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Un grain de sable dans le désert
Un grain de sable dans le désert
Un grain de sable dans le désert
Livre électronique474 pages7 heures

Un grain de sable dans le désert

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À propos de ce livre électronique

Par manque de discernement, Hugo est violemment confronté au gourou d’une secte misogyne. Avec l’aide de Julie, il décide de découvrir qui est derrière cette mouvance. Tous les deux sont plongés au cœur d’un univers qui les dépasse et dont ils sont les acteurs involontaires. Ils découvrent un impensable enchevêtrement qui les mène à des organisations opaques du Moyen-Orient, des États-Unis et de l’Europe dont le but est de soumettre les femmes occidentales au pouvoir absolu et irrémédiable des hommes. Dans ce contexte, un mystérieux Libanais intrigue Evelyn, journaliste d’investigation à CNN, mais aussi attire l’attention de la DGSI et de la CIA. 

Un grain de sable dans le désert vous entraîne dans une enquête haletante au dénouement stupéfiant...


À PROPOS DE L'AUTEUR 

Léo Falke est artiste plasticien. Avec un regard de sociologue, il peint sur la toile les dérives de notre société. À travers Un grain de sable dans le désert, il transpose sa perception du monde en crise en une fiction avec en toile de fond les nouvelles technologies.

LangueFrançais
Date de sortie18 août 2023
ISBN9791037791092
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    Aperçu du livre

    Un grain de sable dans le désert - Léo Falke

    Acte 1

    L’air du temps

    Les pires mensonges sont ceux qu’on se murmure à soi-même.

    Penelope Williamson

    1

    Les deux avions qui se suivent dans un rugissement d’enfer laissent une trace blanche dans le ciel bleu finissant des derniers jours de septembre. Il fait très doux pour la saison. C’est tant mieux dans le contexte particulier de cette fin de journée.

    — Ce sont peut-être des avions de combat de la base aérienne de Romorantin, dit l’homme aux arbres qui l’entourent.

    Le jour décline. Il essaie de s’orienter dans cette immense forêt à une quarantaine de kilomètres au sud-est d’Orléans. Le massif de Lorris l’a englouti à l’ombre de ses arbres centenaires. De mémoire, il pense que Sully-sur-Loire ne doit pas être bien loin. Coudroy non plus. Il suffirait qu’il éclaire sa carte IGN et sa boussole avec sa petite lampe torche pour en avoir le cœur net. Mais en bon citadin, il n’a pas les réflexes d’un scout.

    Pour l’heure, le brame d’un cerf en rut le ramène à la réalité. Le cri rauque et retentissant de l’animal lui rappelle que c’est lui le mâle. Il est en mission. C’est un guerrier. S’il veut s’affirmer comme un géniteur régnant sur une harde de femelles, il doit être le plus fort, le plus puissant, comme les hêtres sont l’espèce dominante de cette forêt continentale.

    L’homme a été mis à l’épreuve. Il doit rejoindre son camp d’entraînement sans savoir où il se trouve. Son chef de section et un chauffeur l’ont conduit en jeep loin du camp de base. Les yeux bandés, il a perdu totalement le sens de l’espace et du temps. On lui a retiré sa montre. Dommage, c’est rassurant une montre. À la louche, il estime qu’il est 20 heures 30 ou 21 heures. La fraîcheur du soir lui tombe sur les épaules comme la misère sur le bas monde. Il frissonne. Rien ne peut le rassurer. On ne lui a laissé que ses rangers. Il est nu comme un ver. Son torse laisse apparaître une pauvre musculature d’expert-comptable vissé à son bureau douze heures par jour.

    Henri Picdoux est de ces hommes qui baissent les yeux devant la vie. Sa femme, Marie-Christine, l’a supporté pendant dix-neuf ans, l’âge de leur fille qui vient de s’envoler pour une histoire d’amour sans retour au bercail. Son départ a fait perdre tout sens à son mariage. Dans leurs premières années d’union, Marie-Christine Picdoux a trouvé amusant de dominer son homme, de lui faire effectuer tout ce qu’elle désirait. Juste par jeu. Et puis, elle s’est lassée de sa transparence et de sa mollesse. Certes, il gagnait beaucoup d’argent, mais cela ne lui suffisait plus. Elle voulait un homme, un vrai, qui fait chavirer le cœur des filles. Les amants se sont succédé, renforçant chaque fois un peu plus le mépris qu’elle avait pour ce mari insignifiant.

    Seuls une carte IGN, une boussole et un couteau de combat dans son étui lui enserrant le mollet droit lui tiennent compagnie dans cette épreuve initiatique. Il doit rejoindre son camp de base à l’aide de sa carte, marcher à la boussole et regarder les étoiles pour s’orienter. On lui a donné un objectif. Il doit réussir ! « Ce n’est pas compliqué », lui a dit le Grand Nautier des Gaules. Comme un chien, il doit rejoindre son chenil. Et comme un animal, il est bagué. Son chef de section lui a enserré le poignet gauche avec une balise GPS, au cas où il se perdrait dans les profondeurs de la forêt. Depuis qu’il chemine dans l’ombre de lui-même, sur les chemins obscurs du massif de Lorris, Henri pense à son chien, un westie, qui à l’évidence, admet-il, a plus de personnalité que lui. Charly, sa boule blanche, son petit chien, lui redonnerait en la circonstance un peu goût à la vie. À 45 ans, il se sent ridicule dans son plus simple appareil. Il est plus à l’aise avec les hauts de bilan et les actifs circulants qu’avec ce couteau de tueur qu’on lui a confié comme compagnon de voyage. Avec le lever de lune, les hauts feuillus de la forêt de Lorris projettent leurs ombres gigantesques sur sa carcasse fragile. Sa femme l’a congédié sans qu’il ait eu le courage de l’affronter sur sa décision de le quitter, sans chercher à sauver les meubles. Il est parti la tête basse pour vivre à l’hôtel, le temps de se retourner. Et lorsqu’il s’est retourné, il s’est vu dans le miroir et il a pris peur. S’il avait eu les bois d’un cerf, il aurait peut-être pu se battre avec le dernier amant qui a su convaincre sa femme de l’expulser. En martyrisant les mousses et le tapis de feuilles mortes d’un chemin hasardeux, il prend encore plus conscience de sa lâcheté lors de cet épisode déplaisant. Sa femme a décidé, lui a signifié son futur statut d’homme divorcé et il n’a pas cherché à se battre. Il s’est fait jeter comme un moins que rien. Son amour-propre n’a pas bronché. En se remémorant ce passage douloureux de sa vie, il se surprend à parler tout seul aux fougères qui lui coupent la route.

    — Et puis à quoi bon ? C’est mieux comme ça ! 

    Marie-Christine est partie et Henri est entré dans un état de prostration qui a vraiment inquiété David, son associé. Ces deux-là sont amis depuis leurs études universitaires.

    C’est à Dauphine, sur les bancs de la faculté de sciences économiques, qu’ils ont eu le projet d’ouvrir ensemble un cabinet d’expertise-comptable. Avec leur DESS d’expert-comptable en poche, après l’avoir rêvé, ils l’ont fait. Henri Picdoux est le tatillon du cabinet, le taiseux qui sait trouver la faille dans les filets de pêche du fisc, le rase-muraille qui défie les redressements programmés du ministère des Finances. La loi comptable 96-112 du 30 décembre 1996 lui sert de livre de chevet et rien ne lui échappe. David Hassouline est tout l’inverse. C’est l’homme des relations publiques du cabinet qui séduit tout ce qu’il croise, surtout les jolies femmes. D’ailleurs, n’a-t-il pas charmé un westie pour le convaincre d’être un pourvoyeur d’affection pour Henri ? Et lorsqu’il a eu l’assentiment muet de la boule de poil, n’est-ce pas lui qui a lui offert l’animal en lui glissant à l’oreille que le chien est le meilleur confident de l’homme ? Marie-Christine Picdoux n’a pas apprécié ce David Hassouline, cette grande gueule si sûre de lui. C’est pourtant lui qui est à l’origine de l’expansion foudroyante du cabinet Hassouline-Picdoux. David charme les clients et les attire au cabinet, Henri les fidélise, les rassure, les protège. Le bouche-à-oreille des clients satisfaits et la puissance des réseaux de David font le reste. Dans la vie, Henri est respecté. Il a tout eu ; l’argent, le pouvoir et une très jolie femme. Aujourd’hui, même s’il a toujours l’argent et le pouvoir, il se sent vidé de sa substance. Après son divorce dévastateur, il a même essayé le traitement américain Low T qui rend la virilité aux hommes à l’aide de piqûres de testostérone. « Pour se redonner l’envie de survivre », dit-il. Avec ce traitement de choc, il s’est senti pousser des ailes et a rencontré quelques femmes sur Meetic. Mais cela a été systématiquement un fiasco. À l’évidence, sa peur des femmes ne lui permet pas d’assurer émotionnellement. Son fric ne peut pas sauver ce qui n’existe pas.

    Le dynamique David lui a alors présenté son coach en développement personnel dont la mission est de maintenir l’estime de soi au plus haut niveau. Dans ses échanges avec son coach, David a appris qu’il était aussi un dirigeant important d’une association dont la raison d’être est l’affirmation des hommes dans une société dominée par les femmes. David en a parlé à Henri et lui a suggéré de rencontrer ce coach en esquissant tous les bénéfices qu’il pouvait retirer de ce contact, car cette association redonne un sens à la vie à des types comme lui.

    — Tu verras, tu reprendras confiance en toi. C’est le truc qu’il te faut.

    Pourquoi pas, s’est dit Henri. De toute façon, si j’entre dans cette association, ça m’évitera peut-être de me traîner devant ma télé et de m’endormir devant The Voice

    C’était il y a deux ans déjà. Depuis, il a été initié à l’association de la 3A et en cette nuit de fin septembre, il passe une nouvelle épreuve.

    Il se souvient de sa rencontre avec ce fameux coach.

    C’était à Montparnasse, autour d’un verre. Un homme grand, maigre, à l’allure de Raspoutine, avec ses yeux pénétrants et ses pupilles charbonneuses, l’attendait. L’homme a laissé une impression mitigée à Henri, mélange d’une attraction pour le magnétisme qu’il dégageait et d’une méfiance irrationnelle qui l’a mis d’emblée mal à l’aise.

    — Ici, on m’appelle le Doc Boo. Dans la vie, je suis thérapeute praticien. J’accompagne les hommes qui viennent à moi pour redevenir eux-mêmes, leur permettre de mieux communiquer, augmenter leur efficacité dans le management des équipes, la relation clientèle et l’estime de soi. C’est le travail que je fais avec votre associé David Hassouline sur ce dernier point. Je peux aussi aider mes clients à s’imposer face à l’adversité et contrôler les situations de stress et d’angoisse. Je mets mon savoir-faire au service d’une association qui s’appelle la 3A. Dans cette organisation, j’aide les hommes en difficulté à dépasser leurs limites et à transmuter leur passivité en force d’action. C’est moi qui anime les stages de maîtrise émotionnelle. Pour info, la 3A signifie « Triple alliance du nouvel homme ». À la 3A, nous t’apprendrons à cesser de vivre par procuration. Nous redonnerons du sens à ta vie, le goût de prendre des risques, nous t’apprendrons à révéler en toi ta vraie puissance masculine, ce qui te permettra de dépasser tes croyances limitantes, de t’affranchir des normes sociales que tu t’es imposées et ainsi t’accomplir en tant qu’homme. Nous allons te faire oublier ta femme castratrice. À partir de maintenant, tu retrouveras ta passion pour la vie, tu reprendras ta place d’homme dans la société. Tu vas devenir un guerrier et tu vas gagner. Tu vas faire le voyage du héros. Ce sera toi le héros !

    Plongé dans le désespoir absolu de renaître à une vie qui n’a même pas commencé, le discours du Doc Boo a libéré les résistances d’Henri Picdoux et a anesthésié la méfiance que lui avait inspirée le thérapeute dans les premiers instants. Le Doc Boo a conclu en lui donnant la marche à suivre :

    — Si c’est OK pour toi, la prochaine fois, tu rencontreras le Grand Nautier des Gaules.

    Après l’avoir écouté, Henri lui a dit :

    — Comme au poker, je paie pour voir.

    Et il a vu !

    La nuit s’enfonce dans le noir graphite de la forêt. La lune, dans son premier quartier, brille haut dans le ciel. Comme une incantation à l’astre lunaire, le brame lancinant des cervidés chante son amour pour toutes les femelles alentour. Henri ne sait plus où il est ni comment il s’appelle. Les rugissements, les mugissements résonnent violemment dans sa tête. Avant de le confier à son chef de section, le Grand Nautier des Gaules lui a bandé les yeux dans la jeep et lui a dit dans un souffle enveloppant :

    — Tu vas quitter le grade d’Apprenti lutteur. Pour passer au grade supérieur, tu vas cheminer sur le sentier du guerrier comme le cerf partant se battre pour intimider et défier les autres mâles qui s’aventureraient sur son territoire pour conquérir ses femelles. Rappelle-toi que les bois des cerfs servent à la fois d’ornement et d’organes de combat, comme ils sont représentés sur la médaille que tu as reçue le jour de ton initiation et qui pend à ton cou. Elle t’orne et te donne la puissance pour vaincre. Montre qui tu es dans la nuit. Renforce ton intériorité, ta confiance en toi et ouvre-toi aux éléments hostiles pour les dominer. Bats-toi avec ta peur, domine la forêt et nous te reconnaîtrons comme Compagnon de combat. Et un jour, je l’espère, tu deviendras Maître guerrier. 

    Henri sait que l’attend une récompense au bout de l’épreuve : la reconnaissance de ses pairs bien sûr, mais aussi le repos du guerrier avec deux femmes membres de l’association qui viendront fêter sa victoire avec lui dans son intimité de mâle devenu dominant. Cette idée l’excite assez. Deux femmes dans son lit… dont celle de Jacques… avec ses seins si lourds et ses tétons toujours en alerte rouge…

    En attendant, les ronces lui déchirent la peau des bras comme les cerfs en rut déchirent la nuit. Mais, il n’en a que faire. C’est lui le héros.

    Henri a la désagréable sensation de tourner en rond dans la forêt du massif de Lorris. Il doit être une heure avancée de la nuit. Sa montre lui manque cruellement. Il a perdu toute perception spatio-sensorielle. Mais quand va finir ce cauchemar ? se demande-t-il.

    Obstiné, il continue à marcher sur les branches cassées du sous-bois. De temps à autre, il fait le point sur sa boussole. Il y a trois heures, il ne savait pas comment fonctionnait cet engin. Depuis, il l’a apprivoisé et ses pas sur le sentier de sa guerre intérieure sont plus sûrs, plus aguerris. Le brame du cerf a disparu, laissant la forêt à ses bruits oppressants et mystérieux. Henri s’est accoutumé. Il n’a plus peur, d’autant que l’aurore commence à chasser les dangers de la nuit. Il doit faire froid, mais malgré sa nudité, Henri ne sent pas la fraîcheur piquante précédant le lever du jour. Il a oublié son corps pour permettre à son esprit de capter les moindres mouvements de la forêt. Au loin, il croit percevoir un bruit étranger, un bruit de moteur qui tourne au ralenti. Sans accélérer le pas, il se dirige vers cette source de vie humaine. Bientôt, il entend distinctement des voix qui parlent fort et une musique classique qui les couvre de ses accents militaires.

    Ils sont une dizaine à l’attendre dans le petit matin qui s’installe. En le voyant nu et fatigué, Patrick Anselme, le Grand Nautier des Gaules, titre honorifique donné au chef de la 3A pour la France, l’accueille en le serrant très brutalement dans ses triceps de fer.

    — Tu as réussi. La 3A peut être fière de toi. Tiens, réchauffe-toi avec un café. Éric, donne-lui sa veste treillis. 

    Et s’adressant de nouveau à Henri :

    — Tu dois avoir un peu froid. Mais rassure-toi, tu ne seras pas frigorifié bien longtemps, car comme tu le sais, Virginie et Lucie t’attendent à L’Auberge des deux canards. C’est ta récompense. Avec cette dernière étape, à toi de confirmer que tu es devenu un Compagnon de combat.

    Il l’invite à monter dans sa jeep. Les trois voitures qui l’attendaient forment un convoi pour rejoindre la départementale qui mène à Sully-sur-Loire. Henri a tout oublié : le noir de la forêt, l’excitation des cerfs, les ombres barbares, les bruits d’outre-tombe… Dans l’instant, il ne pense qu’à une chose Putain, je vais me faire la femme de Jacques et aussi Lucie. Patrick Anselme, le Grand Nautier, le ramène à la réalité.

    — Bon, écoute Henri. Je te donne deux heures maxi pour honorer nos deux amies. Après leur avoir prouvé que tu es un homme, un vrai, elles donneront au Doc Boo une fiche d’évaluation et il s’entretiendra avec toi sur le contrôle de tes émotions. Si tout est conforme à notre rite de passage, cette nuit, tu seras proclamé Compagnon de combat. 

    Henri sourit sans arriver à articuler une seule parole. Le Grand Nautier poursuit :

    — Si c’est OK pour le Doc Boo, tu me rejoindras sur le tumulus de la bacchanale des anciens mystères dionysiaques.

    Le tumulus est situé au milieu d’une grande clairière dont les arbres forment un cercle presque parfait. La clairière est tapissée d’une herbe moussue douce sous les pieds les plus délicats. En son centre se dresse une sorte de monticule de terre ressemblant à un bol renversé ayant l’apparence d’un sein de femme. L’arrivée dans la clairière s’effectue par une grande allée taillée dans la forêt. Pour accéder au sommet, un petit escalier est creusé dans la bosse. Un large sentier rectiligne permet de pénétrer dans le cercle après être passé sous un porche composé de deux colonnes aux allures de phallus dressés surmontés d’un triangle à l’intérieur duquel est sculptée une bouche avec des lèvres sensuelles entre-ouvertes. La sculpture peut aussi évoquer un œil mi-clos. Avec un peu d’imagination, mises à la verticale, ces lèvres pourraient symboliser le sexe d’une femme offerte. C’est là que la victoire d’Henri sera célébrée cette nuit en compagnie de quelques autres guerriers victorieux comme lui de leur épreuve sur eux-mêmes.

    Patrick Anselme a la charge du rituel. C’est lui le grand ordonnateur de la Triple alliance du nouvel homme, communément appelée la 3A en France et dans le monde. À l’intérieur du cercle considéré comme le Saint des saints, à l’instar d’un prêtre, il est le seul à pouvoir officier comme le lui permet son titre distinctif de Grand Nautier des Gaules. En privé, il affirme à qui veut l’entendre que dans cette clairière de la forêt de Sully-sur-Loire se déroulaient autrefois des bacchanales, des fêtes orgiaques nocturnes, où l’ivresse et l’acte sexuel étaient perpétrés en l’honneur de Bacchus, le dieu romain du vin. Aujourd’hui, c’est à la gloire de la puissance de l’homme mâle que les membres de la 3A officient dans cette forêt millénaire.

    Avec l’assentiment des dirigeants de la maison-mère de la 3 A à Palo Alto en Californie, Anselme s’est autoproclamé le Grand Nautier des Gaules. Il préside un conseil d’administration appelé collège des officiants qui l’aide à réconcilier des hommes fragiles avec leur masculinité. Il est assisté par le Doc Boo, régent de maîtrise émotionnelle. La 3A comporte trois grades initiatiques. L’instruction du premier grade d’Apprenti lutteur est confiée à un psychologue de la conscience positive, et celle du deuxième grade de Compagnon de combat, à un sexologue praticien. Le troisième grade de Maître guerrier est sous la responsabilité du Doc Boo.

    Le collège d’officiants est complété par un trésorier, un secrétaire et par un country manager en lien permanent avec la maison-mère de Palo Alto pour les affaires administratives.

    Jacques Lefranck est le country manager pour la France et, en voyant passer Anselme, il l’interpelle pour s’entretenir avec lui.

    — J’ai des infos de Palo Alto. Peut-on se voir un petit quart d’heure ?

    — Que veulent-ils ?

    — Ils m’ont transmis le plan de communication de la 3 A. Nous avons des opérations de relations publiques, des actions terrain à mener, et un planning à tenir. 

    Perdue au milieu de la forêt, L’Auberge des deux canards appartient à un membre de la 3A qu’Henri connaît bien. Sébastien fait partie de la famille des vrais hommes et son établissement est un point de ralliement festif pour les initiés de la 3A.

    — Bonjour Sébastien, le Grand Nautier m’a demandé de venir te voir. 

    — Bravo Henri pour l’épreuve dont tu es sorti victorieux. Pour ton ultime épreuve, Virginie et Lucie t’attendent, chambre 7. Je te souhaite bien du plaisir… je veux dire, juste du plaisir !

    En montant les escaliers qui mènent au premier étage, Henri est dans tous ses états. Il croise souvent Virginie dans les rassemblements familiaux où la présence des femmes et des enfants des membres de la 3A est recommandée. Virginie est la femme du country manager. C’est une blonde, une vraie blonde, légèrement pulpeuse. Elle aurait pu figurer dans son plus simple appareil sur le tableau des Trois Grâces de Raphaël. Chaque fois qu’il la regarde, Henri l’imagine au Vatican, débordante de sensualité et de vitalité, en train de poser pour Raphaël entre la décoration des salles du palais de Jules II et le chantier de la Basilique Saint-Pierre de Rome, ou encore participer à des messes roses dans ses sous-sols. Il ne sait pas pourquoi, mais il est attiré par cette jeune femme qui a oublié toute inhibition depuis que son mari est membre de l’association. Cela ne semble pas chagriner Jacques Lefranck qui, lui aussi, prend régulièrement quelques libertés avec d’autres femmes d’initiés de la 3 A.

    Lucie, quant à elle, est une belle plante brune aux yeux bleus. Elle est plus fine et plus grande que Virginie. Ses cheveux lui descendent dans les reins. Dans le civil, Lucie est magistrat et la femme d’un Maître guerrier, avocat de son état.

    Dans quelques instants, Henri va livrer son corps martyrisé par le sous-bois du massif de Lorris à leurs quatre mains expertes et à leurs deux sexes épanouis. Dans la demi-conscience qui lui reste, il frappe discrètement à la porte de la chambre 7. Deux voix douces lui répondent en même temps :

    — Entre.

    Un peu plus d’une heure et demie plus tard, Henri n’est plus le même homme. La volupté des deux femmes l’a apaisé. Il constate que la peur de se livrer à leurs caresses l’a quitté. Dans sa bouillante étreinte avec ses deux amantes, c’est lui qui a pris l’ascendant, c’est lui qui a donné le tempo. Avant, il subissait comme un toutou, maintenant, il vient de découvrir qu’il pouvait relever la tête.

    En sortant de la chambre 7, son esprit est encore embrouillé. Lorsqu’il a été invité à entrer dans le temple consacrant sa virilité de combat, il a eu un choc en trouvant les deux femmes enlacées se caressant ; l’une sur les seins dressés de Virginie, l’autre dans l’entrejambe mouillé de Lucie. Les femmes peuvent se passer des hommes ? s’est-il demandé, c’est ce qu’on va voir ! Mais la douceur de leur étreinte l’a surpris. C’est la première fois qu’il voyait deux femmes faire l’amour. Ce spectacle l’a laissé sans voix, planté là comme un benêt. Virginie a alors abandonné la douce caresse du sexe de Lucie pour venir à sa rencontre et essayer de le mettre à l’aise.

    — Bravo Henri. Tu es un vrai mec. Lucie et moi, on aime ça.

    Et pour lui montrer ses intentions, elle est venue se placer derrière lui et l’a embrassé derrière le cou en lui mordillant le lobe de l’oreille, tout en lui caressant le torse et en appuyant légèrement sur ses tétons après lui avoir déboutonné sa chemise. Henri a alors été envahi de frissons dont il ne connaissait pas l’effet dévastateur sur sa psychorigidité sexuelle. Nue et offerte, Lucie est venue s’agenouiller devant lui et, avec la lenteur d’un serpent à sonnette, l’a libéré de sa ceinture. Après, Henri se souvient d’avoir perdu pied lorsqu’elle a fait glisser lentement son pantalon sur ses chaussures et passer ses doigts sous le coton de son caleçon. Son sexe s’est alors dressé sans l’aide d’une quelconque pilule bleue. Après avoir tiré délicatement sur le tissu, les lèvres de Lucie se sont refermées sur son pénis, ses doigts se faisaient légers sur ses testicules qui ont commencé à se raidir en un cortège de plis serrés. Henri était au bord d’une explosion de plaisir, un peu comme un bouchon de champagne prêt à célébrer la fête. Sentant son orgasme proche, Lucie s’est relevée pour l’entraîner sur le lit et lui faire subir l’épreuve de la chair avec Virginie.

    Le temps a suspendu son vol l’espace d’une symphonie de râles. Un long cri d’animal repu et satisfait est venu clore ce concert de chairs mêlées.

    Les jambes flageolantes, Henri s’est difficilement rhabillé, omettant d’enfiler son caleçon et riant comme un gamin devant sa perte de repères spatio-temporels. Après quelques instants, il prend conscience qu’il a dominé ce rapport sexuel. Il est digne de devenir Compagnon de combat.

    Dans ce moment de semi-conscience, il a cru percevoir un cri rauque venant de la pièce voisine. Un autre guerrier, s’est-il dit.

    Après qu’il soit sorti de la chambre 7 qui allait encombrer son esprit encore très longtemps, Virginie et Lucie ont rempli chacune une fiche d’évaluation des attitudes et comportements sexuels d’Henri, qu’elles ont transmis sur le champ au Doc Boo. La fiche se divise en deux types de critères ; l’acte physique et l’esprit de cet acte.

    À la 3A, Boris Mislav se fait appeler le Doc Boo. Il ne souhaite pas que son patronyme, qu’il réserve à son métier de coach dans le monde de l’entreprise et auprès des particuliers, soit associé trop directement à ses activités de psychothérapeute sexuel de l’association. Pourquoi Doc Boo ? Parce que, envieux, il a toujours rêvé d’être docteur en quelque chose. Ses compagnons de combat l’ont toujours un peu raillé sur le sujet. Ils ont fini par l’appeler Doc. Le terme « boo » viendrait, selon certains, d’une époque où il s’était fait traîner dans la boue par un membre de la 3A dont il avait séduit la femme sans son accord. Pour d’autres, le terme « boo » prendrait son origine dans une conversation avec un jeune adepte qui lui aurait fait remarquer qu’après son initiation, Boris Mislav imaginait le tenir par le bout de la queue. Cette expression se serait anglicisée et contractée quelque temps après en « Boo », soit le Doc Boo.

    Une demi-heure plus tard, Henri est assis devant le Doc Boo, qui tient le rôle de régent de maîtrise émotionnelle. Boris Mislav l’invite à relater son expérience sexuelle avec Virginie et Lucie, son ressenti, ses peurs, son excitation…

    — Dis-moi Henri. C’est la première fois que tu baises avec deux femmes ? 

    — Ben oui. Et nom de Dieu que c’est excitant… Je n’ai pas les mots pour le dire.

    Après un moment d’échange entre hommes, le Doc Boo lui demande de regagner la chambre 7 pour se reposer de ses récents ébats afin d’être en plein état de conscience pour la soirée qui fêtera son accession au grade de Compagnon de combat.

    — Au fait ! Es-tu en règle avec le Trésor ? 

    — Oui, c’est fait, j’ai donné un chèque de 1500 euros au trésorier. 

    En quittant le Doc Boo, il croise Daniel et Jean-Paul qui ont subi la même épreuve que lui et qui viennent partager leur expérience avec le Régent de maîtrise émotionnelle. Le Doc Boo s’adresse à Daniel.

    — Mon cher Daniel, tu n’as pas réussi ton épreuve de passage dans la forêt. Je vais te programmer pour la repasser dans six mois. En attendant, tu vas voir le trésorier pour lui remettre ton chèque de pénalité de 750 euros en plus des 1500 euros réglementaires. En deux mots, raconte-moi ce qui a fait foirer ta mission.

    En invitant l’infortuné candidat à s’asseoir devant lui, il se tourne vers l’autre homme.

    — Jean-Paul, on se voit dans une demi-heure. Ça s’est bien passé avec Viviane et Carole ? Tu me raconteras…

    En entendant le cri libérateur émanant de la chambre voisine, Henri sourit en se remémorant ce qu’il vient de vivre, et il repart à L’Auberge des deux canards. Il est crevé par cette nuit sans sommeil et par le trop-plein d’émotions que lui ont donné Virginie et Lucie. C’est sans détour qu’il s’enroule dans les draps froissés en pensant avec gourmandise à la cérémonie de ce soir qui le consacrera mâle dominant. Agissant comme un somnifère, l’odeur de stupre émanant du tissu l’endort comme un bébé.

    2

    Depuis quelque temps, Laure n’est pas bien dans sa peau. Ses associés lui mènent une vie de cochon. Tous les soirs, derrière ses sourires, Hugo Devenant sent que ses yeux ne pétillent plus comme avant. Elle est en perpétuelle tension et dort en pointillé. Il lui arrive trop souvent de faire des cauchemars qui réveillent son compagnon. Laure de Vreuille part en vrille sur le moindre mot qui accroche le vent mauvais du moment ou sur une idée noire qui lui traverse l’esprit. Hugo est habitué. Depuis qu’il l’a rencontrée, il vit avec la fragilité de son amoureuse. Par beau temps, sa vulnérabilité est touchante, voire troublante. Cela fait partie des nombreux charmes de Laure. Cette vulnérabilité l’a séduit lors de leur rencontre dans une galerie de peinture du Marais. Il a fondu devant cette grande fille volontaire et dynamique, mais très vite, il a ressenti ce voile dans ses yeux qui se déchirait de temps en temps pour laisser entrevoir un mal de vivre sous-jacent. Il a rapidement compris les raisons de la collision entre une grande lucidité sur elle-même et son incapacité à se remettre en cause pour sortir de son marasme psychologique. D’ailleurs, elle ne s’en cache pas. Elle met cela sur le compte d’une enfance douloureuse à ses yeux, celle d’une mère aimante, mais faible, colérique et trop présente affectivement, et celle d’un père autoritaire, absent, trop occupé par ses responsabilités professionnelles et ses nombreuses maîtresses.

    Impuissant face à ses questionnements sur le sens de sa vie, Hugo ne sait pas quoi faire pour l’aider. Certes, il l’entoure de tout son amour et lui donne quelques clés pour surmonter ses angoisses, mieux gérer ses relations avec ses associés. Mais cela ne suffit pas à calmer ses démons. Souvent malgré lui, Hugo se retrouve dans la position d’un docteur de l’âme, ce qu’il tente d’éviter pour garder sa juste place dans leur couple. C’est ainsi que pour prendre du recul, il a fait appel à son amie Isabelle Poinçon pour évoquer le mal-être de Laure et essayer de mieux le comprendre.

    Isabelle est professeur d’économie à Paris III et morpho-psychologue par passion. Hugo lui a donc demandé de réaliser l’analyse morpho-psychologique de son amoureuse pour en cerner le flou de ses contours.

    En composant le numéro de téléphone de son amie, il sait qu’elle lui parlera vrai, sans détour. Empreinte de bienveillance, leur relation a toujours été claire, même dans les moments difficiles où la vérité faisait mal.

    — Bonjour Hugo. As-tu deux secondes pour que je te commente l’analyse morpho-psychologique de Laure ?

    — Vas-y, je t’écoute. 

    Hugo entend les froissements de feuilles de papier qui sont en train de retrouver le bon ordre. Après ces quelques secondes de flottement, son amie Isabelle reprend :

    — Tout d’abord, je veux te dire que tu as une très jolie compagne. Son visage harmonieux montre beaucoup d’ouverture à l’autre. C’est une personnalité dynamique, spontanée, mais très candide et naïve. Elle a une réceptivité naturelle au monde. Il se dégage d’elle une énergie de fond. Elle a besoin de prendre des initiatives, de s’affirmer dans le travail et d’être autonome. C’est une passionnée née sous le signe du tout ou rien. Elle fixe très haut la barre de ses ambitions et il ne faut pas s’étonner qu’elle soit souvent déçue. 

    Pour Isabelle, Laure s’ouvre trop facilement à autrui. Elle fait facilement confiance sans se protéger.

    Hugo se souvient encore de leur rencontre inopinée à la galerie Daniel Templon devant une toile de l’artiste chinois Yue Minjun. Dès ses premiers mots, il aurait pu l’entraîner à l’autre bout du monde pour le meilleur ou pour le pire. Isabelle poursuit :

    — Son tempérament affectif est immature. Elle ne voit pas les manipulations dont elle peut être l’objet. Cela lui joue des tours et je suis sûre qu’elle a le sentiment de s’être fait souvent avoir.

    Même si Hugo pressentait tout cela, il n’en reste pas moins déstabilisé par ce qu’il entend.

    Pour éclaircir la situation et peut-être pour éclaircir aussi sa voix qui s’était tue à l’écoute de l’analyse d’Isabelle, Hugo lui dit :

    — Comment dois-je comprendre ce que tu me dis ?

    — Tu vois Hugo, je pense que Laure peut ressentir de la culpabilité. Pourquoi, je ne sais pas. Il me semble cependant que les principes éducatifs rigides sur lesquels elle s’est construite peuvent être en contradiction avec l’idéal qu’elle poursuit. Ce qui peut l’amener à ressentir un conflit de loyauté vis-à-vis de ses parents. Sa porte de sortie est dans l’action, il faut qu’elle s’implique totalement dans quelque chose. La difficulté pour elle, c’est qu’elle fonce le nez dans le guidon alors qu’elle n’est pas assez autonome sur le plan affectif. Elle idéalise sa relation à l’autre et ne met pas assez de distance pour se protéger. Tu sais, elle est très exigeante vis-à-vis d’elle-même et des autres. Elle est perfectionniste dans tout ce qu’elle fait. Mais je te le répète, son point faible, c’est sa spontanéité naturelle. Elle se livre beaucoup trop sans détour.

    Isabelle poursuit, tandis que l’intérêt d’Hugo pour ce qu’elle lui raconte grandit :

    — Chez elle, la réflexion vient dans un second temps. Tu imagines bien que cela lui crée de violents conflits internes. Néanmoins, elle s’obstine, et donc fait du surplace.

    Isabelle fait une pause de quelques instants. Hugo perçoit le bruit caractéristique d’un briquet qui s’enflamme et le bout d’une cigarette qui grésille d’un plaisir brûlant. Après avoir expulsé une grande bouffée de nicotine, elle reprend :

    — Fais gaffe Hugo, elle peut être sujette à une manipulation affective. Voilà ce que je peux te dire à propos de Laure. Du coup, tu me dois un déjeuner que j’accepterai avec plaisir, car on ne se voit pas assez souvent. 

    Cette analyse met des mots sur ce qu’Hugo perçoit au quotidien. Maître Laure de Vreuille se sent en danger dans son cabinet. Elle est avocate, spécialisée dans la propriété intellectuelle ; brevets, marques, droits d’auteur… Elle était l’associée de Pierre Destret, brillant avocat, ami de sa famille. Mais depuis plus d’un an, il a cédé son cabinet à Julien Drompin, jeune loup du barreau. Il était convenu que maître Destret reste au cabinet pendant une année supplémentaire pour assurer la transition des dossiers sensibles. Mais les relations entre les ego surdimensionnés des deux hommes se sont très vite dégradées jusqu’au point de non-retour. La haine s’est rapidement installée entre eux, et Pierre Destret, lassé des disputes incessantes avec Julien Drompin, est parti très vite vers un ailleurs. Sans qu’il s’en aperçoive, il a laissé Laure dans un état d’abandon affectif, la précipitant dans un tourbillon de questions existentielles auxquelles Hugo est confronté depuis le départ de maître Destret. Comment replacer Laure dans un contexte professionnel normal alors que son statut d’amie de Pierre Destret est devenu le point de fixation de maître Drompin ? Pour lui, Laure représente l’expression du passé, l’ombre dérangeante du fondateur. Aujourd’hui, elle est placardisée. Elle ne participe plus aux décisions du cabinet. Le jeune avocat ne lui donne plus de nouvelles affaires. Il ne lui cache pas son souhait de la voir partir et lui a proposé de racheter ses parts dans le cabinet. Ambiance ! D’autant que sous la pression, elle a laissé passer le délai d’enregistrement d’une plainte pour contrefaçon d’un de ses gros clients. Elle a pu redresser la barre, mais Julien Drompin la juge encore plus incompétente et dangereuse qu’avant. C’est peu dire que Laure est totalement déstabilisée. Cette fille de bonne famille n’a pas été formatée pour affronter le gros temps. Ce manque de réactivité à une situation de crise laisse un goût amer dans la bouche d’Hugo, lui dont le métier est d’anticiper les crises. La jeune femme est incapable de se remettre en cause et d’imaginer rebondir pour reprendre la main. Elle attend sagement de se fracasser contre un mur qui se rapproche dangereusement.

    Lorsque ce soir, elle est rentrée défaite par une journée d’angoisse et de révolte, Hugo lui a servi un Martini blanc, alors qu’elle s’affalait dans le canapé minimaliste de leur salon habité par des œuvres d’art contemporain achetées ensemble. Une fois qu’ils sont installés tous les deux, Hugo se dit qu’il est temps d’essayer de réveiller Laure :

    — Ma chérie, tu n’as jamais vraiment aimé ton job d’avocate. Tu as suivi les traces de ton père sans te poser les bonnes questions sur le choix de ta voie professionnelle. C’est peut-être le moment de faire le point. Veux-tu continuer dans cette direction ou souhaites-tu te réaliser dans quelque chose qui te rende heureuse ? On peut en parler si tu veux. Tu as 45 ans, c’est le bon moment !

    Quelques secondes se passent sans que Laure réagisse. Puis elle déclare sans préambule :

    — J’ai bien réfléchi, je ne veux plus être avocate. J’ai envie de changer de métier. Mais mon père va me tuer !

    Maître Pierre de Vreuille est un ténor du barreau. Sa réputation de pénaliste a depuis longtemps dépassé les frontières de l’hexagone. Laure imagine déjà son incompréhension, puis la sourde colère qui suivra lorsqu’elle lui annoncera son changement d’orientation. Elle souhaite partager la réflexion de l’éventualité d’un nouveau job avec Hugo. Mais quoi faire ensuite ? Elle n’a aucune idée du nouveau métier qu’elle aimerait exercer. Rien. Le vide sidéral. Et encore, le vide, c’est déjà quelque chose ! Déjà naturellement fragile, cette possibilité ébranle encore plus son équilibre. Elle ne voit plus le tableau de Pierre Alechinsky qu’Hugo lui a offert pour la Saint-Valentin, pas plus que la sculpture de Haude B qu’elle adore, ou le phacochère de Riquel

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