foule dans l’herbe humide. « Oui, une enfant », précisa Anne en se retournant. L’appât du scoop illuminait son visage. Les jambes de Kamilla flageolèrent, ses genoux se transformèrent en blocs de plomb. « Une enfant… », bredouilla-t-elle. Elle emboîta automatiquement le pas à Anne ; le vieux réflexe de suivre le journaliste comme son ombre avait repris le dessus à son insu.

    Anne sortit son matériel pendant que Kamilla lui tenait son parapluie, profitant de l’occasion pour se protéger un court instant des gouttes. Anne disparut ensuite dans la cohue, alors que Kamilla restait en retrait, le parapluie en main, son sac photo à l’épaule. La situation était irréelle. Elle avait toujours su quoi faire auparavant, une fois sur le terrain. Elle agissait d’ordinaire par instinct. Elle réaperçut Anne dans la mêlée ; elle était parvenue à flanquer son micro sous le nez d’un jeune agent qui lui donna des explications. Kamilla replia le parapluie en adressant un regard circonspect au ciel. Le temps se dégageait. L’averse orageuse, la dernière d’une longue série cet été, était en train de se dissiper. Les premiers rayons du soleil percèrent la couche nuageuse, malgré les quelques gouttes qui tombaient encore. Kamilla sortit son appareil photo de son sac et prit une série de photos des agents de police et de la troupe de curieux et de journalistes rassemblés tout autour, même si aucune ne serait couronnée meilleure photo de presse de l’année. Il fallait bien commencer à se bouger.

    Les policiers éloignaient avec peine la foule de la zone. Anne fit des signes à Kamilla sous la rubalise, entre un groupe de buissons à côté du conteneur. Kamilla lança un regard en biais aux agents avant de la rejoindre. Ils étaient tellement occupés à repousser les gens en refusant de répondre aux questions qu’ils ne repérèrent pas les deux femmes.

    « Ah merde, chuchota Anne à quelques centimètres de la joue de Kamilla lorsqu’elle se pencha pour l’aider à se glisser sous le ruban. Ils ont déjà évacué le corps de la fille. »

    Une vague de soulagement envahit Kamilla. Aurait-elle été capable de supporter la vue d’un enfant décédé ? Pourquoi avait-elle aussi accepté un job pareil ? Alors qu’elle aurait pu en choisir tellement d’autres ? Parce qu’elle n’avait pas posé de questions. Voilà pourquoi. Si elle avait su à l’avance ce qui l’attendait, elle aurait refusé. Encore une fois.

    « Par ici ! » Anne lui fit signe de se rapprocher. Les buissons les dissimulèrent des agents de police. Elle avait découvert un volet latéral. Les policiers ne l’avaient pas verrouillé. Ils ne l’avaient probablement même pas décelé, car il était camouflé par les buissons et par une couche de rouille qui recouvrait toute cette face de la benne. Les charnières grincèrent quand Anne ouvrit le volet. Une puanteur rance les assaillit. Kamilla marcha dans une masse visqueuse. Du vomi. Elle dut se retenir de vomir elle-même.

    « On dirait que ce couvercle a déjà été ouvert récemment », marmonna Anne. Elle adressa un nouveau geste de la main à Kamilla. « Ici ! Prenez une photo ! lui dit-elle en chuchotant.

    — De l’intérieur de la benne ? Vous êtes sérieuse ? » Elle entendit sa voix se tordre de stupéfaction, malgré l’impression que tout s’assourdissait autour d’elle. Elle s’exécuta néanmoins. Le flash illumina le conteneur. Elle ne décerna pas grand-chose, ni sur l’écran LCD de son appareil ni dans le viseur, et prit donc quelques clichés au hasard. Le flash lui permit d’apercevoir subrepticement des bouts de sacs poubelle noirs, des sachets plastiques bariolés de bleu Aldi, des caisses en carton, de vieux meubles, des restes de nourriture et des tas de feuilles, de branches et de plantes mortes.

    « OK, on en a assez », estima Anne en tirant soudainement sur sa manche. Elle avait repéré un agent s’approcher.

    « Qu’est-ce que vous fichez là ? » leur cria le policier lorsqu’elles repassèrent sous la rubalise pour regagner la zone autorisée. Anne lui présenta sa carte de presse.

    « Je n’ai aucun commentaire », déclara l’homme. Il pointa du doigt l’appareil photo accroché au coup de Kamilla. « Vous avez pris des photos de quoi là ?

    — Juste du conteneur. On ne peut tout de même pas revenir les mains vides à la rédaction, sinon on risque d’être virées », se défendit Anne Larsen en passant une main dans ses cheveux.

    Kamilla fut stupéfaite. Comment faisait Anne pour avoir l’air aussi innocente tout en osant répondre de la sorte à cette armoire à glace de policier dressé devant elles ? Kamilla sentit ses joues s’enflammer et espéra que l’agent ne remarquerait rien. Elle frotta la semelle de sa chaussure dans l’herbe humide pour se débarrasser des restes de vomi.

    L’homme hocha la tête, mais vérifia néanmoins que le verrou accroché aux volets tenait toujours bon, tout comme l’écriteau signalant que ce conteneur avait été saisi par la police. On ne savait jamais avec ces

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