Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Toyotomi Hideyoshi: Le rêve du singe
Toyotomi Hideyoshi: Le rêve du singe
Toyotomi Hideyoshi: Le rêve du singe
Livre électronique432 pages6 heures

Toyotomi Hideyoshi: Le rêve du singe

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Un récit biographique sur l'un des hommes forts du Japon médiéval, acteur de l'unification du pays.

Quand Oda Nobunaga, disparaît dans les flammes du temple Honôji, ce jeune général issu du rang, rêve de poursuivre l’unification du Japon que son maître avait initié depuis des années. Mais la succession est loin d’être assurée, le pays est toujours miné par plus de cent ans de guerres civiles et d’appétits féroces de pouvoir des grandes familles de guerriers.
Mais celui que son maître appelait le « Singe » sait manier aussi bien la ruse, la diplomatie que les arts de la guerre. Soudoyant les uns, convainquant les autres, écrasant les récalcitrants, il parvient à juguler l’une après l’autre toutes les provinces encore indépendantes du pays.
Parfois encore étranger au monde des Samourais dont il n’est pas issu, Toyotomi Hideyoshi va faire peu à peu sa place au sein de cet univers où les combats, les ambitions, les trahisons et les retournements d’alliance sont légions. Jamais vaincu, toujours vainqueur, il imposera sa vision et ses méthodes aux plus puissants seigneurs du Japon.
Mais le « Singe » reste néanmoins un homme fragile, tiraillé entre son but ultime et les souffrances qu’il doit infliger pour y parvenir. Il aura besoin de l’appui de ses soutiens, d’un grand amour à ses côtés pour affronter son dernier combat au crépuscule de sa vie et laisser derrière lui un héritage précieux pour le Japon de l’époque Sengoku.

Découvrez dans plus attendre ce récit épique qui relate tout un pan fort méconnu de l'histoire japonaise.

EXTRAIT

Des pas pressés sur les parquets de bois résonnaient à travers tout l’étage inférieur du château. Rapides, nerveux, les pieds nus tambourinaient à intervalle régulier, créant une sorte de rythme effréné auquel vinrent s’adjoindre peu à peu d’autres pas dont la cadence semblait vouloir se fixer sur le tempo principal sans pouvoir y arriver.
— Dépêchez-vous, dépêchez-vous !
Le petit homme qui venait de prononcer ces mots apparut au fond du couloir principal. Vêtu d’un kimono clair, il tenait dans sa main gauche un éventail noir avec lequel il battait frénétiquement la mesure sur sa jambe, comme pour indiquer l’état d’excitation dans lequel il se trouvait. Son visage ne montrait pourtant aucun signe d’énervement, mais au contraire une sorte de joie intérieure qui le faisait jubiler.
Derrière lui, plusieurs serviteurs du château, cuisiniers, lingères, ménagères, essayaient tant bien que mal de suivre le rythme rapide de ses pas, certains avec visiblement un peu de mal, tant celui-ci était élevé… La doyenne des dames de compagnie semblait proche de l’apoplexie, mais elle n’aurait cédé sa place au premier rang pour rien au monde.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Ce roman biographique est très intéressant à lire pour celles et ceux qui s'intéressent à l'histoire du Japon, tout comme celles et ceux qui s'intéressent aux hommes d'exception conquérant le pouvoir. - Seijoliver, Babelio

À PROPOS DE L'AUTEUR

Charles-Pierre Serain se passionne depuis trente-cinq ans pour l’étude du Japon médiéval. Il a créé en 2001 le premier site Internet en français sur les samouraïs, récompensé par plusieurs prix, et une communauté de plus de 3 000 membres sur les réseaux sociaux. Il a publié en 2012 un ouvrage sur les guerriers du monde. Depuis plusieurs années, il travaille à une trilogie consacrée aux trois unificateurs du Japon. Après Oda Nobunaga en 2013, Toyotomi Hideyoshi est le deuxième volume.
Un dernier ouvrage sur Tokugawa Ieyasu est en cours d’écriture.
LangueFrançais
Date de sortie15 nov. 2018
ISBN9782915384307
Toyotomi Hideyoshi: Le rêve du singe

Auteurs associés

Lié à Toyotomi Hideyoshi

Livres électroniques liés

Biographique/Autofiction pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Toyotomi Hideyoshi

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Toyotomi Hideyoshi - Charles-Pierre Serain

    Toyotomi Hideyoshi

    Le rêve du Singe

    Pour Louis Frédéric (1923-1996),

    spécialiste français de l’Asie dont les écrits m’ont inspiré, 

    guidé et aidé à découvrir l’univers des guerriers du Japon.

    Charles-Pierre Serain

    Centon

    Contexte historique

    1557 : le Japon est ravagé par les guerres meurtrières que se livrent les seigneurs de guerre pour accéder au pouvoir suprême. La conquête de Kyôto, la capitale impériale, reste l’objectif militaire de plusieurs grands clans, sans qu’aucun puisse emporter la décision sur ses adversaires. Le pays est ravagé depuis presque un siècle par des combats qui ont causé la mort de milliers de guerriers et la destruction de nombreuses richesses dans tout le pays.

    Parmi tous ces prétendants, un petit seigneur local émerge des combats. Oda Nobunaga n’a pas la puissance de ses adversaires, mais un génie militaire qui manque aux autres chefs de guerre. Bataille après bataille, il parvient peu à peu à s’imposer dans une partie du Japon, répandant une rivière de feu sur ses ennemis.

    Sa rencontre fortuite avec un simple paysan va pourtant changer sa destinée. Celui qu’il surnomme « le Singe » va se révéler un homme hors du commun. Rusé, fin politique, organisateur né, le simple campagnard se transforme rapidement en un conseiller avisé, puis en guerrier d’exception.

    Au-delà de toutes les conventions strictes de la caste des samouraïs, le petit paysan et le seigneur de guerre vont développer une véritable amitié et partager leur rêve de pacifier et d’unifier un Japon en proie aux guerres et aux massacres.

    Toyotomi Hideyoshi, « le Singe », achèvera ainsi à la mort de son maître ce qu’Oda Nobunaga avait commencé. Mais, quand les combats seront terminés, le plus important restera à faire pour le nouveau maître du Japon : gagner la paix !

    Le temps de l’éveil (1557-1561)

    Province d’Owari – 12 septembre 1557

    Le soleil de la fin de l’été inondait les rizières de la province d’Owari. La chaleur humide de ce début d’automne rendait parfois l’air difficile à respirer et la faune était comme saisie de torpeur. Pourtant, perché sur un cerisier, un oiseau surveillait les allées et venues sur le chemin étroit, encadré d’arbustes et de buissons entrelacés. Son attention était captée par les bruits, les odeurs et les mouvements de la nature autour de lui. Mais, tout à coup, il se figea devant un nouveau spectacle. Surgissant des buissons, un homme de petite taille venait d’apparaître au pied de son arbre et semblait s’agiter nerveusement. Après s’être assuré qu’il était seul, l’homme se laissa tomber sur ses fesses et ferma les yeux, comme pour se reposer. Puis, regardant autour de lui, il découvrit l’oiseau sur sa branche.

    — Bonjour monsieur l’oiseau !

    L’individu esquissa un sourire étonnant. Son visage était à la fois humain et presque animal. L’oiseau eut un mouvement de surprise, mais continua à le regarder.

    — Sais-tu, l’oiseau, que je vais à présent jouer mon destin à cet endroit même ? Moi qui ne suis rien qu’un simple paysan, je vais tenter ma chance et essayer de prendre ma place dans ce monde si turbulent. Si je réussis, je ne serai plus jamais l’objet des moqueries stupides que j’entends depuis des années. On verra bien qui est le plus malin ! Qu’en penses-tu, oiseau ?

    Le petit homme observait avec bonhomie le moineau perché sur sa branche. Ses couleurs étaient peu habituelles avec son plumage gris foncé et son ventre argenté finement marbré. Son corps était fin et agile. Mais ce qui retenait l’attention de l’individu, c’était le regard aigu, perçant de l’oiseau, comme s’il était capable de comprendre ce qu’il lui disait. Ce petit animal lui plaisait beaucoup.

    — Porte-moi chance l’oiseau, j’en ai besoin. Ce que je vais faire est osé, comme tout ce qui change l’ordre des choses. Si je n’y parviens pas, ma vie s’en trouvera obscurcie, et même finie. Je ne peux pas échouer, mon avenir en dépend. Souhaite-moi la réussite, l’oiseau, j’ai vraiment besoin de ton aide !

    Le petit volatile semblait de plus en plus intéressé par ce petit homme à l’allure étonnante, voire un peu grotesque, au-dessous de lui. Il semblait charmé par la bonne humeur et la simplicité qui se dégageaient de lui, comme s’ils se connaissaient depuis longtemps et qu’une amitié les liait déjà. Mais le moineau n’eut pas le temps d’observer plus longtemps son interlocuteur. Des bruits de sabots, au loin, semblaient provenir du chemin et se rapprochaient rapidement. Des cris se mêlèrent au tumulte des chevaux et l’ensemble prit des allures de menace galopante.

    — Ça y est… le moment est arrivé. Mon destin est en marche !

    Levant la tête vers le cerisier, le petit homme sourit une dernière fois à l’oiseau.

    — Va-t’en l’oiseau, ce qui arrive est une sorte d’ouragan et tu es bien trop petit pour y résister. Moi-même, j’ai peur d’être emporté par ce que je vois à présent.

    À quelques centaines de mètres, un nuage de poussière annonçait un groupe de chevaux lancés au galop se rapprochant à grande vitesse. En plissant les yeux, le petit homme commençait à distinguer la silhouette du cavalier de tête, suivi par quatre autres hommes. Les cris des cavaliers, à présent parfaitement audibles, stimulaient les montures, qui avançaient pourtant à vive allure.

    Quand la distance fut suffisante, le petit homme écarquilla les yeux. Il reconnaissait à présent les vêtements et la stature du cavalier de tête. L’allure déterminée et vigoureuse de cet homme ne laissait aucune place au doute. Il avait lancé sa monture à la limite de ses possibilités et distançait déjà les autres cavaliers d’une bonne cinquantaine de mètres. Son regard tendu vers la route semblait embrasser tout ce qui se trouvait autour de lui.

    Tokichirô sut à ce moment qu’il allait jouer sa vie et changer son destin à jamais. Ce qu’il allait faire était extrêmement dangereux et pouvait lui être fatal si le cavalier ne le voyait pas assez tôt. Rassemblant son courage, il se positionna au milieu de la route, sur la trajectoire directe du cheval et, dans un moment de quasi-terreur, il s’accroupit, mit les bras en avant et attendit la mort avec angoisse.

    Le sol se mit alors à trembler avec beaucoup plus de violence sous lui et les cris du cavalier et le hennissement du cheval devinrent tout à coup si proches de ses oreilles qu’ils lui semblèrent envahir tout son univers dans un accès de fureur et de bruit. Tokichirô comprit tout à coup qu’il avait perdu et que le cheval allait l’écraser sous ses sabots dans une douleur insupportable. Il serra les poings et ferma les yeux dans l’attente de la mort.

    À ce moment précis, la terre cessa de trembler et le bruit disparut. Pensant être passé dans l’au-delà, Tokichirô tenta d’ouvrir les yeux et ne vit que de la poussière qui se dissipait peu à peu. Deux sabots d’un cheval se trouvaient devant lui. Mais il n’eut pas le loisir de les observer plus longtemps, car une voix violente s’abattit sur lui comme le tonnerre.

    — Abruti ! Triple idiot ! Que fais-tu en travers de mon chemin ? Veux-tu mourir bêtement comme un stupide paysan que tu es ? Sais-tu à qui tu as barré la route ?

    — Oui Seigneur, je ne le sais que trop bien, mon insolence est impardonnable, mais c’était la seule façon d’attirer votre attention.

    Le cavalier regarda avec surprise et mépris cette tache sombre et mouvante au milieu de la route, qui avait interrompu son exercice préféré et qui lui faisait perdre son avance sur ses hommes. D’ailleurs, ceux-ci arrivaient maintenant à son niveau dans un nouveau nuage de poussière, surpris de voir leur maître arrêté en pleine course.

    — Seigneur, que se passe-t-il ? Êtes-vous blessé ?

    Déjà, les quatre jeunes hommes avaient dégainé leur sabre et, en quelques instants, entourèrent leur chef. En manœuvrant, l’un d’entre eux manqua d’écraser l’homme toujours prosterné sur le sol.

    — Attention, tu vas écraser cette bouse que j’ai dû éviter !

    Le jeune chef se mit à rire fortement et, regardant ses hommes, leur montra Tokichirô, à présent totalement recouvert de poussière, qui n’osait plus bouger, cerné par les sabots des cinq chevaux qui piaffaient autour de lui.

    — Alors, qui es-tu donc pour me barrer la route ? J’espère pour toi que tu as une bonne raison, sinon mon sabre va avoir sa dose habituelle de sang et nous pourrons jouer à la balle avec ta tête… Parle, vite, je n’ai pas de temps à perdre !

    Tokichirô comprit que le moment crucial était arrivé, celui du quitte ou double. Dans quelques secondes, il aurait réussi ou bien serait déjà un cadavre. Lentement, il releva la tête et regarda au-dessus de lui. Le cavalier qui se tenait sur son cheval était jeune et son regard presque effrayant, comme si une sourde colère le tenait constamment en alerte. Il était vêtu de façon étrange pour un jeune seigneur. Son kimono très simple ne recouvrait qu’une partie de son corps, dévoilant une musculature puissante. Ses cheveux longs, au lieu d’être soigneusement disposés en chonmage¹, étaient simplement retenus par une corde à l’arrière de sa tête, évoquant plus un rônin² qu’un noble. Devant l’allure presque terrifiante du cavalier, Tokichirô lui adressa spontanément un grand sourire pour tenter de l’amadouer.

    — Ah ! quelle tête bizarre ! Regardez ce bougre ! C’est incroyable, il n’est pas humain, on dirait un singe qui sourit !

    Habitué à ce genre de moqueries, Tokichirô ne montra aucune mauvaise humeur et, au contraire, continua de sourire aux cavaliers, comme si, à présent, le point de non-retour était atteint et que plus rien ne pouvait l’arrêter dans son projet. Cela eut pour effet de déclencher encore plus de rires parmi les cavaliers, qui oublièrent du coup leur colère d’avoir été stoppés dans leur course.

    — Oui Seigneur, il est vraiment drôle ce bonhomme. Bien plus que les paysans que l’on voit d’habitude. Même s’il est sale et qu’il pue comme eux, au moins il provoque la bonne humeur.

    Le jeune seigneur le regardait à présent avec intérêt. Son regard sévère avait disparu et un air amusé parcourait son visage. Le changement était radical.

    — Bon, que veux-tu, monsieur le Singe ? Tu as une requête ? Ton voisin t’embête et tu veux que j’intervienne en ta faveur ou bien un de mes hommes a des visées sur ta femme ? Dans ce deuxième cas, il est possible que je me joigne à la compétition. Vas-y, parle !

    Encouragé par la bonne humeur qui s’installait peu à peu, Tokichirô se réjouit de voir qu’une fois de plus son sourire bizarre lui attirait les bonnes grâces des gens qu’il rencontrait. Il sentit tout à coup que son projet se présentait bien et qu’il sortirait probablement vivant de cette affaire, quelle qu’en soit l’issue.

    — Seigneur Oda, je ne suis qu’un simple ashigaru³ et, à vos yeux, je n’existe même pas. J’ai pourtant servi plusieurs années le seigneur Matsushita, lui-même vassal du seigneur Imagawa. Celui-ci m’a confié de nombreuses missions, mais je rêve de gloire et d’aventures et j’ai entendu dire que vous étiez promis à un grand avenir. C’est pourquoi je souhaiterais tellement vous servir et faire partie de votre armée. Je ne demande pas grand-chose, un toit me suffirait et je mange peu. Vous auriez un soldat expérimenté et solide qui ne vous coûterait presque rien. Veuillez accepter ma requête, je vous en prie !

    Oda Nobunaga regarda l’homme qui se présentait à ses pieds. Il avait déjà vu tellement de paysans au bord de la famine lui demander un poste qu’il ne fut pas surpris de cette requête. Les années où les récoltes de riz étaient mauvaises, c’étaient des hordes de prétendants qu’il fallait ainsi repousser. Mais là, il sentit qu’il y avait quelque chose de différent. Alors qu’il avait d’abord pensé sabrer celui qui avait failli le faire chuter de cheval, il était à présent étonné par la façon dont ce petit bonhomme avait retourné la situation à son avantage. Son sourire était communicatif et il n’avait montré aucune rancune malgré les insultes. Finalement, ce petit homme-singe lui plaisait bien.

    — Tu veux me servir, mais tu as déjà quitté ton premier maître. Tu vas sûrement recommencer avec moi. Tu parles d’une recrue !

    Les autres cavaliers se mirent à rire à leur tour en entendant la réplique de leur maître. Ils aimaient tous le ton direct et le côté très pragmatique de Nobunaga, si différent des autres seigneurs japonais qui faisaient de longues phrases pour masquer le plus souvent leur manque d’action. Eux aussi trouvaient le petit homme assez drôle avec sa mimique simiesque.

    — Seigneur Oda, je n’ai pas quitté mon maître, je n’aurais jamais osé le faire. C’est lui qui, me connaissant, m’a conseillé de vous rejoindre sachant que je vivrais plus d’aventures à vos côtés que dans le clan Imagawa. Il sait que, sans action, je ne tiens pas en place !

    La réponse plut au jeune Nobunaga. Le clan voisin était effectivement un peu mou et désuet à son avis. Imagawa Yoshimoto, qui le gouvernait, se donnait des airs raffinés comme à la cour de Kyôto, mais n’agrandissait pas son domaine alors qu’il était puissant, bien plus puissant que le clan Oda.

    — Me donnerais-tu ta vie si je te le demandais ?

    — Oui Seigneur, ma vie à chaque instant pour vous servir.

    Nobunaga regarda à nouveau le jeune homme. Il devait avoir à peine quelques années de moins que lui, mais son faciès le vieillissait fortement et, malgré son sourire amusant, il donnait l’impression d’avoir dix ans de plus. Pourtant, en y regardant de plus près, on décelait au fond de ses yeux une sorte de malice qui étincelait discrètement. Ce regard lui plut. Après tout, si ce « singe » était aussi malin que l’animal du même nom, il y aurait sûrement des choses utiles à lui faire faire…

    — Tiens ! Voici ton premier travail à mon service, accomplis-le comme si ta vie en dépendait, ce qui est le cas d’ailleurs.

    Le chef du clan Oda jeta à terre deux sandales qu’il n’utilisait pas quand il montait à cheval. Elles étaient simples et déjà abîmées, mais, pour Tokichirô, elles ressemblaient à des reliques sacrées qu’il n’osait pas toucher.

    — Tu seras mon porte-sandales. Chaque fois que je me déplacerai, tu seras derrière moi et tu me chausseras et me déchausseras quand il le faudra. Sois vif, rapide, concentré à mes côtés. Je ne supporte ni l’à-peu-près ni les erreurs. Il t’en coûterait la tête dans ce cas.

    — Merci Seigneur. Personne ne vous servira avec autant de dévouement que moi. Utilisez-moi autant que vous le voulez…

    Nobunaga se laissa aller à un sourire à ces paroles. Il pressentait que cet homme était un bon choix et qu’il pourrait s’en servir aisément. Heureux de son acquisition, il se tourna vers ses cavaliers, leur montra la route menant à son château de Kiyosu et lança son cheval au galop…

    — Essayez de me rattraper si vous le pouvez ! Ah, ah !

    En quelques secondes, les cinq cavaliers s’élancèrent à bride abattue à travers les arbustes du chemin en criant pour encourager leurs chevaux. Ramassant rapidement comme un trésor les deux sandales abîmées, Tokichirô, le visage baigné de larmes, se précipita en courant à leur poursuite, sans espoir de les rattraper, mais mû par une force incroyable qu’il n’avait encore jamais éprouvée.

    — J’arrive Seigneur, mon maître !

    Sur le cerisier, le moineau regarda partir le petit homme dont le destin venait d’être changé à jamais. Il le suivit du regard jusqu’à ce qu’il disparaisse de sa vue puis il lança un cri strident et s’éleva dans les airs dans la même direction.

    Château de Kiyosu – 5 juillet 1559

    Des pas pressés sur les parquets de bois résonnaient à travers tout l’étage inférieur du château. Rapides, nerveux, les pieds nus tambourinaient à intervalle régulier, créant une sorte de rythme effréné auquel vinrent s’adjoindre peu à peu d’autres pas dont la cadence semblait vouloir se fixer sur le tempo principal sans pouvoir y arriver.

    — Dépêchez-vous, dépêchez-vous !

    Le petit homme qui venait de prononcer ces mots apparut au fond du couloir principal. Vêtu d’un kimono clair, il tenait dans sa main gauche un éventail noir avec lequel il battait frénétiquement la mesure sur sa jambe, comme pour indiquer l’état d’excitation dans lequel il se trouvait. Son visage ne montrait pourtant aucun signe d’énervement, mais au contraire une sorte de joie intérieure qui le faisait jubiler.

    Derrière lui, plusieurs serviteurs du château, cuisiniers, lingères, ménagères, essayaient tant bien que mal de suivre le rythme rapide de ses pas, certains avec visiblement un peu de mal, tant celui-ci était élevé… La doyenne des dames de compagnie semblait proche de l’apoplexie, mais elle n’aurait cédé sa place au premier rang pour rien au monde.

    Arrivé devant le grand escalier qui descendait vers la porte extérieure, le cortège stoppa brusquement, ce qui provoqua quelques bousculades involontaires parmi les participants. La première dame de compagnie s’arrêta enfin de courir, mais, emportée par son élan, faillit se heurter à l’homme en kimono. Celui-ci n’eut que le temps de l’éviter et, malicieusement, se tourna vers elle.

    — Dame Shinagawa, aurais-je été trop lent pour vous ?

    Devant le visage de l’homme éclairé par un sourire immense, allant d’une oreille à l’autre, la dame de compagnie tenta de reprendre ses esprits et sa contenance. Puis ayant retrouvé sa dignité, elle se força à sourire :

    — Non, non, Maître Kinoshita, c’était parfait, mais j’ai dû glisser au dernier moment et je vous en demande pardon.

    Tokichirô la regarda d’un air amusé et, profitant de ce qu’elle s’inclinait devant lui, il adressa un clin d’œil aux jeunes servantes qui se retenaient de rire, mais dont les yeux étaient remplis de joie d’être en présence du maître Kinoshita. Ce petit homme, qui était au service du seigneur Oda depuis presque deux ans, était si différent des autres hommes du château ! Alors que les guerriers et les serviteurs de haut rang étaient très hautains et sérieux, cet homme au visage si drôle ne cessait de rire et de faire régner la bonne humeur autour de lui. Sans prétention, il s’adressait à chacun avec bienveillance, y compris les serviteurs. Ainsi, en l’espace de quelques mois, il était devenu indispensable dans le château et aimé de l’ensemble du personnel. Ses facéties nombreuses avec dame Shinagawa amusaient naturellement l’ensemble des serviteurs qui accouraient dès qu’il s’adressait à la vieille femme.

    Aujourd’hui était pourtant un jour spécial. Après deux mois de travaux menés tambour battant par l’ensemble du personnel sous la pression directe de Tokichirô, le château de Kiyosu était enfin totalement rénové et allait être présenté au seigneur Oda en personne. Les détails de cette cérémonie avaient été supervisés par le maître Kinoshita en personne et rien n’avait été laissé au hasard, depuis l’arrivée de Nobunaga jusqu’au banquet et au spectacle de la nuit. Tout était prêt et il ne manquait plus que l’invité principal.

    Debout au centre de l’escalier, Tokichirô disposa de chaque côté les principaux serviteurs de la maison Oda, plaçant près de lui dame Shinagawa et surtout quelques jolies demoiselles de compagnie qu’il avait repérées depuis longtemps. Il s’assura ensuite que tout était parfaitement en ordre autour de lui, vérifia une nouvelle fois son kimono, fit un clin d’œil à une jeune servante et s’assit à même le sol pour attendre l’arrivée de son seigneur.

    — Maître Kinoshita, vous n’y pensez pas ! Vous ne pouvez pas attendre le seigneur Oda par terre !

    La première dame de compagnie s’étranglait, une fois de plus, devant les manières de cet homme, si peu respectueux du protocole du château. De fait, depuis que ce traîne-misère était arrivé un beau jour dans les pas du seigneur Oda, il n’avait été pour elle que tourments. Comment un tel être avait-il pu séduire le maître de ce château ? Il était petit, laid, rustre, sans éducation et, pis que tout, il avait l’air heureux tout le temps, ne se rendant même pas compte de l’état de sa condition. Et le plus incroyable dans tout cela, c’est que ce serviteur de bas niveau, tout juste bon à porter les sandales de son maître, s’était élevé dans la hiérarchie du château à une vitesse incroyable du fait de sa proximité avec le seigneur Oda. Il venait même d’être nommé intendant du château quelques semaines auparavant. En apprenant cela, elle avait failli défaillir de honte ! Et elle devait à présent lui obéir. Elle ne comprenait pas pourquoi les dieux s’étaient ainsi acharnés sur elle sans raison, elle qui avait toujours fait preuve d’une retenue et d’une discrétion sans égales. De façon un peu honteuse, elle se mit à penser que le style un peu désinvolte du seigneur Oda était peut-être pour quelque chose dans ce choix choquant.

    Le Singe ne s’était même pas retourné après la remarque de la première dame de compagnie. Il était perdu dans ses pensées. Si la présentation d’aujourd’hui se passait bien, il gagnerait totalement la confiance du seigneur Oda et conforterait sa place auprès de lui. Fort de cette relation privilégiée, il pourrait alors viser le titre de samouraï auquel il tenait tant et que son père n’avait jamais réussi à obtenir. Ce serait une récompense inespérée qu’il oserait demander un jour.

    Il n’eut pas le temps de poursuivre ses réflexions. Le bruit des sabots d’un cheval se fit entendre dans le honmaru⁴. Quelques secondes plus tard, un hatamoto⁵ de Nobunaga apparut dans l’encadrement de la porte d’entrée du château. Il était vêtu d’un kimono d’été sombre et ses mains étaient posées sur les deux sabres fixés dans son obi⁶. Tokichirô se releva aussitôt et s’inclina en direction du cavalier. Celui-ci regarda l’ensemble des personnes présentes en haut des marches, reconnut le Singe et, sans le saluer, lui déclara :

    — Préparez-vous tous, le seigneur Oda est de retour de sa visite à la rivière ! Accueillez-le avec respect !

    En un seul mouvement, toutes les personnes s’inclinèrent avec respect en direction du samouraï. L’ambiance relâchée des instants précédents avait totalement disparu pour laisser place à une forte tension. La présence d’un samouraï était toujours synonyme de précaution chez les serviteurs et Tokichirô, le sachant également, ne prenait aucun risque avec ces hommes d’armes.

    Le guerrier, ayant vérifié que tout était prêt pour recevoir son maître, se retourna et ressortit à l’extérieur. Aussitôt, deux gardes armés de lances entrèrent à sa place et se positionnèrent en silence au bas de l’escalier, dans lequel tout mouvement avait cessé. Les regards étaient tous fixés sur l’entrée située en contrebas, d’où parvenait la lumière crue du soleil d’été. Sous l’effet de la chaleur et de l’excitation, Tokichirô sentit des gouttes de sueur ruisseler sur sa nuque et se perdre dans le col de son kimono. Il avait perdu un peu de son assurance et se concentrait sur l’endroit où son maître allait apparaître.

    — Inclinez-vous devant le seigneur Oda !

    Avant même que le garde ait fini sa phrase, l’assistance tout entière se prosterna selon le protocole, le front à quelques centimètres du plancher, et attendit patiemment d’être invitée à se redresser. Tokichirô entendit un pas familier qui montait rapidement les escaliers menant au premier niveau du château. Le glissement des sandales de son maître sur les marches de pierre lui rappela que c’était lui, durant des mois, qui en avait pris soin, ce qui lui avait permis de partager de façon inattendue une proximité inimaginable avec ce seigneur.

    — Ah ! Le Singe !

    Comme à son habitude, Nobunaga avait apostrophé son serviteur de manière provocante devant toute l’assemblée. Il semblait aimer cette façon de se moquer de ce petit homme qu’il avait ramassé un après-midi sur un chemin et qui lui servait de souffre-douleur quand il ne pouvait exposer autrement sa mauvaise humeur. Au début, Tokichirô l’avait un peu mal vécu, mais il s’était rendu compte que ces moqueries, étonnamment, n’étaient pas toujours méchantes et qu’elles étaient même parfois familières. Il en avait conçu alors une sorte de fierté personnelle d’être ainsi apprécié de cet homme pourtant réputé si dur.

    — Je vous présente mes respects, Seigneur, ainsi que ceux de tous vos serviteurs.

    — Ah donc ! Et pas un mot pour dame Kitsuno à mes côtés…

    Tokichirô se risqua à lever les yeux vers son maître, debout devant lui. En contre-plongée, la vision qu’il eut alors était la parfaite illustration de la personnalité d’Oda Nobunaga. Solidement plantée sur ses deux pieds, les mains sur les hanches, sa silhouette le dominait totalement. Le seigneur Oda était vêtu d’un kimono foncé où apparaissent les mons⁷ de son clan en surimpression jaune. L’obi qui retenait son vêtement soulignait sa taille fine, tout en mettant en valeur ses épaules proéminentes, accentuant l’impression de puissance qu’il dégageait. Orné d’une fine moustache, son visage en triangle était illuminé par des yeux d’une intensité brûlante qui tétanisaient la plupart du temps ses interlocuteurs. Mais, aujourd’hui, un fin sourire s’inscrivait sous ce regard perçant. Il était de bonne humeur.

    — Je vous demande pardon, Seigneur, je ne savais pas que dame Kitsuno était à vos côtés. C’est un grand honneur, Dame Kitsuno, de recevoir votre visite !

    Le Singe releva un peu plus la tête et regarda la jeune femme en face de lui. Dès le premier jour, il avait été ébloui par sa beauté et son regard si profond et il est probable que son maître l’avait été tout autant lors de leur première rencontre. En plus de son admiration, Tokichirô éprouvait un sentiment de gratitude immense pour cette femme qui, dès le premier jour, avait eu de la compassion pour lui, alors que tous les habitants du château s’étaient moqués de son apparence grotesque. Au milieu des quolibets et des insultes, le regard plein de bonté de Kitsuno avait été un refuge dans lequel il avait recouvré des forces. Depuis ce jour-là, le Singe avait voué une quasi-adoration à la belle Kitsuno, et cette admiration plaisait à Nobunaga qui éprouvait une réelle fierté d’avoir une telle épouse.

    — Bonjour, Tokichirô, je suis heureuse de vous revoir. Quel magnifique kimono, il vous va à ravir…

    Oubliant l’étiquette qui obligeait à ne pas montrer ses sentiments et à rester parfaitement neutre, le Singe sourit d’un seul coup de toutes ses dents, retrouvant sa mimique habituelle qui faisait tant rire Nobunaga. Kitsuno sourit également un peu plus, retrouvant le Tokichirô qu’elle avait aperçu le premier jour et qui l’avait charmée par son sourire si drôle et si proche de celui d’un enfant.

    — Dame Kitsuno, j’ai choisi ce kimono en l’honneur du seigneur Oda et je suis content qu’il vous plaise. Je vois que le moment important va bientôt arriver et j’en suis ravi.

    Kitsuno posa machinalement la main sur son ventre à présent très proéminent qui indiquait que la naissance était proche. Le sublime kimono clair qu’elle portait faisait ressortir ses magnifiques cheveux noirs dont les deux tresses verticales couvraient en partie le haut de son cou et de ses épaules. Ses longs yeux foncés ressortaient comme deux joyaux dans son visage poudré de blanc. Derrière elle, ses dames de compagnie paraissaient presque sans éclat, malgré le soin qu’elles avaient apporté à leur apparence.

    — Merci, Tokichirô, je crois que la date de la naissance approche vite à présent. Encore quelques semaines et je pourrai donner, je l’espère, un troisième enfant au seigneur Oda.

    Le Singe entendit un discret mouvement derrière lui. Il n’eut pas besoin de se retourner pour savoir que dame Shinagawa venait instinctivement de réprouver les paroles de la jeune concubine du seigneur Oda. Ce dernier ne faisait aucun effort pour cacher la jeune femme qu’il aimait, ne passant plus de temps avec son épouse officielle, Nohime, qui ne pouvait lui donner d’enfant.

    — Alors donc, le Singe, tu as réussi l’impossible ! Ce château qui était en déshérence et à moitié en ruines a enfin retrouvé ses lustres d’antan… Cela faisait des années que les choses traînaient et toi, en l’espace de deux mois, tu as restauré l’ensemble. Bien, mais comment as-tu fait ? Tu as invoqué des esprits malins pour t’aider ? De la magie noire peut-être ?

    Tout en parlant, Nobunaga roulait entre ses doigts sa fine moustache, et regardait, amusé, son ancien porte-sandales toujours incliné au sol.

    — Allez, relève-toi ainsi que tes assistants et explique-moi tout cela dans la salle du donjon ! Suis-moi !

    Joignant le geste à la parole, Oda se dirigea souplement vers l’escalier de bois foncé qui menait aux étages supérieurs où était située sa résidence. Même si les marches étaient assez larges, elles étaient également abruptes et, ménageant sa concubine, il lui offrit galamment sa main pour l’aider à monter l’escalier en toute sécurité. Toutes les personnes présentes autour de lui notèrent une fois de plus le traitement particulier que le seigneur d’Owari⁸ réservait à la jeune femme, lui qui était plutôt connu pour sa rudesse et son agressivité.

    — Retournez à vos occupations pendant que j’accompagne le seigneur !

    D’un claquement de main énergique, Tokichirô dispersa rapidement les serviteurs autour de lui et, après avoir bien vérifié que chacun repartait vers ses tâches, il se précipita avec agilité dans l’escalier à la suite du couple, en sautillant de marche en marche. Ravi de l’humeur de son maître, son visage avait retrouvé sa bonhomie et il se réjouissait d’avance de pouvoir montrer au jeune couple son exploit, probablement annonciateur d’une belle récompense.

    Après avoir grimpé au dernier étage du tenshu⁹, Oda s’arrêta à l’entrée de la grande pièce de réception, soutenant toujours Kitsuno, légèrement essoufflée par le dernier escalier, le plus raide du donjon. Il ne chercha pas à cacher son étonnement ni sa satisfaction devant le spectacle qu’il découvrait. La salle, entièrement restaurée, avait perdu l’aspect lugubre qu’elle avait encore quelques semaines auparavant. Les murs avaient été nettoyés et tapissés d’une belle tenture claire qui reflétait parfaitement les rayons du soleil qui entraient librement dans la pièce. Les nouveaux tatamis¹⁰ posés sur le sol apportaient eux aussi une note claire et joyeuse à l’ensemble, faisant oublier l’ancien parquet foncé. Au milieu de la pièce, une table basse de Chine entourée de quatre coussins et d’un repose-bras permettait de savourer la tranquillité et la beauté du paysage. Une calligraphie représentant le motif « Enso » en forme de cercle était suspendue en face de la porte d’entrée, rappelant aux visiteurs un des principes zen qu’affectionnaient tant les guerriers japonais. De plus, avec ses portes ouvertes sur le balcon extérieur, cette salle paraissait incroyablement plus grande que ses dix jôs¹¹ de surface.

    — Incroyable, comme c’est beau ! Bravo, Tokichirô, vous avez créé un autre monde !

    Le visage de Kitsuno reflétait une joie authentique. Elle découvrait avec ravissement comment cette bâtisse inconfortable qu’elle n’aimait pas beaucoup habiter s’était transformée, comme par magie, en un endroit chaleureux et confortable. Tout lui plaisait : la simplicité de la pièce, mais également sa lumière, l’atmosphère qu’elle dégageait. Elle la traversa lentement et, s’approchant d’une des portes qui donnait sur le balcon extérieur, elle admira le paysage devant elle.

    Nobunaga regarda la jeune femme qui s’appuyait doucement contre le chambranle de la porte. Comme à chaque fois, il sentait son âme s’élever par sa simple présence qui le rendait heureux depuis toutes ces années. Elle transformait les jours sombres en instants de bonheur et les mauvaises nouvelles et les coups du sort paraissaient moins cruels quand c’était elle qui en parlait. De toute sa vie d’enfant et d’adolescent malmené par les adultes, Nobunaga n’avait jamais reçu autant de lumière et d’amour pour lui seul. La voir si heureuse en ce moment éclairait sa propre vie. Cela le consolait de ce qui s’était abattu sur lui les mois précédents, tout spécialement l’exécution de son frère Nobuyuki qui avait comploté contre lui. Cette trahison lui avait rappelé que, même au sein de sa propre famille, il n’avait jamais pu trouver le moindre espace d’amour de toute sa vie.

    — Le Singe, tu es redoutable ! Tu t’es surpassé… Comment as-tu fait alors que les autres n’ont pas réussi à faire grand-chose ? Dis-moi tout.

    Devant le sourire de son maître, Tokichirô était dans un état presque second. Lui, si souvent rudoyé, moqué par Nobunaga ou ses officiers, récoltait pour la première fois les fruits de ses efforts. Fou de reconnaissance, il ne put s’empêcher de sourire de toutes ses dents, déclenchant, une nouvelle fois, un éclat de rire de son maître, toujours pas habitué à l’apparition soudaine de cette face hilarante.

    — Seigneur, j’ai fait du mieux possible pour vous et pour dame Kitsuno, et je suis ravi que vous soyez heureux. Pour être honnête, je n’ai pas de secret autre que celui de tout organiser, tout superviser, tout contrôler et tout recontrôler encore une fois. De plus, vous serez heureux d’apprendre que je n’ai dépensé qu’une partie du budget que vous m’aviez confié. Ces artisans ont tendance à augmenter les prix dès que c’est le château qui achète. J’ai bien négocié avec eux et ils ont dû consentir une bonne réduction pour rester les fournisseurs officiels de votre maison.

    — Ils n’ont probablement pas été très heureux de cette façon de faire, mais je dois reconnaître que ton bon sens paysan a été bien utile, car nos finances ne sont pas immenses et tant mieux s’il me reste un peu d’argent. Je pourrai ainsi offrir un beau kimono à ma bien-aimée pour célébrer cette nouvelle naissance qui s’annonce.

    Nobunaga regarda le Singe. Dans son nouveau kimono, celui-ci avait quand même meilleure allure que le petit paysan sale qu’il avait ramassé sur la route, deux ans auparavant. Malgré la moquerie dont il avait fait les frais au château au début, ce jeune garçon l’avait étonné. Supportant toutes les railleries, il n’avait manifesté aucun esprit de revanche, mais avait au contraire fait preuve d’une bonne humeur continue et communicative. Cherchant toujours à rendre service à chacun, il s’était rapidement forgé de solides amitiés et les moqueries avaient cessé peu à peu, à l’exception des bushis¹² qui ne se privaient jamais de le rabaisser, comme pour tous les serviteurs. Tous, sauf l’un de ses généraux, Shibata Katsuie, qui, comme lui, l’avait pris en affection.

    Nobunaga, séduit par les capacités d’organisation du Singe, se demanda soudain s’il ne serait pas plus avisé de mieux se servir des qualités d’un tel homme. Son armée, assez faible au regard de celles de ses voisins, était

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1