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Les aventures d'Aiden Mills
Les aventures d'Aiden Mills
Les aventures d'Aiden Mills
Livre électronique348 pages4 heures

Les aventures d'Aiden Mills

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À propos de ce livre électronique

Seules certaines instances et certains établissements, qui s'occupent de leur santé et de leur alimentation, savent que les vampires côtoient les humains chaque jour.

Le détective Aiden Mills appartient à l'unité interhumaine du LAPD, qui enquête sur des affaires auxquelles les vampires sont mêlés.

Depuis l'attaque d'un vampire victorien qui l'a grièvement blessé, Aiden malmène les suspects, les témoins et même son coéquipier vampire.

Son commandant laisse une dernière chance à Aiden en l'obligeant à travailler avec l'enquêteur Jude Caldwell, un vampire victorien plus gradé que lui, afin de l'aider à gérer son traumatisme.

Quand des vampires aisés, tous nés à l'époque victorienne, sont assassinés chez eux ou dans leur club, Aiden est très vite soupçonné.

Celui qu'il avait d'abord tenté de rejeter, Jude, pourrait devenir son seul allié. Voire plus ?
LangueFrançais
ÉditeurXinXii
Date de sortie15 sept. 2023
ISBN9783989117952
Les aventures d'Aiden Mills

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    Aperçu du livre

    Les aventures d'Aiden Mills - Chris Verhoest

    CHAPITRE 1

    Un nouveau coéquipier

    Convoqué.

    Ce lundi matin, j’étais convoqué par mon commandant de l’unité interhumaine, et sûrement pas pour le débriefing de début de semaine, au vu du ton du message officiel. Cela dit, je me doutais que cela arriverait à un moment ou à un autre. Le moment était venu.

    Je me garai sur le parking du bâtiment de mon unité, étrange mélange de tradition, avec la pierre hispanisante, et de modernité, avec les grandes baies vitrées recouvertes de filtres anti UV.

    Je contemplai le message sur mon téléphone pour la dixième fois, au moins, tout en éprouvant ce mélange d’amertume et de fatalisme qui ne me quittait pas depuis que je l’avais reçu.

    Je frottai ma jambe droite au-dessus de ma prothèse, sur le genou et la cuisse. Chaque coup de stress réveillait les douleurs fantômes de mon membre disparu.

    Je soupirai, et je m’extirpai de ma Corvette de collection bleu turquoise de 1957, entièrement refaite, à l’instar de ma jambe. Ma voiture tranchait de par sa couleur avec celles de tous mes collègues. Même les vampires qui conduisaient de vieilles automobiles, auxquelles ils étaient sentimentalement attachés, avaient choisi des couleurs sombres ou neutres. L’habitude de la discrétion, sans aucun doute.

    Je m’avançai jusqu’à l’entrée du bâtiment, frottai encore une fois ma cuisse, et je passai mon badge sur le lecteur. Les visiteurs avaient un bouton qui leur était réservé. La porte automatique s’ouvrit.

    J’effectuai la transition habituelle entre le soleil éblouissant et les lampes vertes diffusant une lumière tamisée dans l’unité, lui conférant une atmosphère semblable à celle des bibliothèques.

    Je saluai l’officier chargé de l’accueil et je me dirigeai vers les sanitaires. Ici aussi, pas d’éclairage agressif et cru, mais des lampes rondes émettant une lumière dorée, qui auraient presque pu transformer les WC en salon de papotage, tant l’atmosphère était intimiste.

    Je vérifiai mon nœud de cravate dans le miroir au-dessus du lavabo crème. Je m’efforçai de prendre un air dur ou tout du moins impassible. Neutre. Difficile, quand on avait un visage d’ange qui rassurait les mamies et les jeunes enfants, encadré de mèches blondes, et avec de grands yeux noisette. Je ne faisais pas mes vingt-huit ans. Pour cette raison, nombre de criminels ne soupçonnaient pas que je puisse être policier.

    J’avais toujours voulu l’être. Ou, plus précisément, détective. Mes bons résultats et ma motivation m’avaient amené au sein de l’unité interhumaine de Los Angeles. Au début, j’avais adoré découvrir qu’ils existaient, et côtoyer les vampires qui avaient vécu le début de la police moderne à la Sherlock Holmes. À présent, mon poste ne me faisait plus rêver. Même si j’adorais toujours mener des enquêtes. Elles feraient toujours partie de moi, de celui que j’étais.

    Je sortis des WC et traversai les couloirs en mode automatique. Je frappai à la porte du commandant James Herbert, qui m’enjoignit aussitôt d’entrer, de sa voix grave et familière.

    Il était assis derrière son immense bureau acajou, colosse humain aux cheveux noirs et au teint buriné par l’océan qu’il affectionnait. Il possédait un petit bateau à la marina la plus proche de chez lui.

    — Bonjour, mon commandant, dis-je, affable, tandis qu’il me faisait signe de m’asseoir face à lui.

    — Détective Mills. Vous devez savoir pourquoi vous êtes convoqué, commença-t-il.

    — J’en ai une vague idée.

    — N’oubliez pas que nous avons beaucoup investi avec vous.

    — Vous voulez parler de ma prothèse bionique ? Est-ce que vous allez me l’enlever pour m’offrir à la place une jambe de bois en guise de punition ?

    — Ne soyez pas trop irrévérencieux, Aiden, surtout dans votre situation. Oui, je veux parler de votre prothèse connectée à vos muscles, à la pointe de la technologie. Si elle vous aide bien au quotidien, elle vous rend très performant dans votre travail.

    Ma prothèse était un bijou noir et gris, avec un tube en titane à la place de mon tibia et de ma cheville, munie d’un pied prothétique en carbone et de ressorts, et elle procurait un confort et une puissance indéniables. Je l’enfilais aisément par-dessus un manchon en silicone protégeant mon moignon et n’empêchant pas la connexion entre mes muscles, mes nerfs et les composants prothétiques.

    Ma jambe artificielle arrangeait les deux parties. Moi, parce que j’avais l’impression d’avoir un vrai membre et eux, parce que cette jambe me rendait presque aussi fort que mes collègues vampires. Je pouvais sauter presque aussi haut qu’eux, j’avais la même puissance de frappe, mais je devais éviter d’atterrir trop brutalement avec, tout comme je devais éviter que son électronique soit criblée de balles.

    — Un travail que vous aimiez, poursuivit le commandant. Il faut que vous redeveniez ce détective parfois sarcastique mais toujours brillant et respectueux de ce qui doit l’être. Votre dernière évaluation psychologique a montré votre incapacité à vous projeter loin de vos griefs personnels contre les vampires.

    — Si vous me permettez, commandant, me faire dévorer la jambe par un vampire cinglé dans l’exercice de mes fonctions va au-delà de ce que vous pouvez appeler des griefs personnels, objectai-je. 

    — Aiden, dit Herbert en croisant les doigts. Vous savez très bien que cet accident du travail est devenu une vendetta personnelle. Or, vous ne pouvez pas faire payer à tous les vampires ce qu’un seul vous a fait. Vous êtes devenu violent verbalement et parfois physiquement envers des témoins ou des suspects d’origine vampirique. Vos exploits font les gorges chaudes des unités de New York, Londres, Paris et j’en passe.

    Je soupirai. J’avais même été tenté d’adhérer aux légendes urbaines liées aux vampires, et véhiculées par des personnes qui ignoraient qu’ils vivaient parmi nous. Qu’il existait des établissements de santé physique et psychique pour les vampires, d’alimentation, aussi, ainsi que des unités de police interhumaine aux quatre coins du globe.

    J’avais souhaité croire à ces fadaises pour avoir une raison de tous les détester. Ils représentaient le mal car le revers de leur éternité était la perte de leur humanité, la condamnation aux Ténèbres et le meurtre d’humains pour se nourrir.

    Rien n’est plus faux. Quand il se nourrit sur un humain, un vampire ne tue jamais, sauf s’il est taré. Qui a besoin de cinq litres de sang pour un repas ? Personne. De la même façon, un vampire n’est pas un mort. Il faut bien qu’il soit vivant pour que son cœur pompe et filtre son sang et celui qu'il ingère.

    La plupart des vampires volent du sang humain depuis des millénaires sans se faire voir. Contrairement au sang vendu dans des établissements spécialisés, sous la forme de poches aromatisées, le sang prélevé directement provoque une extase orgasmique chez l’humain et le vampire. Une extase telle que la personne humaine est ensuite persuadée d’avoir juste fait l’amour, pas qu’on lui a aussi pris du sang. Surtout qu’il ne reste aucune marque grâce à la salive cicatrisante du vampire.

    Quel serait donc leur intérêt de se découvrir au grand jour, puisque tout se passe si bien en général ? Les seuls vampires qui révèlent leur nature le font au sein de leur travail, quand il est lié aux vampires, ou dans leur couple, s’il est solide. Il n’y a que les criminels qui prennent des risques. Dans ce cas, les unités interhumaines interviennent.

    Enfin, les vampires ne sont pas des créatures de la nuit, sauf s’ils le désirent ou si leur travail l’exige. Certains aiment le soleil, d’autres non, mais tous ont besoin de protéger leurs yeux très sensibles aux rayons UV. Comme les chats, ils voient très bien la nuit, s’il y a une source de lumière, aussi petite soit-elle, mais ils n’ont pas de troisième paupière de protection. Il s’agit de prédateurs, de carnivores, comme les félins, préférant la nuit au jour pour chasser, depuis l'origine des temps. Ce qui ne signifie pas qu’ils tuent leur proie, bien au contraire. Plus ils sont discrets, plus ils pourront de nouveau s’abreuver à elle. Il leur arrive aussi de se nourrir de viande, surtout rouge, de manger tout ce que nous mangeons avec plaisir, mais le sang humain leur est nécessaire pour vivre longtemps, très longtemps et c’est lui qui leur procure cette extase recherchée aussi par les humains, ce qui rend les deux espèces complémentaires.

    Cependant, j’avais eu besoin de boucs émissaires, puisque mon agresseur avait disparu dans la nature. J’étais d’autant plus frustré que je n’avais pas vu grand-chose de son visage. Il m’était donc impossible de nier ce que mon commandant me reprochait, d’autant plus qu’il y avait des témoins de mon comportement excessif.

    — Aiden ? reprit Herbert, qui me tira de mes réflexions.

    — Je vais faire des efforts de cordialité, déclarai-je.

    — Et moi, je vais m’assurer que vous les fassiez, renchérit-il en souriant, ce qui me fit froncer les sourcils.

    — Puis-je savoir de quelle façon ?

    — En vous attribuant un nouvel équipier.

    — Ethan a jeté l’éponge ? soupirai-je.

    — Non, absolument pas, mais avoir un autre coéquipier humain va certainement le reposer. Vous l’avez plutôt malmené, ces derniers temps.

    Je ne retenais que ces deux mots : nouvel équipier.

    — Votre nouveau collègue est de deux grades plus élevé que vous, et il est donc aussi plus expérimenté. Il est anglais. Il est lui aussi issu de l'ère victorienne, comme votre bourreau, ajouta-t-il.

    Des analyses de son sang avaient permis de trouver l’époque de sa transformation, mais aucun indice n’avait permis de remonter sa filière vampirique. D’autant plus que seul un vampire sentait un membre de sa famille, c'est-à-dire un vampire transformé par le même créateur. Encore un fait qui changeait mon impuissance en colère.

    — Comme c’est un victorien, poursuivit Herbert, j’ai pensé qu’il pouvait vous aider à gérer votre traumatisme.

    — Vous êtes sérieux ? m’enquis-je en me raidissant.

    — Totalement. Mon idée a même été validée par le chef de la police. Il fallait bien faire quelque chose. Votre coéquipier vous apportera cette tolérance que vous semblez avoir perdue. Vous lui apporterez votre humanité, ou ce qu’il en reste. Vous n’ignorez pas que c’est très important pour les vampires ayant dépassé la centaine d’années.

    J’avais l’impression d’avoir le corps et l’esprit anesthésiés, comme emprisonnés dans une gangue de glace très épaisse.

    — Faites venir le détective Caldwell dans mon bureau, demanda mon supérieur via son téléphone. Il a travaillé pour l’unité interhumaine de Londres, puis celle de New York, m’apprit Herbert après avoir raccroché. Il a soif de connaissances et d’expérimentations, c’est pourquoi il s’est porté volontaire.

    — Je suis son sujet d’expérimentation ? blêmis-je.

    — Et même son patient. Il va vous apprendre à gérer.

    — Il a un diplôme en médecine psychiatrique ? ricanai-je.

    — Tout à fait, même s’il date. Il le réactualise régulièrement.

    — Sans blague ?

    On frappa doucement, ce qui n’empêcha pas mon cœur de tressauter, tant j’étais tendu. Herbert donna son accord, et celui qui devait devenir mon nouveau coéquipier entra. Je ne me retournai pas. J’attendis qu’il soit dans mon champ de vision.

    — Détective Aiden Mills, je vous présente le détective Jude Caldwell.

    Un vampire, c’était comme un chat avec une apparence humaine. Jude Caldwell n’échappait pas à la règle. Il se déplaçait en silence et avec souplesse. Il avait ma taille et il était d’une beauté fracassante, avec un visage aux traits fins et délicats, anciens comme s’il s’était échappé d’un tableau, entouré de cheveux noirs mi-longs, et éclairé par des yeux plus clairs que les miens, des yeux ambrés. Il avait à peu près mon âge quand il avait été transformé, c'est-à-dire qu’il approchait la trentaine.

    Il portait un costume sombre bien coupé, qui mettait en valeur sa silhouette élancée. Il s’assit. Il ne me regarda que quelques secondes, les vampires n’avaient pas besoin de plus pour tout assimiler, y compris les plus infimes détails. En outre, avec son odorat très développé, il pouvait apprendre beaucoup d’autres choses sur moi.

    Pour la première fois, l’idée qu’un vampire me sente me troubla. N’était-il pas là pour m’analyser, afin de me réparer ?

    — Commandant Herbert, salua-t-il d’une voix élégante, douce, et que je perçus comme un peu narquoise. Détective Mills, enchanté.

    Je me contentai d’un hochement de tête.

    — Chacun de vous sait ce qu’il a à accomplir, dit Herbert. Je vais donc vous laisser faire connaissance pour la journée, ajouta-t-il, l’air réjoui.

    Il nous congédia sans briefer Caldwell. Peut-être l’avait-il fait avant ? Plus probablement, il lui faisait une confiance totale pour remettre dans le droit chemin le petit mouton pas si angélique qui s’était égaré.

    Nous nous retrouvâmes donc tous les deux dans le couloir.

    — Ton diplôme de détective n’a pas dû être difficile à obtenir, avec les siècles de connaissances accumulées, sans compter ce diplôme en psychiatrie, lâchai-je d’une voix sèche.

    — Les enquêtes liées à la police scientifique ainsi qu’à l'étude du psychisme humain m’ont toujours passionné, me répondit-il avec sérieux. Tout a commencé par la lecture des aventures de Sherlock Holmes dans le Strand, dans les années 1880, avec de captivantes illustrations.

    Je voulais le détester, et il avait le même héros que moi. Je retins un soupir.

    — J’ai eu la chance de naître lors de la révolution industrielle, ce qui m’a rendu très sensible au progrès en général, et me permet de m’adapter très vite, ajouta-t-il.

    — Fascinant, tentai-je d’ironiser, mais je devais surtout avoir l’air d'être au bout de ma vie. Je cherche à t’énerver, précisai-je.

    — Aucun risque, affirma-t-il avec douceur.

    — Grâce à ton âge qui te donne une si grande sagesse ? le provoquai-je encore.

    — Tu sais comme moi, puisque tu travailles dans une unité interhumaine, que tous les vampires sont différents, et qu’un vampire victorien ne fait pas l’autre. C’est juste mon caractère.

    J’aurais juste souhaité le frapper pour cette allusion à l’époque victorienne, d’où venait aussi le vampire qui m’avait pris ma jambe.

    — Herbert nous a donné la journée pour nous ajuster l’un à l’autre, changea-t-il de sujet.

    — Une si délicate attention.

    — En effet, parce que ce n’est pas le travail qui manque, je ne vais pas te l’apprendre.

    — Tu es là pour m’apprendre à me gérer, susurrai-je sur un ton mielleux.

    Je battis des cils et il esquissa un sourire froid, la lèvre supérieure relevée sur une canine qu’il eut la décence de ne pas faire descendre en croc. Il s’agissait néanmoins d’un avertissement, comme un chat qui aurait grogné.

    — Où veux-tu aller ? me demanda-t-il.

    — Oh, ce n’est pas toi qui décides ? m’écriai-je, une main sur le cœur.

    — Je te fais une faveur, rétorqua-t-il, avant de sortir une paire de solaire, pour protéger sa vue du soleil californien de septembre.

    — Bonne chance, gloussa l’officier humain de l’accueil.

    J’ignorai s’il s’adressait à Jude, à moi, ou aux deux. Je ricanai, l’air d’être fier de ma réputation. Jude fixa l’officier, qui baissa instantanément les yeux. Je franchis la porte, Jude me rattrapa et j’eus le déplaisir intense de le suivre sur le parking.

    Il s’arrêta devant une Ducati noire.

    — Alors c’est comme ça, dis-je d’une voix traînante en observant d’un air moqueur la belle moto.

    Jude se tourna vivement vers moi et plissa les yeux sous ses lunettes de soleil.

    — Plaît-il ?

    — Tu la joues Lost Boys ? (NDA: film culte américain des années 80, avec des vampires rebelles à moto).

    — Tu t’attendais à ce que je ramène une voiture avec un cheval ? s’enquit Jude.

    — Je te voyais plutôt prendre le train, ou le métro, pour que tu te souviennes avec nostalgie des trains à vapeur de l’époque victorienne, mais c’était sûrement plus simple à New York, exposai-je, en haussant les épaules. 

    — Je te suggère de faire attention, me prévint Jude, sur un ton toujours aussi calme. Ou tes jours sont comptés à l’unité interhumaine. Personne ne veut d’un détective qui déteste les vampires. Herbert m’a dit que tu étais brillant, c’est pour ça qu’il a tout fait pour ne pas te perdre. Quant à moi, je détesterais échouer dans ma mission.

    — J’ai les larmes qui menacent de nous engloutir tous les deux.

    — Aiden, je ferai un rapport sur chacun de tes écarts. Cesse tes moqueries, travaille, et laisse-moi gérer ton SSPT. Dernier avertissement, de la part d’un détective de grade trois à un détective de grade un.

    — Message reçu, dis-je avec morgue. Mais je n’ai pas envie de t’attendre pendant que tu te changes je ne sais où. Tu chevaucheras ta monture plus tard. On prend ma voiture, décrétai-je en m'éloignant.

    — J’avais pensé que nous prendrions chacun notre véhicule, au vu de la tension entre nous, mais c’est une bonne idée, accepta Jude.

    — Bar pour humains ou pour vampires ?

    — Pas de bar, surtout si tôt, trancha-t-il. Un endroit neutre.

    — D’accord, dis-je, avant de m’arrêter devant ma Corvette.

    — Elle est… voyante, constata Jude en croisant les bras.

    — Tu te souviens de ce que tu faisais en 1957 ? C’est sa date de mise sur le marché.

    — J’étais en Italie, et je ne conduisais sûrement pas une voiture bleu turquoise.

    — Pas de moquerie, ça vaut aussi pour toi, non ?

    — Je ne fais qu’énoncer la vérité. L’unité te laisse rouler avec un engin aussi peu discret ?

    — Je ne la prends pas en service, ripostai-je.

    — Je m’en doute, mais tu es repérable, non ?

    — Même sans cette voiture, je le serais de toute façon.

    — Tu parles de ta jambe prothétique ?

    — Non, grimaçai-je, j’évoquais juste des criminels intelligents et observateurs.

    — N’importe quel vampire sent le métal connecté à ta chair, insista Jude.

    — Je sais, grinçai-je, agacé. Mais vampires comme humains peuvent être surpris par ma puissance.

    — Je n’en doute pas.

    — Ma jambe n’a jamais été un handicap sur une affaire, martelai-je.

    — Je n’y pensais même pas. J’avais surtout en tête l’autre problème qui nous associe, toi et moi.

    — Tu as lu tout mon dossier ? lançai-je, avec agressivité.

    — On m’a fait un topo sur l’attaque que tu as subie, rectifia-t-il. Je ne suis pas ton ennemi, Aiden, à condition que tu ne me provoques pas trop.

    — C’est difficile de te considérer comme un simple coéquipier. Tu vas me soigner et m’évaluer.

    — Est-ce que ce n’est pas ce qu’on appelle l’entraide entre collègues ? minimisa-t-il.

    — Non, répondis-je franchement.

    À peine étions-nous installés dans l’étroit habitacle de ma Corvette, que Jude ôta ses lunettes et me fixa, me rendant incapable de décrocher mes yeux des siens. L’or de ses prunelles, troublant, ondulant, hypnotisant. C’était l’or des feuilles en automne, sur les arbres et par terre, dans le parc de Yosemite. C’était comme un alcool ambré dégusté devant une cheminée, à la montagne. 

    Je sentis mon coeur battre de plus en plus vite. Peu à peu, un autre rythme, d’abord lointain et ténu, se rapprocha, puissant, s’entendit de plus en plus, jusqu’à ce qu’il soit en parfaite harmonie avec le mien. Une partition à deux, impeccablement jouée.

    Pourtant, c’était impossible. Seuls les vampires pouvaient percevoir les battements du cœur des humains, ou celui des autres vampires. Avant Jude, je n’avais jamais entendu le cœur d’un vampire, sans vérifier son pouls ou sa montre connectée.

    Comment était-il possible que je l’entende ? Parce qu’il avait osé me soumettre à son pouvoir hypnotisant ? Non, des vampires criminels avaient déjà essayé, et je n’avais pas entendu leur cœur. Décidément, notre collaboration commençait mal. Je n’arrêtais pas de le provoquer, et il m’hypnotisait, ce qui était formellement interdit dans les rangs de la police interhumaine.

    Pourtant, j’entendais toujours son cœur battre avec le mien, aligné sur mon rythme, bien qu’il soit plus puissant. Pourquoi cette connexion ? Parce que je le trouvais beau, bien que je le déteste ? Non, le désir ne pouvait pas provoquer ce phénomène, et je doutais que mon homosexualité agisse comme un super pouvoir sur ce vampire.

    Jude détourna les yeux. La forêt rousse, dont le cœur pulsait en moi, disparut. Nos deux instruments se désaccordèrent presque jusqu’à la cassure, douloureuse.

    — Mais ça fait mal ! gémis-je.

    — Je suis désolé, murmura Jude, l’air aussi surpris que j’étais en colère.

    — Tu es censé me gérer, pas m’hypnotiser, connard ! m’exclamai-je, le crâne encore traversé par des vrilles de souffrance.

    — Je sais. Je n’ai aucune excuse.

    Il remit ses lunettes de soleil, et inspira profondément, en renversant la tête en arrière.

    — Tu t’es coupé ce matin en te rasant, souffla-t-il.

    — Et tu ne te contrôles pas ? Toi ? Un détective de grade trois de l’unité interhumaine ?

    — Ce n’est absolument pas normal ! s’écria-t-il. La cannelle… ton sang…

    — Bordel, fulminai-je, pour tenter de dissimuler mon trouble.

    — Il est avéré que nous préférons certains sangs humains à d’autres mais le tien… Je ne comprends pas ce qui m’arrive.

    Il secoua la tête.

    — Eh bien, grommelai-je, ça va être pratique pour bosser ensemble.

    — Je vais me reprendre, et toi, tu vas rentrer chez toi. Entre le fait d’avoir un nouvel équipier, et d’avoir été hypnotisé par ce même équipier, tu as besoin de te reposer.

    — Mais je vais où je veux ! m’offusquai-je, alors qu’il ouvrait la portière pour se précipiter dehors et inspirer presque désespérément l’air.

    — Il a ce sang spécial ou alors… l’entendis-je réfléchir à voix haute, ce qui montrait combien il était perturbé.

    Il s’en rendit compte, et ferma la portière. Vexé comme un pou, troublé au plus haut point par cette expérience inédite, je démarrai et quittai le parking. Il m’était arrivé de coucher avec un vampire rencontré dans le cadre d’une enquête. Je ne me souvenais que de l’orgasme fulgurant, pas de la morsure, et encore moins de mon cœur battant en rythme avec le sien. 

    Je rentrai chez moi, dans mon petit appartement donnant sur l’océan. Depuis l’attaque qui m’avait coûté ma jambe, je n’avais approché aucun homme et encore moins un vampire. Je ne supportais plus aucune intrusion dans mon espace vital ou entre mes draps. Avec ou sans prothèse, aucun amant ne m’avait vu nu, ni ne me verrait nu, que ce soit chez moi ou ailleurs.

    Et je venais d’avoir l’expérience la plus intime qui soit avec mon nouveau collègue, que je venais à peine de rencontrer. L’hypnose dont j’avais été la fichue victime m’avait vidé de toute mon énergie. J’ôtai mes chaussures, mon costume, et je me laissai tomber sur mon lit sans retirer ma prothèse. Le sommeil m’enleva aussitôt.

    Je me réveillai alors que la nuit tombait, encore hébété. Je me levai péniblement, le moignon douloureux à force d’avoir porté trop longtemps ma prothèse, et de m’être couché avec. Je boîtai, en boxer et t-shirt, jusqu’au salon. J’appuyai mes deux mains sur ma baie vitrée ouverte, inspirai, expirai plusieurs fois.

    Jude apparut soudain en lieu et place de mon reflet, se détachant de la nuit. Je sursautai violemment. Peu à peu le visage magnifique et impassible du vampire se modifia. Ses traits s’assombrirent, une capuche recouvrit ses cheveux noirs.

    Je ne croyais pas pouvoir maîtriser totalement mon SSPT. Cette hallucination me prouvait que j’en étais encore loin, si Jude se métamorphosait en mon bourreau. La souffrance monta dans ma gorge.

    L’apparition, dont je ne distinguais que la bouche, sourit. Ses canines très blanches s’allongèrent, devinrent des crocs. Je me mis à hurler. 

    CHAPITRE 2

    La première affaire

    Le lendemain matin, je me pointai à l’unité interhumaine relativement en forme. Après l’hallucination où Jude prenait les traits de mon bourreau, j’étais allé sous la douche pour délasser mon corps et réfléchir posément. J’avais pris la décision de me taire au sujet de son comportement. D’abord, au vu de mes antécédents, mon supérieur pouvait très bien imaginer que je mentais pour me débarrasser du coéquipier qu’on m’avait imposé. Ensuite, si je passais sous silence l’hypnose et le reste, Jude me serait redevable. 

    Je voulais des explications et il me les donnerait, il me les devait. De plus, en faisant semblant d’accepter ce collègue, je me plaçais dans la position de celui qui était plein de bonne volonté. J’ignorais ce que Jude pourrait réellement faire pour mon SSPT. Si l’on réussissait à l’enfouir profondément, il était en revanche impossible de l’oublier. L’hallucination dont j’avais été victime m’avait démontré à quel point j’étais encore traumatisé. Je devais tout faire pour me maîtriser et récolter un bon rapport de la part de Caldwell. Si je réussissais, et même si j’étais viré de l’unité interhumaine, je resterais détective au LAPD.

    Ces pensées m’avaient permis de bien dormir. Cette fois, j’avais bien retiré ma prothèse avant de me glisser sous ma couette. Alors, ce mardi matin, mon visage angélique était à même de donner le change.

    Comme d’habitude, il y avait un attroupement autour de la machine à café. Humains et vampires mêlés, pour échanger des propos anodins censés prouver leur si grande sociabilité, ou pour échanger les dernières rumeurs en date. Or, à mes yeux, toute conversation se devait d’être efficace, et les mondanités matinales possédaient un effet presque émétique sur

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