Un rapide coup d'œil historique le confirme: même en France, le mot a aujourd'hui beaucoup moins cours qu'il y a – disons – un demi-siècle. Oui « en France », puisque le petit village gaulois passe, non sans raison, pour être le pays le plus accueillant à ce personnage, en saisissant contraste avec les pays anglo-saxons.
Les circonstances de l'apparition de ce substantif, en soi surprenant pour siècle, au cœur de ce qui est en train de devenir « l'Affaire ». Depuis une dizaine d'années, l'avant-garde a commencé à le tester dans les petites revues de l'époque, mais le passage à la popularité va se faire en quelques jours, quand, en janvier 1898, paraissent coup sur coup le « J'accuse…! » d'Émile Zola et une grande pétition dreyfusarde. Clemenceau salue alors cette initiative en parlant de « tous ces […] qui se groupent sur une idée et s'y tiennent inébranlables » – italiques compris. Mais ce n'est pas là le point le plus important: quand on raconte ainsi ces moments héroïques, on oublie le détail qui change tout: l'article de Clemenceau a provoqué tout de suite une réponse ironique et violente de l'écrivain politique le plus populaire du temps, qui n'est autre que Maurice Barrés. C'est cette attaque qui lance la polémique, donc le mot, autour d'une problématique qui, sur le fond, n'a pas bougé depuis: qu'est-ce donc que cette prétention aristocratique à dire le Bon, le Bien et le Vrai, à partir de situations dont lesdits intellectuels sont loin d'être des experts? Et ce sont ces circonstances très spécifiques qui expliquent pourquoi, à son origine, le mot est accaparé par la gauche et récusé par la droite – jusqu'à ce que, trente ans plus, tard, au lendemain d'une Première guerre mondiale qui a fortement rebattu les cartes de la vie intellectuelle, l'Action française récupère la formule en prétendant incarner à son tour le « Parti de l'Intelligence ».