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La Révolte des Narhs
La Révolte des Narhs
La Révolte des Narhs
Livre électronique251 pages3 heures

La Révolte des Narhs

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À propos de ce livre électronique

Sur Nektorus, planète principale des systèmes nébuleux, les Yamantaks détiennent le pouvoir sur l’ensemble des créatures. Parmi celles-ci, les Narhs, pourtant considérés comme les premiers habitants de Nektorus avant le Grand Cataclysme, quand ils étaient des Sattas, des créatures dont on n’a cependant pu établir l’existence. Les Yamantaks sont des Mahaans, des êtres nobles, mais despotiques et cruels. Ils ont pour ennemis jurés les Yuls, Mahaans comme eux, mais plus proches des Narhs, qu’ils soutiennent dans leur velléité de révolte contre le Pouvoir.

Les Yuls n’ont qu’un objectif : renverser les Yamantaks pour libérer les Narhs, avec l’aide de ces derniers et surtout de l’Iaborg, entité complexe créée par les Sattas. Mais retrouver l’Iaborg implique de retrouver Noëbus, le seul Mahaan capable de remettre l’Iaborg en service. Pour cela, Jhanus, le Mahaan exilé sur la lune brune de Nektorus par les Yamantaks, devra changer de corps, traverser l’espace-temps et les systèmes nébuleux pour renouer avec ses origines et son statut réels. Et surtout, entrer dans le bouclier temporel créé par l’Iaborg qui le protège — avec les derniers survivants d’un monde disparu — de ses crimes dont il ignorait l’existence. Mais où l’Iaborg le mènera-t-il ; ou, plutôt, quand ? 


À PROPOS DE L'AUTEUR

Dumè Antoni est né en 1953 en Corse, où il vit à l’année. Après un début de carrière professionnelle un peu chaotique, entre musique et enseignement de yoga, il reprend ses études et exerce la profession d'ingénieur dans une grande entreprise de gestion des eaux. À la retraite depuis 2015, il décide d'écrire des romans et nouvelles dans le domaine de l'imaginaire. Il dirige également des ateliers de pratique du Zen dans la région d’Ajaccio.

LangueFrançais
ÉditeurEx Aequo
Date de sortie1 déc. 2022
ISBN9791038804661
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    La Révolte des Narhs - Dumè Antoni

    cover.jpg

    Dumè Antoni

    La Révolte des Narhs

    Roman de science-fiction

    ISBN : 979-10-388-0466-1

    Collection Atlantéïs

    ISSN : 2265-2728

    Dépôt légal : novembre 2022

    © couverture Ex Æquo

    © 2022 Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays. Toute modification interdite.

    Éditions Ex Æquo

    6 rue des Sybilles

    88370 Plombières Les Bains

    www.editions-exaequo.com

    « Nous sommes tous d’accord pour dire que votre théorie est folle. La question qui nous divise est de savoir si elle est suffisamment folle pour avoir une chance d’être vraie. »

    (Niels Bohr)

    « On ne peut dire d’une chose qu’elle est ;

    On ne peut dire d’une chose qu’elle n’est pas ;

    On ne peut dire d’une chose qu’elle est et qu’elle n’est pas ;

    On ne peut dire d’une chose ni qu’elle est ni qu’elle n’est pas. »

    (Nagarjuna)

    PROLOGUE

    La nuit nous enveloppe. Les convives se lèvent, s’inclinent avec respect et prennent congé en silence. Il n’y a plus rien à ajouter. Le verdict est tombé, tel un couperet. Je suis l’ennemi. Le feu qui nous éclaire se transforme en braises. Elysiake se retire à son tour, telle une ombre rouge et noir. Je me retrouve seul avec Noëbus, qui n’a pas bougé. Il m’observe — je le sens plus que je ne le vois — attendant ma réaction, qui ne vient pas.

    — As-tu compris  ?

    J’opine d’un mouvement de tête.

    — Et tu n’as rien à dire ?

    Je réponds par un bref haussement d’épaules. Le noir alentour est abyssal. Le ciel ressemble à une vaste coupole. D’immenses poutres métalliques incurvées convergent aux confins, invisibles au centre. Je devine le sanctuaire de l’intérieur, en plus grand. Beaucoup plus grand. Un univers clos et sans fin. Je lui demande si nous sommes dans le vaisseau. Il confirme d’un vague hochement de tête. Son crâne est glabre et il ne porte aucun vêtement. Ses jambes sont croisées dans une posture adamantine : pied gauche sur la cuisse droite et pied droit sur la cuisse gauche. Sur le sable, tout près de lui, à portée de main, repose un court sceptre de bois dur. L’idée qu’il est l’Oracle s’impose à moi comme une impression de déjà-vu. Quelque chose a changé sans que je m’en rende compte.

    — Que comptez-vous faire de moi ?

    Il écarte les bras, dans un geste de regret.

    — Ça ne dépend pas de nous.

    — Qui décide ?

    — L’Iaborg.  

    — L’Iaborg m’a sauvé du naufrage !

    Il hausse les épaules, pour relativiser mes propos.

    — Un naufrage qu’il a lui-même provoqué !

    Je l’admets, forcé de me rendre à l’évidence.

    Un bruit sourd et soudain s’élève sur ma droite. Comme un animal qui s’approche. Mais il n’y a pas d’animal ici, en dehors de quelques poules inoffensives qui doivent dormir. Noëbus tourne la tête vers le bruit. Je regarde dans la même direction, par-dessus mon épaule. J’aperçois le sarcophage sur le sable entouré par la nuit. Il n’était pas là, une seconde plus tôt. L’Iaborg est debout à l’intérieur. Je reconnais son œil posé sur ses deux jambes d’échassier.

    — Il s’appelle Jiàn, déclare Noëbus.

    Je l’ignorais. J’ignorais même qu’il avait un nom.

    De son sceptre, il dessine l’idéogramme 見 sur le sable, assez grand pour que je distingue les traits dans la faible lueur des braises.

    — Cela représente un œil sur deux jambes. Ça signifie voir et se prononce Jiàn.

    Je hoche la tête.

    — Que voit-il ?

    — Un verbe ne voit rien. C’est une fonction ; une activité. Sans verbe, rien n’est possible. Il ne nous dit rien ; il nous inspire.

    Je hoche à nouveau la tête. Noëbus m’observe droit dans les yeux. Je soutiens son regard. 

    — Quand tu l’as libéré, tout est devenu possible, poursuit-il. 

    Je ne sais pas si c’est un reproche ou un constat. S’il m’en veut encore pour ce que j’ai fait. Peut-être souhaite-t-il simplement me rappeler que j’ai libéré l’univers des possibles. Que ce que je vis en ce moment est la conséquence de mes actes. Il repose son sceptre près de lui. Son geste est lent.

    — Que fait-il là, dans le sarcophage ?

    Je voulais dire le berceau, et non le sarcophage.

    — Ce n’est ni un berceau ni un sarcophage, corrige Noëbus, comme s’il lisait dans mes pensées. L’Iaborg n’est ni vivant ni mort.

    J’avais noté ce détail dans ma mémoire. Noëbus m’en avait parlé, quand nous étions descendus dans le sanctuaire, qu’il nommait le vaisseau. Il ne pensait pas de la même façon, alors. Pourquoi les choses ont-elles changé si vite ?

    — Qu’est-ce donc ?

    — Un incubateur.

    Un incubateur

    Je comprends que nous sommes sur Nektorus. Un incubateur n’est pas très différent d’un berceau ou d’un sarcophage. La mort est une expérience impossible, ce qui signifie que mourir revient à renaître à une autre vie, une autre expérience. Mais est-ce le cas dans l’hulm ?

    — Comment en sommes-nous arrivés là ?

    — C’était ça ou mourir ; tu t’en souviens ?

    I

    SERVMAAN

    – 1 —

    Christall sait ce qu’elle veut. Et ce qu’elle ne veut pas. Ou ne veut plus. Et Christall ne veut plus de moi, ou plus vraiment. Enfin, c’est toujours très compliqué avec elle, parce que ce qui vaut ici et maintenant ne vaut pas partout et toujours. Je dois deviner, ou plutôt m’efforcer de la comprendre. Je préfère ses ordres directs, explicites. Mais elle utilise exceptionnellement le nektori — la langue officielle sur Nektorus — quand elle s’adresse à ses servmaans ou à son personnel. Elle préfère les impulsions cérébrolectriques. Ça lui évite d’avoir à s’expliquer, d’autant qu’elle n’y est pas tenue.

    Je suis l’un de ses servmaans. Pas n’importe lequel. Cela fait plus de cinq ans que je suis à son service. Pas seulement pour le ménage, la cuisine, nettoyer les latrines ou pour la conduire en ville quand elle se rend dans les magasins de luxe, les restos chics et autres structures de soins du corps, mais aussi quand elle est en désir.

    J’avais remarqué qu’elle me réclamait moins, depuis quelque temps, sur ce plan-là. Je mettais ça sur le compte d’une certaine lassitude, et j’avais sans doute raison, car Christall aime bien changer de partenaire. Un peu comme elle change de vêtements ou de coiffure. Ou encore de bijoux. C’est dans sa nature.

    En réalité, Christall n’est pas un être ordinaire. C’est une Mahaan ; un être noble. Elle appartient au clan des Yuls. Je ne saurais dire d’où lui vient ce titre de noblesse. C’est pour moi un fait acquis. Je suis venu au monde avec cette évidence. Je lui dois obéissance et toute velléité de révolte contre elle ou ce qu’elle représente m’est impossible. Je suis formaté pour ça. J’ai conscience du pouvoir qu’elle exerce sur moi, mais il ne me vient pas à l’esprit de le contester, même si j’avoue avoir quelquefois des pulsions incompréhensibles qui m’inclinent à désobéir à cette soumission. Je me demande d’ailleurs si ces pulsions ne sont pas provoquées volontairement par Christall elle-même, quand elle s’ennuie au point de risquer sa vie en jouant avec mes limites.

    *

    Le monde où nous vivons se nomme Nektorus. On raconte que Nektorus se trouve au centre des systèmes nébuleux, sortes d’amas planétaires et galactiques. En réalité, les systèmes nébuleux sont tels que tout monde habité ou non se trouve dans une position centrale par rapport aux autres, ce qui pose un problème de topologie géométrique. La représentation admise est une sphère où chaque corps céleste est posé à la surface et se trouve être central par rapport aux autres points de l’espace. Il n’existe pas de carte du ciel. Il n’existe que des représentations symboliques dont la plus simple est un cercle avec un point au centre. C’est plus facile de se représenter l’univers ainsi, du moins pour les êtres inférieurs que nous sommes, nous, les Narhs. Ce n’est bien sûr pas le cas des Mahaans, qui eux ont une autre représentation de l’univers, bien plus élaborée.

    *

    Les Narhs ne sont pas des êtres nobles, cependant leur nature profonde n’est pas très bien connue. Il existe des théories sur notre origine, mais celles-ci sont sujettes à caution et prohibées par les Mahaans, du moins certains d’entre eux, car ils ne sont pas tous du même clan ni du même avis. Il semblerait, d’après ce qui se dit à l’occasion de réunions clandestines auxquelles il m’arrive de participer, que nous n’ayons pas toujours été conçus dans des incubateurs et que notre durée de vie dépassait de très loin une dizaine d’années, qui est notre espérance actuelle. On raconte aussi que nous n’avons pas toujours été au service des Mahaans, lesquels auraient été conçus par des machines dotées d’IA — nommées Iaborgs — aujourd’hui disparues, et que les êtres nobles nous auraient asservis par la force. Bien sûr, tout cela relève de conjectures, car il n’existe aucune preuve, mais de nombreux Narhs sont convaincus du bien-fondé de ces théories et sont prêts à lutter pour retrouver ce qu’ils pensent être leur statut originel. Pour ma part, je n’ai pas d’idées précises sur cette question, et pour tout dire je n’y accorde pas vraiment d’intérêt.

    Nous sommes plus nombreux que les Mahaans, du moins sur Nektorus, mais la loi du nombre n’a pas cours sur cette planète. Il n’y a pas de démocratie. Cette notion est du reste bannie du vocabulaire officiel, au même titre que les théories sur l’origine des Narhs. Et c’est bien sûr lors de réunions secrètes que l’idée d’une démocratie a germé dans l’esprit de quelques Narhs rebelles. Ces derniers ne sont pas très nombreux, mais sont écoutés, voire craints. Ils sont aussi recherchés par la Milis, car la Milis est au service du Pouvoir et le Pouvoir craint les rebelles. Pourtant, de mon point de vue et d’après ce que j’en sais — bien que je ne sache pas grand-chose à vrai dire —, les rebelles ne sont pas aussi bien armés que les milistaires. Si une guerre éclatait entre les rebelles et le Pouvoir, je ne vois pas comment les Narhs pourraient l’emporter.

    Il existe d’autres créatures sur Nektorus, soit endémiques, comme les Sankars ou encore les Sattas — quoiqu’on n’ait jamais pu prouver l’existence de ces derniers —, soit émigrées d’autres mondes des systèmes nébuleux. Elles ne ressemblent pas aux Narhs, qui sont physiquement très proches des Mahaans. Ces créatures sont sans doute issues de mixités génétiques. Les Narhs ne peuvent pas s’accoupler avec ces créatures et les Mahaans non plus. C’est contre nature.

    Il semblerait en outre qu’il existe des êtres sans forme, mais bien évidemment, nul n’en a jamais vu. Ils font partie, comme les Sattas, des êtres mythiques qui régnaient sur les systèmes nébuleux bien avant le temps. Certains Narhs affirment que les Mahaans sont originellement sans forme, mais il ne s’agit là que d’opinions que les Mahaans eux-mêmes n’ont jamais validées. Cela étant, les Mahaans ne sont pas tenus de valider quoi que ce soit. Ils sont libres et ont tous les pouvoirs.

    *

    Le soleil qui illumine Nektorus est un astre en fin de vie. Sa lumière est pâle et paraît voilée. Mais c’est en réalité à cause du couvercle nuageux permanent qui recouvre le sol de notre planète. En fait, il ne fait pas vraiment froid, sur Nektorus. Ni chaud non plus. Les êtres qui y vivent se sont adaptés aux variations de température et à son atmosphère respirable sans qu’il soit nécessaire de porter un masque en permanence. Il y pleut souvent et la végétation est dense et d’un gris déclinant sur le vert ou l’ocre rouge. Il y a des fleurs quelquefois, par cycle orbital de Nektorus autour de son astre. Mais je n’en connais pas la raison ; peut-être est-ce à cause des spores dans les profondeurs du sol, datant d’avant le temps, qui ont réussi à survivre. Il paraît que Nektorus n’a pas toujours été ainsi ; cependant je n’en sais pas beaucoup plus. Les servmaans ne sont pas censés connaître la science ou l’histoire. Seuls les Mahaans possèdent la science et décident du cours de l’histoire.

    *

    D’une certaine façon, je devrais être fier d’avoir tenu aussi longtemps auprès de Christall, car en général les servmaans sont remerciés au bout de deux ans, trois maximum. Cinq ans, c’est énorme ! Il faut dire que je suis un produit de luxe et que ma Mahaan m’a payé très cher. En réalité, bien que je sois un servmaan, je possède une certaine érudition et une capacité certaine à résoudre des problèmes complexes, en particulier de logique. Je suis une sorte d’erreur dans la chaîne de paramétrage biologique des embryons. Mon cerveau est plus développé que la moyenne. Je sais cela de Christall, quand elle vantait alors mes atouts à ses amies en ma présence, comme si elle en était fière. Cela étant, cette particularité singulière ne m’a jamais apporté le moindre avantage, si j’excepte ma durée de vie hors du commun. Au contraire, j’ai plutôt tendance à la mélancolie et à l’angoisse. Tous les Narhs ne sont pas ainsi faits, tant s’en faut.

    Au sens strict, Christall ne m’a pas dit de partir. Pas encore, en tout cas. Elle s’en fiche que je reste encore quelque temps dans sa vaste demeure. Il y a assez d’espace chez elle pour qu’elle puisse m’oublier. Un peu comme un meuble qui fait partie du décor et qu’on finit par ne plus remarquer. Elle pourrait me revendre ; je suis sûr qu’elle en tirerait un bon prix. À moins qu’elle ne me cède à l’une de ses amies. Elle en a beaucoup et je suis convaincu que certaines en seraient ravies. J’ai en effet remarqué que quelques-unes m’observaient avec concupiscence. Mais Christall n’est pas du genre à faire du troc ou à distribuer ses restes. Elle est au-dessus de ça. Et ses amies aussi, à la réflexion, car elles sont toutes des Mahaans et n’ont besoin de rien qu’elles ne peuvent posséder.

    Pour l’instant, je continue certaines tâches comme avant. Parfois, je lui fais la lecture. Elle n’a pas vraiment besoin de ça, car elle pourrait télécharger une bibliothèque entière dans ses structures neuronales et consulter les livres à loisir pour les lire en quelques secondes. Mais elle préfère garder de la mémoire disponible pour autre chose, sans qu’elle sache vraiment quoi. Elle n’est pas toujours très rationnelle dans son comportement. Elle est riche et noble, et c’est une raison suffisante pour faire ce qu’elle veut, comme elle veut, quand elle veut, sans avoir de compte à rendre à quiconque, et surtout pas à la raison. Et puis, je crois qu’elle aime bien le son de ma voix, quand je lui raconte une histoire.

    Il lui arrive encore de me demander de la rejoindre dans son lit. C’est surtout quand elle n’arrive pas à dormir, bien qu’elle se sente épuisée. Je dois alors faire preuve d’inventivité, pour la satisfaire. Mais depuis le temps, j’avoue avoir un peu de mal à me renouveler. Alors, elle souffle d’impatience, s’énerve davantage et m’envoie ses impulsions cérébrolectriques désespérées. Je lui injecte du morphéophal, quand elle en est rendue là. Et elle finit par s’endormir avec les premières lueurs de l’aube.

    – 2 —

    L’aube envahit le ciel et Christall est noyée dans le désordre de ses draps, les yeux clos. Sa poitrine dénudée s’élève et s’abaisse au rythme de sa lente respiration. Combien de fois ai-je rêvé de presser mes mains sur son cou délicat, dans ces instants de profonde mélancolie qui me rongent de l’intérieur, jusqu’à ce que sa gorge éclate entre mes doigts crispés ? Je ne sais plus. Je sais seulement que c’est impossible pour moi, non pas parce que les Mahaans sont immortels, mais parce que j’obéis à la première loi des êtres serviles qui m’interdit de porter atteinte à la vie d’un être noble ou pour le moins à son intégrité physique. En fait, si les Mahaans sont immortels, ils ne sont pas pour autant à l’abri de la mort provoquée par l’un d’eux et de fait, cette première loi m’interdit d’obéir à un Mahaan qui projetterait de tuer ou de détruire l’un ou plusieurs de ses pairs.

    Je ne suis pourtant pas un robot, au sens strict. J’ai une âme ou quelque chose qui s’y apparente. Du moins, je sais que je vis et que je pense, et que j’ai la sensation d’exister comme un individu à part des autres. Mais je n’ai pas de nom. Pas vraiment. Juste un numéro d’immatriculation que j’ai appris par cœur, pour quand on me le demande. Quand Christall m’appelle, elle dit seulement « Toi ! » appuyé par une impulsion cérébrolectrique qui varie selon son humeur ou ses désirs qui sont des ordres et qu’elle m’envoie par les éclairs de ses iris incandescents. Et je réponds, car j’obéis aussi à la deuxième loi des êtres serviles qui m’impose d’obéir à un être noble, sauf si l’ordre est en contradiction avec la première loi, bien sûr.

    Christall se réveille et je la regarde. Elle m’aperçoit et me dit « Toi ! » et je comprends que je suis de trop. Alors, je me retire. Je pourrais retourner dans mon armoire et me mettre en mode veille, mais je préfère sortir. Je ne suis pas assigné à résidence.

    *

    L’air extérieur est saturé de poussière d’un jaune verdâtre à peine respirable. Mais j’y suis habitué. Je suis né dans ce monde. Aujourd’hui, il pleut. La pluie est drue et froide et frappe le sol avec un claquement mat. De turbulents ruisseaux boueux drainent toutes sortes de matières en suspension et s’engouffrent dans des avaloirs aux coins des rues avec un bruit écœurant de succion. Ça pue la friture froide et la chair faisandée.

    Je pourrais prendre un lévibus, mais je préfère marcher pour me dégourdir les jambes. J’aime bien marcher sous la pluie. J’aime bien sentir l’eau dégouliner sur mon visage et tremper mes vêtements. J’aime bien

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