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Études sur l'industrie et la classe industrielle à Paris au XIIIe et au XIVe siècle
Études sur l'industrie et la classe industrielle à Paris au XIIIe et au XIVe siècle
Études sur l'industrie et la classe industrielle à Paris au XIIIe et au XIVe siècle
Livre électronique725 pages10 heures

Études sur l'industrie et la classe industrielle à Paris au XIIIe et au XIVe siècle

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DigiCat vous présente cette édition spéciale de «Études sur l'industrie et la classe industrielle à Paris au XIIIe et au XIVe siècle», de Gustave Fagniez. Pour notre maison d'édition, chaque trace écrite appartient au patrimoine de l'humanité. Tous les livres DigiCat ont été soigneusement reproduits, puis réédités dans un nouveau format moderne. Les ouvrages vous sont proposés sous forme imprimée et sous forme électronique. DigiCat espère que vous accorderez à cette oeuvre la reconnaissance et l'enthousiasme qu'elle mérite en tant que classique de la littérature mondiale.
LangueFrançais
ÉditeurDigiCat
Date de sortie6 déc. 2022
ISBN8596547456704
Études sur l'industrie et la classe industrielle à Paris au XIIIe et au XIVe siècle

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    Études sur l'industrie et la classe industrielle à Paris au XIIIe et au XIVe siècle - Gustave Fagniez

    Gustave Fagniez

    Études sur l'industrie et la classe industrielle à Paris au XIIIe et au XIVe siècle

    EAN 8596547456704

    DigiCat, 2022

    Contact: DigiCat@okpublishing.info

    Table des matières

    AVANT-PROPOS

    LIVRE PREMIER ORGANISATION CIVILE, RELIGIEUSE ET ÉCONOMIQUE DE LA CLASSE INDUSTRIELLE

    CHAPITRE I er ÉTAT DE L’INDUSTRIE

    CHAPITRE II VIE CIVILE ET RELIGIEUSE DU CORPS DE MÉTIER

    CHAPITRE III VIE PUBLIQUE DU CORPS DE MÉTIER

    CHAPITRE IV L’APPRENTI

    CHAPITRE V L’OUVRIER

    CHAPITRE VI CONDITIONS POUR OBTENIR LA MAÎTRISE

    CHAPITRE VII LE CHEF D’INDUSTRIE

    CHAPITRE VIII LES GARDES-JURÉS ET LA JURIDICTION INDUSTRIELLE

    LIVRE SECOND MONOGRAPHIE DE CERTAINES INDUSTRIES

    CHAPITRE I er MEUNERIE ET BOULANGERIE

    CHAPITRE II BOUCHERIE

    CHAPITRE III BATIMENT

    CHAPITRE IV INDUSTRIES TEXTILES

    CHAPITRE V APPRÊTS, TEINTURE ET COMMERCE DES ÉTOFFES

    CHAPITRE VI CONFECTION DES VÊTEMENTS TISSÉS

    CHAPITRE VII ORFÉVRERIE ET ARTS ACCESSOIRES

    CONCLUSION

    APPENDICE

    INDEX ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES CONTENANT UN GLOSSAIRE DES ADDITIONS ET DES CORRECTIONS

    AVANT-PROPOS

    Table des matières

    Il nous paraît superflu de faire ressortir l’intérêt du sujet traité dans ce livre; mais, plus ce sujet excite la curiosité, plus il rend le lecteur exigeant, plus il oblige l’auteur à aller au-devant de certains mécomptes et à se dégager de la responsabilité de certains défauts qu’il n’était pas en son pouvoir d’éviter.

    C’est surtout à cause de leurs lacunes que ces études paraîtront manquer aux promesses de leur titre. Si elles tombent entre les mains d’un économiste habitué aux renseignements précis et complets de la statistique, ou dans celles d’un industriel désireux de se rendre compte des progrès de son industrie, ni l’un ni l’autre n’y trouveront des notions aussi sûres, aussi détaillées que dans les enquêtes et les traités techniques contemporains. S’ils s’en étonnaient, nous leur ferions observer que le moyen âge ne nous a laissé ni statistiques officielles ni manuels d’arts et métiers comparables à ceux de notre temps. Nous ajouterons, à l’adresse de tous les lecteurs et spécialement des érudits, que les archives anciennes qui contenaient le plus de matériaux pour un travail comme le nôtre, ont été partiellement ou entièrement détruites. Celles dont la perte est la plus regrettable, ce sont les archives des corporations elles-mêmes. Là se conservaient, avec les actes émanés de l’autorité publique, les titres de propriété, les procès-verbaux de réunions, les pièces de comptabilité, les brevets d’apprentissage, bref tous les documents auxquels donnait lieu le fonctionnement des corporations et qui nous auraient fait assister à leur vie intime. Que ces documents aient été conservés intacts jusqu’à la suppression définitive des corporations ou que celles-ci se fussent déjà débarrassées de ceux qui avaient perdu toute utilité pratique[1], leur perte nous a réduit à ne donner de leur administration intérieure qu’une idée générale et insuffisante. Combien on doit déplorer aussi l’incurie des greffiers du Châtelet qui n’ont pas su préserver de la destruction les plus anciens registres civils de cette juridiction! C’était elle qui jugeait en première instance ou en appel les affaires commerciales et industrielles, qui statuait sur les débats entre les patrons et leurs ouvriers ou apprentis, qui condamnait pour contraventions aux règlements.

    Par suite de la disparition presque totale des documents les plus propres à nous montrer le jeu de l’organisation industrielle, les statuts et les règlements qui nous la présentent, pour ainsi dire, au repos, ont pris la première place parmi les sources de notre travail. Mais que de sous-entendus, que de lacunes dans ces règlements, fragments d’une législation qui consistait surtout dans les traditions professionnelles, dans la jurisprudence des gardes jurés!... Ces règlements, secs et inanimés comme des textes de lois, ne nous auraient pas mis à même de pénétrer jusqu’à la réalité des choses, si des documents tout différents, de nature et de provenance diverses, ne nous avaient transporté au cœur même de la vie industrielle et ne nous avaient permis de donner à notre tableau quelque couleur et quelque vérité. On verra que nous avons emprunté quelques traits de ce tableau à des documents étrangers à notre cadre par leur date ou leur origine, lorsque l’analogie nous y autorisait et que l’harmonie ne devait pas en souffrir.

    Dans quel ordre devions-nous classer et présenter les résultats de nos recherches? L’ordre chronologique, le plus simple de tous, n’était pas possible, car il ne saurait s’appliquer qu’à un sujet qui offre des périodes bien tranchées. Or, si l’industrie parisienne a subi, depuis l’époque à laquelle remontent les premiers documents jusqu’à la fin du XIVe siècle, d’inévitables modifications, ces modifications n’ont pas été assez importantes pour donner lieu à des divisions suffisamment justifiées. Restait l’ordre méthodique, avec ses difficultés et l’arbitraire qu’il implique toujours. A force d’y réfléchir cependant, nous avons reconnu que notre sujet offrait deux parties principales, distinctes à la fois par leur objet et par la méthode qu’elles exigent. Nous étudions dans ce volume l’industrie et la classe industrielle; ces deux choses, qui se confondent dans la réalité, peuvent, par une abstraction très-légitime, être envisagées séparément. Et non-seulement cette distinction est commode, mais elle est nécessaire. La même méthode ne peut servir à exposer la condition de la classe ouvrière, dans ses différents éléments, et le fonctionnement des diverses industries. A côté de nombreuses variétés de détail, l’organisation des corporations offre des traits généraux qui, si on réussit à les distinguer de ce qui est particulier et accidentel, doivent former un tableau d’ensemble aussi vrai que peut l’être une généralisation. L’exposé des procédés industriels est incompatible avec une pareille méthode; ici la variété domine, et on se heurterait à une difficulté invincible en essayant d’éliminer des différences qui sont essentielles pour amener à l’unité un sujet qui y répugne complétement. C’est cette considération qui explique la division de l’ouvrage en deux livres: l’un où la classe industrielle est étudiée à tous les points de vue et principalement au point de vue économique, sans distinction de métiers; l’autre qui repose, au contraire, sur les distinctions professionnelles et qui fait connaître les habitudes et les procédés propres à un certain nombre d’industries.

    Nous avons dit pourquoi ce livre restera, à certains égards, au-dessous de l’attente du lecteur, nous avons essayé d’en justifier le plan. Le meilleur succès, à notre gré, qu’il puisse obtenir, c’est d’en susciter de meilleurs sur l’industrie des principales villes de la France et d’ouvrir ainsi la voie à des travaux du même genre, qui permettront un jour d’écrire l’histoire générale de l’industrie et de la classe industrielle dans notre pays.

    G. F.

    Décembre 1877.

    LIVRE PREMIER

    ORGANISATION CIVILE, RELIGIEUSE ET ÉCONOMIQUE

    DE LA CLASSE INDUSTRIELLE

    Table des matières

    CHAPITRE Ier

    ÉTAT DE L’INDUSTRIE

    Table des matières

    Origine des corps de métiers.—Population industrielle.—Industries parisiennes les plus florissantes.—Quartiers occupés par les diverses industries.

    Une curiosité naturelle et légitime porte l’esprit humain à s’enquérir de l’origine des institutions qui ont fourni une longue carrière et joué un grand rôle. Malheureusement l’historien éprouve souvent de grandes difficultés à satisfaire cette curiosité. Il en est ainsi pour les corporations de métiers. L’histoire ne nous fait pas assister à leur formation; quand elles nous apparaissent dans les documents, elles comptent déjà de longues années d’existence et nous offrent une organisation complète. Pourtant il n’est peut-être pas impossible, en rapprochant certains traits de cette organisation de quelques textes mérovingiens et carolingiens, de se représenter ce qu’était l’industrie avant les corps de métiers, ainsi que la façon dont ceux-ci prirent naissance.

    Lorsque les Francs s’établirent en Gaule et s’approprièrent les domaines du fisc impérial et ceux qui avaient été abandonnés par leurs propriétaires[2], les artisans fixés sur ces domaines durent travailler pour leurs nouveaux maîtres. Les uns restèrent isolés et conservèrent leur fonds colonaire à la charge de fournir des produits de leur industrie[3]. La plupart furent distribués, suivant leurs métiers, dans des ateliers dont chacun était dirigé par une sorte de contre-maître (ministerialis)[4]. La nombreuse domesticité du conquérant germain comprenait donc tous les artisans dont l’industrie lui était nécessaire[5]. Dans les gynécées, des femmes se livraient au cardage de la laine, au tissage, au lainage, au foulage et à la teinture des étoffes à l’aide des matières livrées par l’intendant du domaine[6]. Le maître tirait un profit pécuniaire des talents de ses esclaves en vendant les produits de leur industrie ou en louant leurs bras à prix d’argent[7]. Les plus habiles avaient pour lui une grande valeur à cause des bénéfices qu’ils lui rapportaient. Aussi celui qui tuait un esclave initié à un art mécanique payait au maître un wergeld plus élevé lorsque cet esclave avait donné des preuves publiques d’habileté (publice probati)[8]. C’est à ces ouvriers travaillant à la fois au profit de leur maître et à leur profit personnel, que s’adressaient les hommes libres qui n’étaient pas assez riches pour entretenir des esclaves aussi nombreux, aussi experts que l’exigeaient leurs besoins. Les villages possédaient aussi des moulins et des forges, où des agents, ayant un caractère public, travaillaient pour les membres de la communauté[9]. Enfin il y avait dans les villes quelques artisans libres[10]. Mais on n’en a pas moins le droit de dire que, pendant la période mérovingienne et la période carolingienne, le travail industriel eut en général un caractère domestique et servile.

    C’est de ces groupes d’artisans créés dans les domaines des grands propriétaires que sortirent les corps de métiers du moyen âge. Une organisation, imaginée dans l’intérêt du maître pour discipliner et rendre plus productif le travail servile, devint la garantie des priviléges de la classe industrielle, la source de sa prospérité. Cette transformation s’accomplit par degrés; l’artisan réussit d’abord à s’assurer une partie des bénéfices de son travail, et nous venons de voir que, dès le VIe siècle[11], il avait parfois franchi ce premier pas, puis le maître les lui abandonna entièrement en stipulant seulement des droits pécuniaires, enfin les associations ouvrières s’attribuèrent des priviléges exclusifs qui firent disparaître les travailleurs isolés. Parvenues à une indépendance complète, elles conservaient encore, nous le verrons, des traces de leur origine. Le mouvement communal ne fut pour rien dans cette émancipation de la classe ouvrière, elle était terminée quand il commença, et ce fut, au contraire, l’existence des corporations qui favorisa la formation des communes.

    Si la plupart des corporations de métiers ont l’origine que nous venons d’indiquer, il en est cependant quelques-unes qui descendent directement des colléges romains. Parmi les corporations parisiennes, celles des marchands de l’eau et des bouchers de la Grande-Boucherie doivent remonter à l’époque romaine. Les nautes parisiens, qu’une inscription nous montre dès l’époque de Tibère consacrant un autel à Jupiter, survécurent à l’invasion franque et ne perdirent rien de leur importance, puisqu’ils formèrent la municipalité parisienne[12]. La corporation des bouchers de la Grande-Boucherie se recrutait héréditairement, et cette particularité, qu’on ne rencontre dans aucune autre corporation de la capitale, fait inévitablement penser aux colléges romains chargés de l’alimentation publique, dont les membres étaient également héréditaires. A ces deux exceptions près, on ne peut retrouver les collegia opificum dans les corps de métiers du moyen âge. Aucun texte n’indique la persistance de ces colléges, tandis que nous en avons cité plusieurs qui témoignent de l’existence d’un régime industriel tout différent. Si, faisant abstraction des textes qui sont loin, il faut bien en convenir, d’être tout à fait topiques et concluants, on cherche à se représenter ce qui s’est passé lorsque les Francs ont occupé Paris, on est porté à penser qu’ils firent subir aux membres des colléges le sort de leurs esclaves germains, qu’ils les réduisirent à un état voisin de la servitude pour s’assurer leurs services. Des associations, dont les membres étaient enchaînés à leur profession dans un intérêt public, n’étaient pas faites pour être respectées ni même comprises par un peuple qui ne s’était pas encore élevé jusqu’à la notion de l’État.

    Faut-il admettre qu’une partie des gens de métiers échappa à la servitude et, pour protéger son indépendance, forma des ghildes que le temps transforma en corps de métiers? Nous ne le pensons pas, et le petit nombre d’artisans qui avaient conservé leur liberté, comme le tailleur dont parle Grégoire de Tours, ne tarda pas, selon nous, à disparaître.

    Mais nous avons hâte de renoncer aux conjectures pour aborder une époque où le secours des textes ne nous fera plus défaut. Il faut arriver à la seconde moitié du XIIe siècle pour trouver les premières traces de l’existence des corporations. Cette existence se révèle pour la première fois dans une charte de 1160 par laquelle Louis VII concède à Thèce Lacohe les revenus des métiers de tanneurs, baudroyeurs, sueurs, mégissiers et boursiers. Il résulte implicitement de cette charte que ces cinq métiers étaient exercés par autant de corporations. La corporation des bouchers de la Grande-Boucherie remontait, nous l’avons dit, à l’époque romaine; on ne s’étonnera donc pas de voir leurs usages qualifiés d’antiques en 1162, lorsque Louis VII les remit en vigueur. Les drapiers qui, en 1183, prirent à cens des maisons de Philippe-Auguste faisaient par là même acte de corporation. Enfin c’est au même prince que plusieurs corps de métiers font remonter certains priviléges consignés dans les statuts du Livre des métiers.

    Du reste le fond de ces statuts pris dans leur ensemble a une origine bien antérieure à l’époque où ils furent rédigés. C’est ce qui fait leur importance. Nous n’avons pas besoin de dire qu’Étienne Boileau n’a pas donné aux corporations leurs règlements; cela est trop évident. Il n’a pas même, comme les auteurs de nos codes, fait un choix parmi les coutumes de ces corporations dans des vues d’harmonie, d’équité et de progrès. Il s’est contenté de les recueillir par écrit telles que les gens de métiers les lui firent connaître, sans faire disparaître leurs contradictions, sans résoudre les questions soulevées par les requêtes de plusieurs corporations. Dans ces statuts une seule chose lui appartient: le plan. S’ils gardent en effet le silence sur une foule de points, ils s’occupent toujours, et cela dans un ordre uniforme, de la franchise ou de la vénalité du métier, du nombre des apprentis et des gardes-jurés, des impôts et du guet. Leurs nombreuses lacunes ne doivent pas plus nous étonner que l’époque relativement tardive à laquelle ils ont été rédigés; la tradition qui avait permis de se passer pendant si longtemps de règlements écrits, suppléait à leur silence. En dépit de leur laconisme, les statuts d’Ét. Boileau ont une haute valeur et parce qu’ils reflètent un état de choses bien plus ancien et parce qu’ils conservèrent longtemps leur autorité et servirent de base à la législation postérieure. On reconnaîtra l’usage fréquent que nous en avons fait dans le cours de notre travail.

    Avant d’exposer l’organisation de l’industrie parisienne, il faut dire quelques mots du développement auquel elle était parvenue. Les chroniques et les autres compositions historiques ne contribuent presque pour rien à l’idée que nous pouvons nous en faire. L’Éloge de Paris, composé en 1323 par Jean de Jandun[13], est presque le seul document de ce genre qui nous fournisse à cet égard quelques renseignements; encore n’ont-ils pas toute la précision désirable. A défaut de précision, on découvre du moins, sous l’obscurité et le pédantisme de son style, la vive impression produite sur l’auteur par l’industrie et le commerce de la capitale. Renonçant à décrire tout ce qu’il a vu aux Halles, dans ces Halles que Guillebert de Metz nous dépeindra au siècle suivant comme aussi vastes qu’une ville[14], Jean de Jandun se borne à signaler les provisions considérables de draps, les fourrures, les soieries, les fines étoffes étrangères exposées au rez-de-chaussée, et, dans la partie supérieure qui présente l’aspect d’une immense galerie, les objets de toilette, couronnes, tresses, bonnets, épingles à cheveux en ivoire, besicles, ceintures, aumônières, gants, colliers. Les divers ornements destinés aux fêtes, nous dit-il dans un style que nous sommes obligé de simplifier pour le rendre intelligible, fournissent à la curiosité un aliment inépuisable. Jean de Jandun exprime d’une façon vive et frappante le développement de l’industrie parisienne, en déclarant qu’on ne trouvait presque pas deux maisons de suite qui ne fussent occupées par des artisans. Ce trait est ce qu’il y a de plus intéressant dans le court chapitre consacré par lui aux professions manuelles et où il se contente d’énumérer un certain nombre de métiers, sans donner de particularités sur aucun d’eux. Cette énumération comprend l’art de la peinture, de la sculpture et du relief, l’armurerie et la sellerie, la boulangerie, dont les produits sont d’une exquise délicatesse, la poterie de métal, enfin les industries des parcheminiers, des copistes, des enlumineurs et des relieurs.

    Heureusement nous ne sommes pas réduits à cette vague description pour nous représenter l’état de l’industrie parisienne au XIIIe et au XIVe siècles. Les rôles des tailles levées à Paris de 1292 à 1300, puis en 1313 nous offrent des informations plus précises. On y trouve rue par rue la liste de tous les artisans soumis à la taille, avec l’indication de leur cote. Ces documents officiels pourraient donc servir de base à une statistique de l’industrie parisienne, s’ils contenaient le recensement de toute la population ouvrière. Mais les simples ouvriers n’y figurent qu’en petit nombre; et les patrons eux-mêmes n’y sont pas tous compris, comme on en verra les preuves plus loin. Toutefois, si ces rôles ne nous font pas connaître l’ensemble de la population industrielle, ils permettent du moins de s’en faire une idée approximative, ainsi que du nombre des artisans de chaque métier; ils nous indiquent en même temps la répartition des diverses corporations dans Paris et par la cote de leurs membres, leur prospérité relative.

    Géraud a fait le relevé des gens de métiers mentionnés dans le rôle de 1292; leur nombre, si on exclut de cette liste tous ceux qui n’exerçaient pas l’industrie proprement dite, s’élève à 4,159. Nous avons fait le même travail pour le rôle de 1300 et nous y avons compté 5,844 contribuables voués aux professions mécaniques. Nous avons constaté qu’un assez grand nombre de contribuables, dont la profession est indiquée dans le rôle de 1300, sont inscrits sans cette indication dans celui de 1292, et par conséquent ne sont pas entrés dans le recensement de Géraud; on peut aussi supposer que celui-ci a vu maintes fois un surnom là où nous avons cru reconnaître une qualification professionnelle. Toutefois ces raisons ne suffisent pas à expliquer une différence de 1,685 contribuables et il faut en chercher la cause soit dans l’augmentation de la population ouvrière de 1292 à 1300, soit dans l’assiette de la taille à ces deux époques, assiette qui nous est malheureusement inconnue.

    Nous allons donner le recensement des artisans de chaque métier. Aux chiffres qui nous sont fournis par les rôles de 1292 et de 1300 nous ajouterons ceux que nous avons trouvés dans les statuts et dans quelques autres documents. Le tableau suivant présentera aussi les explications nécessaires sur les industries qui y figurent.

    RECENSEMENT DES ARTISANS INSCRITS DANS LESRÔLES DE1292 ETDE1300.

    Disons maintenant dans quelles branches d’industrie Paris se distinguait et s’était fait une réputation. La draperie parisienne, sans atteindre le même développement que celle de Flandre, avait pris une assez grande extension. La capitale était une des villes «drapantes» qui composaient la hanse de Londres[48]. L’étoffe de laine qu’on y fabriquait sous le nom de biffe jouissait d’une grande renommée[49]. Le Dit du Lendit rimé parle des draps parisiens[50] qui sont également mentionnés dans les tarifs des marchandises vendues aux foires de Champagne[51]. De tous les gens de métiers inscrits dans le rôle de 1313, les drapiers sont certainement les plus imposés, et par conséquent les plus riches. Il en est dont la cote s’élève à 24 livres, à 30 liv., à 127 liv., à 135 liv., et c’est un drapier qui supporte la plus forte contribution du rôle, qui est de 150 livres[52].

    La mercerie était aussi très-florissante à Paris et y attirait un grand concours de marchands de tous les pays[53]. Le commerce des merciers comprenait des objets très-divers, dont la fabrication exigeait déjà ce goût et ce savoir-faire qui recommandent aujourd’hui les produits parisiens à l’étranger[54].

    Enfin la bijouterie parisienne était très-estimée, à en juger par des vers du roman d’Hervis qui la mettent sur le même rang que les draps de Flandre[55].

    L’activité industrielle et commerciale se déployait surtout sur la rive droite de la Seine qu’on appelait le quartier d’outre Grand-Pont. Les artisans de même profession étaient fréquemment groupés dans le même quartier; mais il ne faut pas considérer cet usage comme étant d’une constance absolue, car les artisans et les consommateurs avaient un intérêt commun à ce que chaque industrie n’eût pas un centre unique, les premiers pour ne pas se faire une concurrence préjudiciable, les seconds pour trouver à leur portée les produits dont ils avaient besoin. Aussi, quand on parcourt les registres des tailles de 1292, de 1300 et de 1313, ne s’étonne-t-on pas de la diversité des métiers qui s’exerçaient, pour ainsi dire, côte à côte. Cependant le nom seul de certaines rues, qui s’est conservé jusqu’à nos jours, prouverait qu’elles étaient, à l’origine du moins, le siége d’une industrie spéciale. Le nom de la Mortellerie est expliqué par le passage suivant: «... en la rue de la Mortèlerie, devers Saine, où l’on fait les mortiers[56]...» La population de la Tannerie se composait en majorité de tanneurs[57]. Les selliers, les lormiers et les peintres étaient domiciliés en grand nombre dans la partie de la Grant Rue ou rue Saint-Denis, qui s’étendait depuis l’hôpital Sainte-Catherine jusqu’à la porte de Paris, et qui était appelée la Sellerie[58]. La rue Erembourg de Brie portait aussi le nom de rue des Enlumineurs, qu’elle devait à la profession de ses habitants composés presque exclusivement d’enlumineurs, de parcheminiers et de libraires[59]. C’était dans les rues Trousse-Vache et Quincampoix que les marchands de tous les pays venaient s’approvisionner de mercerie[60]. Les tisserands étaient établis dans le quartier du Temple, rue des Rosiers, des Ecouffes, des Blancs-Manteaux, du Bourg-Thibout, des Singes ou Perriau d’Etampes, de la Courtille-Barbette et Vieille-du-Temple[61]. Jean de Garlande nous apprend que les archers, c’est-à-dire les fabricants d’arcs, d’arbalètes, de traits et de flèches, avaient élu domicile à la Porte Saint-Ladre[62]. On comptait un grand nombre de fripiers dans la paroisse des Saints-Innocents[63]. Les attachiers demeuraient sur la paroisse Saint-Merry, car, durant le carême, ils cessaient de travailler quand complies sonnaient à cette église[64].

    Ces agglomérations, dont nous pourrions donner d’autres exemples, s’expliquent par plusieurs causes. D’abord, les membres d’une association, unis par des occupations et des intérêts communs, ont une tendance naturelle à se grouper. Indépendamment de cette cause générale, plusieurs corps de métiers étaient attirés dans certains quartiers par les exigences de leurs industries, d’autres ne pouvaient s’en écarter pour des raisons d’hygiène ou de police. Certaines industries, telles que la teinturerie, ne pouvaient s’exercer que dans le voisinage d’un cours d’eau[65]. Au mois de février 1305 (n. s.), Philippe le Bel rétablit les changeurs sur le Grand-Pont, qu’ils occupaient déjà avant sa destruction, et défendit de faire le change ailleurs[66]. Il est aisé de découvrir le motif de cette interdiction: le commerce de l’argent, se prêtant à des fraudes nombreuses, nécessitait une surveillance active que la réunion des changeurs dans un lieu aussi fréquenté que le Grand-Pont, rendait beaucoup plus facile[67]. C’est sans doute pour la même raison que le prévôt de Paris assigna aux billonneurs une place nouvellement créée vis-à-vis de l’Écorcherie, au bout de la Grande-Boucherie. Plusieurs obtinrent de rester dans la rue au Feurre, en représentant qu’elle était située au centre de Paris, près de la rue Saint-Denis, la plus commerçante de la ville, et dans le voisinage des Halles. Les billonneurs domiciliés sur le Grand et le Petit-Pont furent compris dans cette exception, les autres durent se conformer à la mesure prise par le prévôt[68]. En 1395, le procureur du roi au Châtelet voulait obliger les mégissiers qui corroyaient leurs cuirs dans la Seine depuis le Grand-Pont jusqu’à l’hôtel du duc de Bourbon, à transporter plus en aval leur industrie, parce qu’elle corrompait l’eau nécessaire aux riverains et aux habitants du Louvre et dudit hôtel[69].

    L’intérêt de la salubrité publique avait fait placer les boucheries hors de la ville[70], parce qu’à cette époque on avait l’habitude d’y abattre et d’y équarrir les bestiaux. La Grande-Boucherie ne fit partie de Paris que depuis l’agrandissement de la capitale par Philippe-Auguste. Elle était située au nord du Grand-Châtelet[71], et désignée aussi sous les noms de boucherie Saint-Jacques, du Grand-Châtelet et de la porte de Paris. Elle se composait de trente et un étaux et d’une maison commune nommée le four du métier, parce que le maître et les jurés y tenaient leurs audiences[72].

    Les étaux des bouchers de Sainte-Geneviève se trouvaient dans la rue du même nom. Ils y jetaient le sang et les ordures de leurs animaux et avaient fait pratiquer à cette fin un conduit qui allait jusqu’au milieu de la voie. Un arrêt du Parlement, du 7 septembre 1366, les obligea à abattre, vider et apprêter les bestiaux hors Paris, au bord d’une eau courante[73].

    Dom Bouillart attribue à Gérard de Moret, abbé de Saint-Germain des Prés, la création de la boucherie du bourg de ce nom[74]. Cependant, Jaillot assure que des actes du XIIe siècle font mention des bouchers de Saint-Germain[75]. Quoi qu’il en soit, par une charte du mois d’avril 1274-75, l’abbé Gérard loua à perpétuité aux bouchers y dénommés et à leurs héritiers seize étaux, situés dans la rue conduisant à la poterne des Frères mineurs, et appelée depuis rue de la Boucherie[76]. Le loyer de ces seize étaux s’élevait à 20 livres tournois, payables aux quatre termes d’usage à Paris, et était dû solidairement par chaque boucher. Le nombre ne pouvait en être augmenté ni diminué sans l’autorisation de l’abbé. Ceux qui devenaient vacants par la mort ou l’absence du locataire, ne pouvaient être loués qu’à des personnes originaires du bourg, et pour une somme qui ne devait pas dépasser 20 sous parisis. La vacance ou même la destruction de l’un d’eux n’opérait pas de réduction dans le loyer dont le taux restait fixé à 20 livres. Le défaut de payement amenait la saisie des biens meubles de tous les bouchers ou de l’un d’eux (communiter vel divisim), jusqu’à l’acquittement intégral de la dette. L’abbaye avait aussi la faculté de confisquer leurs viandes en cas de non-payement ou de violation d’une clause du bail. Dans la suite, les bouchers qui occupaient alors les étaux, convertirent spontanément les livres tournois en livres parisis et augmentèrent par là le loyer d’un quart. La charte rédigée à cette occasion, le mercredi 29 mars 1374 (n. s.), constate deux autres modifications apportées au bail. Le boucher sur lequel la saisie avait été opérée pour le tout eut désormais, contre ses codébiteurs solidaires, un recours dont la première charte ne parle pas, et l’étranger qui épousait une femme native du bourg, fut admis à s’y établir boucher pendant la durée du mariage. Indépendamment de ces seize étaux, la même rue en contenait trois autres qui ne sont pas compris dans le bail. L’abbé Richard, de qui émane la charte, prévoyant le cas où ce nombre augmenterait, se réserva, ainsi qu’à ses successeurs, le droit de les louer à des bouchers connaissant bien leur état et nés à Saint-Germain[77].

    La fondation d’une nouvelle boucherie rencontrait l’opposition des bouchers du Châtelet, qui y voyaient une atteinte à leur monopole. Ils eurent un procès devant le Parlement avec les Templiers, au sujet d’une boucherie que ceux-ci faisaient construire dans une terre, sise aux faubourgs de Paris. Les adversaires des Templiers prétendaient être en possession d’instituer leurs fils bouchers avec la faculté d’exercer cette industrie pour toute la ville, sous la condition de l’autorisation royale[78]. Personne, disaient-ils, fût-ce un seigneur justicier, ne pouvait créer des bouchers, ni construire une boucherie à Paris ou dans les faubourgs, à l’exception de ceux qui en avaient depuis un temps immémorial. Philippe III, avec leur assentiment, accorda aux Templiers la permission d’avoir hors des murs deux étaux, dont la longueur ne devait pas dépasser douze pieds, et d’y établir deux bouchers, qu’ils ne seraient pas obligés de prendre parmi les fils de maîtres[79]. Il était permis à ces bouchers de faire écorcher et préparer les bestiaux par leurs garçons, mais ils étaient tenus de les dépecer et de les vendre en personne. Le roi les affranchit de tous les droits auxquels la corporation était sujette, en déclarant qu’il n’entendait pas porter atteinte par cette concession aux usages et priviléges de ladite corporation[80]. Cette transaction, datée du mois de juillet 1282, nous fait connaître l’origine de la boucherie du Temple.

    Le 2 novembre 1358, le dauphin Charles autorisa le prieuré de Saint-Éloi à établir six étaux à bouchers dans sa terre située près de la porte Baudoyer et au delà de la porte Saint-Antoine. Le prieur obtint cette faveur en faisant valoir la commodité qu’elle procurerait aux habitants du quartier Saint-Paul, dont toutes les boucheries se trouvaient fort éloignées, et l’exemple de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés et du prieuré de Saint-Martin-des-Champs, qui avaient des boucheries dans les faubourgs[81].

    L’évêque de Paris possédait un étal situé entre la grande et la petite porte de l’Hôtel-Dieu. Cette position causant beaucoup d’incommodité aux malades et aux personnes de la maison, l’évêque et l’hospice s’accordèrent pour qu’il fût transporté plus loin, dans la rue Neuve-Notre-Dame, à condition qu’il resterait sous la juridiction du prélat, et que le boucher qui l’occuperait conserverait ses priviléges. Philippe de Valois consentit à l’un et à l’autre, au mois de décembre 1345[82].

    Mentionnons enfin la boucherie du bourg de Saint-Marcel et celle du Petit-Pont, qui était sous la juridiction de Saint-Germain-des-Prés[83].

    CHAPITRE II

    VIE CIVILE ET RELIGIEUSE DU CORPS DE MÉTIER

    Table des matières

    Le corps de métier était une personne morale.—Ses revenus et ses dépenses.—Il n’avait pas en principe le droit de sceau.—La confrérie.

    Les corporations d’artisans étaient indépendantes jusqu’à un certain point de l’État, et constituaient des personnes morales. En effet, d’une part elles nommaient assez fréquemment leurs magistrats, investis quelquefois d’une juridiction professionnelle, et réglaient leur discipline intérieure avec une liberté presque complète, l’autorité publique se contentant généralement d’homologuer leurs statuts; de l’autre, elles étaient capables d’acquérir, d’aliéner, de faire en un mot tous les actes de la vie civile. Ainsi, en 1183, Philippe-Auguste accensa aux drapiers de Paris, pour 100 liv. parisis, vingt-quatre maisons confisquées sur les Juifs[84]. Au mois d’août 1219, un certain Raoul Duplessis leur donna, moyennant un cens de 12 den., une maison avec son pourpris, située derrière le mur du Petit-Pont, ainsi que 30 s. 2 den. de cens à percevoir sur les maisons voisines de celle où leur corporation tenait ses séances[85]. Au mois de novembre 1229, cette même corporation reçut de Nicolas Brunel, bourgeois de Paris, et d’Emeline, sa femme, 11 liv. et 19 den. parisis de croît de cens, dont un cinquième à titre gratuit et le surplus moyennant 200 liv. parisis. La terre sur laquelle était assis ce surcens relevant de l’évêque de Paris, les drapiers s’engagèrent à servir à celui-ci, ainsi qu’à ses successeurs, comme droit de lods et ventes, une rente de 20 s. parisis, payable moitié à l’octave de la Nativité de saint Jean-Baptiste (24 juin) et moitié à l’octave de Noël[86]. En janvier 1234 (n. s.), en présence d’un clerc commis par l’official de Paris, Philippe d’Étampes et sa femme Émeline donnèrent aux bouchers de la Grande-Boucherie, pour 9 liv. parisis de croît de cens payables moitié quinze jours après Noël (ad quindenam Nativitatis Domini), et moitié quinze jours après la Saint-Jean-Baptiste, une place située dans la rue Pierre-à-Poissons (in platea piscium)[87], près des étaux desdits bouchers. Philippe d’Étampes et sa femme garantirent aux bouchers la possession paisible de ladite place, sur laquelle Émeline renonça à tous les droits qu’elle avait ou pouvait avoir à titre de douaire ou autrement. Eudes, maître des bouchers, au nom de la communauté, affecta en garantie du payement du surcens aux termes fixés 60 s. parisis de croît de cens que ladite communauté percevait sur une maison de la rue de l’Écorcherie. A défaut de payement à échéance, Philippe et Émeline stipulèrent une indemnité de 12 den. par chaque jour de retard. En outre, ils avaient la faculté d’opérer la saisie de la place et des 60 s. de surcens qui garantissaient leur créance[88].

    On vient de voir le maître des bouchers contracter pour ses confrères, dont il était le représentant naturel; les corps de métiers étaient également habiles à se faire représenter en justice par des procureurs[89], tandis que les associations qui n’avaient pas le caractère de personnes morales, ne pouvaient pas plus plaider qu’acquérir sans y être autorisées par le roi[90].

    Outre leurs revenus ordinaires, tels que loyers, cens, rentes, etc., les corporations avaient des revenus casuels qui se composaient du droit payé à l’occasion de l’entrée en apprentissage, des droits de réception et d’une partie des amendes encourues pour infractions aux règlements. Lorsque ces revenus étaient insuffisants, elles obtenaient l’autorisation de s’imposer. Ainsi les tisserands, étant endettés de 660 livres, mirent sur chaque pièce de drap fabriquée à Paris une taxe de 12 den. parisis, qui devait être perçue jusqu’à leur entière libération, et dont ils affermèrent le produit pour une somme égale au montant de leurs dettes et payable par quotités de 110 s. parisis chaque semaine. Ce n’était pas la première fois que les tisserands recouraient à ce moyen pour se créer des ressources extraordinaires[91]. Lorsqu’elles devaient avoir un procès, les corporations se réunissaient, avec l’autorisation du prévôt, pour s’imposer une contribution destinée à couvrir les frais de justice. C’est ce que firent les barbiers en 1398, les boulangers et les chandeliers de suif en 1399, les mégissiers en 1407[92].

    Indépendamment des revenus dont jouissaient les autres corporations, le budget des bouchers de la Grande-Boucherie comprenait les produits de la juridiction exercée par le maître et les jurés. Le droit de deux deniers auquel donnait lieu l’apposition du signet de la communauté sur une obligation, et celui d’un denier acquitté par la partie ou le témoin qui prêtait serment, faisaient partie des revenus judiciaires, sur lesquels le maître prenait un tiers, et dont le reste était employé aux dépenses sociales. Les exploits de justice et même les revenus dans leur ensemble étaient quelquefois affermés. Le vendredi après la Saint-Jacques et la Saint-Christophe (25 juillet), chaque boucher payait le loyer de son étal et passait un nouveau bail. Lorsque l’un d’eux ne se présentait pas ce jour-là pour faire un bail et qu’il n’avait pas payé le loyer échu au fermier, celui-ci était mis en possession de l’étal et s’en appropriait les revenus pendant l’année courante, à la charge d’en payer le loyer au nouveau fermier[93]. Le boucher, bien que son créancier fût désintéressé, n’était admis à continuer son métier qu’après s’être libéré de sa dette au profit de la corporation, et il était en outre condamné à l’amende, s’il ne justifiait pas son absence auprès du maître et des jurés. Quand un boucher mourait avant d’avoir payé son loyer, le fermier était également mis en possession de l’étal, à moins que les jurés ne consentissent à le louer à un confrère, qui devait payer le loyer échu et celui de l’année suivante. Il en était de même lorsque le locataire mourait avant le jour de l’échéance; cependant, si le défunt laissait un fils exerçant la même profession, celui-ci pouvait occuper l’étal de son père jusqu’à l’expiration du bail, à la condition de payer le loyer[94].

    L’entretien de la maison commune, la rétribution d’un conseil chargé des intérêts de la société[95], les frais de représentation, des repas de corps et des services religieux, les aumônes, telles étaient les principales dépenses auxquelles les corps de métier avaient à faire face.

    Les corporations industrielles avaient-elles un sceau? On serait tenté de le croire, quand on considère qu’elles formaient des personnes morales: en effet, la faculté de passer des contrats semble impliquer celle de les valider par l’apposition d’un sceau[96]. Cependant il n’en était pas ainsi, et le droit de sceau, loin d’être inhérent aux corporations, ne leur appartenait que lorsqu’il leur avait été octroyé par une concession spéciale[97]. Or, l’autorité publique devait, on le comprend, se montrer assez avare de ces concessions, qui avaient pour

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