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IBN Khaldûn: Nouvelles du Maghreb au XIVe siècle
IBN Khaldûn: Nouvelles du Maghreb au XIVe siècle
IBN Khaldûn: Nouvelles du Maghreb au XIVe siècle
Livre électronique486 pages5 heures

IBN Khaldûn: Nouvelles du Maghreb au XIVe siècle

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À propos de ce livre électronique

Après avoir passé dix années à étudier l’œuvre d’Ibn Khaldûn (considéré par les grands sociologues contemporains comme le précurseur de la sociologie moderne), Mohamed Saouli nous propose un essai d’interprétation et de traduction condensé de La Muqaddima et y apporte un éclairage nouveau et pertinent, loin des préjugés et contresens des traductions françaises et anglaises qui résultent de la hiérarchisation occidentale des civilisations et qui produisent ainsi une confusion dans la compréhension de l’ensemble de la théorie politique et sociale d’Ibn Khaldûn.

Ce livre présente la vie au Maghreb au XIVe siècle : les différents métiers, les sciences, l’importance de la pédagogie dans l’enseignement, l’influence du climat sur le caractère des hommes, les moyens de subsistance, la spéculation. Il décrit la prise et la perte du pouvoir politique, les formes de gouvernement des populations rurale et urbaine. Il explique les causes et les raisons des institutions, l’origine des peuples et des dynasties, la guerre et l’art militaire, les pratiques sociales populaires (magie, mendicité, poésie et musique…). Il énumère les raisons qui ont provoqué les changements des croyances religieuses et fait une analyse critique des grands événements historiques, politiques et militaires qui ont marqué l’Histoire.


À PROPOS DE L'AUTEUR

Mohamed Saouli, né en 1937 à Annaba a exercé une carrière d'ingénieur dans le secteur de l'énergie en Algérie. L'indépendance du pays lui ouvrit l'accès à la littérature arabe et à la découverte de la civilisation musulmane. Nouvelles du Maghreb au XIVe siècle est son premier ouvrage.

LangueFrançais
ÉditeurChihab
Date de sortie13 mars 2023
ISBN9789947396841
IBN Khaldûn: Nouvelles du Maghreb au XIVe siècle

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    Aperçu du livre

    IBN Khaldûn - Mohammed Saouli

    Ibn_Khaldûn._Nouvelles__du_Maghreb.jpg

    IBN KHALDÛN

    Nouvelles du Maghreb au XIV

    e

    siècle

    © Éditions Chihab, 2023.

    www.chihab.com

    Tél. : 021 97 54 53 / Fax : 021 97 51 91

    ISBN : 978-9947-39-683-4

    Dépôt légal : février 2023.

    IBN KHALDÛN

    Nouvelles du Maghreb au XIV

    e

    siècle

    Extraits de la Muqaddima

    choisis et traduits par

    Mohamed Saouli

    2e édition revue et corrigée

    CHIHAB EDITIONS

    À la mémoire de mes parents et de mes grands-parents qui ont gardé la mémoire.

    À mon épouse pour le soutien qu’elle m’a apporté tout au long de ce travail,ainsi que pour ses conseils et ses observations.

    À mes enfants qui m’ont encouragé par leurs conseils et remarques et par l’intérêt qu’ils ont manifesté à cette traduction.

    À mes petits-enfants Baya, Ismaël, Inessa, Milla, Nasma et Magda.

    Remerciements à mes amis juristes,

    Mounir Djellouli (de Blida) et au regretté Youssef al-Durrah

    (d’al-Nu‘mâniyya, au sud de Bagdad) pour leur aide dans la recherche du sens possible de certains mots et expressions de ce texte du XIVe siècle.

    BIOGRAPHIE SUCCINCTE D’IBN KHALDÛN

    Abû Zayd ‘Abd-al-Rahmân Ibn Khaldûn al-Hadramî est né à Tunis le 27 mai 1332 d’une famille andalouse de Séville, originaire de Carmona. Ses ancêtres appartenaient à la tribu arabe yéménite de Kinda, du Hadramaout (Yémen), dont un des chefs Wâ’il Ibn Hujrfut l’un des Compagnons du Prophète. Les Khaldûn faisaient partie du contingent militaire (jund) du Yémen, et fournirent à la dynastie qui régnait à Séville de grands et habiles généraux et des savants réputés. La puissance des Khaldûn à Séville se maintint jusqu’à la conquête d’al-Andalus par les Almoravides. Pressentant la prise de Séville par Ferdinand III, roi de Castille, ses ancêtres émigrèrent à Tunis au XIIIe siècle. Al-Hasan, le trisaïeul de ‘Abd al-Rahmân décéda à Bûna (Annaba). Bien qu’il ait longtemps vécu en Égypte où il termina sa vie comme grand magistrat mâlikite, l’auteur est resté profondément Maghrébin.

    Ibn Khaldûn a été élevé dans un milieu familial de grande culture. Il a bénéficié d’une excellente formation en lecture coranique, en droit, dans l’étude de la langue arabe, et a profité surtout de l’arrivée à Tunis, en 1347, d’un groupe de savants accompagnant le souverain du Maroc Abû al-Hasan qui venait de s’emparer de la Tunisie. Parmi ces savants, il « fréquente assidûment pendant trois ans » Abû ‘AbdAllâh Muhammad Ibn Ibrahim al-Âbilî, originaire de Tlemcen et grand maître en sciences fondées sur la raison. Sous sa direction, il étudie la logique, les principes fondamentaux de la théologie et de la jurisprudence ainsi que toutes les sciences philosophiques et les mathématiques. En 1349 la peste noire emporte, en même temps que son père et sa mère, la plupart des hommes distingués de Tunis, savants et professeurs. En 1350, à 18 ans, il est nommé « Garde du Sceau » à Tunis, puis il se rend à Bougie en 1353. Il rejoint par la suite les savants qui avaient quitté Tunis avec leur souverain et séjourne de 1354 à 1363 à la cour mérinide de Fès où il retrouve al-Âbilî pour lequel il éprouvait une grande admiration. Les remous politiques, les calomnies et les jalousies lui valent une épreuve de deux années de prison (1357-1358). Un séjour à Grenade (1363-1365) clôt ces quinze années d’études auprès de différents maîtres. Il jouit alors d’une grande faveur auprès du roi de Grenade Ibn al-Ahmar qui le charge de se rendre à Séville pour faire ratifier le traité de paix que Pierre, roi de Castille, avait conclu avec les princes musulmans d’al-Andalus. À cette occasion, ‘Abd al-Rahmân a dû visiter les anciennes propriétés de ses aïeux et les résidences des Khaldûn à Séville et à Carmona. Pierre, devinant sans doute l’émotion ressentie par son hôte en ces lieux, et séduit par ce jeune et brillant ambassadeur, alors âgé de 32 ans, a voulu le garder dans sa cour en proposant de lui restituer les biens de ses ancêtres. Offre qu’Ibn Khaldûn déclina. Sa femme et ses enfants, installés en sûreté à Constantine, le rejoignent à Grenade. Encore victime de calomnies, il demande l’autorisation de quitter cette ville pour se rendre à la cour de Bougie où il est nommé chambellan avec autorité absolue dans la direction de l’administration de l’État et intermédiaire entre le roi et ses grands officiers.

    De 1365 à 1374, il nomadise d’une allégeance à l’autre : Bougie, Tlemcen, Fès, avec de longs séjours à Biskra avec sa famille, à l’abri des mauvaises surprises du fait de l’instabilité politique qui caractérisait l’époque. Il possède dans cette ville une grande influence sur les tribus hilâliennes des Riahi et Douaïdia qu’il mobilisait conjoncturellement en faveur de l’un ou l’autre des souverains. En fin politique, pragmatique, occupant diverses hautes fonctions auprès de différents rois, il fréquente assidûment les bibliothèques des monarques, des dignitaires et des mosquées, rassemblant les matériaux nécessaires à son œuvre littéraire, « examinant monuments, archives et livres des contrées » où il se rendait. Il quitte avec sa famille Biskra en 1372 pour Fès puis, en 1374, s’embarque pour al-Andalus, pensant s’y retirer définitivement auprès d’Ibn al-Ahmar et se consacrer à l’étude. Mais il est « renvoyé » par celui-ci à Tlemcen. De là, il s’éclipse et s’établit de 1374 à 1377 avec sa famille sous la protection des Douaïdia, au château fort de Qal‘at Ibn Salâma (Taoughzout, près de Frenda, en Algérie). C’est dans cette retraite qu’il commence, et achève, la rédaction de la « Muqaddima ». En 1378, il part pour Tunis avec sa famille, accompagné par une troupe de Riahi. Là, il termine la rédaction de l’« Histoire des Berbères ». Son jeune frère Yahia, historien, est assassiné à Tlemcen en 1379.

    De nouveau victime de calomnies et de jalousies, lassé des polémiques stériles telle celle concernant son affirmation de la théorie sur la proximité de l’homme et du singe, il quitte Tunis et s’embarque, en octobre 1382, pour Alexandrie et de là se rend au Caire « la métropole de l’univers, le jardin du monde, la fourmilière de l’espèce humaine, le portique de l’islam, le trône de la royauté, ville embellie de châteaux et de palais, ornée de couvents de derviches et de collèges, éclairée par des lunes et des étoiles d’érudition ». Il est nommé en 1384, par le souverain mamelouk d’Égypte Barqûq (1382-1399), grand cadi du rite mâlikite. Cette même année, sa femme et ses cinq filles disparaissent dans un naufrage, alors qu’elles tentaient de le rejoindre. Dans ce drame, il perd aussi ses biens et ses livres. Ses deux fils le rejoignent plus tard. En 1387, il part en pèlerinage à La Mecque et revient au Caire, vivant dans la retraite, occupé à l’étude et à l’enseignement. En 1399 il est rappelé pour remplir de nouveau la fonction de juge mâlikite. Ne disposant pas du réseau relationnel qu’il avait au Maghreb pour assurer sa protection, son intégrité et sa rigueur dans l’exercice de sa fonction le font de nouveau destituer et mettre aux arrêts en 1400. Puis il est nommé professeur au collège mâlikite du Caire. Entraîné par le souverain d’Égypte dans la défense de la ville de Damas, il est fait prisonnier par Timur Lang (Tamerlan) qu’il éblouit par son savoir et par la connaissance de la généalogie et des conquêtes de ce guerrier qui veut alors le garder auprès de lui. Il obtient l’autorisation d’aller, avec ses compagnons, chercher ses livres, « sans lesquels il ne peut vivre » et s’échappe avec eux pour retourner en Égypte. Nommé encore à quatre reprises grand cadi mâlikite, il meurt le 17 mars 1406, durant son office, et est enterré au cimetière des soufis du Caire.

    Dépeint par ses contemporains comme un homme physiquement grand et beau, d’une intelligence vive, d’un esprit pénétrant, d’une grande éloquence, cultivé, instruit, élégant et doté du sens de l’amabilité, il fut toujours accueilli avec tous les honneurs par les grands. Selon un auteur cité par al-Maqari (Tlemcen, 1578-v.1632) il eut beaucoup d’ennemis qui lui reprochaient son attitude hautaine, sa manie de contredire et d’entamer des discussions à tout propos ainsi que son esprit raide et inflexible. D’ailleurs, on constate dans son autobiographie qu’il avait offensé une classe très nombreuse, celle des gens de loi dont il froissait, dans l’exercice de fonctions très importantes, l’amour-propre et les intérêts en dévoilant impitoyablement leur ignorance et leurs prévarications.

    Ibn Khaldûn se situe dans un courant de pensée qui part des mu‘tazilites des VIIIe et IXe siècles. Son apparition fut exceptionnelle dans une période de déclin de la civilisation du monde musulman. Les historiens, les sociologues et les philosophes qui ont été amenés à le découvrir n’ont pas ménagé leurs éloges :

    « Ibn Khaldûn a été le plus grand philosophe historien que l’Islam ait jamais produit et l’un des plus grands de tous les temps. » (P.K. Hitti, Récits de l’Histoire des Arabes).

    « L’œuvre d’Ibn Khaldûn est un des ouvrages les plus substantiels et les plus intéressants qu’ait produit l’esprit humain. » (G. Marçais).

    « Ibn Khaldûn a conçu et formulé une philosophie de l’Histoire qui est sans doute le plus grand travail qui ait jamais été créé par aucun esprit dans aucun temps et dans aucun pays. » (A. Toynbee, A study of History).

    « L’œuvre d’Ibn Khaldûn marque l’apparition de l’Histoire en tant que science… Aujourd’hui nous vivons des événements considérables, absolument nouveaux dans l’histoire du monde, la plupart des peuples doivent affronter d’amples et tragiques problèmes que l’humanité n’avait jusqu’alors jamais connus. C’est pour ces raisons que la reconstitution du passé est moins que jamais une fin en soi. Elle est inspirée, en fait, par un intérêt actuel et elle tend vers une fin actuelle. Le contenu d’une œuvre ancienne ne peut s’intégrer à la pensée active (celle qui conduit à une certaine conception politique de notre temps) que dans la mesure où il a une résonance actuelle et s’il facilite la compréhension des problèmes qui sont les nôtres, en cette moitié du XXe siècle. » (Y. Lacoste, Ibn Khaldoun, naissance de l’histoire, passé du tiers-monde, éd. Maspéro 1978).

    « Ibn Khaldûn nous donne un exemple très éloquent d’une pensée universaliste concrète et humaniste, qui tente d’intégrer tous les acquis du passé humain, d’où qu’ils viennent, et qui prône des valeurs communes pour tous les hommes. En cela, se faisant l’héritier des traditions universalistes antérieures, il produit une heureuse synthèse entre la raison universaliste grecque, le monothéisme biblique et coranique, les influences spirituelles indiennes. Même si on peut lui reprocher un certain islamo centrisme, il conçoit le destin humain comme fondamentalement égalitariste et unitaire, soumis partout aux mêmes lois d’évolution, aux mêmes mécanismes de fonctionnement sociaux, politiques et économiques, aux mêmes aspirations et valeurs éthiques et spirituelles. S’il considère que les conflits et les guerres sont inhérents à la condition humaine, à quelque société, religion ou civilisation que l’on appartienne, sa théorie de la civilisation humaine montre clairement qu’il serait contradictoire de parler de « choc des civilisations », dans la mesure où la civilisation en tant que telle est une aspiration commune de l’humanité, qu’elle a pour fonction d’assurer la prospérité, la paix et l’harmonie, et que c’est sa corruption qui conduit aux conflits et aux guerres… La science d’Ibn Khaldûn a des fondements méthodologiques et théoriques très solides, qui n’ont rien à envier aux sciences humaines modernes. Il utilise un appareil conceptuel parfaitement défini, dont il est essentiel de comprendre exactement la signification. » (Abdesselam Cheddadi, Conférences et entretiens, CNRPAH, Alger 2006).

    « Hellénisants ou dé-hellénisants, tous les courants de pensée sociale de l’islam, même quand ils reflètent la vie politique de leur époque, sont loin de réaliser l’analyse de société et les vues de synthèse auxquelles va parvenir le plus grand politique de tous les temps en islam, Ibn Khaldûn. » (Abdelmadjid Meziane, auteur d’une volumineuse thèse consacrée à la pensée économique d’Ibn Khaldûn, Alger).

    AVANT-PROPOS

    Ibn Khaldûn a participé activement à la vie intellectuelle et politique en jouant, souvent, un rôle de premier plan dans la vie des différentes dynasties de l’Occident musulman de son époque. Cette implication dans les coulisses du pouvoir lui a fourni les éléments nécessaires à une connaissance approfondie des structures politiques, sociales et économiques des royaumes dans lesquels il a vécu. Cette vie d’acteur politique l’a placé à un poste d’observation qui donne à ses analyses sur la société, élites et masses populaires, une authenticité inestimable et une pertinence remarquable. Cette pertinence est telle que nous devons constamment nous rappeler que certaines situations et comportements sociaux qu’il décrit sont bien de son époque, au XIVe siècle, tant la similitude, dans certains cas, nous paraît troublante d’actualité : accaparement et exercice monarchique du pouvoir « source d’enrichissement », pratiques commerciales, divination et magie, mysticisme, modes de nutrition, influence du climat sur l’aspect et le caractère des hommes.

    Par sa démarche rationaliste, Ibn Khaldûn met bien en évidence la relation entre l’économie, l’organisation politique et administrative ainsi que les formes de structuration de la société citadine d’une part, et celle des campagnes, nomade et sédentaire, démontrant que l’émergence de l’État est étroitement liée au concept de civilisation.

    Sa grande œuvre, le « LIVRE DES EXEMPLES » (KITAB AL ‘IBAR) se compose d’une Introduction et de trois Livres. La partie la plus connue de cette œuvre est la MUQADDIMA qui rassemble cette Introduction et le premier de ces trois Livres.

    Ces « NOUVELLES DU MAGHREB AU XIVe SIÈCLE » sont la traduction d’un condensé obtenu à partir d’extraits du texte arabe de la MUQADDIMA édité par al-Maktaba al-‘Asriyya, Beyrouth, 2002. Cette édition libanaise a pour source, selon l’éditeur, un manuscrit égyptien désigné par la lettre arabe « م » (m). Ce manuscrit serait lui-même fondé sur les manuscrits de Tunis (1382) et de Fès (1397). Ce texte a été vérifié et corrigé par Derrouiche Jouidi (magistère en linguistique arabe).

    Ce condensé est une réduction du texte originel dont ont été supprimées les redondances et les longueurs (certaines d’entre elles ont été résumées, mises en italique et entre parenthèses). C’est un travail de découpage et de montage sans aucun ajout, procédant avec le souci de rester fidèle au sens de ce texte originel tout en l’adaptant à la langue de la traduction et à sa structure.

    L’approche de l’Histoire par Ibn Khaldûn, esprit curieux des connaissances scientifiques et philosophiques accumulées par l’humanité, « qui a le sens de la recherche exacte, possède une grande mémoire et une intelligence sûre », selon son ami le ministre et poète grenadin Ibn al-Khatib, est originale pour l’époque car il pose la question de l’essence de l’Histoire. C’est la première fois, dans l’histoire connue, qu’une étude sociologique et anthropologique de la société est présentée sous un aspect dynamique. En effet, la démarche adoptée n’est pas de décrire simplement les faits, mais de comprendre la formation de l’histoire et de la politique en posant les règles d’une analyse scientifique rigoureuse, critique et rationnelle, des événements historiques qui sont replacés dans le contexte de l’époque dans laquelle ils se sont déroulés. De même, il insiste sur la nécessité de prendre en compte les changements qui s’opèrent dans le temps : révolutions, guerres, épidémies, invasions, bouleversements sociaux, politiques ou religieux, etc… L’Histoire est, pour Ibn Khaldûn, recherche théorique fondée sur des règles qu’il définit : analyse critique, vérification, étude minutieuse des causes et des principes des choses existantes, connaissance approfondie des circonstances qui ont donné naissance aux événements. Avec ces règles, il assigne à cette discipline la connaissance de la civilisation humaine et de la société.

    Il est possible que la réalisation de cette œuvre soit née, dans son esprit, lorsqu’il fut envoyé en ambassade par Ibn al-Ahmar, souverain de Grenade, à Séville pour ratifier un traité de paix avec Pierre de Castille en 1364. Devant les monuments et les vestiges de l’ancien empire musulman, autrefois illustre, et visitant les anciennes propriétés et résidences de ses aïeux, Ibn Khaldûn a dû éprouver une émotion qui a probablement donné naissance à sa grande sensibilité aux faits historiques. Son génie et sa rigueur intellectuelle ont fait le reste.

    Le mécanisme, décrit avec pertinence, de l’accaparement du pouvoir et des richesses par les courtisans, son intelligence, ne pouvaient que lui faire de nombreux ennemis. Ce fut le cas, et ses multiples séjours en prison et nombreuses disgrâces le prouvent.

    Les talents de cet historien maghrébin, sociologue et philosophe, confiant en son propre génie, le rendaient suspect et fascinant. Son intelligence et son savoir, sa lucidité, sa capacité de convaincre et de séduire (Pierre de Castille, Tamerlan,…) le rendaient irrésistible et, parfois, lui ont permis de sauver sa vie. Malheureusement, le produit de sa réflexion, toujours d’actualité, est resté, pour ses contemporains comme pour la postérité, méconnu.

    Pour Ibn Khaldûn, il n’y a pas de rupture dans la transmission et le développement de la civilisation de l’humanité. La civilisation est universelle, le flambeau passant, naturellement, d’un peuple à l’autre. La filiation de la civilisation musulmane aux Anciens (Babyloniens, Égyptiens, Indiens, Perses, Grecs) est assumée sans complexe ni ethnocentrisme et, parallèlement à sa réflexion sur la décadence de la civilisation musulmane, il annonce la relève « au nord de la mer ». Il n’était pas tendre vis-à-vis de tous les nomades, de quelque ethnie qu’ils soient, destructeurs de civilisations et, « balayant en premier lieu devant sa porte », il n’épargne pas les nomades arabes, son ethnie, dénonçant leurs travers autant que ceux des autres peuples.

    Le Prophète Muhammad - slgp - avait demandé au musulman de « rechercher le savoir, fût-ce en Chine » (Utlubal-‘ilmwalaw fi al-cîn), et déclaré que « la recherche du savoir est une obligation stricte pour tout musulman, du berceau au tombeau » (min al-mahdilâ al-lahd). Le premier mot qui lui a été adressé dans la Révélation est « Lis » (Iqrâ), incitant à une recherche permanente du savoir. Cela s’est traduit par l’assimilation des civilisations antérieures sans exclusive et la poursuite du développement de la civilisation humaine par la participation de tous les grands esprits des différents peuples qui composaient le monde musulman.

    Pour Abdesselam Cheddadi : « Ibn Khaldûn nous interpelle, aujourd’hui, à la fois en tant qu’homme et en tant que théoricien de la société, de la civilisation et de l’histoire. Un contexte social, psychologique et historique particulier et une intelligence exceptionnelle favorisèrent chez lui des comportements et des attitudes d’esprit très proches des nôtres. L’affirmation de soi, la liberté de pensée, l’audace intellectuelle, l’exigence de la justice et de l’équité sur les valeurs permanentes les plus sûres grâce auxquelles l’humanité a pu progresser, aux différentes époques de son histoire, au sein des sociétés et des cultures le plus souvent conservatrices et évoluant à un rythme très lent. Ibn Khaldûn fut peut-être un des hommes qui les incarna au plus haut point au sein de la culture musulmane. Ces attitudes, qui étaient autrefois exceptionnelles, comme d’ailleurs l’écriture et un large niveau de culture générale, sont devenues au cours des temps modernes les normes de notre société qui a fait de la démocratie, de la responsabilité individuelle, de la mobilité, du changement et du progrès technique et scientifique ses valeurs centrales. C’est pour cette raison, je crois, qu’Ibn Khaldûn nous semble si proche, si familier, malgré les six siècles qui nous séparent de lui, et les différences de toutes sortes que notre société moderne présente avec la sienne. » (Dans Conférences et entretiens, CNRPAH, Alger 2006).

    AVERTISSEMENT

    La transcription française usuelle de la plupart des noms propres de lieux ou de personnes connus en Occident ou figurant dans le dictionnaire français est maintenue, sauf pour certains noms écrits dans leur prononciation exacte.

    Les dates ne figurent pas dans le texte d’Ibn Khaldûn (sauf les périodes dans le calendrier hégirien signalées par la lettre H.) et ont été rajoutées entre parenthèses (calendrier grégorien) avec les symboles suivants :

    m. mort en…

    v. : vers…

    Les dates de naissance (et parfois le lieu de naissance) et de décès pour les principaux personnages cités dans le texte sont rajoutées entre parenthèses avec, intercalée entre elles, celle du début de règne pour les souverains.

    Les citations de versets du Coran, en gras, sont suivies, en chiffres arabes, du numéro du chapitre d’où elles sont prélevées puis de celui du verset.

    La carte du monde circulaire de la couverture est du géographe maghrébin al-Idrîsî (1100-1165). Elle a été réalisée en 1154 en Sicile.

    Les descriptions des climats et régions ont été regroupées dans un tableau.

    Les différentes tendances chi‘ites ont été synthétisées sous forme d’un schéma synoptique.

    Un tableau « Repères historiques » a été rajouté en fin de texte, ainsi qu’une carte géopolitique représentant les limites approximatives des royaumes au Maghreb, en Ifrîqiya et en al-Andalus à la fin du XIVe siècle.

    Les notes de bas de page tirées du livre « Introduction à la littérature musulmane » de Gaston Wiet, édition G.P. Maisonneuve et Larose, Paris, 1966 seront signalées par : (G. Wiet, page…), celles de Vincent Monteil de « Discours sur l’Histoire universelle », Sindbad, 1978 par (V. Monteil, p…), et celles de Amar Dhina de « Hommes d’État, hommes de guerre », ENAL, Alger 1992 par : (A. Dhina, p…).

    Les informations sur les croisades dans le tableau des repères historiques proviennent essentiellement du livre « Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises » de Reynaert François.

    La translittération des lettres emphatiques donnée ici est conventionnelle selon le dictionnaire Larousse :

    ***

    L’accent circonflexe indique une voyelle longue.

    Au milieu d’un mot, le s doit se lire ss et non z.

    u : se lit ou.

    PRÉSENTATION DU « LIVRE DES EXEMPLES » (Kitâb al-‘Ibar)

    L’humble serviteur ‘Abd al-Rahmân Ibn Muhammad Ibn Khaldûn al-Hadrâmî sollicite la miséricorde du Seigneur qui l’a comblé de Sa bonté.

    Louange à Dieu qui possède la gloire et la puissance, Maître du ciel et de la terre, Il a les noms les plus beaux, Il est le Vivant éternel. Salut et bénédiction sur notre seigneur Muhammad - sur lui la grâce et la paix - le prophète arabe dont le nom est écrit dans la Torah et est mentionné dans l’Évangile.

    L’Histoire est une des disciplines les plus répandues parmi les nations, à toutes les époques. Elle intéresse autant les gens ordinaires que les rois et les grands. Elle est appréciée tant par les hommes cultivés que par les ignorants. En apparence, elle semble être le récit des événements, des dynasties et des circonstances du lointain passé, présenté avec élégance et relevé par des citations. Mais, en réalité, l’Histoire est l’examen et la vérification des faits, l’investigation fine et attentive des causes qui les ont produits, ainsi que la connaissance du pourquoi et du comment des événements. C’est pourquoi, l’Histoire doit être considérée comme une branche de la philosophie.

    Les plus réputés des historiens musulmans ont recueilli tous les récits des événements passés, les ont collationnés et les ont consignés dans des livres, mais des charlatans ont fait des rajouts, (sous forme d’) embellissements et de mensonges inventés par eux. Leurs successeurs les ont imités, ont répété ce qu’ils avaient lu et nous l’ont transmis tel quel, sans chercher les causes et les circonstances, ni rejeter les invraisemblances des événements. Aucun effort pour la recherche de la vérité n’est fait et le sens critique est limité. Dans la recherche historique, l’erreur et l’imagination sont liées et l’esprit de la tradition est profondément ancré chez les hommes. Le charlatanisme est fréquent dans les sciences et l’ignorance a un rôle pernicieux et nuisible. Mais rien ne résiste à la puissance de la vérité, et le démon du mensonge doit être écarté par la force de l’examen rationnel. Le transmetteur se borne à rapporter les faits, mais c’est avec l’esprit critique qu’il faut rechercher la vérité que le savoir aura débarrassée de la gangue qui la recouvre.

    Certains ont compilé et rédigé des ouvrages historiques détaillés sur les nations et les dynasties dans le monde mais seuls quelques-uns d’entre eux jouissent, par l’originalité de leur œuvre, d’une notoriété et d’une probité reconnues. Tels sont Ibn-Ishâq, al-Tabarî, Ibn al-Kalbî, Muhammad ben ‘Umar al-Wâqidî, Sayf ben ‘Umar al-Asadî et al-Mas‘ûdî. Les ouvrages d’al-Mas‘ûdî et d’al-Wâqidî sont parfois discutables, mais la plupart des historiens leur ont donné la préférence en suivant leur méthode et leur présentation des faits. Le critique perspicace doit compter sur son propre jugement pour déceler le faux dans ce que les chroniqueurs rapportent. Dans une civilisation, la conjoncture peut déterminer l’information historique et permettre de comparer les récits et les documents anciens. La plupart de nos chroniqueurs traitent, selon les méthodes et procédés de ces auteurs, de l’histoire universelle suite à la conquête de nombreux pays et royaumes par les deux grandes dynasties musulmanes du début de l’islam et aux nombreuses sources utilisées. Certains, comme Mas‘ûdî et ses imitateurs, ont englobé l’histoire des royaumes et des peuples d’avant l’islam. Mais d’autres, après eux, se cantonnèrent à rassembler les informations éparses qui se rapportaient aux faits marquants de leur époque et dans leur environnement proche, traitant de la dynastie régnante et de leur ville. C’est le cas d’Ibn Hayyân, historien d’al-Andalus et des Umayyades de ce pays, et d’Ibn al-Rafîq historien de l’Ifrîqiya et des souverains de Kairouan.

    Après eux, les historiens ne furent que de simples imitateurs, à l’esprit lourd et à l’intelligence engourdie, qui se contentèrent de suivre le même processus et le même modèle, sans remarquer les changements que le temps opère, selon les époques, dans les usages des nations. Ils tirent de l’histoire des dynasties et des siècles passés des récits sans substance, tel un fourreau vide de son sabre, sans qu’on sache s’ils sont anciens ou récents. Ils parlent de faits dont on ignore l’origine, et leur rédaction n’est ni logique ni vérifiée. Ils reproduisent fidèlement les récits populaires suivant l’exemple de leurs prédécesseurs en négligeant l’importance des changements historiques car il n’y a personne pour les leur expliquer, et leurs ouvrages restent muets sur ce sujet. S’ils retracent l’histoire d’une dynastie, ils le font comme elle leur a été transmise, vraie ou fausse, sans se soucier de l’origine de cette famille, des causes de la manifestation de sa puissance, de son ascension et de son déclin. L’observateur cherche en vain à comprendre l’origine des dynasties qui se succèdent, les raisons de leur rivalité et pourquoi une dynastie remplace une autre. Il doit rechercher ce que cachent leurs antagonismes et leurs alliances. Nous exposerons tout cela dans la « MUQADDIMA » du « LIVRE » (DES EXEMPLES).

    D’autres, après eux, ne rédigèrent plus que des abrégés éphémères (« avec des lettres de poussière » : bi hurûf al-ghubâr), se contentant de donner la liste des monarques, sans leur généalogie ni leur histoire, ni même la durée de leurs règnes. C’est ce qu’a fait Ibn Rashîq (M'sila, 1000-1070) dans son « Mîzânal-‘Amal », suivi par de pâles imitateurs, mais aucun d’eux n’est digne d’attention, et leur œuvre ne survivra pas et ne sera pas transmise, car ils se sont éloignés des règles connues et des usages des chroniqueurs.

    Quand j’ai lu les livres des autres et sondé la profondeur du passé et du présent, j’ai éveillé mon esprit, l’arrachant à la négligence et à la léthargie et, bien qu’ayant peu de connaissances en la matière, j’ai décidé de composer un livre selon ma vision. J’ai donc rédigé un ouvrage sur l’Histoire qui lève le voile sur l’origine des nations. Je l’ai divisé en chapitres qui exposent les faits et, avec mes commentaires, je démontre pourquoi et comment les États et la civilisation prennent naissance. J’ai pris comme sujet les deux peuples qui vivent au Maghreb à notre époque, leurs dynasties, durables ou éphémères, avec leurs monarchies et leurs partisans. Ce sont les seuls peuples qui vivent dans cette région depuis des temps immémoriaux, les Arabes et les Berbères.

    J’ai vérifié avec grand soin mon travail et je l’ai soumis au jugement des spécialistes et des érudits. J’ai suivi un plan original divisé en chapitres, selon une méthode nouvelle que j’ai imaginée pour traiter de la civilisation et de l’urbanisation, des événements qui surviennent dans la société et leurs causes, et comment les fondateurs d’empires apparaissent dans l’histoire. Ainsi, on ne croira plus ce qui est rapporté par la tradition et on comprendra les événements historiques du passé et même prévoir ceux à venir.

    Mon ouvrage se compose d’une Introduction et de trois Livres :

    L’Introduction traite de l’excellence de la science de l’Histoire, des principes qui doivent lui servir de règles, et recense les erreurs des historiens.

    Le Livre I est consacré à la civilisation et ses caractéristiques : le pouvoir, le gouvernement, le profit, les moyens de subsistance, les métiers, les sciences, ainsi que les causes et les raisons de ces institutions.

    Le Livre II renferme l’histoire des Arabes, de leurs divers peuples et de leurs dynasties. On y cite aussi quelques nations célèbres qui ont été leurs contemporaines et qui ont fondé des dynasties : les Nabatéens, les Assyriens, les Perses, les Banû Israël, les Égyptiens, les Grecs, les Byzantins, les Turcs et les Latins.

    Le Livre III donne l’histoire des Berbères et de leurs proches les Zénètes, de leur origine, de leurs divers peuples et des empires qu’ils ont fondés surtout dans le Maghreb.

    Abordant l’étude des faits particuliers à partir des considérations générales, j’embrasse l’ensemble de l’Histoire universelle. Ma méthode ramène l’esprit égaré vers la bonne voie en analysant les causes et les raisons des événements politiques et introduit à la philosophie de l’histoire et à l’histoire comparée. Mon ouvrage traite de l’histoire des Arabes et des Berbères, des citadins et des nomades et des grands empires qui leur sont contemporains, complétée par des citations et des exemples sur l’Histoire universelle. Je l’ai donc intitulé « Le Livre des Exemples

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