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Commentaire de la Règle de saint Benoît
Commentaire de la Règle de saint Benoît
Commentaire de la Règle de saint Benoît
Livre électronique1 053 pages18 heures

Commentaire de la Règle de saint Benoît

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À propos de ce livre électronique

Quelques commentaires modernes consacrées à la Règle de saint Benoît dans la Patrologie de Migne, renvoient à un certain moine du IXe siècle nommé Hildemar, dont on sait fort peu de choses, et dont il était difficile de consulter le texte. Aucune traduction dans une langue moderne n’était jusque là disponible. Pour tous les lecteurs du XXIe siècle la surprise est grande de s’apercevoir que ce commentaire garde sa pertinence aujourd’hui, comme la Règle elle-même. Chaque verset de la Règle de saint Benoît est analysé et expliqué ici avec un soin extrême.
LangueFrançais
Date de sortie9 mai 2022
ISBN9782364520998
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    Aperçu du livre

    Commentaire de la Règle de saint Benoît - Hildemar de Corbie

    Commentaire

    de la Règle

    de Saint-Benoît

    HILDEMAR DE CORBIE

    Commentaire

    de la Règle

    de Saint-Benoît

    Traduction française de sœur Michèle-Marie Caillard, osb.
    d’après le texte latin
    édité par le Père Rupert Mittermüller. osb
    Préfacé par
    Dom Jean-Pierre Longeat osb
    abbé émérite de Ligugé

    © Saint-Léger éditions, 2015.

    Tous droits réservés.

    Préface

    Il est un fait aujourd’hui que peu de moines, de moniales ou d’étudiants possèdent la lecture courante du latin. Or, un grand nombre de textes de la tradition chrétienne nous sont parvenus dans cette langue. De ce fait, ils sont difficilement accessibles.

    Parmi ces textes, il y a quelques commentaires de la Règle des moines écrite par saint Benoît. Déjà, les éditions du Cerf ont publié en 2006 une traduction du commentaire du Prologue de cette Règle par Smaragde, Abbé de Saint-Mihiel au début du IXe siècle. C’est sans doute le plus ancien commentaire de la Règle. Mais celui de Hildemar n’en est pas très éloigné dans le temps tout en présentant un caractère fort différent. Il existe d’autres commentaires de la même époque comme celui de Boherius ou beaucoup plus tardifs mais de la même veine comme celui de Bernard du Mont-Cassin. Ce sont là des témoins très autorisés de la manière de comprendre la vie monastique en divers lieux d’Europe à l’époque médiévale.

    Le texte de Hildemar est tout à fait complet ; il aborde tous les chapitres de la Règle. A l’origine, il y a l’enseignement oral de ce moine Hildemar de Corbie envoyé à Civate en Lombardie, dans la perspective de réformer ce monastère. Sa parole fut recueillie par un scribe. A partir de cette première élaboration, trois autres textes ont été rédigés auxquels nous pouvons recourir partiellement aujourd’hui : celui dit de Basile qui est vraisemblablement le plus ancien encore à l’état de manuscrit dont l’un conservé à l’abbaye d’Engelberg en Suisse a fait l’objet d’une thèse soutenue par Dom W. Hafner de ce même monastère ; le texte dit de Hildemar se répandit dans les grands monastères de Farfa ou de Cluny et a été édité par Dom Mittelmüller en 1880 et enfin celui dit de Paul Diacre constitué en Italie du Sud et lui-même édité en 1880.

    Hildemar a donné son commentaire en Lombardie vers 845, Un certain nombre de ses références sur les us et coutumes de « son » monastère font habituellement référence aux pratiques de l’abbaye de Corbie.

    Il faut signaler ici l’intérêt porté à ce texte par 66 chercheurs de tous pays regroupés autour de ce qu’ils ont appelé « The project Hildemar » et que l’on peut consulter sur le site www.hildemar.org. On trouvera sur ce site la version latine de l’édition de Mittelmüller légèrement retouchée, une traduction anglaise, mais aussi les principaux manuscrits de cette expositio de Hildemar. La prochaine étape de ce « projet Hildemar » est d’établir un texte latin critique, ce à quoi les différents participants de ce groupe de recherche sont invités à travailler.

    Le texte français édité ici n’a d’autre visée que de rendre accessible à un public francophone la compréhension de cet ouvrage carolingien. Cette traduction est l’œuvre d’une moniale, latiniste qui a accompli ce travail comme une lectio divina journalière se confrontant au texte et à son interprétation en regard du contexte qui l’a vu naître.

    On trouvera dans ces pages une approche de la Règle bénédictine liée à une époque, celle de l’Empire carolingien sous Charles le Chauve. C’est un temps de réforme de la vie monastique où des moines savants et spirituels étaient envoyés d’un monastère à l’autre pour y apporter un enseignement renouvelé comme ce fut le cas de Hildemar.

    Outre le fait que l’auteur, en bon grammairien, approfondit inlassablement le sens des mots de la Règle, il introduit aussi son lecteur dans les formes institutionnelles de son époque et ouvre largement l’horizon de l’expérience monastique. Les premiers chapitres du traité spirituel donnent accès à la théologie de ce temps : le chapitre sur l’abbé et sur le conseil des frères permettent de mieux comprendre le fonctionnement des instances de gouvernement. La pratique du silence est rigoureuse mais varie quelque peu selon les temps, les lieux et les moments de la journée, de l’année monastique.

    Le traité sur la prière donne accès à une meilleure connaissance de la pratique des Heures selon le rythme solaire et sa mesure.

    Les chapitres concernant la correction des fautes font l’objet de longs développements et présentent en détails la pédagogie mise en oeuvre selon une démarche progressive à sept niveaux d’intervention.

    Il est intéressant de découvrir le mode de fonctionnement des emplois et des principales fonctions comme celle du Prieur, des doyens quel que soit le nombre des membres de la communauté, du cellérier, de l’infirmier et de bien d’autres encore. On apprend aussi de quoi se nourrissent les moines et de quoi ils sont vêtus.

    Les chapitres concernant l’accueil des hôtes sont du plus grand intérêt.

    On peut voir des détails aussi précis que le mode de distribution des livres de Carême, ou les manquements de celui qui est chargé de sonner l’heure du lever ; on constate que les hôtes ne cessent de frapper à la porte du monastère et que le service dont ils bénéficient est assez lourd pour la communauté. On peut voir aussi comment sont reçus les novices et quel est précisément leur parcours de formation et au bout du compte la manière dont ils font profession.

    On ne manque pas d’être surpris par la présence des enfants qui partagent de très près la vie des moines et qui reçoivent de leur part une formation serrée.

    En lisant une telle littérature, on peut être effrayé par la sévérité de certains traitements, mais l’atmosphère générale est vraiment très bonne : Hildemar sait relativiser certaines questions qui font l’objet de préoccupations excessives pour les moines, mais il s’attache à présenter constamment la vie monastique comme un idéal auquel chacun peut s’adonner à la mesure de ce qui lui est possible.

    Il est bien clair que les supérieurs et les formateurs de nos monastères francophones pourront bénéficier d’une telle mine ; les bibliothèques monastiques et universitaires ne manqueront pas d’être intéressées par cet ouvrage et tous ceux qui s’intéressent à la Règle de saint Benoît recourront volontiers à un tel document-source : il se présente à nous comme un véritable stimulant pour une vie toujours à renouveler

    Fr. Jean-Pierre Longeat

    Abbé émérite de Ligugé.

    Avant propos

    On sait bien aujourd’hui, grâce aux travaux de plusieurs chercheurs, et notamment du bénédictin suisse Wolfgang Hafner (1922-1986), que l’enseignement oral du moine Hildemar est parvenu jusqu’à nous grâce à trois recensions :

    La recension appelée d’Hildemar, qui a été éditée en 1880, par Dom Rupert Mittermüller, moine bénédictin de l’Abbaye de Metten, en Bavière.

    La recension appelée de Paul diacre ou Warnefrid.

    Celle du moine Basile, qui, d’après les travaux d’Hafner, serait la plus ancienne et la plus proche d’un original écrit.

    Dès le 17e siècle, certains auteurs affirmaient que l’attribution de ce Commentaire de la Règle de saint Benoît à Paul diacre était erronée, et qu’il fallait en rendre la paternité à Hildemar.

    L’hypothèse, peu à peu formulée, selon laquelle, l’enseignement oral donné par Hildemar, avait été pris en notes par des scribes, ou « notaires », est devenue une certitude. Cependant chacune des recensions est sans doute le fruit d’un travail commun de plusieurs secrétaires, à partir d’un premier document écrit, les notes prises par les auditeurs d’Hildemar. Peut-être lui-même a-t-il donné la touche finale à l’une d’elles, mais ce n’est que pure conjecture.

    La présente traduction s’appuie sur le texte édité par Dom Mittermüller, plus complet que celui dit « de Paul diacre. » Le texte du moine Basile n’étant pas encore actuellement directement disponible.

    Qui était Hildemar ?

    Le nom d’Hildamarus figure, à l’abbaye de Reichenau, sur une liste des moines de l’abbaye de Corbie. Les spécialistes estiment que « Magister Hildemar » est bien ce moine de Corbie et l’auteur du Commentaire.

    L’archevêque de Milan Angelbert II avait fait appel à deux moines Leudgar et Hildemar pour réformer les monastères de son diocèse. Puis un suffragant de l’Archevêque de Milan, Rampert, évêque de Brescia, en 841, demanda l’aide de ces moines pour une nouvelle fondation, le monastère des saints Faustin et Jovite, à Brescia même. Et les noms des deux moines se rencontrent également dans le « Liber vitae » du monastère de moniales Saint-Sauveur et Sainte Julie de Brescia.

    Dans les quelques années qui suivent, c’est au monastère de Civate qui est en train de vivre une profonde réforme, qu’Hildemar est invité à donner un enseignement. Ce qu’il fit, sans doute jusqu’à sa mort, vers 850, le commentaire de la Règle de saint Benoît serait donc le reflet de cet enseignement.

    L’intérêt de ce Commentaire

    Il se situe sur plusieurs registres.

    Hildemar donne d’abord une explication, presque mot à mot, du texte de saint Benoît, et parfois le commentaire « spirituel » semble disparaître sous les très nombreuses explications de mots.

    Cependant la dimension spirituelle est également présente, et l’on sent la grande expérience monastique de l’auteur. Était-il l’abbé de son monastère ? La manière dont ici ou là il signale « dans mon monastère, c’est ainsi que je fais », pourrait le donner à penser, mais là encore, pure conjecture. Cette dimension spirituelle apparaît en particulier dans les savoureux petits dialogues qu’Hildemar imagine entre l’abbé et un moine par exemple et qui donnent un caractère à la fois profond et vivant à son propos.

    L’intérêt historique de ce texte n’est pas moins grand, bien au contraire : on a là un témoin de l’évolution de la vie monastique bénédictine à l’époque carolingienne, et au moment où est en train de se mettre en place la réforme de Benoît d’Aniane. Et bien des pages d’Hildemar donnent le sentiment qu’on est en présence d’un coutumier très détaillé, et fort intéressant à treize siècles de distance, avec des étrangetés qui peuvent étonner, et des usages qui relèvent plus de l’époque féodale que de ce qu’a voulu saint Benoît. Plus précisément, certaines des descriptions et des analyses d’Hildemar renvoient probablement à l’abbaye de Corbie, connue par d’autres documents, et d’où lui-même, semble-t-il, venait.

    Deux points particuliers retiennent profondément l’attention d’Hildemar : d’abord l’importance et le nombre des enfants présents au monastère, et donc la formation très complète qui doit leur être donnée.

    Le choix des moines qui seront proposés pour l’ordination diaconale et surtout sacerdotale. Ce second point n’étant pas sans relation avec le premier, puisque Hildemar semble bien convaincu que ceux qui ont été longuement formés au monastère, depuis leur enfance, devraient normalement être conduits vers le sacerdoce, avec plus de confiance que d’autres.

    Peut-être Hildemar a-t-il eu l’occasion, comme son prédécesseur Smaragde, d’enseigner la « grammaire », d’être « grammaticus », c’est-à-dire à la fois d’enseigner tout ce que comporte l’art de lire et d’écrire, et aussi la littérature profane : on pourrait le penser à la lecture de bien des pages. Le chapitre sur la « lecture au réfectoire », par exemple, lui donne occasion de manifester son intérêt pour les écrits des grands « grammairiens » antiques, latins surtout, et de témoigner de son propre savoir en la matière. Et si Ursus, évêque nommé de Bénévent, lui a demandé un enseignement sur la manière de lire, c’est sans doute qu’il avait une certaine notoriété en ce domaine. La lettre écrite par Hildemar en réponse à cette demande avait été jointe au Commentaire. Il est sensible aux habitudes littéraires des auteurs bibliques et de ceux qu’il appelle « les saints prédicateurs. »

    Les sources d’Hildemar

    Lui-même dit connaître d’autres Règles monastiques, sans pourtant préciser davantage. Mais surtout, les très nombreuses citations apportées par Hildemar manifestent un intérêt majeur pour Cassien, saint Augustin, Grégoire le Grand, Cassiodore. Et toutes ses explications de vocabulaire s’appuient sur une fréquentation sans doute très assidue de ces deux véritables encyclopédies qu’étaient, à cette époque, et pour longtemps, les œuvres d’Isidore de Séville et de Bède le Vénérable.

    Le texte

    Le texte du Commentaire, de par son origine même, n’a aucun caractère littéraire : la langue latine en est quelque peu rugueuse ; la grammaire souvent malmenée, les répétitions multiples, un abus des conjonctions rendent parfois la compréhension malaisée et la lecture laborieuse. Dom Mittermüller signalait ce qui était de « grandes difficultés pour un lecteur du 19e siècle » : ces difficultés restent les mêmes au 21e siècle. Le choix a été fait ici de rester aussi près que possible du texte latin, y compris dans la présentation du texte même de la Règle utilisé par Hildemar, mais en supprimant et allégeant des tournures qui appartiennent au style parlé. Le « grammaticus » qu’était certainement Hildemar ne saurait nous en tenir rigueur.

    Sœur Michèle-Marie Caillard.

    Moniale de l’abbaye Notre Dame de Protection.

    À Valognes.

    Éléments de bibliographie

    Le texte édité par Dom Rupert Mittermüller, osb :

    Expositio Regulae ab Hildemaro tradita et nunc primum typus mandata 1880. Ratisbonne.

    SS.P.N. Benedicto ejusque beatissimae sorori Scholasticae, ad annum saeculare MDCCCLXXX monachi Mettenenses.

    Wolfgang HAFNER., Paulus Diaconus und der ihm zugeschriebene Kommentar zur Regula S. Benedicti, in : Basilius Steidle, Commentationes in Regulam S. Benedicti, Rom : Orbis Catholicus. Herder 1957 Studia Anselmiana, vol. 42

    Wolfgang HAFNER. Der Basiliuskommentar zur Régula S. Benedicti. Ein Beitrag zur Autorenfrage karolingischer Regelkommentare.

    Munster en Westphalie, Aschendorff, 1959.

    Beiträge zur Geschichte des alten Mönchtums und des Benediktinerordens, fasc. 23.

    Wolfgang HAFNER, Der St. Galler Klosterplan im Lichte von Hildemars Regelkommentar in : Johannes Duft (ed.), Studien zum St. Galler Klosterplan, St. Gallen 1962.

    Dom Jean LECLERCQ : Article dans : Bibliothèque de l’école des chartes, Année 1960, Volume 118, Numéro 1. p.  209-211

    Prologue

    Commentaire de la Règle

    de Saint Benoît

    Commencement du Livre de la Règle de saint Benoît. Commencement du prologue, ou son exhortation.

    Il y a trois disciplines ecclésiastiques ¹ : la première, la physique, traite de la nature, la seconde, l’éthique, des mœurs, la troisième, la logique, du raisonnement. Le grec physique se dit en latin nature. "Éthique" dérive de ethin. Le grec ethin se dit en latin "mores", les mœurs. Logique vient de "logos et le grec logos devient en latin ratio", la raison. De ces trois disciplines ecclésiastiques, Salomon, le plus sage de tous les rois, avait déjà fait trois livres : le premier s’intitule les Proverbes, le second l’Ecclésiaste, le troisième, le Cantique des Cantiques.

    Le premier convient aux enfants (parvuli) car souvent il s’adresse à eux, comme si c’étaient ses propres enfants, en usant de ces termes : « Écoute mon fils » ². Dans ce livre sont mentionnées fréquemment ces mauvaises choses que sont idolâtries, hérésies… Le second livre convient bien à de plus âgés qui sont invités à mépriser les vanités du monde. D’ailleurs, au sujet de cette vanité, ce livre commence ainsi : « Vanité des vanités, dit l’Ecclésiaste, tout est vanité » ³. Le troisième livre convient aux parfaits ; il n’y est question ni d’adversités ni de chagrins mais de joies.

    C’est l’ordre même de Salomon que retient le bienheureux Benoît, lui qui n’ignore pas les disciplines ecclésiastiques :

    v.1 « Écoute, ô fils, les préceptes du maître » . Tel Salomon, qui, dans son premier livre, s’adresse à des enfants, comme à des fils.

    Certains livres portent ausculta, d’autres obsculta. Rien n’empêche qu’on dise ausculta avec au ou obsculta avec ob ; auscultare, c’est prêter l’oreille, c’est-à-dire ouvrir l’oreille, obscultare, c’est entendre ensemble, ob étant mis ici pour simul, en même temps.

    Pour quelle raison saint Benoît en disant "fils" le fait-il précéder de o alors qu’il lui eût suffi de dire : « fils », ce seul nom fils étant interprété comme un appel ? Il faut savoir que souvent de nombreux mots, dans un sens hyperbolique, c’est-à-dire une acception plus forte, reçoivent certaines syllabes supplémentaires ; par exemple praedives, praepotens, excelsus : prae et ex étant pris au sens de valde, « extrêmement », très riche [valde dives], très puissant [valde potens], très élevé [valde celsus]. Ainsi saint Benoît amplifie son appel et le fait comprendre en disant fili précédé de ô. Ainsi ô fili est un double appel comme s’il disait : fils ! fils !

    On peut être dit fils de plusieurs manières : selon la nature, par l’adoption, par l’imitation, l’enseignement, par l’appartenance à un peuple.

    Par la nature et par l’adoption, c’est connu de tous.

    Par l’imitation : on est dit fils de celui dont on imite les actes. Ainsi le Seigneur dit aux Juifs dans l’Évangile : « Vous, vous êtes du diable, votre père, et ce sont les œuvres de votre père que vous voulez accomplir » ⁵.

    Par l’enseignement : sont dits fils, ceux qui sont sous l’autorité d’un Maître ; ainsi l’Apôtre dit : « C’est moi qui vous ai engendrés par l’Évangile » ⁶.

    Par l’appartenance à un peuple, comme le fut, au peuple d’Abraham, ce riche placé en enfer : Abraham l’appela ainsi son fils : « Mon fils, rappelle-toi que tu as reçu des biens durant ta vie et Lazare, pareillement des maux » ⁷ De manière semblable le riche appela Abraham père, en disant : « Père Abraham, etc… » Et quelles que soient les nombreuses manières dont on est dit fils, il y a toujours là un père : même si ce n’est pas explicite, c’est sous-entendu, car il ne peut y avoir de fils sans un père. Quand, à cet endroit, saint Benoît dit : « fils », il montre qu’il a pour toi l’affection d’un père et le savoir d’un Maître. Sa prière, par laquelle il t’appelle « fils » manifeste vers quoi il t’achemine : il montre qu’il te conduit vers l’affection d’un père et l’accueil de l’enseignement d’un maître.

    On appelle « préceptes », ce dont on tire un profit ; ceux qui les observent doivent en tirer profit. On appelle « Maître » – un peu comme on dit « celui qui commande ⁸ », celui qui est le plus savant ; de même est appelé « disciple » celui qui apprend. Pourquoi saint Benoît dit-il : « incline », alors qu’il aurait pu dire : « ouvre » ? Beaucoup ouvrent leurs oreilles mais ne les inclinent pas, ils ne les abaissent pas. En effet il dit "incline" comme il aurait dit : « abaisse. » Car si les orgueilleux n’avaient pas les oreilles, ni les autres sens, pleins de suffisance, l’Écriture n’aurait nullement dit « rends-les durs d’oreilles et abaisse les yeux des orgueilleux. » ⁹ Car les orgueilleux se dressent toujours dans leur suffisance arrogante. Toutefois, on ne les dit pas orgueilleux parce que leur physique est altier. Parce que les agissements de leur corps sont pleins de superbe, alors on dit que leur allure est altière. Même si d’autres parties du corps sont dites arrogantes dans leurs comportements, c’est cependant surtout dans les yeux que se reconnaît l’orgueil. Telle est donc la signification ; quand il dit « incline les oreilles », cela veut dire : abaisse les oreilles pour apprendre l’humilité ; en effet « incliner » c’est descendre de ce qui est le plus élevé, vers ce qui est le plus bas ¹⁰. Voyons également pourquoi disant : « les oreilles » il ajoute « du cœur », alors qu’il aurait suffi de dire « les oreilles » sans préciser « du cœur. » Parce que là où l’Écriture Sainte dit « les oreilles », il s’agit des oreilles du cœur. Ainsi le Seigneur dans l’Évangile dit : « Celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende » ¹¹. Là, le Seigneur ne parle pas des oreilles du corps, car tous ceux qui étaient présents avaient les oreilles du corps, et nul ne serait venu là pour l’entendre, s’il n’en avait eu ; mais le Seigneur, qui a la science de Dieu, en a vu beaucoup qui n’ont pas les oreilles du cœur, c’est pourquoi il s’est exclamé : « Celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende ! » Comme s’il disait : « Je m’adresse à ceux qui entendent avec leur cœur. » Les oreilles de l’homme extérieur ne perçoivent que le son mais ne discernent pas le sens ; notre homme extérieur est commun avec les animaux ; mais notre homme intérieur est commun avec les anges, car il est créé à l’image de Dieu. Saint Benoît, parce qu’il s’adressait à des hommes humbles et simples, et pour qu’il n’y ait pas de difficulté à comprendre de quelles oreilles il parlait, ajouta donc « du cœur. » Oreilles – aures-, selon le sens donné par les anciens sages, est proche de « audes » (que tu entendes) puisqu’elles entendent. Mais selon le sens des modernes, les oreilles sont ainsi appelées, à cause de ouïr, elles permettent de ouïr.

    On peut encore chercher pourquoi saint Benoît dit « de ton cœur » alors que « du cœur », aurait été suffisant. Il ajoute ton pour insister sur le mot cœur c’est-à-dire l’importance de l’intention du cœur. Cette intention dont parle notre Père Benoît en disant ton cœur, est la même dont Dieu a parlé au prophète Ezéchiel en disant : « de tes yeux. » Il dit en effet : « Fils d’homme, regarde de tes yeux, écoute de tes oreilles et applique bien ton cœur à tout ce que je te montrerai, car c’est pour que cela te soit montré que tu as été amené ici. » ¹² Et de belle manière le Seigneur précise « tes », car il demandait les yeux et les oreilles du cœur, comme s’il voulait dire : puisque ce qui t’est montré ne peut être vu par les yeux du corps, ni entendu par les oreilles, c’est pour cette raison que je te le dis à toi – « tes »-, pour que ton regard soit celui d’un prophète et que tu écoutes avec les oreilles de ton intelligence. C’est ainsi que saint Benoît a ajouté « ton », comme pour dire : – puisque ce dont je cherche à t’avertir, mon fils, tu ne peux l’entendre avec les oreilles de ton corps, je te le dis « à toi », pour que tu écoutes attentivement avec les oreilles de ton cœur.

    v.1 « … Reçois volontiers l’exhortation d’un si tendre père et mets-la en pratique. » Voici la différence entre exhortation et enseignement ; l’enseignement montre ce qui doit être fait ou ce qui ne doit pas l’être, l’exhortation est une invitation à faire ou ne pas faire ce qui a été dit.

    Pourquoi a-t-il mis « tendre » devant « père » alors qu’il aurait pu dire seulement « père » ? S’il ajoute « tendre » c’est à cause de l’intensité de l’affection paternelle ; pour montrer que lui-même éprouve un immense amour de père, ou bien s’il dit « tendre » ce peut être pour le distinguer de ceux qui sont des pères cruels ¹³, comme le sont le diable et tous les méchants qui sont ses membres. De celui qui est la tête des méchants, le diable, le Seigneur dit dans l’Évangile ¹⁴ : « Vous, vous êtes de votre père, le diable » ¹⁵ etc… Le diable semble sur le moment te promettre caresses et douceurs, son intention est de tromper et de perdre : oui, il est bien nommé cruel ; en effet si maintenant il persuade de sa douceur, il sera notre accusateur devant Dieu. Il y a encore beaucoup de pères selon la chair qui sont cruels : ceux qui poussent leurs propres fils au vol, à l’emportement ou à toutes les autres mauvaises actions, en raison même de leur affection, pour que leurs fils s’enrichissent ainsi ; d’autres encore ne les poussant pas à faire le mal, et cependant ne leur enseignant pas à faire le bien, ou ne permettant pas que leur soit enseigné ce qui est bien, se révèlent cruels. Pourquoi d’ailleurs s’étonner si le diable et beaucoup de pères selon la chair, comme nous l’avons dit, sont cruels alors même que quelques docteurs et responsables de la sainte Église se révèlent cruels ? En effet quiconque occupe une fonction de gouvernement sacré dans l’Église, s’il aime ou apprécie les biens terrestres plus que les célestes, est un homme cruel.

    À cet endroit, où il dit « père », tu peux comprendre notre Père saint Benoît lui-même, ou un autre maître établi à sa place, ou encore le Seigneur en personne : rien n’empêche de le comprendre ainsi. Et tel est le sens de : « Reçois volontiers l’exhortation d’un si tendre père » : si par hasard tu as suivi un père cruel, je t’exhorte et t’engage à laisser celui-là qui est cruel et à suivre celui-ci qui est tendre.

    Il faut aussi voir ceci : pour quelle raison, alors qu’il dit « reçois » ajoute-t-il encore : « volontiers » et pas seulement « reçois » ? S’il ajoute « volontiers », c’est pour ton grand empressement, c’est-à-dire pour que l’autorité d’un père et d’un maître tu la reçoives avec un immense empressement. Nombreux sont ceux qui semblent recevoir l’autorité d’un père ou d’un maître, mais non pas volontiers, car ils ne la reçoivent pas avec une volonté droite ¹⁶. Volontiers signifie spontanément ou volontairement ; volontiers veut encore dire : presque avec plaisir. Combien il a voulu que ton respect soit parfait, il l’a montré par ce terme : « reçois. » Qu’est-ce en effet que recevoir ? si ce n’est bien accueillir, accueillir d’une manière favorable ou empressée ?

    Pourquoi, ayant dit « mets-la en pratique », ajoute-t-il « efficacement » alors qu’il pouvait dire seulement : « mets-la en pratique » ? S’il a ajouté « efficacement » c’est pour marquer l’ampleur de ton action, c’est-à-dire sa perfection. Il a voulu montrer que rien ne doit manquer à la perfection de ton action : c’est pourquoi il a dit : « efficacement. » Efficacement signifie à peu près : « qui aura un effet. » Manière de dire : mets-la complètement en pratique. Efficacement, c’est pleinement ou parfaitement. De fait, ils sont nombreux ceux qui accomplissent l’office qu’on leur a commandé, mais pas efficacement, c’est-à-dire ni avec ardeur, ni parfaitement. C’est pourquoi je t’ai dit : d’accomplir efficacement cet ordre pour que tu ne l’accomplisses pas avec tiédeur ou négligence. Il importe de remarquer l’ordre choisi : il enseigne d’abord à recevoir volontiers, et ensuite à mettre en pratique efficacement.

    Maintenant si toi-même ou quelqu’un d’autre, à qui cela est commandé, demandiez : – Pour quel fruit ou pour quelle raison, Père saint Benoît, me commandes-tu d’agir ainsi ? c’est-à-dire de recevoir l’ordre d’un maître ou d’un père, volontiers, et de le mettre en pratique efficacement ? Lui, alors, comme pour justifier la raison pour laquelle il t’a exhorté à agir ainsi, répondrait : – Tu veux savoir, ô fils, pour quel fruit et en quel sens je te commande ceci ? Je t’avertis d’agir ainsi :

    v.2 « pour que, par le labeur de l’obéissance, tu reviennes à celui dont tu t’étais éloigné par la lâcheté de la désobéissance. » Plusieurs fois dans l’Écriture, la personne dont on parle est désignée par un pronom et un office, comme ici par « celui dont… » ; le pronom ici est employé sans antécédent. Le Bienheureux Benoît n’a pas fait mention d’un nom de la personne vers laquelle tu dois revenir. Mais la personne de Dieu est reconnue par tous, c’est pourquoi il a seulement voulu te désigner la personne par ce pronom et par le devoir qu’il impose : « que tu reviennes à celui dont tu t’étais éloigné par la lâcheté de la désobéissance. » Il est connu de tous en effet que c’est par la désobéissance que nous nous sommes éloignés de Dieu.

    Il faut examiner pourquoi il associe le mot « labeur » au bien de l’obéissance, et ne dit pas de façon absolue : l’obéissance. Il sait que l’obéissance ne peut être parfaite sans labeur, c’est pourquoi il associe obéissance et labeur. En effet, Adam notre père, quand il était au Paradis, aurait pu sans labeur montrer à Dieu son obéissance ; nous au contraire, expulsés du Paradis et envoyés dans cet exil, nous ne pouvons sans labeur montrer à Dieu notre obéissance.

    Pourquoi « la lâcheté de la désobéissance » ? Si le bienheureux Benoît dit « par la lâcheté de la désobéissance », c’est parce qu’il a compris que la désobéissance ne pourrait être sans la lâcheté ; ce qu’on appelle lâcheté est comme le fait de s’arrêter ¹⁷. Et celui-là qui cesse d’accomplir ce qui lui a été ordonné, est désobéissant ; notons que saint Benoît en disant : « pour que tu reviennes à celui dont tu t’étais éloigné par la lâcheté de la désobéissance », pointe la désobéissance du premier homme et à travers la sienne, il pointe aussi la nôtre : notre désobéissance est sortie de la désobéissance de celui-là ; s’il n’avait pas désobéi, nous n’aurions aucunement été désobéissants. Nous aussi, à travers la désobéissance de celui-là, tous pareillement, nous nous sommes éloignés de Dieu ; et ensuite plus chacun pèche, plus il s’éloigne de Dieu. Nous nous éloignons de Dieu, les uns très loin, d’autres moins loin : en témoigne la parole du prophète qui s’adresse à Jérusalem : « Tes fils viendront de loin, et tes filles d’à côté » ¹⁸. Par ceux dont il est dit qu’ils viennent de loin on comprend les hommes qui se convertissent de grands et nombreux péchés ; et par ceux dont il est dit qu’ils surgissent d’à côté, on désigne ceux qui n’ont pas à se convertir de nombreux et grands péchés. De manière juste et appropriée, il dit maintenant :

    v.3 « À toi donc s’adresse maintenant ma parole … etc » Après s’être adressé aux enfants comme à des fils, il commande de recevoir l’ordre du maître ou du père, volontiers, et de mettre en pratique efficacement après avoir donné la raison pour laquelle le disciple doit accueillir l’ordre avec tant d’ardeur et le mettre en pratique avec empressement. Il n’eût pas en effet été logique qu’il se mît d’abord à donner un enseignement avant d’avoir dit à celui à qui il s’adressait, comment il devait le recevoir et saisir ce qui lui serait enjoint. Il a usé d’abord d’un terme général, comme s’adressant à un seul parmi beaucoup d’autres, en disant : « écoute mon fils. » Maintenant tu as reconnu être toi-même son auditeur et tu t’es offert à lui pour recevoir son enseignement ; c’est pourquoi c’est à toi spécialement qu’il s’adresse, comme à un seul pris parmi beaucoup : « à toi donc s’adresse maintenant ma parole. » Cet adverbe maintenant désigne le moment présent. À cet endroit cet adverbe maintenant indique qu’à partir de ce moment il commence à enseigner.

    Pourquoi saint Benoît dit-il « ma parole », alors que le Seigneur dit : « ma doctrine n’est pas de moi » ? ¹⁹ Le Seigneur a dit aussi au prophète Ezéchiel : « fils d’homme, je t’ai fait guetteur pour la maison d’Israël. Tu entendras une parole de ma bouche, tu les avertiras de ma part » ²⁰. Et encore dans l’Évangile le Seigneur demande : « pourquoi n’as-tu pas donné mon argent aux banquiers ? » ²¹ Si déjà l’argent appartient au Seigneur, et s’il ressort que l’enseignement des saints n’est pas le leur mais celui du Seigneur, et si leur prédication n’est pas la leur, mais celle du Seigneur, il semble qu’on ait ici une contradiction puisque saint Benoît dit « ma parole. » Pourtant il n’est pas contradictoire que saint Benoît dise « ma parole » : l’enseignement des saints est à la fois le leur et celui du Seigneur : le leur parce qu’ils en ont reçu la charge, celui du Seigneur parce que c’est lui qui leur donne ce ministère. Si tu avais interrogé notre Père Saint Benoît lui-même en disant : – Pourquoi, Père, dis-tu que ta parole est la tienne et non celle du Seigneur ? il t’aurait certainement répondu : – Cette parole est celle du Seigneur et la mienne. Du Seigneur parce qu’il en confie le service, la mienne parce que j’en ai la charge. De même que l’on comprend l’enseignement comme étant du Seigneur et des saints, de même peut-on le dire des vertus. C’est le cas de ces vertus : l’espérance, la foi, la charité, la patience et les autres… elles sont au Seigneur qui les donne, comme nous l’avons dit, elles sont aux Saints qui les accueillent. Qu’il s’agisse de l’enseignement ou des vertus venant de Dieu et des saints, l’apôtre Paul en témoigne en une seule phrase : « J’ai travaillé plus qu’eux tous, mais non pas moi. » ²² Voici que Paul dit avoir lui-même travaillé et n’avoir pas travaillé. Quand il dit : « J’ai travaillé plus qu’eux tous » il dit que lui-même a travaillé, mais par une charge reçue. Quand il dit : « non pas moi », il manifeste que lui-même a travaillé mais par un ministère à lui confié. Elle est grande la différence entre les faux et les vrais prédicateurs : les faux affirment : « c’est mon enseignement » ; les vrais disent pareillement : « c’est mon enseignement » ; chacun a raison. Vrai ce que disent les vrais prédicateurs, et vrai ce que disent les faux : les faux disent vrai en soutenant : « c’est mon enseignement », puisqu’il est de leur invention ; les vrais prédicateurs au contraire disent vrai : c’est mon enseignement, selon la charge que j’ai reçue.

    Quel est le sens de ce terme « renonçant » et qui l’utilise ? « Renonçant » signifie qui rejette, repousse, ou renverse. C’est ce langage dont la Sainte Église se sert quand les fidèles sont introduits dans la communion de l’Église. Si ceux qui ont été ainsi interrogés par les prêtres : – « renonces-tu au diable et à ses œuvres ? », n’avaient pas répondu : – « j’y renonce », et à la question suivante : – « au monde et à son faux prestige », et s’ils n’avaient pas répondu : – « j’y renonce », ils n’auraient pas été introduits dans la Sainte Église. On voit seulement que de même que les fidèles ne sont pas admis dans la sainte Église s’ils ne renoncent pas au diable et à ses œuvres, au monde et à son faux prestige, de même ceux-ci ne seront pas admis à l’apprentissage de la vie monastique, s’ils ne renoncent pas d’abord à leurs volontés propres. En effet de même que le zèle pour l’Église tient surtout dans le renoncement à l’asservissement aux idoles, de même le zèle pour la vie monastique tient dans le renoncement à ses volontés propres.

    Il faut voir ce qu’est la volonté propre. Cette expression invite à s’interroger sur ce qu’est la volonté propre. Si tu demandes : quel est le propre de l’homme ? Le propre de l’homme est de n’avoir rien de bon par lui-même. Car, après que le premier homme, usant mal de son libre arbitre, fût chassé du paradis, il n’eut rien de bon en propre. Nous ne disons pas qu’après avoir été chassé du paradis l’homme n’avait plus rien de bon en lui-même comme si, antérieurement, dans le paradis il avait eu [ce bien en lui-même] ; mais le bien que l’homme avait au paradis il le tenait de Dieu, c’était donc sans effort de sa part. Et maintenant, une fois expulsé du paradis, ce bien donné par Dieu au paradis, et sans effort de sa part, l’homme le met en pratique par son libre arbitre. Malade est le libre arbitre lui-même, c’est pour cela que sans effort il ne peut accomplir le bien ²³.

    De ce que l’homme n’a rien de propre en lui, le Seigneur est témoin dans l’Évangile, lui qui dit : « sans moi, vous ne pouvez rien faire. » ²⁴ Et en cet endroit où il dit « rien », il faut sous-entendre « rien de bon. » Et même, sous ces termes [rien de bon] on ne pourrait exclure ni bonne action, ni bonne pensée, pas même exclure la recherche de bonnes pensées. C’est ainsi que le psalmiste dit : « sa miséricorde me précédera » ²⁵ et l’apôtre Paul dit « [Dieu] qui opère en vous le vouloir. » ²⁶ Ces exemples l’attestent, nous pouvons reconnaître que non seulement les actions ou les pensées bonnes, mais encore la recherche de pensées bonnes ne sont pas de l’homme. Dès lors, si l’homme n’a rien de bon par lui-même, mais seulement le mal, quand Benoît parle de volontés propres, il est nécessaire de comprendre les vices. Comme le diable, sous l’apparence de la bonté, a l’habitude de séduire ²⁷ l’homme, saint Benoît voulant libérer celui qui l’écoute d’un double péril dit :

    v.3 « renonçant à tes propres volontés », cela signifie qu’il doit rejeter non seulement cette volonté ouvertement mal inspirée, mais encore celle-la qui, sous l’apparence de la bonté, le séduit de façon cachée. En un autre sens, la volonté propre se rencontre même dans des choses bonnes, comme le sont les veilles, les prières, le jeûne ; bonnes elles le sont, mais elles deviennent exclusivement nôtres, lorsque nous nous coupons des anciens, les pères spirituels, ou de l’accord des bons frères. Par exemple : pour un cheval, un bœuf ou n’importe quelle autre chose, tout ce que tu ne possèdes pas en commun avec les autres, c’est effectivement un bien propre. Et cependant, si ce bœuf ou ce champ est un bien commun, on le dit nôtre ; s’il n’est pas commun, on dit « mon » bœuf… De même pour la prière, la pauvreté ²⁸, et autres œuvres bonnes, si elles sont faites avec l’accord du père spirituel ou des bons frères, alors elles sont dites nôtres. Mais si c’est selon le seul libre arbitre, c’est-à-dire sans l’accord d’un père spirituel, ou de bons frères, il s’agit de notre [bien] propre ; ces actions, même bonnes, seront examinées pour voir si elles sont vraiment nôtres. Par exemple : si tu veux jeûner trois jours, ou deux jours, ou même pendant tout le Carême et que l’Abbé ou un frère spirituel t’ait dit que ce n’était pas bien, tu dois y renoncer. Ou si assurément tu fais quelque chose qui déplairait à un Abbé spirituel ou aux frères spirituels et que tu saches que cela leur déplairait, tu ne dois pas persister à vouloir toi-même faire ce qui te paraît bien, en déclarant que c’est bien. Si toutefois ceux à qui ton œuvre déplairait sont eux-mêmes bons, s’ils sont mauvais, il ne faut pas les écouter, en effet tu dois toujours agir selon le bien, ce sera un profit pour toi et pour les autres.

    « Le Seigneur Jésus-Christ le vrai roi » : chacun de ces mots est lourd de sens. Dominus vient de domus [la maison]. Comme le maître de maison régit et gouverne tout ce qui est dans la maison, ainsi le Seigneur gouverne et régit tout ce qu’il a créé. Il faut savoir que là où tu entends, ou lis le nom du Fils de Dieu, tu dois te rappeler le mystère de ta rédemption et de celle de tout le genre humain. Car bien que la rédemption du genre humain soit rapportée à l’action et à la miséricorde de la sainte et indivisible Trinité, cependant elle doit être rapportée tout spécialement au Fils ; c’est lui qui a versé son sang pour la rédemption du genre humain et non le Père ni le Saint-Esprit. Parce que le Père n’a pas pris [notre] chair, ni le Saint-Esprit, mais le Fils seul.

    Il faut voir maintenant pourquoi Benoît n’a pas seulement dit le Seigneur mais a ajouté Christ. Il a ajouté Christ, car par ce nom de Christ, qui est la manière d’appeler le Fils, il a voulu rappeler à ta mémoire le mystère de ta rédemption. Plus haut, il avait en effet dit : « celui dont tu t’étais éloigné par la lâcheté de la désobéissance » ; ici il a ajouté le Christ pour qu’il te devienne manifeste que c’est spécialement sa rédemption qui t’a fait revenir à Dieu. Christ est en effet le titre dont on appelle le Fils, et nombreux ont été ceux que l’on a appelés des christs [des messies]. Mais si ce titre a été conféré à des hommes, on ne l’utilise ni pour le Père ni pour le Saint-Esprit, ce nom renvoie à l’incarnation du Fils. Bède dans son traité sur les Actes des apôtres dit que « Christ » vient de « chrême », « chrismé », c’est-à-dire qu’il est celui qui est oint. Selon ce qui est dit : « Dieu, ton Dieu, t’a donné l’onction avec une huile d’allégresse », c’est-à-dire l’Esprit-Saint. Le grec Christ se dit en latin unctus, (oint). Jadis tous les rois étaient appelés des christs [messies] parce qu’ils avaient été oints par les prophètes d’une onction passagère ; le Christ, lui, a été oint non d’une onction passagère, mais spirituelle, c’est-à-dire de la plénitude de l’Esprit-Saint, dont il est dit : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, car il m’a donné l’onction. » ²⁹ À lui encore s’adresse le psalmiste « C’est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a donné, pour l’éternité, l’onction d’huile d’allégresse plutôt qu’à tes compagnons. » ³⁰ Quand sont ainsi mentionnés ses compagnons, comprends ceux de sa nature de chair, car Dieu ne nous tient pas pour des compagnons de sa substance. C’était une onction spirituelle, et en aucune façon celle d’un corps humain, comme il en était pour les prêtres des juifs, c’est pourquoi il est dit « plutôt qu’à tes compagnons », c’est-à-dire qu’on se souvient qu’il a reçu l’onction plutôt que tous les autres saints, dont l’onction s’est achevée au moment où il a été baptisé dans le Jourdain et où l’Esprit Saint, sous la forme d’une colombe, est descendu sur lui et a demeuré en lui. Il a donc été oint d’une huile spirituelle et de la force céleste, afin d’arroser la pauvreté de la condition humaine avec le trésor de la résurrection éternelle, de faire disparaître la captivité de notre esprit et d’illuminer la cécité de nos âmes.

    Pourquoi saint Benoît fait-il précéder « roi » de « vrai » ? Il dit ainsi vrai roi pour le distinguer de ceux qui ne sont pas de vrais rois par nature, les autres n’étant pas de vrais rois par nature. De même le bienheureux apôtre Pierre, quand il a dit au Seigneur, « Tu es le Christ, vivant » ³¹ a ajouté « vivant » pour le distinguer des dieux morts. De la même façon la lumière des saints apôtres n’était pas une vraie lumière par nature ; Pierre était une lampe (lucerna), Jean était cette lumière (lux) dont il est dit : « Jean était une lampe incandescente ³² » : incandescent, Jean l’était par la foi et l’amour ; une lampe, il l’était par la parole et par l’action, mais lui-même a dit qu’il n’était pas la vraie lumière par nature, car un autre était la vraie lumière qui illumine, lui dont il est écrit : « Il était la vraie lumière, qui illumine tout homme venant en ce monde ³³»

    En quoi consiste le « pour combattre » [militaturus] et pourquoi a-t-il dit « pour combattre » et non « pour servir » ou « pour obéir » ? Combattre veut dire lutter ou se battre et notre Père Benoît a voulu te montrer que tu arrives pour un combat ou une épreuve, c’est pourquoi il dit « pour combattre » : combattre, c’est se battre. On peut savoir cela à partir de ce que Salomon a rassemblé en plusieurs expressions : « Mon fils, en t’offrant au service de Dieu, demeure dans la justice et la crainte, et prépare-toi à l’épreuve ³⁴» ; cela, Benoît quant à lui, le fait comprendre par un seul et même mot « pour combattre. » Il a dit plus haut « renonçant à tes volontés propres, » maintenant il ajoute : « pour combattre. » Qu’a-t-il voulu montrer d’autre sinon que tu vas affronter le combat et l’épreuve ? Et que déjà quand tu renonces à tes propres volontés et te soumets à la volonté d’un autre, tu vas comme vers un combat. Il faut remarquer ceci : en disant « pour combattre sous le vrai roi, le Christ », il ne dit pas contre le Christ, c’est pour le Christ que tu vas combattre. Par exemple, quand on dit qu’un soldat « terrestre » combat pour un roi « terrestre », ce n’est pas contre un roi terrestre, mais pour un roi (terrestre) qu’il va combattre.

    Comme il a indiqué que tu allais affronter un combat, il a parlé aussi des « armes de l’obéissance. » Par exemple : quand ces rois de la terre envoient leur soldat au combat, ils lui fournissent des armes. Notre Père Benoît, sachant que tu entames un combat, te conseille d’être armé ; non pas avec les armes d’un autre, mais avec les armes de l’obéissance ; bien qu’il y ait les armes de la chasteté, du jeûne et des autres vertus, cependant il ne t’a rien indiqué d’autre que de te mettre sous les armes de l’obéissance, car le commencement du péché qui éloigne de Dieu, c’est la désobéissance. De même le commencement du retour vers Dieu c’est l’obéissance. Il faut savoir que de même qu’au début de leur abandon du culte des idoles et de leur conversion à Dieu, à ceux qui reçoivent le sacrement du baptême, il est demandé le renoncement aux démons et aux idoles, de même au début de la vie religieuse ³⁵, à ceux qui reçoivent l’enseignement monastique, est demandé le renoncement aux volontés propres, qui est l’obéissance.

    Il faut encore remarquer pourquoi il t’a conseillé de prendre des armes pour cette renonciation à tes volontés propres, et pourquoi il conseille qu’elles soient très puissantes et non simplement puissantes. Lui-même savait que notre ennemi le diable est puissant et armé, le Seigneur l’atteste, qui dit de lui dans l’Évangile : « Lorsqu’un homme fort et bien armé garde sa maison, ses biens sont en sûreté. » ³⁶ Il parle d’armes, pour que tu saches aller en armes à la rencontre de celui qui est armé ; très puissantes, et pas seulement puissantes, car un homme fort ne peut être vaincu que par un plus fort. Et après qu’il ait noté « pour combattre », il a bien fait mention des armes pour que tu saches que le combat est engagé dès que tu es venu pour ce service ³⁷, pour ainsi dire à une bataille. De même qu’il ne convient pas et qu’il serait dangereux que celui qui livre combat le fasse sans armes, de même il serait inconséquent que celui qui s’engage dans cet état monastique, ne prenne pas d’armes, c’est-à-dire les vertus. C’est bien le sens de ceci : « pour le combat prends les armes très puissantes et glorieuses. » C’est-à-dire quand tu as renoncé à toutes choses et t’es attaché à moi pour être de mes disciples, sache que tu es venu pour un combat, et sache aussi prendre les armes de l’obéissance.

    L’Apôtre Paul avait exhorté ses auditeurs ³⁸ à prendre des armes : « Révêtez l’armure de Dieu afin de pouvoir résister au diable » ³⁹. Saint Benoît, de même, exhorte, celui qui l’écoute à prendre les armes de l’obéissance. Il faut saisir que notre ennemi le diable est vaincu par de telles armes, ou bien par celles-là et d’autres différentes. Elles sont semblables par le genre de combat, bien qu’elles paraissent différentes ; il est vaincu par de semblables armes, avons-nous dit, et par d’autres, c’est-à-dire quand l’obéissance combat contre la désobéissance, et voit que la désobéissance lui résiste fortement, alors elle appelle les autres vertus à l’aide, c’est-à-dire l’humilité, les prières et les larmes ; et ainsi ces vertus, qui sont des armes différentes de l’obéissance, la soutenant, l’obéissance sort victorieuse de la désobéissance.

    v.4 : « En premier lieu, quelque bien que tu entreprennes, demande lui par une très instante prière qu’il le mène à bonne fin. »

    Peut-être quelqu’un demande-t-il : – pourquoi Saint Benoît a-t-il dit : « En premier lieu, quelque bien que tu entreprennes, demande lui par une très instante prière qu’il le mène à bonne fin », alors que l’homme ne peut, de lui-même, commencer quelque chose de bon ? Il faut lui répondre, que « en premier lieu » peut être compris de deux façons : la première comme nous le dirons bientôt, ensuite ce mot « commencer » ne peut vouloir dire que l’homme, de lui-même peut commencer, sinon de par Dieu, comme le dit le psalmiste : « ta miséricorde me prévient. » Mais ce commencement du bien est de nous et de Dieu. De nous, par notre accueil ⁴⁰, de Dieu par sa grâce prévenante, comme nous disons : « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour » ; voici que nous disons notre pain et nous demandons qu’il soit donné, comme nous le lisons dans les Morales sur Job ⁴¹. Et encore Paul : « j’ai travaillé plus qu’eux, mais non pas moi ⁴². » Pour montrer que le commencement n’est pas tout entier nôtre Saint Benoît ajoute :

    v.5 « Ainsi, après avoir daigné nous admettre au nombre de ses enfants, il n’aura pas sujet, un jour, de s’affliger de notre mauvaise conduite »

    Il poursuit donc : « En premier lieu, quelque bien que tu entreprennes, demande lui par une très instante prière qu’il le mène à bonne fin. »

    Beaucoup, qui ne savent pas, corrigent le texte de la Règle, là où l’on a « tu prends » (les armes) « assumis ⁴³ » ; ils remplacent par « prends » (assume), mettant un impératif plutôt qu’un indicatif, et ainsi on lit : « prends les armes très fortes et glorieuses de l’obéissance. » Le sens serait : « C’est à toi maintenant que mon discours s’adresse, qui que tu sois, qui, renonçant à tes volontés propres pour combattre sous le vrai roi, le Seigneur Christ : prends les très puissantes et glorieuses armes de l’obéissance. Et je t’avertis d’abord de demander par une très instante prière que soit achevé par Lui tout ce que tu as commencé à faire de bien. » De sorte que, selon cette parole, la prière vienne avant qu’il ne prenne les armes : la construction de la phrase lui dit, en premier, de faire plusieurs choses, et à la fin elle dit : « en premier » fais ceci. De même le Seigneur, dans l’Évangile, dit plusieurs fois : « d’abord », et après il dit : « cherchez d’abord le royaume de Dieu. » Si c’est vraiment un indicatif (assumis), le sens est : « à toi maintenant mon discours s’adresse ; qui que tu sois, tu prends les très puissantes et glorieuses armes de l’obéissance pour combattre sous le Seigneur Christ, le vrai Roi, en, renonçant à tes volontés propres. » Comme s’il disait : toi qui fais cela, c’est-à-dire, qui prends les armes de l’obéissance pour combattre sous le Seigneur Christ le vrai Roi, c’est à toi maintenant que mon discours s’adresse, qui que tu sois, toi qui renonces à tes volontés propres, pour combattre avec les armes très puissantes et glorieuses de l’obéissance : en premier, pour commencer quelque chose de bien, demande lui en une très instante prière de l’achever : ainsi, après avoir daigné nous admettre au nombre de ses enfants, il n’aura pas sujet, un jour, de s’affliger de notre mauvaise conduite, c’est pour cela que d’abord tu pries le Seigneur.

    Qu’il s’agisse d’un impératif ou d’un indicatif, peu importe quant au sens : cette expression « en premier lieu » peut être comprise de deux manières : autrement dit, si tu veux, tu peux te reporter au premier sens ci-dessus, ou, de la même façon, tu peux te reporter au second sens. S’il s’agit du premier sens, il faudrait ainsi comprendre : notre Père Benoît avait déjà dit plus haut d’une manière générale : « Écoute, ô mon fils, les préceptes du maître, et incline l’oreille de ton cœur. Reçois volontiers l’exhortation d’un tendre père, et mets-le en pratique efficacement, afin que par le labeur de l’obéissance tu reviennes à celui dont t’avait éloigné la lâcheté de la désobéissance. » Quelqu’un, après avoir entendu cet appel, a tout laissé, a pris les armes de l’obéissance, s’est séparé des autres et s’est présenté devant lui en disant : – Père Benoît, tout ce que j’ai possédé je l’ai laissé, j’ai pris les armes de l’obéissance, car je t’ai reconnu comme bon, voici que je me tiens devant toi ; maintenant ordonne ce que tu veux. Lui, alors, donnerait à peu près cette réponse : – Désormais, puisque ayant tout laissé et ayant pris les armes de l’obéissance, tu as décidé d’être mon disciple, c’est à toi, maintenant que mon discours s’adresse. Et toi, à nouveau tu l’interroges en disant : – Quel est ce discours, père, que tu m’adresses ? Benoît ensuite, donnerait à peu près cette réponse : – En premier lieu ma parole, qui t’est adressée, mon fils, est celle-ci : avant toute chose, voici mon commandement : « tout ce que tu commences à faire de bien, demande-lui de l’achever, par une très instante prière. » En ce sens, notre père Benoît est en accord avec les Apôtres qui disaient au Seigneur : « Seigneur augmente en nous la foi » ⁴⁴ et avec le Seigneur lui-même qui disait : « Il faut toujours prier et jamais ne se décourager » ⁴⁵, ou encore avec l’Apôtre Paul recommandant : «priez sans cesse » ⁴⁶.

    L’autre signification, si tu veux que ce « en premier » renvoie au second sens, est celle-ci : plus haut saint Benoît a dit de manière générale : « Écoute, ô fils, les préceptes du maître, incline l’oreille de ton cœur, reçois volontiers l’exhortation d’un si tendre père et mets-la en pratique efficacement… etc. »

    Le discours que je t’adresse, fils, est celui-ci : « qu’en premier lieu, quelque bien que tu entreprennes, tu lui demandes par une très instante prière qu’il l’achève. » Cependant il semble y avoir quelque contradiction dans cette phrase, en ce sens qu’il dit : en premier lieu et par une très instante prière. Si l’homme doit prier Dieu en premier lieu, quand il commence quelque bien, de telle façon que cela soit achevé par lui, il apparaît qu’ensuite il ne doive plus prier ; mais nous l’avons dit, cela semble contradictoire : quand il parle d’une très instante prière, c’est une prière à laquelle on ne peut résister ⁴⁷, alors il ne doit pas prier en premier lieu mais toujours. « En premier » est mis à la place de « toujours. » C’est ce que dit le Seigneur : « en premier cherchez le royaume de Dieu et sa justice » ⁴⁸. Dans ce passage « en premier » tient lieu de « toujours. »

    Quel doit être ce commencement, quand il dit : v.5 « pour que Celui qui a déjà daigné nous compter au nombre de ses fils, ne soit pas quelque jour contristé par nos actions mauvaises. » C’est comme s’il disait : il faut prier instamment de sorte que le bien qu’il nous a donné, en nous adoptant et nous plaçant au nombre de ses fils, nous ne le perdions pas par notre négligence, afin que « Celui qui a déjà daigné nous compter au nombre de ses fils, ne soit pas quelque jour contristé par nos actions mauvaises. » Il a exposé la raison de cette très instante prière : qu’il « ne soit pas quelque jour contristé par nos actions mauvaises. » Saint Benoît a voulu ici montrer la bienveillance de Dieu et notre dignité ⁴⁹, c’est pourquoi il dit : « pour que celui qui a daigné nous compter au nombre de ses fils. » Par ces paroles il montre qu’il a des fils et qu’il est un Père. Comment la bienveillance (dignatio) de Dieu et notre dignité (dignitas) sont elles montrées ? La bienveillance de Dieu en ce que Lui qui est tout-puissant, éternel, immortel, descend jusqu’à nous et en s’humiliant se fait notre Père. Notre dignité est dans le fait que nous nous élevons. Comment nous élevons-nous ? Nous qui sommes mortels, éphémères et corruptibles, en nous élevant, nous sommes transformés en fils immortels, incorruptibles, éternels. Le Bienheureux Benoît en disant ainsi que nous sommes des fils, reprend les paroles de l’Évangéliste saint Jean : « à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné le pouvoir de devenir fils de Dieu » ⁵⁰. De la même manière nous avons reçu le droit de dire dans la prière : « Notre Père qui es aux cieux. »

    Pour quelle raison saint Benoît parle-t-il de « contrister Dieu » alors que la nature du Seigneur est simple et immuable, et qu’il ne peut être ni contristé, ni irrité ? Il a parlé de contrister Dieu non pas au sens propre, mais au sens figuré. Benoît connaissait les catégories selon lesquelles les hommes parlent entre eux, et aussi selon lesquelles l’Écriture Sainte parle de Dieu ou parle à Dieu. Il y a dix catégories selon lesquelles les hommes se parlent. Les voici ⁵¹ : la nature ⁵² est la première catégorie, la seconde, la qualité, la troisième, la quantité, la quatrième, l’action, la cinquième, la relation, la sixième, l’avoir ⁵³, la septième la position, la huitième le lieu, la neuvième le temps, le dixième la passion.

    On parle de la nature ou de la substance quand on dit Dieu.

    On parle de sa qualité, quand on dit qu’il est bon, ainsi : « qu’il est bon le Dieu d’Israël » ⁵⁴.

    De sa quantité, quand on dit qu’il est grand, ainsi : Dieu est grand, et extrêmement digne de louange.

    De l’action de Dieu, ainsi : au commencement Dieu fit le ciel et la terre » ⁵⁵, et encore : Dieu a voulu toutes les choses qu’il a faites, au ciel et sur la terre ⁵⁶.

    On parle de Dieu selon la relation, quand on dit : et le Fils et le Saint-Esprit ; car selon les personnes, le propre du Père est qu’il est Père, le propre du Fils qu’il est Fils, et le propre du Saint Esprit qu’il est le Saint Esprit ; c’est-à-dire que la personne du Père n’est pas la personne du Fils ni de l’Esprit Saint ; pareillement la personne du Fils n’est pas celle du Père ni celle de l’Esprit Saint, et encore la personne de l’Esprit Saint n’est ni celle du Père ni celle du Fils. Cependant quand on parle de Fils, c’est par référence au Père, et quand on parle de Père, c’est par référence au Fils : le Père n’a pas de sens sans le Fils, ni le Fils sans le Père : pareillement, parler de l’Esprit-Saint fait référence au Père et au Fils, car il procède de l’un et l’autre. En effet, le propre de Dieu est qu’il est Dieu ; le propre de Dieu est d’être bon et grand, car en lui rien n’arrive par accident ⁵⁷, il est bon et grand en lui-même, car à lui appartiennent l’être, le bien et la grandeur et les perfections. Faire est le propre de Dieu, puisque par lui tout a été fait, comme dit le Seigneur dans l’Évangile : « Mon Père agit jusqu’à présent et moi aussi j’agis ⁵⁸. » Les cinq autres catégories qui restent sont : la première : l’avoir ; la seconde : la position ; la troisième : le lieu ; la quatrième : le temps ; la cinquième : la passion ⁵⁹. De l’avoir de Dieu l’Écriture parle ainsi : « l’abîme est comme un vêtement qui

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