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Livre électronique621 pages6 heures

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À propos de ce livre électronique

Angélik, architecte de talent, se voit offrir de participer à un concours professionnel, lequel doit être gardé ultrasecret. A la fois intriguée et emballée par la proposition, elle accepte de se lancer dans la course. Cependant, lorsque des extraits de ses plans apparaissent un à un sur Instagram et mettent en péril la confidentialité du projet, elle se rend compte qu'elle risque gros dans cette affaire.

Avec l'aide de Mathieu, un fougueux policier doublé d'un grand séducteur, la jeune femme tente de trouver la personne responsable de cet habile coup monté. Au même moment, une importante somme d'argent disparaît inexplicablement des comptes de sa société. C'est alors que Jeffrey, un entrepreneur au charme irrésistible, accourt pour lui porter secours. Quant à Félix, son meilleur ami, il sait bien comment la réconforter…

L'échéance approche, la pression monte et les menaces s'intensifient. Angélik réussira-t-elle à identifier l'individu qui cherche à lui nuire et à remporter l'épreuve ? De tous les hommes qui gravitent autour d'elle, lequel gagnera le jeu de la séduction ?
LangueFrançais
ÉditeurLes Éditeurs réunis
Date de sortie18 avr. 2017
ISBN9782895859239
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    Aperçu du livre

    @seduction - Judith Bannon

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    De la même auteure

    chez Les Éditeurs réunis

    liaison.com, roman New Adult, 2016

    #attraction, roman New Adult, 2016

    Les 7 secrets de mon ex, roman New Adult, 2015

    7 secrets plus intimes, roman New Adult, 2015

    7 secrets à faire frissonner, roman New Adult, 2016

    La séduction s’infiltre dans plusieurs sphères de nos vies

    Qu’il s’agisse de séduire un homme, une femme, un client ou un jury

    Appliquée de façon subtile, ouverte ou inconsciente

    Ses conséquences sont habituellement distrayantes

    Sauf dans certaines situations inquiétantes

    Où ses répercussions sont déplaisantes

    Dangereusement déplaisantes.

    Prologue

    16 février

    — Vous devez tout d’abord comprendre, madame Dumont, que ce projet est hautement confidentiel.

    Ce sont les premières paroles que cet homme daigne formuler après m’avoir ouvertement observée pendant plusieurs secondes.

    — Le détecteur de métaux, la fouille corporelle, la signature de trois avis de confidentialité et les deux gardiens qui ont le look des personnages de Men in Black m’avaient donné un bon indice à ce niveau, avoué-je.

    Mon ton persifleur le laisse impassible. Vêtu d’un costume noir et d’une chemise d’une teinte aussi foncée, cet individu d’une quarantaine d’années au crâne rasé me fait signe de m’asseoir à la table de conférences de cet hôtel huppé du Vieux-Montréal.

    Je reste debout.

    J’observe la salle entièrement couverte d’un tapis blanc. Les chaises en suède beige ont un dossier arrondi invitant. La structure en métal brossé de l’immense table est visible à travers le verre qui en constitue la surface de travail. Un seul porte-document, une serviette souple, gît sur cet espace vitré, sur lequel la main de mon interlocuteur est posée de façon possessive.

    — Vous avez été sélectionnée pour élaborer un projet d’architecture à sécurité maximale.

    — Par sécurité maximale, j’imagine que vous ne parlez pas d’une résidence pour personnes retraitées où la barrière s’ouvre lorsqu’elle détecte un écureuil ?

    — Le sarcasme, de par son caractère abstrait, dénote un intellect admirable, madame Dumont. Vos propos me rassurent sur votre intelligence.

    — Parce que vous choisissez les gens selon leurs capacités à ironiser les situations ?

    — Non. Selon leur curriculum vitæ. Et comme vous avez terminé en tête de votre cohorte étudiante il y a trois ans, en plus d’avoir accumulé plusieurs mentions d’honneur pour la qualité architecturale et sécuritaire de vos ébauches, vous vous retrouvez ici aujourd’hui.

    — À votre déplaisir évident, fais-je remarquer d’un ton avisé.

    — Ne vous croyez pas qualifiée pour deviner mes pensées. Concentrez-vous sur vos compétences en architecture.

    — Ce projet consiste en quoi, au juste ?

    — Je suis heureux de constater que vous démontrez un intérêt pour le but de notre rencontre.

    — Détrompez-vous sur mon intérêt ! raillé-je. J’ai enduré les techniques appliquées à une criminelle simplement par plaisir. Sachez qu’une fois par semaine j’aime bien me rendre au poste de police de mon quartier seulement pour y subir une fouille.

    Il soupire. Ce comportement me rassure sur le caractère humain de cet individu dont les actions semblent robotisées.

    — Vous trouverez tous les détails du projet dans ce programme fonctionnel et technique que vous appelez dans votre jargon le PFT, précise-t-il en sortant un document de la serviette.

    — Vous n’êtes pas architecte ? constaté-je d’un ton surpris.

    — Je suis le messager.

    — Je vous souhaite de ne pas vous faire tuer !

    Son air perplexe m’incite à m’expliquer.

    — Vous savez… comme dans l’expression : « Don’t shoot the messenger ! »

    Son regard noir me transperce.

    — Vous n’appréciez pas l’humour.

    — Pas le vôtre.

    — D’accord, articulé-je lentement. Mais vous devriez essayer de décompresser un peu de temps en temps, ça vous ferait du bien.

    — Baisser la garde nous rend faibles.

    — Baisser la garde nous permet de vivre, de sourire et de laisser des gens nous approcher.

    — Endurcissez-vous. Votre naïveté peut vous faire com-mettre d’énormes erreurs.

    — Ma naïveté fait partie de mon charme.

    — Dans un bar, peut-être. Mais au quotidien, elle est un atout redoutable pour vos ennemis.

    Il se lève et me tend le document.

    — Le programme est remis à trois architectes différents, explique-t-il.

    Je prends le dossier d’une vingtaine de feuilles dont la couverture en papier glacé dévoile le titre : Projet Obscur.

    — Nous serons en compétition ?

    — Oui. Chacun d’entre vous doit soumettre son plan architectural le 13 mai au comité de sélection.

    — De quelle année ? blagué-je.

    Je tente d’évaluer rapidement le nombre de critères techniques en feuilletant le document tel un éventail.

    — Je suis conscient que c’est peu de temps.

    — Peu de temps ? répété-je d’un ton arrogant. Je sais que ça peut vous paraître difficile à concevoir, mais vous n’êtes pas le seul à désirer recevoir un plan pour son édifice, donc, oui, trois mois constituent effectivement peu de temps !

    — Le ton que vous utilisez me démontre clairement que vous manquez d’expérience dans ce genre de concours.

    — Parce qu’il y a un ton de voix requis ?

    — Les autres architectes étaient beaucoup plus aimables.

    — Ils étaient hypocrites et se complaisaient à vous séduire.

    Circonspect, il lève un sourcil.

    — Vous êtes certainement conscient du jeu de séduction qui se trame toujours entre la personne qui détient le pouvoir de vous faire gagner et…

    — Visiblement, vous n’êtes pas au courant de cette méthode de séduction, me coupe-t-il.

    — Je suis authentique et charmante avec les personnes qui le sont. Alors, en toute franchise, je vous déclare que vous délirez légèrement avec votre délai.

    — À vous de choisir vos priorités. Nous avons émis un chèque de vingt-cinq mille dollars au nom de Vertical, votre entreprise, pour couvrir une partie des frais liés à l’élaboration de ce plan.

    J’observe le chèque qu’il sort brièvement de son porte-document avant de l’y remettre. Je n’ai pas besoin de contrats, car nous sommes déjà assez occupés. Mais, paradoxalement, j’ai besoin d’argent. Vertical a besoin d’un contrat payant.

    — Si vous remportez le concours, tous les coûts liés à la création du plan vous seront remboursés en plus de bénéficier des profits générés par son élaboration future. Donc, vous avez beaucoup à gagner et peu à perdre. Sauf de retarder d’autres contrats.

    — Ce qui est considérable pour une petite équipe.

    — D’ailleurs, à ce sujet, vous devez minimiser le nombre de personnes qui connaîtront le contenu de ce projet. En fonction de la loi sur la sécurité nationale, toute brèche serait sévèrement passible de réprimandes puisqu’elle pourrait soulever la crainte populaire et mettre en péril la vie de plusieurs personnes. Comme ce projet ne doit pas être ébruité, un procès ne serait pas la solution envisagée dans le cas de fuites nuisibles.

    — Est-ce une menace ?

    — Ne nous rendons pas à ce stade. Pour l’instant, ce ne sont que des informations.

    — Vous avez vraiment un don pour motiver les gens ! Quel est le projet ?

    — Vous avez tous les détails à l’int…

    — J’avais compris, coupé-je d’un ton las. Mais j’aimerais qu’un humain me l’explique. Vous êtes bien un humain, n’est-ce pas ? demandé-je avec une pointe d’ironie.

    Il serre les lèvres.

    — Je vous rappelle que j’ai signé une promesse de confidentialité qui m’empêche probablement même de divulguer la couleur des murs de cet endroit. Alors vous pouvez m’offrir quelques détails. Vous avez mentionné qu’il s’agit d’un bâtiment à sécurité maximale. Est-ce une prison ?

    — Non. (Il soupire et croise ses doigts qu’il pose lentement sur la table.) Les renseignements que vous trouverez dans le programme sont déguisés sous la forme d’un entrepôt qui serait utilisé par le gouvernement.

    — Mais en réalité ?

    — Il s’agit d’un bâtiment de la Défense nationale où l’unité des forces d’élite du pays serait regroupée.

    Je plisse les yeux.

    — Sur notre territoire ?

    Il acquiesce.

    — C’est un endroit stratégique puisque la région est située près de la frontière américaine. Aussi, l’Europe est plus rapidement accessible d’ici que de l’ouest du pays, et Ottawa, la capitale nationale, est proche.

    — C’est rassurant d’apprendre que nous vivons à une jonction constituant l’épicentre parfait pour un réseau de criminalité internationale.

    — Des membres d’élite dont le cerveau ressemble étrangement à un serveur informatique travaillent à intercepter toutes les menaces d’attentat sur notre pays. Et d’autres ont été entraînés comme des machines pour être prêts à défendre la population au sol, sur l’eau et dans les airs. C’est à vous d’assurer leur sécurité en créant une bâtisse qui les rendra inatteignables.

    — Juste ça ? Aucune pression, surtout !

    — Vous êtes trois dans la course, donc la pression ne repose pas strictement sur vos épaules. Mais votre instinct féminin de protection pourrait vous donner une longueur d’avance, explique-t-il en tiquant très légèrement.

    — Laissez-moi deviner ! Je suis la seule femme choisie et ça ne fait pas votre affaire ?

    — Vous m’octroyez un bien mauvais vice en me pensant machiste.

    — Croyez-moi ! Mon jugement envers vous n’est rien en comparaison de celui que je vis sur les chantiers de construction peuplés de machos à la cervelle de moucheron.

    — Je ne fais pas partie de cette catégorie.

    — Y a-t-il des femmes à votre comité de sélection ? le bousculé-je.

    — Bien sûr.

    — Elles sont clairement absentes aujourd’hui.

    — C’est parce que je suis venu seul, fait-il remarquer en levant les bras et en regardant autour de lui.

    — Je pensais à vos deux gorilles qui protègent votre cage à l’entrée, argumenté-je en pointant le pouce derrière moi.

    — Est-ce qu’on s’habitue à votre humour ?

    — Les gens normaux, oui.

    Je tends la main vers la serviette. Il en sort une feuille de papier.

    — Voici les cinq conditions que vous devez signer pour avoir accès aux informations détaillées du programme.

    — Je n’ai pas encore accepté de participer. Je consens seulement à lire le programme.

    — Vous savez très bien que vous y travaillerez. Même si je suis conscient que deux des conditions du contrat vous irriteront.

    Cette supposition pique ma curiosité. Je pose mes yeux sur la feuille. La deuxième condition me fait tiquer, mais je poursuis ma lecture vers la suivante. Puis, dès que je termine la quatrième condition, je lève rapidement les yeux vers lui.

    — Je savais que celle-ci vous causerait du souci.

    — Vous ne savez pas laquelle je lisais.

    — La quatrième, affirme-t-il. Lisez la suivante pour mieux la comprendre.

    Je lis la cinquième et dernière condition. Tétanisée, je reporte mes yeux très lentement sur lui.

    Il sort un chèque vierge. Dessus, il écrit la date, le nom de Vertical, appose sa signature, qui ressemble à un barbouillage, puis immobilise son crayon au-dessus de l’espace réservé au montant.

    — Si vous signez ces cinq conditions, j’ajoute vingt-cinq mille dollars au montant préalablement offert.

    Il soulève un sourcil et me tend son stylo. Je soupire puis regarde vers une des grandes fenêtres drapées d’un immense rideau qui confère un style prospère à cette pièce.

    — Je vais analyser les critères décrits dans le programme avant de prendre une décision, déclaré-je en tendant de nouveau la main vers le porte-document.

    — Je vous laisserai quitter cet endroit avec le portable contenant le projet détaillé seulement si vous signez cette feuille de conditions.

    — Combien ai-je de temps pour y réfléchir ?

    — Vous n’avez pas besoin de temps. Votre décision est déjà prise.

    — Ne vous croyez pas qualifié pour deviner mes pensées, formulé-je en répétant les paroles qu’il m’a servies un peu plus tôt.

    — Je ne devine pas tes pensées, je les connais. Je me suis assuré de tout connaître de toi, Angélik Dumont.

    Vendredi 29 avril

    Deux mois et demi plus tard

    Badabam ! Brak !

    J’ai l’impression que le toit au complet vient de tomber. Pourtant, l’entrepreneur que nous avons embauché pour effectuer les travaux nécessaires à l’ajout d’un deuxième étage à notre bureau m’avait informée ce matin que la phase de démolition ne serait pas si bruyante. Et qu’il aurait achevé les travaux pour midi. Or il est plus de treize heures trente, et le bruit est tout aussi imprévisible que fort.

    — C’est infernal, ce vacarme ! crie Antoine, debout au centre de notre espace de travail. Comment sommes-nous supposés travailler ?

    — Mets-toi des bouchons ! réplique ma stagiaire.

    Stella, et les stagiaires comme elle, est une des raisons pour lesquelles nous avons décidé d’agrandir notre bureau. Puisque les études en architecture nécessitent de réussir un stage rémunéré en milieu de travail, nous avons la chance de côtoyer régulièrement des étudiants. Mais nous avons dû laisser aller d’excellents architectes depuis que je suis officiellement en poste, puisque nous n’avions pas l’espace nécessaire pour les installer après leur pratique avec nous.

    — Quelle sorte de bouchons ? Il faudrait que je me fasse couler du ciment dans les oreilles pour ne plus les entendre, et même avec ça, je sentirais les vibrations !

    — Certaines vibrations sont très intéressantes à vivre, tu sais, frangin !

    Antoine me jette un regard meurtrier.

    — Je ne suis vraiment pas d’humeur pour tes allusions !

    La nature ne s’est pas cassé la tête pour mon frère et moi. Antoine a le même physique que mon père, grand et mince, tandis que j’ai celui de ma mère, plus petite et normalement enrobée. Sauf ces temps-ci, puisque j’ai perdu du poids à cause du travail. Plusieurs kilogrammes ont été engouffrés par les heures supplémentaires et le stress. Mais nous avons tous les deux hérité de la génétique rousse de ma mère. Beaucoup plus accentuée dans ma chevelure, tandis qu’il n’en a que des reflets dans ses cheveux auburn.

    — C’est vendredi, relaxe un peu, lui lance notre technologue en architecture.

    Théo travaille actuellement à la table à dessin qui, avant l’arrivée de ce minutieux technicien, ne servait qu’à entretenir l’idée que les architectes les utilisent encore, les plans étant désormais tous produits par ordinateur.

    — C’est facile pour toi, Théo, tu n’as qu’à dessiner, crache Antoine d’un ton furieux. Tu n’as pas à achever un concept créatif pour un entrepreneur qui s’impatiente de lancer la construction de son centre commercial !

    Je fixe mon frère. Son commentaire était mesquin. Ses lèvres, qu’il serre maintenant, me prouvent qu’il en prend conscience. Je tourne la tête vers mon père, installé à son bureau à ma gauche. Il dévisage durement son fils et dépose ses lunettes sur sa table. Ce geste, qu’Antoine a capté par un bref coup d’œil, signifie clairement qu’il doit réparer sa bévue impulsive. Car dans notre firme, contrairement à d’autres bureaux, la dépréciation des rôles et responsabilités de chacun est inacceptable.

    — Je pense effectivement que des vibrations me feraient du bien, admet mon frère avec un demi-sourire. Je suis désolé, Théo, ton job est aussi important que le nôtre.

    — Ça va, monsieur grognon ! accepte Théo. Je comprends ton impatience. Ça fait dix minutes que je suis devant le dilemme déchirant à savoir si je vais les assommer avec un madrier ou les défigurer avec un marteau.

    Boum ! Crach !

    Mon frère lève les bras en l’air.

    — Je ne suis plus capable !

    Il se dirige vers l’escalier de fortune en bois brut où se trouvait, auparavant, la trappe pour le grenier. Mon père amorce un mouvement pour le suivre.

    — J’y vais, François, déclaré-je. C’est moi qui suis supposée m’occuper du contracteur.

    Je ferme ma session sécurisée et me dirige rapidement vers l’accès à l’étage.

    — Cernée comme tu es, il aura assurément pitié de toi, approuve ma stagiaire.

    — Merci de me le rappeler, Stella.

    — Mais je sais surtout qu’il ne pourra pas résister à ton charme, ajoute-t-elle en me faisant un clin d’œil.

    À l’étage, je constate que les poutres qui retenaient le toit sont pratiquement toutes arrachées. Deux hommes s’évertuent à en démonter une sous le regard de l’entrepreneur qui se tient à côté d’eux, les mains sur les hanches, affichant ainsi son ventre proéminent. Comme nous avons décidé de devancer les rénovations pour pouvoir, entre autres, installer notre stagiaire finissante dès cet été, j’ai eu à me contenter du seul entrepreneur commercial libre à cette période de l’année.

    Les deux gars laissent carrément tomber la poutre qu’ils viennent de détacher de son ancrage.

    Bang !

    — Sacra…

    Je touche le bras de mon frère pour le calmer. Il prend une longue inspiration.

    — Rappelle-toi que ces travaux vont faire croître Vertical. Et que l’aménagement extérieur sera superbe avec cet ajout.

    — Superbe considérant qu’on modifie une maison ancestrale ! ironise-t-il.

    Je lui souris pour tenter de contrebalancer ses idées noires nourries en ce moment par le bruit insupportable. L’entrepreneur nous aperçoit.

    — C’est dangereux pour vous d’être ici !

    — Je ne sais pas pour qui c’est le plus dangereux ! lance mon frère d’un ton fulminant.

    L’entrepreneur, qui a très bien compris l’insinuation, s’approche lentement. Je me positionne devant Antoine.

    — Serait-il possible pour vos hommes de déposer les poutres, car le bruit nous empêche de travailler en bas ? demandé-je d’une voix mielleuse.

    — Si c’est l’ambiance d’un spa que tu cherches, ma p’tite dame, t’es pas à la bonne place !

    Comme je le craignais, la méthode de séduction n’atteint aucunement cet homme.

    — S’ils pouvaient juste être plus délicats, ça nous aiderait beaucoup, imploré-je.

    — Délicats ? répète l’homme en pouffant de rire. Ils ne font pas des manucures, ces gars-là. Je t’avais avertie que ça serait bruyant, la p’tite !

    — Jusqu’à midi, ajoute Antoine. Il est presque quatorze heures !

    — Ç’a été plus long qu’on pensait.

    — C’est toujours plus long qu’on pense, lance un des ouvriers.

    — C’est ce que les femmes me disent en fin de soirée quand je me déshabille ! réplique son collègue.

    L’autre éclate de rire. Mon frère roule les yeux.

    — Combien de temps vous reste-t-il, incluant les retards possibles ?

    L’entrepreneur regarde autour de lui.

    — Je dirais deux heures.

    — Deux heures ! s’écrie mon frère.

    — Pouvez-vous continuer demain ? m’enquiers-je calmement.

    — Demain, c’est samedi, ma p’tite dame. Et le samedi, j’ai une autre vie !

    — Alors revenez lundi ! J’ai besoin d’un break, moi ! déclare Antoine.

    — Va prendre l’air, ça te fera du bien, conseille l’homme bedonnant.

    — Je n’ai pas besoin d’air, j’ai besoin d’un break de vous ! Et je vais demeurer à l’intérieur car je dois travailler, moi ! Je ne reste pas planté debout à regarder des gars garrocher des poutres sur le plancher !

    Antoine part d’un pas lourd et rapide.

    — Moi, je m’en fous de m’arrêter tout de suite, mais ça va retarder les travaux, lâche le patron du chantier en mâchant sa gomme.

    Je prends une longue respiration.

    — Serait-ce possible de déposer les poutres ? demandé-je une nouvelle fois.

    — Mes gars vont s’éreinter s’ils font ça, refuse-t-il en hochant la tête.

    — Alors votre travail est terminé pour aujourd’hui ! On se revoit lundi.

    — Mais tu devais me payer une première partie du montant quand la démolition serait finie, lâche-t-il d’un ton défait.

    — Et la démolition n’est pas complétée !

    — Mais c’est parce que tu veux que j’arrête !

    — Parce que vous êtes trop bruyants. Et trop lents.

    Je me dirige vers l’escalier.

    — Tu devrais moins travailler, p’tite dame, tu serais plus sympathique !

    — Et vous devriez travailler plus, gros monsieur, pour recevoir l’argent quand vous le désirez.

    Ses deux employés s’esclaffent. En descendant les marches, je remarque que mon frère s’est armé d’écouteurs reliés à son ordinateur. Je prends le temps d’observer le rez-de-chaussée qui a aussi eu sa part de rénovations.

    Cette vieille résidence que mon père avait achetée à ses débuts professionnels pour y installer sa petite équipe, c’est-à-dire sa secrétaire et lui, a subi une métamorphose complète il y a cinq ans. Je commençais alors mes deux années de stage obligatoire pour être acceptée dans l’Ordre des architectes du Québec au moment où mon frère les terminait et obtenait son titre. Mon père, qui rêvait de créer une firme familiale avec ses deux enfants, s’était vu imposer la condition de moderniser son aire de travail s’il voulait nous côtoyer chaque jour ouvrable. Une condition défendue principalement par mon frère qui venait d’achever son stage chez notre oncle, associé dans une immense firme du centre-ville de Montréal, dont le design intérieur pourrait rafler des prix de stylisme. La fierté de savoir que sa progéniture allait venir travailler avec lui avait vite animé notre patriarche, qui avait donné l’aval pour ce projet de rajeunissement en me laissant chapeauter les changements.

    Les anciennes cloisons qui créaient une ambiance fermée ont toutes été démolies pour faire place à un espace unique où chacun travaille à son bureau – des échafauds en nickel sur lesquels repose une vitre noire –, tout en ayant une vue sur les collègues. De longues et larges planches de bois franc ont remplacé le prélart désuet. Les bureaux des trois architectes associés, soit mon père, mon frère et moi, sont situés sur des plateformes indépendantes au bout de ce vaste espace. Deux bureaux se trouvent respectivement de chaque côté de celui de mon frère et du mien. Ils sont occupés par la stagiaire et le technologue en architecture.

    Notre adjointe administrative est installée face à l’entrée, derrière un long comptoir de quartz noir. L’ensemble des bureaux forment un demi-cercle au centre duquel se trouve une longue table rectangulaire noire et vitrée, entourée de tabourets confortables en cuir, que nous utilisons autant pour faire des réunions que pour y travailler en équipe ou manger.

    La porte principale s’ouvre soudainement. Une voix irritante se fait tout de suite entendre. Celle d’une mégère que je suis incapable de supporter : Mme Coutu, la voisine.

    — Qu’est-ce qui se passe ici ?

    Comme le quartier dans lequel notre firme se trouve est ancien, il est fréquent que des résidences côtoient des commerces. Cette femme, qui doit frôler les soixante-dix ans, consacre ses journées à épier le voisinage et à se plaindre pour des raisons ridicules. Je savais bien qu’elle se pointerait ici pour déplorer le bruit des rénovations. Je suis simplement surprise qu’elle ne l’ait pas fait avant aujourd’hui. Ses chats sauvages, qui semblent être les seuls êtres vivants capables de la supporter, doivent l’avoir tenue occupée. Ils passent toujours leur journée à la station-service qui se trouve à droite, de l’autre côté de la rue. Mme Coutu, qui réside à notre gauche, circule donc fréquemment devant notre bâtiment.

    Mon père se lève comme je passais près de lui. Je mets ma main sur son épaule et lui signale que je m’en occupe.

    Viviane, notre adjointe qui occupe aussi le poste de réceptionniste, en plus d’assumer toutes les autres responsabilités qui font que le bureau roule parfaitement, m’observe avec inquiétude. Si nous avions une employée du mois, sa photo serait affichée en permanence, ne serait-ce que pour sa patience. Mais elle sait très bien que la mienne a ses limites. Très larges, sauf en ce qui concerne notre visiteuse. Et ma patience vient d’être écorchée à l’étage alors que je devais garder mon sang-froid puisque mon frère avait perdu le sien.

    Dans ce contexte, la voisine est vraiment de trop. Dans mon champ de vision, dans ma journée, dans ma vie.

    Je m’avance d’un pas rapide vers elle.

    — On dirait un bulldozer, se plaint-elle. Voulez-vous bien me dire ce que vous faites ?

    L’automne dernier, elle avait entendu parler de la possibilité que nous agrandissions nos locaux, mais comme le projet était encore au stade embryonnaire, nous n’avions pas élaboré avec elle. Ni à ce moment-là ni depuis. Elle n’était donc pas informée de l’ampleur des rénovations puisque notre bâtisse, qui passera d’un large bungalow à un cottage, fera de l’ombre, au sens propre comme au sens figuré, à sa maison. Et comme la Ville nous a octroyé le permis, elle n’a rien à dire. Il est temps qu’elle le sache.

    Je la toise quelques secondes durant lesquelles elle maintient mon regard.

    — Nous ajoutons un étage, donc il y aura du bruit pendant quelques semaines, déclaré-je avec conviction.

    Son expression, initialement contrariée, se transforme. La chialeuse est carrément outrée.

    — Vous n’avez pas le droit !

    Je tends la main vers Viviane, sans rien lui dire, en gardant mes yeux plantés dans ceux de Mme Coutu. Le permis d’agrandissement se retrouve rapidement dans ma paume. Je montre le carton, de la grandeur d’une demi-feuille, à la vieille dame.

    — On ne m’a pas consultée ! s’offusque-t-elle.

    — Au risque de vous surprendre, l’application des lois peut se faire sans votre accord.

    — Vous ne comprenez pas ! Vous serez un monstre à côté de moi ! Ça ne s’arrêtera pas là.

    — Pour cet après-midi, ça s’arrête là. Pour nous, du moins ! lance l’entrepreneur qui descend les marches de façon aussi gracieuse qu’un éléphant.

    Cette situation démontre clairement le désavantage des aires ouvertes, pensé-je. Tout se voit, tout s’entend.

    — C’est vous qui faites ce train d’enfer ? accuse la vieille femme aigrie en regardant le contracteur indifférent.

    — T’es qui, toé ? La grand-mère ? Parce que j’ai eu droit aux plaintes du frère et de la sœur tantôt.

    — Je suis la voisine !

    — C’est vraiment une affaire familiale, votre p’tite shop !

    — Ce n’est pas notre grand-mère et c’est une firme d’architecte ici, clarifie Antoine d’un ton découragé, les écouteurs toujours insérés dans les oreilles.

    — Bonne idée, les écouteurs ! approuve l’entrepreneur. C’est efficace contre le bruit ?

    — Visiblement pas puisque je prends part à votre conversation !

    L’homme ventru sourit devant ce fait indéniable.

    — On quitte par le côté, ordonne-t-il à ses gars qui descendent tout aussi bruyamment l’escalier.

    — Je vais aller me plaindre à la Ville, renchérit Mme Coutu.

    — À cette heure-ci, un vendredi, ils sont sur le point de fermer, vous seriez mieux de courir ! conseille l’entrepreneur.

    J’ouvre la porte d’entrée et je fais signe à notre voisine de sortir.

    — Vos travaux vont s’arrêter. Vous allez voir ! menace-t-elle.

    — Bonne chance et bonne fin de semaine !

    — Si vous croyez m’intimider avec votre argent, vous vous trompez royalement ! J’ai un fonds de pension, je vais l’utiliser !

    — Ça serait une bonne idée ! Payez-vous une semaine ou, encore mieux, un mois dans le Sud, vous éviterez le plus gros des travaux ! proposé-je.

    — Pfft ! fait-elle en levant la tête d’un air hautain.

    Je donne un élan à la porte pour qu’elle se referme derrière la vieille dame. Ce geste est plus libérateur que je le croyais. J’ouvre la porte de nouveau et la referme de la même façon. Puis je m’offre le plaisir de le faire une troisième fois. Lorsque je me retourne, les yeux de mes cinq collègues sont fixés sur moi.

    — Ta santé mentale se porte bien ? demande Théo.

    — Elle n’a jamais été mieux ! D’autres problèmes à régler cet après-midi ?

    — À part terminer le plan le plus complexe et le plus important de ta vie dans deux semaines ? Aucun, lâche Stella d’un ton sarcastique.

    — Ah oui, c’est vrai, je l’avais presque oublié dans les dernières minutes ! répliqué-je sur le même ton.

    En prenant place à mon bureau, l’endroit où j’ai l’impression d’avoir passé la quasi-totalité des dix dernières semaines, je passe en revue le travail accompli sur ce plan inhabituel. M. Chatigny, l’homme que j’ai rencontré il y a plus de deux mois, avait raison de dire que je voudrais me lancer dans ce projet. Les mesures de sécurité mises en place lors de notre entrevue avaient déjà gagné ma curiosité, mais la lecture du programme, que j’ai faite dès que je me suis assise dans mon automobile après ce bref entretien, m’avait carrément emballée. Je ne pouvais pas passer à côté de l’occasion de contribuer à la conception du bâtiment le plus sécuritaire à voir le jour au pays, malgré certaines conditions d’engagement que j’avais dû signer et qui m’avaient fait sourciller.

    Personnellement.

    Mais cet agacement était grandement compensé par le fait que je pouvais élaborer mon plan en utilisant des matériaux et des techniques que je voyais dans des congrès sans avoir la possibilité de les intégrer dans des projets de par leurs coûts exorbitants. Le budget prévisionnel octroyé pour ce bâtiment m’a permis de m’amuser à créer une structure unique dont l’intérieur est énigmatique, et par conséquent quasi impénétrable.

    Lorsque j’étais revenue chez Vertical ce jour-là, j’avais convoqué une réunion d’urgence entre associés pour réorganiser la gestion des dossiers. Je savais que je devrais me consacrer à temps plein, autant dans ma vie professionnelle que personnelle, à ce projet si je voulais que notre bureau ait la chance de le décrocher. Et comme nous avions déjà d’autres contrats en cours et en attente, mon père et mon frère ne pouvaient pas s’allier à moi. Je n’avais pas pu leur faire part des détails du projet en raison de son caractère hautement confidentiel, mais je les avais avisés qu’il s’agissait d’une structure nécessaire à la Défense nationale, que nous étions trois à concourir pour rafler ce contrat et que j’y travaillerais strictement sur le portable. J’avais omis, entre autres, de les informer de la cinquième condition qui les toucherait indirectement. Mais qui me visait directement.

    Mon frère s’était approprié le projet de centre commercial en plus de poursuivre ses dossiers, tandis que mon père prenait en charge le plan de la future gare. J’avais tout de même conservé le projet domiciliaire Boisé champêtre sur lequel je travaillais depuis l’automne, car j’étais attachée aux clients.

    En ce moment, nous sommes tous débordés et nous devons boucler les contrats sur lesquels nous avons investi temps et argent pour pouvoir en retirer des profits intéressants. C’est tout ce qui m’importe. L’ajout du deuxième étage était nécessaire pour faire croître la compagnie, mais il gruge sérieusement une partie de nos actifs.

    J’ouvre ma session sur le portable que m’a offert M. Chatigny. Afin que ce plan confidentiel ne se retrouve pas sur notre serveur, et être ainsi accessible à toute l’équipe, la première des cinq conditions – que je connais maintenant toutes par cœur – stipulait que j’étais dans l’obligation de travailler seulement sur cet ordinateur, en plus de faire une sauvegarde indépendante chaque jour sur la clé USB en forme de cartouche qui m’avait été donnée.

    1-  Le portable offert par le représentant du comité est le seul à être utilisé, et la clé USB sert de back-up. Lorsqu’ils ne sont pas utilisés, ces deux dispositifs doivent être gardés dans un coffre-fort, à l’endroit même où dort l’architecte en chef.

    La seule autre personne qui détient le code d’accès du projet est Stella. Sa participation avait été approuvée par le comité de sélection. Et même si j’ai eu à demander quelques dessins techniques à Théo, qui est conscient du caractère secret du dossier, notre technologue n’est pas impliqué directement dans le projet.

    — J’ai eu une idée pendant que tu fraternisais avec les hommes des cavernes en haut.

    Je déplace mon regard vers Stella qui s’appuie sur mon bureau avant de se mettre à dessiner avec son doigt sur l’écran tactile de sa tablette.

    — La prochaine fois, ça me fera plaisir de t’envoyer fraterniser avec eux.

    — Je suis moins diplomate que toi.

    Stella est effectivement intense et directe dans ses propos. Cette jeune femme de vingt-quatre ans aux courts cheveux d’ébène parsemés de mèches roses est rafraîchissante avec ses idées novatrices et son franc-parler.

    — La diplomatie et la patience ne sont pas mes atouts principaux ces temps-ci, admets-je.

    Un fait que je déplore, moi qui suis habituellement la plus positive dans toutes les situations. La fatigue a malheureusement raison de mon optimisme ces dernières semaines.

    Stella avance un croquis à vingt centimètres de mes yeux.

    — C’est supposé être quoi ? demandé-je à voix basse.

    Tout ce qui concerne le Projet Obscur est traité avec discrétion entre elle et moi.

    — C’est un dortoir ! Parce que, comme toi, les gens qui travailleront là n’ont probablement pas de vie extérieure, donc ça serait bien qu’ils soient en forme pour sauver le pays, ajoute-t-elle sur le même ton. D’ailleurs, on devrait penser à ajouter une chambre ici même, au deuxième étage. Ça pourrait t’être utile.

    Ayant compris que son idée est utopique, je réplique d’une voix normale.

    — Merci, mais ma chambre n’est qu’à quelques minutes d’ici.

    — Ah oui ? Ça ne paraît pas. (Elle fait des cercles devant mon visage.) Tu ne dors pas assez et tu ne fais pas suffisamment de yoga. Avoue que ta salutation au soleil te manque !

    — Elle ne sait même pas que le soleil existe encore, pimente mon père. Elle arrive ici avant

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