Explorez plus de 1,5 million de livres audio et livres électroniques gratuitement pendant  jours.

À partir de $11.99/mois après l'essai. Annulez à tout moment.

Criminels & Captives
Criminels & Captives
Criminels & Captives
Livre électronique874 pages11 heures

Criminels & Captives

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Ce coffret pratique à prix réduit comprend deux romances dark, Prisonnier et Otage, de Skye Warren et Annika Martin. Plus de 200 avis à 5 étoiles pour chacun de ces livres !

 

Prisonnier

Lorsque je l'ai vu, la première fois, j'ai été frappée par la force féroce qui émanait de lui. Ses muscles ondulaient comme une menace sourde. Il semblait dangereux. Sauvage. Pourtant, il était la plus belle chose que j'aie jamais vue.

Comme à mon habitude, je me suis alors cachée derrière mes lunettes et mes livres. Mais lorsqu'il a débarqué dans mon cours d'écriture littéraire, au centre de détention, je fus stupéfaite par la puissance de ses mots. Dans chacun de ses textes, il livrait un peu plus de ses secrets. Il devint alors de plus en plus difficile pour moi de dissimuler les miens.

Chaque fois que je le sentais proche de moi, je frissonnais, malgré les menottes, les barreaux et les gardes qui le surveillaient. La nuit, il envahissait toutes mes pensées.

Mais un animal sauvage est imprévisible. Il peut se servir de vous pour s'échapper. Il peut vous sauter dessus en pleine forêt en vous empêchant d'appeler à l'aide. Ou il peut vous faire jouir jusqu'à vous en faire oublier qui vous êtes.

Tout cela, je l'ai appris à mes dépens. Et j'ai compris, malgré moi, que j'aimais cela.

 

Otage

J'avais toujours su qu'il viendrait un jour. Mais je ne savais pas quand.

Je n'avais encore jamais embrassé un homme la nuit où j'ai rencontré Stone. La nuit où je l'ai vu tuer. Où il m'a épargnée. Je ne savais pas, alors, que ce n'était que le début d'une longue histoire…

Il m'a ensuite suivie, débarquant dans ma voiture, chaque fois par surprise, comme une tornade, une puissance brute émanant de lui – une puissance à la fois dangereuse et rassurante. Il m'ordonnait alors de démarrer et je sentais que je n'avais pas d'autre choix que de lui obéir. Dès le premier jour, cet homme recherché dans tout le pays, aux yeux verts brûlants, a envahi ma vie et mes rêves.

La police m'avait dit que son obsession pour moi risquait de devenir dangereuse. Mais, en réalité, c'était moi qui n'arrêtais pas de penser à lui. Peut-être n'aurais-je pas dû le laisser me toucher, et encore moins le toucher en retour. Peut-être aurais-je dû cesser de le voir. Mais c'était plus fort que moi ; il était la seule chose réelle dans mon monde de luxe et d'apparences.

Chaque fois qu'il apparaissait, j'acceptais de conduire et, malgré la menace, je devais admettre que je ne me sentais jamais autant à ma place que lorsque j'étais avec lui.

Il fut rapidement trop tard pour faire demi-tour.

LangueFrançais
ÉditeurGrey Eagle Publications
Date de sortie18 juil. 2022
ISBN9781643665016
Criminels & Captives

En savoir plus sur Skye Warren

Auteurs associés

Lié à Criminels & Captives

Livres électroniques liés

Romance à suspense pour vous

Voir plus

Catégories liées

Avis sur Criminels & Captives

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Criminels & Captives - Skye Warren

    CRIMINELS & CAPTIVES

    SKYE WARREN

    ANNIKA MARTIN

    Grey Eagle Publications

    TABLE DES MATIÈRES

    Prisonnier

    Chapitre 1

    Chapitre 2

    Chapitre 3

    Chapitre 4

    Chapitre 5

    Chapitre 6

    Chapitre 7

    Chapitre 8

    Chapitre 9

    Chapitre 10

    Chapitre 11

    Chapitre 12

    Chapitre 13

    Chapitre 14

    Chapitre 15

    Chapitre 16

    Chapitre 17

    Chapitre 18

    Chapitre 19

    Chapitre 20

    Chapitre 21

    Chapitre 22

    Chapitre 23

    Chapitre 24

    Chapitre 25

    Chapitre 26

    Chapitre 27

    Chapitre 28

    Chapitre 29

    Chapitre 30

    Chapitre 31

    Chapitre 32

    Chapitre 33

    Chapitre 34

    Chapitre 35

    Chapitre 36

    Chapitre 37

    Chapitre 38

    Chapitre 39

    Chapitre 40

    Chapitre 41

    Chapitre 42

    Chapitre 43

    Chapitre 44

    Otage

    Chapitre 1

    Chapitre 2

    Chapitre 3

    Chapitre 4

    Chapitre 5

    Chapitre 6

    Chapitre 7

    Chapitre 8

    Chapitre 9

    Chapitre 10

    Chapitre 11

    Chapitre 12

    Chapitre 13

    Chapitre 14

    Chapitre 15

    Chapitre 16

    Chapitre 17

    Chapitre 18

    Chapitre 19

    Chapitre 20

    Chapitre 21

    Chapitre 22

    Chapitre 23

    Chapitre 24

    Chapitre 25

    Chapitre 26

    Chapitre 27

    Chapitre 28

    Chapitre 29

    Chapitre 30

    Épilogue

    Extrait de Dans l'antre du diable par Anna Zaires

    Extrait de La Bête par A. Zavarelli

    À propos des auteures

    PRISONNIER

    1

    ABIGAIL

    Le garde referma l’épaisse porte en fer noir derrière moi, dans un bruit de métal terrifiant. Le nombre important de cliquetis métalliques révélait un mécanisme de sécurité élaboré qui me fit paniquer encore davantage. J’avais anticipé cette situation, mais, malgré cela, je me sentis prise au piège, paralysée par l’angoisse.

    — Puis-je vous aider ?

    Je fis volte-face en direction de la voix et découvris une femme en uniforme qui me lançait un regard noir derrière la vitre qui protégeait son bureau.

    — Bonjour ! lançai-je en me forçant à sourire. Je suis Abigail Winslow et je suis ici pour…

    — Deux pièces d’identité, s’il vous plaît, m’interrompit-elle sans ménagement.

    — Oh ! Euh… Mais j’ai déjà rempli tout un tas de documents à la réception et je leur ai montré mes papiers d’identité, balbutiai-je.

    — Vous n’êtes pas à la réception, ici, Madame Winslow. Vous êtes au bureau de l’aile est, et j’ai besoin que vous me montriez deux pièces d’identité, répéta-t-elle d’un ton autoritaire.

    — Très bien, abdiquai-je en fouillant dans mon sac, à la recherche de mon permis de conduire et de mon passeport.

    Lorsque je les lui donnai, les faisant glisser par l’espace prévu à cet effet, entre la vitre et le comptoir, elle les prit sans me regarder et sans un mot, puis, après les avoir vérifiés, me tendit une liasse de documents à remplir qui semblaient en tout point identiques à ceux que j’avais déjà complétés à la réception.

    Résignée, je saisis les documents et commençai à les remplir, me demandant ce que je faisais là. Ma professeure – celle qui avait insisté pour que j’accepte cette mission – m’avait prévenue que les prisonniers pouvaient parfois se montrer rétifs, mais elle avait omis de me dire qu’il n’y avait pas que les prisonniers qui l’étaient… La femme en uniforme me fixait avec un regard si sévère que j’avais l’impression d’avoir commis un crime.

    Après avoir rempli tous les formulaires avec soin, je les fis passer à la gardienne qui, toujours sans me regarder, me rendit mes pièces d’identité en échange.

    Elle se plongea alors dans une vérification scrupuleuse de mes informations, et un silence glaçant s’abattit dans la pièce, ajoutant à l’atmosphère déjà humide et froide. Je me sentais nerveuse, et les secondes – ou étaient-ce des minutes ? – qui s’écoulèrent me parurent une éternité.

    Tandis que la gardienne avait les yeux rivés sur mes documents, je lus le nom qui était inscrit sur son badge : « Mme Breck ».

    — Tout va bien, Madame Breck ? finis-je par demander pour tenter de mettre fin à cette attente interminable et angoissante.

    — Ouais, répondit-elle avec l’air de m’accuser de quelque chose. Asseyez-vous ! ajouta-t-elle dans ce qui ressemblait davantage à un ordre qu’à une invitation. J’ai du travail à terminer, ensuite je vous accompagnerai.

    — Oh… très bien, répondis-je, déçue de devoir patienter encore une fois.

    Je jetai un coup d’œil aux portes métalliques qui nous entouraient et au long couloir que je venais de traverser. Décidément, cet endroit n’était pas le plus accueillant pour patienter.

    — Peut-être pourriez-vous juste m’indiquer la direction de la bibliothèque ? Je suis sûre que je…

    Bam !

    Frappant son bureau si fort que cela me fit sursauter, madame Breck leva son regard sombre et accusateur sur moi, me faisant aussitôt regretter l’absence de contact visuel entre elle et moi. Comment avais-je pu me faire une ennemie en seulement deux minutes ?

    — Madame Winslow, siffla-t-elle d’un ton condescendant.

    — Vous pouvez m’appeler Abby, murmurai-je.

    Sa bouche se tordit en un sourire cruel qui ressemblait davantage à une grimace et elle me scruta en plissant les yeux comme pour me fusiller du regard.

    — Madame Winslow, à votre avis, que faisons-nous, ici ?

    Clairement, sa question n’en était pas une et ne souffrait aucune réponse. Je me tus, donc, dans l’espoir de ne pas empirer la situation.

    — Le centre correctionnel de Kingman abrite plus de cinq mille criminels. Mon travail consiste à y faire régner l’ordre. Vous comprenez ?

    J’avais l’impression d’être une petite fille grondée par la directrice de l’école.

    — Bien sûr. Je comprends tout à fait, balbutiai-je sur un ton d’excuse.

    Sans m’attarder davantage devant son regard inquisiteur, je tournai les talons et me laissai tomber sur la première chaise en métal que je trouvai.

    Je tâchai de me faire la plus discrète possible. Après tout, je comprenais son point de vue. Assurer le calme et la sécurité d’un centre de détention ne devait pas être une chose aisée…

    Heureusement, j’avais mon livre. Je ne partais jamais de chez moi sans en glisser un dans mon sac, que ce soit pour aller à l’université ou pour faire des courses. J’avais déjà cette habitude lorsque j’étais plus jeune et que ma mère m’emmenait en soirée avec elle.

    C’est d’ailleurs à cause de ces soirées que j’avais commencé à emmener un livre partout avec moi. Cela me permettait de me cacher et de faire comme si je ne voyais pas tous les gens bizarres qui s’y trouvaient.

    Soudain, un voyant vert se mit à clignoter au-dessus de la porte métallique, accompagné par une sonnerie lancinante et désagréable. J’entendis des pas et vis apparaître un prisonnier escorté par des gardes. Je glissai doucement sur ma chaise, en espérant devenir invisible… Mais c’était inutile, évidemment. Discrètement, je jetai un coup d’œil par-dessus mon livre. Le prisonnier était de profil. Il était si imposant que les deux gardes qui l’accompagnaient n’avaient l’air que de figurants.

    Lis, lis, lis. Ne regarde pas !

    Le prisonnier ne dépassait les gardes que de quelques centimètres, mais semblait pourtant deux fois plus grand qu’eux. Peut-être était-ce en raison de ses larges épaules ou de la façon dont il se tenait ? Ou encore à cause de ses pommettes particulièrement hautes ? Ses joues étaient recouvertes d’une barbe naissante qui semblait rêche et qui contrastait avec la douceur de ses lèvres. Ses cheveux bruns, courts et ébouriffés, surplombaient des sourcils épais. Celui que je voyais était barré d’une cicatrice qui ne faisait qu’ajouter à la perfection de son visage.

    Le petit groupe s’approcha de la vitre derrière laquelle se trouvait madame Breck.

    Je pouvais à peine respirer.

    — Numéro 85359, annonça l’un des gardes.

    Le prisonnier n’était donc pas John Smith, ni William Brown ; il n’était qu’un numéro.

    Madame Breck se mit alors à lui poser une série de questions, dont je compris qu’elles correspondaient à la procédure pour le retirer de l’isolement.

    Le prisonnier répondait avec calme. Il se tenait droit et arborait un léger rictus sur ses lèvres, comme si la situation l’amusait. Je remarquai qu’il ne portait absolument aucun tatouage, ce qui m’étonna. Généralement, les hommes comme lui étaient recouverts d’encre – comme une sorte d’armure, de carapace ; une manière de dire, sans le dire, allez vous faire voir ! Mais lui n’avait rien, à part de nombreuses cicatrices sur les mains et les avant-bras. Les vestiges de la douleur et de la violence du milieu dont il venait, pensai-je.

    La force brutale qu’il dégageait était terrifiante, mais, aussi, presque belle.

    J’étais incapable de le quitter des yeux, cachée derrière mon livre qui me servait de bouclier. Cependant, je ne devais pas être si discrète que cela, car, soudain, il pencha très légèrement la tête sur le côté, suffisamment pour que je comprenne qu’il m’avait repérée. Mon cœur se mit à battre plus fort. J’avais l’impression d’être sous les projecteurs, totalement exposée.

    J’avais hâte qu’il détourne son attention de moi. Il prenait trop de place. C’était comme s’il y avait douze hommes dans la pièce. Je n’avais plus d’oxygène ; j’étouffais. Et cela n’avait rien à voir avec l’étroitesse du lieu ; sa seule présence aurait suffi à remplir un château tout entier.

    Une porte métallique hautement sécurisée. Des menottes. Deux gardes.

    Était-il donc si dangereux ?

    Lorsque les gardes l’éloignèrent du bureau de madame Breck en direction de la porte, à l’autre bout de la pièce, près de l’endroit où je me trouvais, je fus si impressionnée que j’eus l’impression que j’allais m’évanouir. Je sentis sa chaleur m’envelopper et, bien qu’il ne pose à aucun moment ses yeux bruns sur moi, j’eus la nette impression qu’il me dévisageait. Je le regardai passer devant moi, subjuguée par cette beauté à la fois captivante et menaçante.

    Même menotté et surveillé, il vibrait. Il avait l’air sauvage et libre. Face à cette force de la nature, j’avais le sentiment que c’était moi qui étais en prison, toute petite, coincée entre quatre murs.

    J’aurais tellement aimé me sentir aussi libre que lui !

    — Madame Winslow… Madame Winslow !

    Je sursautai et découvris madame Breck qui se tenait devant moi.

    — Pardon, je suis désolée ! m’excusai-je, emplie d’un sentiment étrange, mais agréable.

    — Je vais vous conduire à la bibliothèque.

    — Oh ! Très bien… parfait…, balbutiai-je en me levant et en rangeant mon livre dans mon sac.

    Troublée, intriguée, je jetai un rapide coup d’œil en direction du couloir dans lequel les gardes avaient conduit le prisonnier. De loin, on aurait dit un géant escorté par deux nains.

    Tout à coup, le prisonnier regarda par-dessus son épaule et posa subrepticement son regard sur moi. Un regard à la fois sombre et cynique. Mais ce ne furent pas ses yeux qui me frappèrent. Ce furent ses lèvres, charnues et sensuelles, qui formèrent un message. Un message qui me glaça le sang.

    Madame Winslow.

    Aucun son ne sortit de sa bouche, mais ce fut comme s’il venait de chuchoter mon nom directement dans mon oreille.

    Il me regarda encore une seconde avant de se détourner et de s’éloigner.

    J’étais pétrifiée.

    2

    GRAYSON

    Je n’en pouvais plus. Je m’effondrai sur le sol. Le ciment dur et humide me rafraîchit et calma les brûlures que je ressentais dans les muscles de mes bras et de mes épaules. Teke était sur la couchette supérieure, en train de gribouiller je ne sais quoi sur son cahier. Cela faisait maintenant une heure que je faisais des pompes, et il n’avait pas levé le nez une seule seconde de son machin. Je me demandais ce qu’il pouvait bien écrire. En tout cas, c’était bizarre venant de lui. Cela ne lui ressemblait pas…

    J’arrachai mes écouteurs et éteignis mon iPod. Aussitôt, la musique fut remplacée par les cris des détenus et les bruits sourds qui résonnaient ici en permanence.

    — Qu’est-ce qu’il y a ? me lança Teke, sentant mon regard sur lui.

    — J’sais pas… Tu te prends pour Stephen King ou quoi ?

    — Peut-être… grogna-t-il.

    Je me relevai et m’épongeai le visage avec un gant de toilette usé. Je fis mine que je m’en fichais, mais, en réalité, j’avais très envie de savoir ce qu’il faisait. Teke n’avait pas pour habitude de donner des informations gratuitement ; il était plutôt du genre hargneux. J’avais été incarcéré ici, avec lui, comme une punition, parce qu’il avait la réputation d’être dangereux. Il l’était, en effet, mais pas avec moi.

    Les gars qui étaient ici étaient des animaux. Ils sentaient à qui ils avaient affaire dès la première rencontre. Teke avait tout de suite su qu’il allait devoir me respecter.

    Alors que je m’étirais la nuque, je continuai de regarder Teke en espérant qu’il m’en dise un peu plus.

    — Je raconte mon histoire, finit-il par m’annoncer en tournant une page. C’est thérapeutique, mec, tu ne savais pas ? ajouta-t-il d’un ton sarcastique.

    J’étais impressionné. Le seul moyen de survivre ici, c’était de ne jamais se dévoiler. Que Teke se soit mis à écrire son histoire me coupa le souffle.

    — T’es sérieux, mec ?

    — Tout à fait ! C’est pour le cours d’écriture littéraire.

    Le cours d’écriture littéraire. Je comprenais mieux… Teke avait décidé depuis quelque temps de participer à ce cours. En tout cas de faire semblant. Car le fait d’étudier permettait parfois d’obtenir une remise de peine. Or, sa libération conditionnelle approchait et il avait une famille qui l’attendait, avec une mère qui pensait toujours qu’il était innocent.

    Malheureusement pour moi, rien de ce que j’aurais pu faire n’aurait permis de réduire ma peine, ni de rendre mon séjour en prison plus agréable. Lorsque vous étiez reconnu coupable d’avoir tué un flic, vous étiez fichu. D’ailleurs, je n’avais pas le même traitement que Teke. Lui avait été incarcéré proche des siens afin de lui permettre de maintenir un lien avec eux. Pour moi, c’était le contraire. Ils m’avaient volontairement éloigné de ma bande et m’interdisaient d’avoir de quelconques contacts avec l’extérieur, ni par courrier, ni par téléphone.

    Cela rendait les possibilités d’évasion difficiles. Mais pas impossibles. Rien ne nous arrêtait, les gars et moi. Ironiquement, tuer quelqu’un – encore moins un flic – était certainement l’un des seuls délits que je n’avais pas commis.

    — Qu’est-ce que tu écris ? demandai-je à Teke qui continuait de gribouiller.

    — Des vieilles histoires du lycée.

    — Tu veux dire que tu racontes de vrais trucs ?

    — J’suis obligé. Madame Winslow ne veut pas qu’on invente. Et elle dit qu’elle sait tout de suite quand ce qu’on a écrit n’est pas vrai.

    Madame Winslow…

    Je revis immédiatement cette madame Winslow assise sur sa chaise, en train de me regarder par-dessus son livre. Son regard sur moi avait été comme une caresse.

    Je n’avais fait que l’apercevoir, mais sa beauté discrète m’avait tout de suite frappé. Avec ses traits fins, ses cheveux bruns ramenés en chignon, elle ressemblait à une poupée. Son style coincé de bibliothécaire, le nez toujours plongé dans des livres, faisait d’elle une femme que personne ne voyait. Mais je l’avais vue. J’avais vu la grâce de ses gestes. Je l’avais tout de suite imaginée me sucer, ses cheveux longs et bruns enroulés autour de mon poing.

    Je te vois me regarder, m’étais-je dit lorsqu’elle était à côté de moi. Regarde-moi, chérie… Profite !

    Je savais que j’étais beau. Tout le monde me l’avait toujours dit.

    — Je ne dis pas tout non plus, précisa Teke.

    — Même. Il faudrait me payer cher pour que je fasse le mariole devant une prof. Il est hors de question que je raconte mon passé, à qui que ce soit, dis-je. De toute façon, personne ne me croirait.

    Teke me regarda. Je savais que je l’énervais, mais je ne pouvais pas m’en empêcher. Certainement à cause de cette madame Winslow. Elle m’intriguait et j’avais envie d’en savoir plus sur elle.

    — Et puis je n’aurais que des trucs glauques à raconter, ajoutai-je en commençant à faire des pompes sur un bras.

    Cinq séries de cent sur chaque bras, puis je passerais aux squats sautés.

    Teke ne répondit rien et retourna à son cahier.

    Malgré la sensation de brûlure dans mes muscles, je n’arrivais pas à sortir madame Winslow de mon esprit. Je la revoyais, en train de me regarder par-dessus son livre, avec ces yeux noisette qui trahissaient sa peur mais aussi, m’avait-il semblé, son excitation. Et puis ce regard quand elle avait lu son nom sur mes lèvres. Madame Winslow…

    Je commençai à ressentir une légère excitation en imaginant ce que cela me ferait de la bousculer, de la déshabiller, de lui enlever ses petites lunettes d’intello. J’étais sûr qu’elle aimerait ça.

    Après tout, il n’y avait qu’un pas entre « première de la classe » et « primitive ». Je me demandai si elle y avait déjà pensé…

    Quatre-vingt-dix-huit… quatre-vingt-dix-neuf… cent !

    Je m’effondrai à nouveau. Plus j’y pensais, moins j’aimais l’idée que Teke et d’autres gars racontent leurs histoires personnelles à madame Winslow.

    — Je ne raconte rien de sérieux, reprit Teke. Juste des conneries de gamins.

    Comme je ne répondis rien, je savais qu’il avait l’impression que je le jugeais.

    — Je n’en ai rien à foutre, se justifia-t-il. Tous ces connards peuvent bien aller lire mes histoires sur Internet, je m’en bats les couilles !

    Je repris mon souffle et le fixai.

    — Quels connards iraient lire ça sur Internet ? Personne n’a Internet ici.

    — Madame Winslow veut publier nos récits dans une espèce de journal. Les chroniques de Kingman, je crois…

    — Et elle veut publier ça sur Internet ?

    Teke confirma en haussant les épaules.

    — Je ne sais pas qui va bien pouvoir lire vos conneries, marmonnai-je en m’essuyant le front et en essayant de ne pas montrer l’intérêt que ce qu’il venait de m’apprendre suscitait en moi.

    Une publication en ligne… une ouverture sur le monde extérieur. C’était exactement ce qu’il me fallait.

    — Peut-être que je vais me mettre à écrire mes mémoires, moi aussi.

    — Quoi ? Toi ? s’étonna Teke.

    — Et pourquoi pas ? demandai-je en le défiant du regard.

    — Trop tard. Le cours est déjà plein.

    — Il y a sûrement de la place pour un élève de plus…

    Teke me lança un regard dégoûté parce qu’il savait que j’allais trouver un moyen d’intégrer ce putain de cours.

    Je remis mes écouteurs et me laissai griser par la musique et mes nouveaux projets.

    Le lendemain, Dixon était de service. Je m’approchai de lui au moment du déjeuner et lui demandai la permission de m’inscrire. Les jeunes gardes étaient des poules mouillées qui cachaient leur peur derrière une autorité et une agressivité exagérées pour ne pas se laisser bouffer. Quant aux plus anciens, ils étaient tellement aigris qu’ils passaient leur temps à faire en sorte de nous casser les couilles. Dixon, lui, c’était différent. Il était ici depuis suffisamment longtemps pour être respecté par tout le monde, mais n’avait pas encore perdu tout espoir que les gens puissent s’améliorer.

    Il m’observa sous sa casquette beige.

    — Tu veux te mettre à écrire, comme ça ? me demanda-t-il avec suspicion. Tu prépares quelque chose ?

    Je ne répondis rien et me contentai de le fixer.

    — Toi ? Dans un cours de littérature ? Ne te fous pas de ma gueule ! railla-t-il.

    — Quoi ? J’aime lire, je te signale. Tu m’as déjà vu lire, non ?

    Dixon afficha une moue dubitative, mais sortit quand même son iPad. Tous les gardes en avaient un. En prenant soin de faire en sorte que je ne puisse pas voir, il fit glisser plusieurs fois son doigt sur l’écran. Il ne semblait pas très favorable à ma demande ; peut-être craignait-il que je ne fasse du mal à cette pauvre madame Winslow ? Peut-être avait-il compris ce que j’avais vu en elle : une femme un peu trop proprette qui ne demandait qu’à être libérée ? Pourtant, ce n’était pas à cela que je pensais ; au contraire, j’envisageais d’être un étudiant modèle.

    — Les directives sont claires : maximum seize détenus, dit-il en levant les yeux vers moi. Et il y a déjà seize détenus, je suis désolé.

    — Tu ne peux pas m’ajouter ? insistai-je. Pose-lui au moins la question…

    Je n’avais pas pour habitude de respecter les directives. Ni les règles. Ni les gens.

    Dixon soupira et regarda à nouveau son iPad à la recherche d’une solution.

    — Et le cours de littérature moderne ? Là, il y a de la place.

    — J’ai envie d’écrire, insistai-je.

    — Je ne sais pas… répondit-il d’un air ennuyé en fixant son écran.

    S’il demandait à madame Winslow, elle accepterait. Il le savait aussi bien que moi. Mais ici, il fallait payer ou se battre pour obtenir quelque chose, qu’il s’agisse de cigarettes, d’une protection, d’informations, ou d’air frais. Si Dixon avait été un détenu, je lui aurais cassé la gueule pour l’obliger à accéder à ma demande ; mais c’est un garde, je devais négocier.

    — Cinquante dollars.

    — Les directives sont claires, répéta-t-il. Seize détenus maximum…

    Connard !

    — Cent. C’est tout ce que j’ai.

    Il secoua la tête.

    — Je suis désolé…

    Quel enfoiré ! Il savait que je voulais à tout prix intégrer ce cours. Il le sentait. Les gardes avaient un sixième sens pour cela.

    Les profs comme madame Winslow ne restaient pas longtemps ici. D’ailleurs, j’étais prêt à parier que Les chroniques de Kingman ne dépasseraient pas le premier numéro. Je devais absolument publier quelque chose avant qu’il ne soit trop tard.

    Je sortis mon iPod de ma poche et le posai sur son bureau. J’avais dû économiser des mois pour pouvoir me le payer. Encore plus pour acheter quelques bons morceaux. Comme il n’y a pas d’Internet, tout devait être acheté et téléchargé. C’était ce que j’avais de plus précieux dans ce trou.

    Dixon débrancha les écouteurs, me les tendit et prit l’iPod.

    J’étais inscrit au cours d’écriture littéraire de madame Winslow.

    3

    ABIGAIL

    Le couloir du département littérature de l’université de Kendrick sentait la poussière et le papier vieilli. J’inspirai profondément ; j’adorais cette odeur, elle m’apaisait. Enfin j’étais dans mon élément, loin de cette maudite prison froide et grise.

    Dès mon premier cours, je m’étais retrouvée, frêle et livide, face à seize hommes en combinaison orange qui me dévisageaient. Je savais ce qu’ils avaient pensé de moi : que je ressemblais à une intello coincée dont le chemisier était trop boutonné. Ils avaient senti mon malaise. Pendant toute la durée du cours, j’avais parlé de manière automatique, raide, en bredouillant. J’avais été incapable de me montrer naturelle. La seule chose qui m’avait réconfortée était que l’homme que j’avais vu dans le hall d’entrée ne fasse pas partie du cours.

    J’avais eu hâte de quitter cet endroit lugubre et, maintenant que cela était fait, je n’imaginais pas une seule seconde y retourner. C’était au-dessus de mes forces.

    Je me dirigeai vers le bureau de ma directrice d’études, déterminée. Ou, plutôt, désespérée. Il fallait absolument qu’elle accepte de me laisser changer de projet. L’une de mes amies préparait un mémoire auprès de lycéens. D’autres travaillaient avec des vétérans, des infirmières ou des personnes âgées. Pourquoi étais-je la seule à devoir travailler avec des prisonniers ? Ce n’était pas juste ! Surtout que cela évoquait de mauvais souvenirs et me rappelait que ma place aurait dû être en prison. Mais cela, bien sûr, je ne pouvais pas le dire.

    Personne ne devait jamais savoir.

    Je m’assis devant le bureau fermé de ma directrice d’études. J’admirai le sol en parquet et les murs en acajou restés presque intacts depuis toutes ces années, et qui portaient les traces de tous ceux qui étaient passés ici avant moi. Certains avaient même gravé leurs initiales et l’année de leur présence.

    Cette université était comme un vieux chêne ; nous pouvions bien y laisser une trace de notre passage, elle avait existé bien avant nous et continuerait d’exister longtemps après. Je fermai les yeux. J’avais dû lutter pour intégrer cette université. J’étais désormais en deuxième année et il était hors de question que je laisse ce travail au centre de détention mettre en péril la suite de mon cursus. J’étais prête à tout pour réussir. Tout.

    La porte s’ouvrit. Je me levai et serrai la main d’Esther. Elle était belle – glamour, même – avec des lèvres pulpeuses et des yeux en amande magnifiques. Ses cheveux blonds, presque blancs, étaient ramassés en un chignon vaporeux qui mettait parfaitement en valeur son visage.

    — Abigail ! Entrez, je vous en prie.

    — Merci, dis-je, légèrement mal à l’aise.

    Je savais que la politesse était importante pour elle. Je la comprenais, elle l’était aussi pour moi. En fait, je me disais souvent que la politesse était la seule différence entre le milieu d’où je venais et celui dans lequel j’évoluais désormais.

    Elle retourna s’asseoir à son bureau avec une facilité déconcertante. Si je n’avais pas su qu’elle était aveugle, jamais je n’aurais pu le deviner. J’étais impressionnée par son aisance, même si je savais qu’elle travaillait dans ce bureau depuis plus de vingt ans. Je me souvenais encore du jour où elle m’avait convoquée pour la première fois ; c’était au lendemain de mon tout premier jour de cours. J’avais alors été très flattée de l’intérêt qu’elle me portait.

    — Alors ! lança-t-elle, une fois installée sur sa chaise. Ont-ils été aussi impressionnés que moi par votre éloquence et votre talent ?

    — Pas vraiment, rétorquai-je en riant. Pas du tout, même.

    Je détestais l’idée de décevoir l’une des rares personnes qui s’était intéressée à moi, mais je détestais encore plus l’idée de devoir retourner dans cette prison.

    — Je crois que ce projet est une mauvaise idée, ajoutai-je. N’y a-t-il pas moyen de changer de projet ? Cette prison est tellement lugubre…

    Je me sentais d’ailleurs tout aussi lugubre depuis que j’y étais allée, mais je ne pouvais bien sûr pas lui dire cela.

    — Raison de plus pour apporter un peu de lumière à ces hommes, Abigail ! me répondit-elle d’un ton légèrement réprobateur. Qu’est-ce qui vous dérange au sujet de cette prison ?

    Je compris immédiatement qu’elle n’allait pas me laisser abandonner le projet et fus prise d’un mouvement de panique.

    — Je ne suis pas la personne qu’il faut pour ce projet, tentai-je d’argumenter. Tout ce que je vais faire, c’est gaspiller la subvention qui m’est accordée, ainsi que les ressources de la prison. Ils ne me prennent pas au sérieux…

    — C’est à vous de faire en sorte qu’ils vous prennent au sérieux, m’interrompit-elle. Pour cela, vous devez, vous, les prendre au sérieux. Si vous les traitez comme des gens normaux, ils s’adresseront à vous comme des gens normaux.

    J’hésitai à lui parler de cette homme que j’avais rencontré dans le bureau de madame Breck. Que pouvais-je lui dire ? Qu’il y avait un homme qui faisait battre mon cœur à toute allure et me faisait frissonner ? Cela aurait été ridicule de ma part et n’aurait servi à rien.

    — Je n’en suis pas si sûre, soupirai-je d’un air résigné.

    — Avez-vous l’impression d’être en danger ? me demanda-t-elle avec inquiétude.

    J’aurais aimé pouvoir lui mentir, mais j’en étais incapable.

    — Non, ce n’est pas ça…

    — Les gardes sont-ils restés avec vous comme nous l’avions demandé ?

    — Oui, en permanence, avouai-je.

    — Et les détenus ? Se sont-ils comportés correctement ?

    — Oui. Enfin… je suppose. Mis à part quelques commentaires désobligeants. L’un d’entre eux m’a dit que ma maman devrait venir me chercher et un autre m’a proposé de me donner des cours privés…

    — On peut dire qu’ils ne manquent pas d’imagination, me répondit Esther en souriant. C’était la même chose quand j’étais à votre place.

    Soudain, je me souvins. Esther n’avait pas toujours été aveugle et j’avais entendu dire que, lorsqu’elle était elle-même étudiante, elle avait donné le même cours que moi au centre de détention.

    — Avez-vous eu l’impression d’être en danger physiquement ? reprit-elle.

    — Non, répondis-je.

    En fait, ce n’étaient pas les détenus que je craignais le plus. C’était surtout le fait qu’ils me renvoyaient l’idée que je n’étais finalement pas si différente d’eux.

    — Alors quel est le problème, Abigail ?

    Je savais ce qu’elle devait penser – que j’étais trop timide, trop habituée à mon cocon et à me réfugier dans l’écriture. Elle me disait souvent, à propos de mes textes, que je devais être plus ouverte, que je devais oser davantage. Un texte réussi est un texte qui met son auteur en danger, me répétait-elle sans cesse.

    Elle ne comprenait pas.

    — Ce n’est pas bon pour moi, répondis-je simplement.

    — Je sais que vous auriez préféré un autre environnement, mais vous ne pouvez pas abandonner maintenant. Il ne s’agit pas seulement de vous. Ces hommes se sont impliqués en s’inscrivant à votre cours, vous n’avez pas le droit de les décevoir. Et puis, contrairement à la piètre image que vous avez de vous-même, je crois que vous êtes exactement la personne qu’il leur faut.

    Je restai silencieuse, partagée entre mon désarroi et le soulagement qu’elle ne connaisse pas la vérité à propos de moi.

    — Écoutez, Abigail, je vous demande de tenir encore deux cours. Seulement deux. Ensuite, si vraiment c’est trop éprouvant pour vous, alors nous verrons ce que nous pouvons faire. D’accord ?

    — D’accord ! m’exclamai-je avec enthousiasme, heureuse de savoir que mon calvaire serait bientôt terminé. Merci !

    — Vous savez, ces hommes peuvent vous paraître très éloignés de l’écriture, mais je puis vous assurer que certains d’entre eux ont désespérément besoin de s’exprimer, de raconter leur histoire. Cela leur permet de faire la paix avec eux-mêmes. Et c’est vous qui leur permettez cela. Vous leur offrez quelque chose de très précieux, vous savez ? Vous vous intéressez à eux, à leur passé, à ce qu’ils sont. C’est exactement ce dont ils ont besoin.

    Je repensai alors à l’homme dans le couloir et me demandai quelle histoire il aurait eu à raconter.

    4

    ABIGAIL

    Je terminai de lire le dernier texte et le plaçai sur la pile, au-dessus des autres. J’inspirai profondément. Si je détestais me trouver ici, dans cette prison, et dans cette pièce qui ressemblait davantage à une cellule qu’à une bibliothèque, je devais admettre que les textes écrits par les détenus étaient parmi les meilleures choses que j’avais jamais lues. C’était de l’émotion à l’état pur.

    Mon père fut incarcéré parce qu’il était violent envers ma mère. Dès qu’il ne fut plus à la maison, je tentai d’intégrer l’orchestre. Je savais qu’il n’était pas d’accord, mais, depuis la prison, il ne pouvait plus me l’interdire. Malheureusement, j’ai échoué et me suis mis à fréquenter les mauvaises personnes. Mon père fut libéré avant la fin de sa peine ; ce fut une bonne chose, car j’aurais certainement fait des bêtises bien pires.

    Je me demandai si le père de Teke avait été violent envers lui aussi. Était-ce à cause de cela qu’il était passé de musicien en herbe à délinquant endurci ? Je fermai les yeux en essayant de me remettre de mes émotions.

    Soudain, le claquement fort d’une porte métallique m’indiqua qu’ils étaient en train d’arriver. La bibliothèque dans laquelle je donnais mon cours était petite, mais il leur fallait néanmoins un certain temps pour s’installer à leur place. Au fur et à mesure que le bruit de leurs pas et des chaînes approchait, je me sentis de plus en plus anxieuse.

    La pièce ressemblait à une ancienne salle de classe. Il y avait seize tables et seize chaises alignées en quatre rangées de quatre, sans aucune fantaisie, comme d’ailleurs tout le reste dans cette prison. Mon bureau était installé à l’avant et j’essayais d’intégrer que c’était désormais moi la « prof ». Je n’y arrivais pas encore très bien ; cette expérience était nouvelle pour moi.

    Pour des raisons de sécurité, tous les meubles étaient fixés au sol afin qu’ils ne puissent pas être utilisés comme armes. En outre, aucun mur ni aucune porte ne séparait notre espace du reste de la bibliothèque, mais cela ne me dérangeait pas, et cela permettait aux détenus d’être, au moins une heure par semaine, dans un espace moins confiné que leur cellule.

    Les hommes arrivèrent enfin. Je les saluai à mesure qu’ils entraient dans la pièce. Certains me répondaient poliment, d’autres se contentaient de grogner ou de m’ignorer, tout simplement.

    Rapidement, toutes les places furent occupées. J’attendis alors que M. Dixon entre à son tour. Il était le garde chargé de surveiller le cours et il devait se placer au fond de la classe.

    — Ne leur tournez jamais le dos, m’avait-il prévenue le premier jour.

    Je lui avais alors demandé s’il voulait participer, puisqu’il devait de toute façon assister au cours, mais il avait décliné en m’expliquant qu’il valait mieux qu’il se concentre sur sa mission.

    La porte s’ouvrit, mais ce n’était pas M. Dixon.

    J’eus le souffle coupé.

    Lui.

    Immédiatement, je tentai de me ressaisir. Je devais à tout prix ne rien laisser paraître de mon trouble. J’étais peut-être jeune – certainement plus jeune que tous les hommes qui se trouvaient dans la pièce –, mais j’étais aux commandes. J’étais l’enseignante, même s’il ne s’agissait que d’un projet obligatoire dans le cadre de mon mémoire. Cependant, malgré mes efforts, mon cœur se mit à battre très fort, et mes mains devinrent moites.

    Malgré tout, je me forçais à sourire et à ne pas baisser le regard. Ce n’était finalement pas sa faute si ses yeux étaient comme des diamants noirs, durs et profonds. Ce n’était pas sa faute s’il était grand, musclé et que son cou était aussi large qu’un tronc d’arbre. Et ce n’était pas non plus sa faute s’il était à la fois terrifiant, intrigant, et beau. Car il était réellement beau. D’une beauté presque offensive.

    — Bonjour, je suis Madame Winslow, me forçai-je à prononcer.

    Immédiatement, je réalisai à quel point j’étais ridicule : il connaissait déjà mon nom puisqu’il l’avait murmuré la première fois que nous nous étions vus.

    Mais peut-être l’avait-il déjà oublié ? Après tout, je n’étais rien pour lui, personne. — Enchanté, répondit-il simplement, sans rien laisser paraître.

    — Je suis désolé de ne pas avoir eu l’occasion de vous prévenir avant, intervint M. Dixon que je n’avais pas vu entrer. Vous avez un étudiant supplémentaire.

    Je peux tout à fait gérer un étudiant de plus… Mais pas lui !

    — Il a déjà raté deux cours, tentai-je d’arguer.

    M. Dixon sembla mal à l’aise et détourna le regard.

    — Grayson est intelligent, répondit-il. Il ne vous causera aucun problème, j’en suis sûr.

    Grayson… Il y avait en lui quelque chose de presque royal.

    Pourtant, M. Dixon se trompait – Grayson me causait déjà des problèmes.

    J’allais devoir travailler avec cet homme en tête-à-tête pour lui faire rattraper les cours auxquels il n’avait pas assisté et je craignais cette intimité qui allait inexorablement s’installer entre nous. Je demandais aux élèves d’écrire des choses personnelles ; or, je ne voulais rien savoir de personnel sur lui, Grayson. C’était déjà suffisamment compliqué pour moi de donner des cours à des détenus, je n’avais pas en plus besoin de ces sentiments étranges que je ressentais pour lui. J’étais attirée par lui et prendre conscience de cela me terrifiait.

    Soudain, je réalisai que tout le monde avait les yeux rivés sur moi.

    — Il y a d’autres cours que le mien, non ? Ce serait peut-être mieux, car je vois qu’il n’y a plus de place disponible, insistai-je.

    M. Dixon, déconcerté, toucha la poche de sa chemise, comme si la réponse au problème s’y trouvait. Mais la seule solution était de faire apparaître, comme par magie, une chaise et un bureau supplémentaires qui seraient instantanément soudés au sol, et je savais bien que M. Dixon n’était pas magicien.

    — Je peux rester debout, intervint Grayson à voix basse.

    Je me tournai vers lui, étonnée.

    — Mais, dans ce cas, comment écririez-vous ?

    Il soutint mon regard et afficha un très léger sourire, comme un défi que seul lui et moi pouvions voir.

    — Un mot après l’autre, comme tout le monde, rétorqua-t-il.

    Son commentaire me fit sourire. Je m’en voulus immédiatement, car je ne voulais révéler aucune faiblesse, mais il était clairement plus fort que moi.

    J’étais séduite, et je me détestai pour cela.

    — Vous allez devoir rendre des devoirs supplémentaires pour rattraper votre retard, lui fis-je remarquer avec le ton le plus autoritaire dont je fus capable.

    Grayson acquiesça d’un signe de tête, le regard sombre.

    Je ne comprenais pas pourquoi il souhaitait tellement participer à mon cours, mais je me souvins de ce que m’avait dit Esther sur le fait que les détenus avaient besoin de raconter leur histoire. Qui étais-je pour lui refuser ce droit ?

    — Vous pouvez prendre mon bureau, dans ce cas, proposai-je.

    — Mais où allez-vous vous asseoir ? protesta M. Dixon.

    Son ton sonnait faux et je ne pus m’empêcher de lui sourire avec ironie.

    — Je peux rester debout, rétorquai-je. Ce n’est pas moi qui ai besoin d’écrire.

    — Comme vous voudrez, dit-il simplement avant de se concentrer sur un iPod qu’il venait de sortir de la poche de sa chemise.

    Il ne semblait pas très attentif, mais cela ne me dérangeait pas. Je ne me sentais pas en danger. Seul Grayson me mettait mal à l’aise. Dès qu’il posait les yeux sur moi, je me sentais nerveuse.

    Je remarquai alors les cicatrices sur ses avant-bras : un X avec des formes étranges aux extrémités. On aurait dit des cicatrices délibérées, une sorte de tatouage barbare.

    Relevant le regard, je rencontrai le sien et fus gênée d’avoir été surprise. Tout en me fixant des yeux, il se dirigea vers moi, comme un félin s’approchant de sa proie. J’étais totalement décontenancée et ne pus m’empêcher de vérifier que le dernier bouton de ma chemise était correctement fermé. J’aurais tout donné, à ce moment-là, pour ne pas avoir retiré mon cardigan et porter un pantalon au lieu d’une jupe. Pourtant, je savais que cela n’aurait servi à rien : c’était comme si Grayson pouvait voir à travers mes vêtements, en moi.

    Toutes les zones de la prison étaient spacieuses. M. Dixon m’avait expliqué que cela était fait exprès : lorsque les gardes devaient escorter les prisonniers, il fallait que trois hommes au moins puissent marcher côte à côte. Mais Grayson remplissait tout l’espace à lui seul. Il semblait gigantesque, envahissant. Sa présence était si forte que je la ressentais même physiquement.

    Tandis qu’il s’approchait de moi, je me décalai sur le côté, essayant de me faire la plus petite possible.

    — Merci, Madame Winslow, murmura Grayson lorsqu’il fut près de moi.

    Sa voix grave et sensuelle fit courir des frissons le long de ma colonne vertébrale. J’eus la même sensation que la première fois qu’il avait articulé mon nom, mais, cette fois, ce fut encore plus fort, car je pouvais l’entendre. Le pouvoir qu’il semblait avoir sur moi m’effraya. Si je ressentais un tel trouble avec seulement quelques mots de sa part, qu’en serait-il lorsque nous échangerions davantage ?

    Sans rien dire, comme hypnotisée, je le regardai s’approcher de plus en plus près. Ses cheveux coupés très courts mettaient en valeur la perfection de ses traits et la largeur de ses épaules faisait ressortir sa taille. Il avançait d’un pas lent et chaloupé, comme s’il était le propriétaire des lieux.

    Lorsqu’il atteignit enfin le bureau, il tira délicatement la chaise et s’installa. Il avait l’air d’un prince sur son trône. Comment faisait-il pour avoir autant de grâce ?

    Comme s’il avait lu dans mes pensées, il me regarda et me sourit. J’étais comme hypnotisée.

    Me faisant violence pour me détacher de son emprise, je détournai le regard en direction de la classe, troublée, mais également légèrement en colère. En colère après lui. Ou après moi ? Je ne savais plus très bien.

    — J’ai été très impressionnée par les textes que vous m’avez remis la semaine dernière, lançai-je. Vous vous êtes beaucoup investis et j’en suis ravie. L’écriture est un art délicat. Raconter ses souvenirs implique de s’attacher aux détails, à la façon dont la lumière s’accroche aux petites choses…

    Je poursuivis le discours que j’avais préparé, saisissant la pile de textes que les détenus m’avaient remis par l’intermédiaire de M. Dixon et que j’avais corrigés.

    Lors de mon premier cours, j’avais fait l’erreur de demander aux détenus de raconter un épisode de leur vie qui les avait marqués. Je m’étais alors retrouvée avec un lot de récits inventés – des histoires de voitures de luxe, de records de baseball, de performances musicales… L’un d’entre eux s’était même cru obligé de raconter une prétendue journée sur un yacht. Cela m’avait brisé le cœur, car je compris que je les avais humiliés, beaucoup d’entre eux étant issus de milieux modestes et difficiles. Aussi leur avais-je demandé, à l’issue du deuxième cours, de me raconter un évènement simple, qui n’avait pas forcément de sens particulier. La seule consigne que je leur avais donnée était qu’ils devaient faire le récit de quelque chose de vrai, qui s’était réellement passé, insistant sur le fait que je saurais immédiatement si leur récit était inventé.

    Le résultat avait dépassé mes attentes. J’avais obtenu des textes particulièrement émouvants de déceptions quotidiennes, de petites cruautés, dont ils prétendaient qu’elles n’avaient pas d’importance, mais dont on sentait, en réalité, qu’elles les avaient profondément marqués.

    Alors que je continuais de parler et d’expliquer en quoi les textes que j’avais lus étaient extraordinaires, je sentais le regard de Grayson peser sur moi, sur mon corps. Je le voyais du coin de l’œil. En le laissant occuper mon bureau, je l’avais laissé entrer sur mon territoire, dans ma bulle de protection. J’étais exposée, vulnérable.

    Mais le pire, c’était que je sentais qu’il savait cela. Il savait exactement quel contrôle il exerçait sur moi. Je sentais que lui et moi avions appris les mêmes règles et que nous jouions dans la même cour. Seulement, cette fois, c’était lui le vainqueur. Il se tenait à côté de moi comme un lion insolent, étendu sur son territoire avec l’aisance et la tranquillité des conquérants.

    L’air était frais dans la bibliothèque. J’avais la chair de poule et sentais mes mamelons se durcir sous mon soutien-gorge. J’aurais voulu récupérer mon cardigan que j’avais posé sur le dossier de ma chaise, mais il y avait lui.

    Je marquai une pause et tentai de reprendre le dessus. Après tout, c’était ma classe et j’étais tout à fait capable de garder le contrôle.

    — Aujourd’hui, je voudrais que nous apprenions à décrire, non pas des évènements, mais des objets, repris-je en souriant malgré le fait que mon cœur battait un milliard de fois par seconde. Je vais vous demander d’écrire vingt objets au hasard, mais attention, il doit s’agir d’objets qui se trouvaient dans le dernier endroit où vous avez vécu, précisai-je. Comme une fourchette, par exemple. Mais vous ne pouvez pas simplement dire « une fourchette ». Vous devez en dire plus. Par exemple, « chez moi, il y a une fourchette particulière dans le tiroir où sont rangés les couverts. Ma mère l’a achetée dans un marché aux puces. Elle ne coûtait presque rien parce qu’elle était seule, mais elle est en argent. Elle est plus épaisse et plus rigide que les autres, très agréable à tenir dans la main. Mes frères et moi nous battons toujours pour savoir lequel d’entre nous aura le droit de s’en servir… ».

    Certains détenus se mirent à rire, d’autres s’abstinrent, mais échangèrent des regards moqueurs. Je réalisai alors que ma description était équivoque et je sentis mes joues rougir.

    — Hé ! s’exclama M. Dixon pour faire revenir le calme, avant de jouer à nouveau avec son iPod.

    Malgré moi, je jetai un rapide coup d’œil vers Grayson. Il ne riait pas et ne semblait pas amusé comme les autres. Il était tout simplement là et me regardait avec intérêt. Mes joues devinrent de plus en plus rouges.

    Aussitôt, je détournai le regard pour ne pas perdre totalement le contrôle.

    — S’il vous plaît, pas de double sens douteux… Évitez les bananes, par exemple… ou les fourreaux ! lançai-je en riant.

    On m’avait toujours dit que le meilleur moyen de convaincre était l’humour, mais je me demandai tout de même si je n’étais pas allée trop loin…

    — Je ne peux pas croire que je viens de dire cela ! avouai-je, amusée.

    Les détenus se mirent à rire, mais pas de moi, avec moi. La glace était brisée et, tout à coup, nous n’étions plus en prison. Il n’y avait plus de numéros, que des êtres humains. Nous étions un groupe, sans barrières. Je me sentais presque bien. Bien sûr, j’aurais préféré être ailleurs, mais si je faisais abstraction des murs en béton et des barreaux aux fenêtres, la situation n’était finalement pas si terrible – presque agréable. À l’exception de Grayson qui suscitait toujours en moi un profond malaise.

    — Je vous laisse vingt minutes, annonçai-je lorsque le calme se fit à nouveau.

    Un bruissement de papier retentit tandis que les détenus ouvrirent leur cahier. Je les regardai, satisfaite. Pour la première fois, je me sentais en contrôle, à ma place.

    Rassérénée, je me dirigeai alors vers Grayson qui me regarda avec une expression que je fus incapable de déchiffrer. J’eus la vague impression qu’il était agacé, comme si je venais de dire ou faire quelque chose qui lui avait déplu. Ou peut-être préférait-il tout simplement me voir fragile et peu sûre de moi ?

    — Puis-je avoir mon… murmurai-je après avoir déposé une feuille devant lui et en désignant mon cardigan sur le dossier de la chaise.

    Rapidement, il se retourna et prit le gilet dans sa main. C’était comme s’il tenait une partie de moi entre ses doigts et je sentis mon estomac se tordre en imaginant la sensation de ses doigts noueux sur ma peau. Il me tendit le cardigan et me sourit comme pour m’indiquer qu’il savait. Qu’il savait ce que je ressentais, ce que je voulais. Qu’il le savait mieux que moi-même, qui ne comprenais pas encore mes propres désirs. Ses yeux n’étaient pas seulement posés sur moi, ils me voyaient. Au plus profond de moi.

    Je ressentais à la fois un plaisir intense et une sensation de danger, comme lorsque l’on regarde un animal sauvage, magnifique, mais féroce. J’étais fascinée, mais également heureuse qu’il soit sous surveillance et qu’il ne puisse pas faire ce qu’il voulait.

    — Je ne mords pas, vous savez, me lança-t-il tandis que je prenais le cardigan. Pas beaucoup…

    Ma main effleura la sienne. Cela ne dura qu’une demi-seconde, mais ce fut suffisant pour que je ressente la tension qu’il y avait entre nous et que je perde à nouveau le contrôle que je venais de gagner.

    Aussitôt, pour me donner une contenance et me protéger de lui, de son regard, j’enfilai mon cardigan. Grayson me regardait, avec d’autant plus de plaisir qu’il sentait que cela me mettait mal à l’aise. J’avais le sentiment qu’il pénétrait dans mon intimité et je fus extrêmement soulagée de la présence de M. Dixon, aussi distrait fût-il, et des autres détenus qui étaient en train de travailler. Malgré cela, j’appréhendais déjà le moment où j’allais devoir être seule avec lui. Je ne savais pas où j’allais, comme si je m’engouffrais dans une ruelle sombre et effrayante par laquelle je devais obligatoirement passer. Et encore, une ruelle sombre m’aurait fait moins peur que lui.

    Cherchant à tout prix à faire quelque chose pour ne pas le laisser gagner trop de terrain, je saisis mon cartable et le posai sur le coin du bureau. Je l’ouvris et cherchai le programme du cours que j’avais donné aux autres détenus le premier jour.

    — Vous aimez écrire, alors ? demandai-je à voix basse, sans le regarder, occupée à fouiller dans mon cartable.

    — En effet, Madame Winslow, acquiesça-t-il d’une voix rauque dans laquelle je perçus un soupçon de moquerie.

    Mes joues rougirent à nouveau. Je levai les yeux vers lui et le trouvai incroyablement beau, aussi beau que menaçant.

    — Voici le programme du cours, déclarai-je en lui tendant la feuille que je venais enfin de trouver. Vous allez devoir rattraper les deux premiers devoirs, mais cela ne devrait pas vous prendre trop de temps.

    Je lui donnai alors les sujets des deux premiers textes qu’il devait écrire et lui exposai le déroulement du cours sur l’année, notamment le projet de journal contenant les textes des détenus, que je prévoyais de publier en ligne ainsi qu’en version papier.

    Grayson m’écoutait, les yeux rivés sur moi avec un air presque supérieur. Trouvait-il mon projet ridicule, naïf ? Après tout, je ne savais rien de son niveau d’études. Comme il n’avait pas assisté aux deux premiers cours, je ne lui avais pas fait remplir de fiche de renseignements comme je l’avais fait pour les autres. Mais finalement, je décidai que cela n’avait pas d’importance. J’étais la professeure. C’était moi qui étais chargée de gérer le cours et je pouvais faire ce que je voulais.

    Je soutins son regard, protégée par mon cartable auquel je m’accrochai comme à une bouée de sauvetage. Je devais lui montrer que je n’avais pas peur de lui.

    5

    GRAYSON

    Elle s’accrochait à son cartable de toutes ses forces, comme à une bouée, pour ne pas sombrer. Je sentais qu’elle était sur le point de vaciller et cela me plaisait. Ses livres, ses porte-documents, ses lunettes – j’avais envie de tout lui enlever, de la déshabiller, de la rendre impuissante. Je savais qu’elle détesterait autant qu’elle adorerait cela. Je le savais, car j’avais l’impression de la connaître depuis toujours, alors même que je venais de la rencontrer.

    Je fixai ses lunettes et me demandai si elle pourrait voir une fois que les lui aurais enlevées. J’espérais que non ; j’aimais l’idée qu’elle soit à ma merci. D’ailleurs, je pourrais aussi lui bander les yeux…

    Stop, Grayson !

    J’avais décidé d’être un étudiant modèle, je devais m’y tenir et faire le devoir idiot qu’elle venait de nous demander : lister des objets.

    Elle fouilla à nouveau dans son cartable.

    — Comme vous n’en avez pas… dit-elle en sortant un cahier.

    Je levai à nouveau le regard vers elle. Elle avait une beauté désuète. Ses traits étaient fins, délicats, parfaitement dessinés. Ses yeux étaient grands et doux. On aurait dit Audrey Hepburn. Je l’imaginais parfaitement sur une photo en noir et blanc, dans une robe à la fois sage et sexy, avec un regard de première de la classe et ses magnifiques lèvres humides qui me donnaient envie de les sucer, de les mordre.

    Je savais par où je commencerais. À chaque cambriolage que j’avais fait, j’avais procédé de la même manière : il fallait d’abord trouver le moyen de désamorcer le système de protection pour ensuite pouvoir prendre possession des lieux. Chez elle, ce seraient les lunettes : si je voulais la posséder, j’allais devoir les lui retirer.

    Elle arracha des pages du cahier qu’elle venait de sortir et je compris alors qu’il s’agissait du sien. Je remarquai qu’elle arrachait les dernières pages, et non les premières.

    Lorsqu’elle eut retiré toutes les pages écrites, elle le posa devant moi, ouvert sur une page blanche.

    — Vous écrivez à l’envers en commençant par la dernière page ? demandai-je.

    — Oui, je préfère que la marge soit de l’autre côté, c’est plus pratique.

    Je la regardai avec admiration. Détourner l’utilisation d’un objet pour plus d’efficacité ; je trouvais cela très intelligent. Elle m’impressionnait.

    — Vous devez donc noter vingt objets, vous vous souvenez ?

    — Oui, Madame Winslow, répondis-je en souriant.

    Décontenancée, elle me regarda sans rien dire et cligna des yeux avant de se détourner de moi.

    Je devais arrêter de répéter son nom comme ça. C’était cruel de ma part, même si je devais admettre que cela m’excitait et m’amusait de la voir perdre pied devant moi.

    — Tout se passe bien ? demanda-t-elle aux autres. Pas de question ?

    Personne ne répondit. Je souris en la regardant, car je savais qu’au fond, elle faisait cela pour se donner une contenance. Elle n’en avait rien à faire des questions.

    Elle arpenta la pièce, moulée dans sa jupe crayon. Son gilet rouge faisait ressortir l’éclat de son teint. Elle était vraiment très belle.

    — Souvenez-vous, je ne veux rien d’inventé. Vous ne devez citer que des objets qui existent réellement. Comme je vous l’ai dit, c’est la vérité qui donnera de la force et du relief à vos textes.

    Je regardai Teke au dernier rang, penché sur sa feuille, et repensai à ce qu’il m’avait dit, que madame Winslow savait reconnaître lorsque l’on mentait. Je me demandai si elle était réellement capable de cela…

    L’idée de raconter un épisode réel de ma vie m’était aussi agréable que de l’alcool versé sur une blessure à vif. Cela me coûtait beaucoup, mais peut-être était-ce le prix à payer pour pouvoir être publié dans ce journal dont Teke et elle m’avaient parlé ?

    Stone avait attribué des doubles sens à certains termes. Cela nous permettait de nous mettre d’accord sur nos prochains cambriolages dans un langage que nous étions les seuls à comprendre. Stone ne pouvait pas m’appeler, mais, quoi que j’écrive, si je glissais certains de ces termes dans mon texte et que Stone pouvait les lire, je pourrais ainsi lui faire passer un message. Tout ce que nous écrivions était passé au crible par les gardes, mais il me suffisait de glisser quelques termes discrets ; je savais que Stone et les gars en tireraient les bonnes conclusions.

    Malgré tout, mon message devait être dissimulé dans un texte suffisamment bien écrit pour faire diversion. Je devais donc inventer quelque chose de crédible, car il était hors de question que je livre quoi que ce soit de réel sur ma vie.

    Teke leva la main. Elle s’approcha de lui et je le vis poser une question. Il parlait tellement doucement que je n’entendis pas ce qu’il disait. Apparemment, elle non plus, car elle se pencha plus près de lui tandis qu’il répétait sa question.

    Je serrai la mâchoire. Je voyais bien que tout le monde la regardait. Même Dixon, qui était pourtant marié et père de trois enfants. En fait, elle aurait pu avoir quatre-vingts ans, tout le monde l’aurait regardée de la même manière. Nous étions tous en manque de femmes ici. Mais elle n’avait pas quatre-vingts ans. Elle devait avoir… quoi ? Dix-huit ans ? Dix-neuf ans ? Ses yeux portaient encore en eux tellement d’espoir. Je ne savais pas exactement quel âge elle avait, mais j’étais certain d’une chose : elle était jeune.

    Mais pas trop jeune. Les courbes sous sa jupe en lin en disaient long. Elle était déjà une femme.

    Me forçant à détourner mon regard d’elle, je me concentrai sur la feuille de papier vierge qui était devant moi. Vingt choses. Vingt choses ordinaires. Des choses qui ont réellement existé. Ça allait être facile. Si j’avais pu tromper le directeur du musée d’art de Cincinnati et faire en sorte qu’il me laisse « évaluer » l’exposition du tsar, la petite madame Winslow n’avait aucune chance. Je me sentis presque mal pour elle.

    L’un des gars intervint sans demander la parole.

    — Le dernier endroit où j’ai vécu était la prison de Jersey. Il n’y avait même pas dix choses en tout, déclara-t-il d’un air goguenard, faisant rire toute la classe.

    — Vingt choses, répéta-t-elle sans sourciller.

    J’aimais la manière dont elle essayait d’être stricte. L’autorité n’avait aucun effet sur moi, mais les autres gars y étaient sensibles et elle l’avait compris.

    Tout à coup, l’image d’un match de baseball se forma dans mon esprit. Je n’avais jamais beaucoup joué au baseball, mais je me souvenais en avoir fait avec mes frères adoptifs quand j’étais petit. Ils me confiaient la tâche de compter les points et me laissaient porter le gant droit. Surveillant les bouteilles d’eau et les clés, je m’appliquais à remplir ma mission, tenant les scores et récupérant les balles. Ces moments, sous le soleil, protégé par mes frères aînés, étaient parmi les plus heureux de ma vie. J’étais si fier. Je ne comprenais rien à ce que je faisais, mais j’avais l’impression d’être le roi du monde. J’y repensais souvent.

    Je commençai ma liste :

    Une bouteille d’eau à côté d’une clôture grillagée.

    Un morceau de verre tranchant.

    Une boîte de hamburger en carton aplatie et pleine de fourmis.

    Un gant de baseball droit.

    La casquette de baseball de Mike.

    Mes chaussures de baseball.

    Des pissenlits au milieu du terrain en terre.

    Je terminai juste à temps lorsqu’elle frappa dans ses mains.

    — C’est terminé ! Posez vos crayons, s’il vous plaît, lança-t-elle comme s’il s’agissait d’un examen important. Je vais maintenant demander à chacun de citer à voix haute l’une des choses qui est dans sa liste et de nous l’expliquer. Il peut s’agir de la chose la plus importante ou, au contraire, de la moins importante de votre liste, peu importe. C’est vous qui choisissez.

    Elle s’interrompit et regarda Teke.

    — Teke, vous commencez ?

    Teke semblait nerveux. Il transpirait. C’était bizarre de voir cette brute épaisse redevenir un petit garçon devant une femme si jeune et si frêle. La prison avait ce pouvoir-là : celui de renverser l’ordre naturel des choses.

    — Il y avait un pistolet, finit-il par dire. Un Beretta. Ce n’était pas juste une arme ; il m’a sauvé dans des moments difficiles, vous savez. C’était un peu comme un porte-bonheur…

    Madame Winslow lui sourit. Elle semblait fière qu’il ait prit l’exercice au sérieux ; elle vivait cela comme une victoire personnelle et semblait lui en être reconnaissante. Je détestai l’attention qu’elle lui portait, surtout que ce que Teke venait dire

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1