Boudoir philosophique suivi de faire, pouvoir, savoir
Par Pascal Maccioni
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Auteur de plusieurs articles et essais sur des thèmes de société, Pascal Maccioni est un ancien haut fonctionnaire du ministère de l’Économie et des Finances. Il a effectué l’essentiel de sa carrière dans des fonctions diplomatiques en Afrique, en Amérique latine, aux États-Unis et en Europe.
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Aperçu du livre
Boudoir philosophique suivi de faire, pouvoir, savoir - Pascal Maccioni
Boudoir philosophique
Mes arguments, je les prends sur une mouche.
Montaigne III – 5
Je m’avance vers celui qui me contredit.
Montaigne III – 8
Avant-propos
Ni salon de réception, ni chambre à coucher, le boudoir, pièce emblématique des grandes demeures du siècle des « lumières », offre à la fois l’agrément de l’un et l’intimité de l’autre. Elle est alors l’équivalent pour les dames du cabinet de travail des messieurs.
Pour autant, les hommes ne sont pas exclus de cet endroit. Seul leur degré d’intimité avec la maîtresse des lieux leur en ouvre la porte. De ce point de vue, les boudoirs sont bien mal nommés, car si l’on y boude quelque chose ce n’est que le désagrément des fâcheux ou des esprits grossiers et certains auteurs (à l’exception notable de Sade), comme certains peintres, en ont plutôt fait le lieu de la galanterie. Mais il était surtout celui du « bel esprit » de l’art de la conversation, étroitement lié au plaisir de la lecture et de l’écriture. Or, comme l’on sait, s’il existe bien des conversations légères, il peut en être aussi de plus profondes. Et si une pensée qui ne s’exprime pas est comme un fruit qui se dessèche, c’est son expression qui lui permet de se confronter à celle des autres par le dialogue qui pourra contribuer, soit à la contredire, soit à la renforcer, mais certainement à l’enrichir.
Et de toutes les disciplines, celle qui se nourrit le plus du dialogue est la philosophie. Son laboratoire d’expérimentation est le débat d’idées. Mais il peut exister plusieurs sortes de ces laboratoires philosophiques.
Les plus académiques sont les enceintes universitaires, les plus mondains sont les salons, les plus conviviaux sont les cafés et les plus modestes et les plus légers sont les boudoirs. Ne revendiquant ni le prestige ni la notoriété des autres, ces derniers n’ont d’autres prétentions que leur intimité et leur agrément. Mais s’il existe bien des facultés de philosophies, des salons et des cafés philosophiques, la contribution des boudoirs à la philosophie a été si discrète et si éphémère que l’expression « boudoir philosophique » n’existe pas.
En tout état de cause, les boudoirs ont, sauf exception, disparu de l’habitat contemporain.
Mais l’âge d’or des boudoirs demeure l’époque où la raison soumet à la démarche scientifique les idées que l’on peut avoir sur la nature de l’homme et de l’univers, car c’est aussi l’époque d’un extraordinaire développement des sciences et des techniques et surtout d’une diffusion du savoir auprès d’un public aussi bien féminin – et notamment celui des boudoirs – que masculin.
Et cet usage de la raison, de l’esprit critique, cette libération de la pensée (penser par soi-même) ne se cantonne pas à la réflexion purement philosophique, dans la mesure où il repense l’organisation économique, sociale et politique de la société.
Nul doute dans ces conditions que les boudoirs du XVIIIe siècle ne se sont fait l’écho, même sur un mode mineur entre leurs murs lambrissés, leurs décors et ameublement raffinés et dans leur atmosphère feutrée, de l’agitation des idées de ce siècle.
Le titre des développements qui suivent a donc pour objet de montrer qu’il est possible de philosopher sans autres prétentions que celles qui, modestes, intimes et discrètes, auraient pu se rencontrer dans un boudoir.
Mais quelle que soit l’enceinte de la pensée philosophique : portique, gymnase, jardin, lycée, académie, salon, café, boudoir ou même trottoir, la philosophie est vouée à questionner le monde tant qu’il y aura des hommes.
Il est donc temps maintenant de pousser la porte du boudoir et d’écouter ce qui s’y dit.
L’un dit :
« Partons du principe que
rien n’est qui ne soit matière »…
Partons du principe que rien n’est qui ne soit matière, compris comme tous phénomènes ou éléments physiques ou chimiques, perceptibles ou imperceptibles pour nos sens (ondes, particules élémentaires…), et que la pensée elle-même, et au-delà même de la seule activité cérébrale, est produit de réactions physico-chimiques.
Dans ces conditions, la bonne formule n’est pas : « je pense donc je suis » mais plutôt : « je suis donc je pense ». Mais les limites de nos connaissances, que les sciences repoussent toujours sans jamais pouvoir les abolir (telle, entre beaucoup d’autres, une question fondamentale à laquelle elle n’est toujours pas en mesure de répondre : qu’y avait-il avant le « big-bang » ?), ne permettent pas pour autant d’anéantir les concepts de métaphysique, d’âme, de divinité et de toute autre approche spiritualiste de l’homme et de l’univers.
Comment imaginer que nos pensées puissent être le produit de réactions physico-chimiques alors que la première idée que nous nous faisons de la matière est qu’elle ne peut être perceptible que par nos sens ? Et comment imaginer l’éternité de l’univers alors que nous avons le sentiment que tout (à notre image) a un commencement et une fin ?
Et le fait est qu’au fur et à mesure que les sciences repoussent les frontières de notre connaissance, leurs territoires d’investigation ne cessent de s’accroître et il en va de même de la philosophie. Si chaque réponse qu’elle apporte à ses interrogations est comme une porte que l’on ouvre sur une pièce que l’on ne connaissait pas et qui comporte elle-même d’autres portes (d’autres questions) dont nous ne savons pas sur quoi elles ouvrent – et tel est bien le cas –, le champ du questionnement scientifique, au même titre que celui du questionnement philosophique, est sans limite.
Quant à la nature même de nos connaissances, dépendantes de nos sens, sont-elles le résultat d’une perception de la réalité ou illusion ? En tout état de cause, elles ne sont pas le résultat de la certitude mais plutôt celle, critique, du doute et de la remise en cause, dans la mesure où le doute conduit plus sûrement à la vérité que la certitude.
Le danger de ce scepticisme est que, remettant en cause l’approche spiritualiste de l’homme et de l’univers, il nous écarte de certaines caractéristiques enviables de cette approche, telles que l’espérance (l’espérance d’une vie de l’âme ou de l’esprit au-delà de la mort) ou la morale (les religions revendiquent la connaissance de ce qui est bien et de ce qui est mal).
Mais si le matérialisme sceptique peut en effet être teinté de pessimisme, il n’est pas nécessairement étranger à la morale. Pour le matérialiste sceptique, la morale ne relève pas d’une doctrine de foi spirituelle mais relève de sa responsabilité personnelle fondée sur la raison. Or la raison et la foi ne faisant pas toujours bon ménage, une menace d’importance pèse sur une approche spiritualiste de la morale : l’obscurantisme.
De son côté, le matérialisme se heurte au mystère de la pensée qui, immatérielle dans son apparence, laisse toute sa place à la notion spiritualiste d’esprit. Mais sachant aussi que les apparences ne représentent pas nécessairement la réalité, la réalité potentielle d’une pensée entièrement produite de la matière reprend tous ses droits. Nous sommes constitués de systèmes de traitement de l’information particulièrement complexes ; même si nous aimons croire à l’indépendance de nos idées, une partie non négligeable de notre pensée – et de notre façon de penser – n’est pas consciente. Nous appelons instincts et intuitions ces traitements inconscients, qui déterminent pour une large part nos conduites, nos émotions et nos pensées. La seule limite à la preuve d’une pensée, entièrement produit de la matière, demeure non seulement celle des neurosciences cognitives, mais des sciences en général.
Dans ces conditions, le matérialisme relève encore de l’idéalisme (nous en avons l’idée) plus que du réalisme (nous ne sommes toujours pas en mesure d’en prouver la réalité absolue). Mais inaccessible à la preuve (« esprit, es-tu là ? »), le spiritualisme échappe, de son côté, à la certitude (ce qui n’invalide pas l’argument du pari de Pascal sur l’existence de Dieu). Et si le matérialisme n’a pas encore prouvé sa force, le spiritualisme révèle sa faiblesse.
C’est sans doute le degré de développement intellectuel de l’homme qui le rend réticent à admettre sa réductibilité à la matière. Faire de l’esprit le résultat d’un processus physico-chimique ne réduit-il pas l’homme à une quantité en niant ses qualités personnelles ? Mais la matière n’est ni uniforme ni homogène et les qualités et les réactions physico-chimiques des uns ne sont pas celles des autres et c’est, dans une optique matérialiste, ce qui crée la différence des caractères et des personnalités individuelles.
En tout état de cause, c’est cette incertitude sur la nature de notre être, entre matière et esprit, qui, sauf à être touché par la grâce de la foi, conduit au scepticisme.
Quant à la nature de la matière elle-même, une interrogation demeure toujours sans réponse : si tout est matière, quelle est l’origine de la création des particules élémentaires de cette matière ? Qu’y avait-il avant l’univers ? Et certains peuvent même demander : « qui » en est le créateur ?
Un autre dit :
« Partons du principe que
sans doute il n’y a pas de certitude »…
Même le sceptique ne peut pas douter de son existence ni de ce qui est perçu par ses sens. Toutefois, « je » conçois l’univers à travers le prisme, souvent déformant et assurément limité, de « mes » sens. Le doute qui peut en résulter ne peut être que graduellement levé, soit par la confrontation avec la perception