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François-Marc Gagnon et l'art au Québec: Hommage et parcours
François-Marc Gagnon et l'art au Québec: Hommage et parcours
François-Marc Gagnon et l'art au Québec: Hommage et parcours
Livre électronique306 pages3 heures

François-Marc Gagnon et l'art au Québec: Hommage et parcours

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À propos de ce livre électronique

Dans cet ouvrage, des spécialistes reconnus en art canadien rendent hommage à l’historien de l’art François-Marc Gagnon pour la contribution intellectuelle remarquable qu’il a apportée à la discipline, de la mise en valeur de la culture populaire à celle de la modernité urbaine de l’entredeux- guerres, et pour son apport à l’histoire des idées, notamment sur l’émergence de la modernité au Québec.

Faisant un retour sur ses champs de recherche et les questionnements profonds qui l’ont animé durant sa vie, les auteurs et les autrices portent un regard critique sur l’ensemble de son corpus, qui s’étend de l’art ancien de la Nouvelle-France et des représentations autochtones à l’automatisme québécois.

Par ses talents de vulgarisateur et ses méthodes d’analyse innovantes, ce communicateur et professeur hors pair a conquis un large public et marqué plusieurs générations de chercheurs et de chercheuses, ce que la diversité des études réunies ici illustre avec éloquence.

Un supplément bibliographique ainsi que des extraits du dernier texte de François-Marc Gagnon rédigé peu de temps avant son décès en 2019, et laissé inachevé, viennent enrichir et éclairer son parcours exceptionnel.
LangueFrançais
Date de sortie8 sept. 2021
ISBN9782760643680
François-Marc Gagnon et l'art au Québec: Hommage et parcours

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    Aperçu du livre

    François-Marc Gagnon et l'art au Québec - Gilles Lapointe

    François-Marc Gagnon

    et l’art au Québec

    Hommage et parcours

    Sous la direction de

    Gilles Lapointe et Louise Vigneault

    Les Presses de l’Université de Montréal

    En frontispice: Pnina C. Gagnon, Hands of an Arab Drummer in the Colours of the Israeli and PLO Flags, 1995, triptyque, huile sur toile, 215 × 146 cm, collection de l’artiste. Photo: Ariel Verhaftig et Rafi Venezian.

    Cette œuvre a été présentée dans le cadre de l'exposition Peace Makers au Musée de Haïfa, en Israël, en 1995.

    Mise en pages: Yolande Martel

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Titre: François-Marc Gagnon et l’art au Québec: hommages et parcours / [sous la direction de] Gilles Lapointe, Louise Vigneault.

    Noms: Lapointe, Gilles, 1953- éditeur intellectuel. | Vigneault, Louise, 1965- éditrice ­intellectuelle. | Gagnon, François-Marc, 1935-2019, agent honoré.

    Collections: Collection «Art+.»

    Description: Mention de collection: Art+ | Comprend des références bibliographiques.

    Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20200096451 | Canadiana (livre numérique) 2020009646X | ISBN 9782760643666 | ISBN 9782760643673 (PDF) | ISBN 9782760643680 (EPUB)

    Vedettes-matière: RVM: Gagnon, François-Marc, 1935-2019. | RVM: Historiens d’art—Québec (Province)—Biographies. | RVM: Critiques d’art—Québec (Province)—Biographies. | RVM: Critique d’art—Québec (Province)—Histoire—20e siècle. | RVM: Critique d’art—Québec (Province)—Histoire—21e siècle. | RVM: Art québécois—Histoire. | RVMGF: Mélanges (Recueils)

    Classification: LCC N7483.G34 F73 2021 | CDD 709.2—dc23

    Dépôt légal: 2e trimestre 2021

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    © Les Presses de l’Université de Montréal, 2021

    www.pum.umontreal.ca

    Cet ouvrage a été publié grâce à une subvention de la Fédération des sciences humaines de concert avec le Prix d’auteurs pour l’édition savante, dont les fonds proviennent du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

    Les Presses de l’Université de Montréal remercient de son soutien financier la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).

    Avant-propos

    Ce livre est dédié à la mémoire de notre très regretté professeur et ami, François-Marc Gagnon, décédé à Montréal le 28 mars 2019, et s’inscrit dans le prolongement des travaux qui lui sont consacrés depuis vingt ans déjà. Si les gouvernements canadien et québécois, ainsi que diverses institutions, lui ont décerné au cours de sa fructueuse carrière plusieurs prix prestigieux, la reconnaissance la plus significative est d’abord venue de ses pairs, qui ont rapidement tenu à souligner l’importance de sa contribution essentielle à l’essor de sa discipline, l’histoire de l’art.

    Rappelons d’abord que fut présenté en 2000 devant un public nombreux au Musée d’art contemporain de Montréal un colloque intitulé humoristiquement «François-Marc Gagnon, professeur épormyable», organisé par les professeures Lise Lamarche et Johanne Lamoureux de l’Université de Montréal1. Formé en théologie et devenu ensuite spécialiste de l’art québécois et canadien, ce pédagogue hors norme, qui avait été invité par cette même institution en 1966 comme simple chargé de cours, y prenait alors sa retraite, avec le titre fort enviable de professeur émérite. Puis, en 2011, deux numéros du Journal of Canadian Art History / Annales d’histoire de l’art canadien lui ont été consacrés2. L’objectif visé par la revue allait pour ainsi dire de soi: célébrer la carrière d’un éminent historien de l’art d’ici, un homme exceptionnel qui dans son milieu avait fait figure de pionnier et de mentor. Comme cela avait été le cas une décennie plus tôt, ces «Festschrift/Mélanges» étaient publiés au moment où il quittait, au terme d’un double mandat prolifique, ses fonctions de directeur fondateur et titulaire de la chaire en art canadien de l’Institut de recherche Gail et Stephen A. Jarislowsky.

    Pour la professeure de l’Université Concordia Sandra Paikowsky, cofondatrice du Journal of Canadian Art History / Annales d’histoire de l’art canadien, cette double livraison de la revue constituait un geste à la portée symbolique bien tangible, car semblable honneur n’avait jamais encore été rendu à un historien de l’art dont le champ d’études était l’art canadien. L’année suivante, à l’occasion de la parution du second numéro des «Festschrift/Mélanges», la professeure Martha Langford allait plus loin dans la voie tracée par sa collègue; rappelant que ces études émanaient d’une communauté de chercheurs qui admiraient François-Marc Gagnon, elle s’interrogeait sur la façon de rendre compte de manière adéquate de la carrière si prolifique de ce professeur exceptionnel. Était-il possible, pour une revue savante comme celle qu’elle dirigeait, de maintenir un juste équilibre entre louange et étude critique, et de célébrer l’érudition d’un chercheur émérite? Mettant cette fois l’accent sur la dimension «réflexive» de cette célébration, elle insistait sur le fait que l’hommage qui lui était rendu était également porteur de connaissances nouvelles et, se référant à la notion de «fermeté affectueuse», elle rappelait l’importance des liens qui unissent l’esprit de collégialité au travail de la pensée, une approche si caractéristique de la démarche intellectuelle rigoureuse et généreuse que suivait Gagnon.

    En 2018, c’était au tour du Musée de l’imprimerie du Québec, à Montréal, de saluer la riche contribution du distingué professeur en accueillant entre ses murs un colloque intitulé «Autour de l’œuvre de François-Marc Gagnon3». Sous l’égide de l’Association québécoise pour l’étude de l’imprimé, cette journée d’étude se déroulait en présence du chercheur lui-même et se présentait comme un lieu de réflexion et d’échange ouvert. Cette fois encore fut mis en évidence par les intervenants le rôle déterminant qu’a joué ce conférencier recherché et ­professeur expert dans l’histoire de l’art au Québec.

    Si lors du colloque de l’année 2000 au Musée d’art contemporain et dans les «Festschrift/Mélanges» du Journal of Canadian Art History / Annales d’histoire de l’art canadien, la multiplicité des sujets abordés par les auteurs se voulait à l’image du rayonnement de Gagnon et de son apport diversifié à l’histoire de l’art canadien et québécois, en 2018, l’ensemble des conférenciers choisirent cette fois de centrer leur propos plus directement sur l’homme lui-même et sur les questionnements profonds qui l’ont habité. Cette attention particulière portée à l’historien de l’art et à son œuvre était attisée par le récit ouvertement «autobiographique4» qu’il avait fait paraître dans les Annales, ainsi que par la parution d’une bibliographie exhaustive couvrant cinquante ans d’activités de recherche. Établissant l’ampleur des travaux du professeur, et livrant des informations essentielles sur sa formation intellectuelle, ces documents fournissaient aux chercheurs de nouveaux outils, les invitant à poursuivre et à étendre encore davantage leur enquête. Au vu des résultats probants de cette journée d’étude et touchés par la richesse des témoignages rendus ce jour-là au chercheur, nous avons rapidement décidé d’en colliger les actes dans le but de consacrer un livre entier à son héritage. Afin de lui rendre justice et de présenter au lecteur une information plus complète, d’autres collaborateurs ont été invités par la suite à participer à la monographie que nous offrons aujourd’hui.

    Jérôme Delgado livre en premier lieu un extrait inédit du projet de biographie entrepris avec Gagnon. Son texte jette un éclairage neuf sur l’enfance, le milieu familial, ainsi que les années de formation de l’intellectuel. Le récit, narré par Gagnon lui-même, est d’autant plus vif qu’on y reconnaît, à travers ses expressions et son idiome singulier, le langage caractéristique de l’historien d’art. On y apprend son voyage initiatique au Mexique, ses études au collège Stanislas de 1945 à 1953, son passage d’un an à l’Institut d’études médiévales, puis son entrée chez les Dominicains, au séminaire de Saint-Hyacinthe: le jeune professeur y relate ses premières expériences d’enseignement à l’École des beaux-arts de Montréal, une période de sa vie rarement, sinon jamais commentée jusqu’ici.

    Les textes des collaborateurs et collaboratrices se partagent en deux parties: le premier groupe rend hommage aux recherches que Gagnon a consacrées à l’art ancien de la Nouvelle-France au xixe siècle, ainsi qu’à ses études de la représentation des Premiers Peuples, tandis que le second aborde ses travaux consacrés à l’art du Québec et aux automatistes. Cette œuvre collective, qui englobe différentes générations, témoigne d’emblée de la pérennité et de la vigueur de son influence, de sa capacité à communiquer infatigablement son enthousiasme et à marquer intensément les esprits.

    En plein cœur du processus d’édition, à l’hiver 2019, François-Marc Gagnon nous quittait cependant, après une lutte ultime contre la maladie. Jusqu’au dernier moment, il a tenu à mener à bien ses engagements dans divers projets. Parmi eux figurait la rédaction de la postface destinée au présent ouvrage, laquelle est restée inachevée. Devant le document, nous nous sommes interrogés sur la manière dont nous pouvions l’inclure en contournant l’impression d’incomplétude. Comment intégrer ce dernier legs? Après réflexion, nous avons convenu de fragmenter le texte en deux, en guise d’introduction à chacune des parties du livre. Il nous a semblé que ses mots, ainsi distribués, entraient alors en dialogue avec les hommages, faisaient mieux sentir sa présence tout au long de la lecture.

    Entamant la première partie, Pierre-Olivier Ouellet livre un hommage émouvant au professeur qu’il a d’abord découvert par ses cours télévisés, pour ensuite trouver en lui un mentor aussi inspirant qu’accessible. Il interroge ensuite les circonstances qui ont éveillé et stimulé l’intérêt du chercheur pour les arts de la Nouvelle-France, dès l’aube de sa fructueuse carrière, de même que les méthodes d’enquête historique qui ont orienté son travail et contribué à redéfinir l’histoire de l’art au Québec. Ouellet explique aussi qu’en explorant des documents tels que les cartes géographiques, les récits de voyage, les inventaires de faune et de flore, de même que les représentations des communautés autochtones, Gagnon a révélé un pan inédit de la culture visuelle et sensible du continent américain: «En dirigeant son regard ailleurs que vers les lieux traditionnels de l’art, [il] parvenait à développer une connaissance originale de la Nouvelle-France […]». Cet intérêt l’a mené, en fait, à dépasser la perspective proprement esthétique pour examiner le cœur des expériences d’intégration progressive de l’inconnu par les Européens, à partir des considérations anthropologiques, du «fonctionnement de l’humain dans son rapport au monde». C’est ainsi que le chercheur a transcendé lui-même les limites alors convenues de l’histoire de l’art pour mieux en élargir les potentialités, au-delà des conditionnements culturels et des complexes coloniaux.

    Laurier Lacroix se penche quant à lui sur ce qu’il nomme le «mystère Gagnon», soit sa capacité à déployer une pensée originale, élargie, «rapaillée», pour citer aussi bien Lionel Groulx que Gaston Miron. Il loue son aptitude à réconcilier les intérêts pour l’art ancien et l’art moderne, mais aussi à rassembler et à créer un carrefour dynamique d’échange de connaissances. Cette flexibilité lui a permis de profiter de la période d’effervescence du Québec des années 1960-1970, qui a coïncidé avec la remise en valeur de son patrimoine et de sa mémoire culturelle et politique. Cette conjoncture l’a alors motivé à enrichir l’histoire de l’art des différents courants de pensée qu’offre à cette époque le déploiement des sciences humaines dans les universités. En somme, Gagnon a saisi très tôt le potentiel des échanges transdisciplinaires et transculturels, conscient de la nécessité de se confronter collectivement à l’altérité, afin non seulement de comprendre notre propre situation et de repousser nos limites mais surtout d’élargir notre conscience historique et sociale, et de remédier aux réflexes primaires de repli. L’intérêt qu’il a voué par la suite à Borduas répond à une inclination similaire, bien que plus personnelle. Cette quête intérieure faisait écho à celle que l’artiste menait, depuis Saint-Hilaire jusqu’à Paris, d’un approfondissement du sens, d’un élargissement de la conscience et d’un équilibre entre ces deux mouvements essentiels. Lacroix relate, enfin, la manière dont les notions de fracture et de discontinuité auxquelles a fait appel Michel Foucault rejoignent les changements de paradigme qui se sont opérés aussi bien dans les objets d’étude de Gagnon que dans les transformations du Québec durant la Révolution tranquille. En effet, l’influence de la philosophie, formation première du chercheur, est demeurée présente dans ses travaux ultérieurs, qui se sont enrichis des approches anthropologiques et sémiotiques pour explorer la dynamique de transfert des images et de leurs codes. Cette méthode lui a permis alors de sonder aussi bien le choc des cultures dans le contexte colonial que celui de l’expression picturale automatiste.

    Louise Vigneault souligne quant à elle la contribution pionnière de Gagnon à l’étude de la représentation des communautés autochtones, mais aussi les dialogues interculturels qu’il a suscités afin de mieux saisir les dynamiques de transfert et de déplacement des codes visuels déployés depuis les premiers contacts. À partir de la double métaphore d’éclaireur de piste et de gardien de la culture, elle rappelle que, dès les années 1970, le chercheur a emprunté un sentier de recherche inédit consacré à l’expérience artistique américaine. Le croisement des approches formaliste et historique, du contexte et du texte, l’a alors mené à révéler «tout autant les dynamiques de contacts entre les partis que les distances et les ruptures qui se sont opérées». Cette approche sensible a également permis une meilleure compréhension des différentes postures des acteurs culturels – énonciateur, récepteur, regardant, regardé, etc. – engagés dans l’exercice de représentation, de même que du rôle de la connaissance et des préconceptions dans l’acte de regarder. De la même manière, Gagnon a pris soin de lever le voile sur les problèmes de communication, de traduction et d’interprétation inévitables dans les échanges interculturels. Ces considérations éthiques préfiguraient les remises en question actuelles des épistémologies occidentales à la faveur de la résurgence des savoirs et des savoir-faire autochtones, alors que s’impose la nécessité de créer des ponts et de rétablir les dialogues.

    Pour Dominic Hardy, les publications de Gagnon consacrées à l’art du Québec et du Canada ont contribué non seulement à enrichir ses fonctions de pédagogue mais aussi à en reformuler les questions essentielles. Des écrits phares tels La conversion par l’image. Un aspect de la mission des Jésuites auprès des Indiens du Canada au xviie siècle (1975) sont devenus les «voix du passé», d’une histoire de l’art constituée tout autant d’images que d’espaces relationnels et de codes perdus que Gagnon nous a appris à apprivoiser. L’auteur souligne par ailleurs que ces textes, qui continuent d’occuper une place centrale dans le cadre des cursus universitaires, semblent aussi faits pour être lus à haute voix, de manière à mieux rendre compte de l’esprit de l’époque tout autant que du regard de celui qui y réfléchit. Les publications de Gagnon ont enfin en commun de réunir les opposés, de nous faire mieux saisir l’idée que les catégories qui ont forgé l’art canadien et québécois à partir de binarismes, de discontinuités et de ruptures doivent plutôt se lire en termes de complémentarité et d’échange. Éloge, encore une fois, du dialogue, qui transforme l’histoire des confrontations culturelles et linguistiques sous l’effet d’un enseignement humaniste.

    La seconde partie du volume s’ouvre sur le texte d’Yvan Lamonde, qui rend compte de l’apport de la pensée de Gagnon à l’histoire des idées au Québec. Rappelant la chronologie et le contexte de ses œuvres majeures, l’historien signale la manière dont le chercheur a réussi à faire passer Borduas et Refus global (1948) du registre de la mémoire, du mythe et de l’apologie à celui de l’Histoire. Partant ensuite du constat que les arts visuels sont devenus les marqueurs importants des changements socioculturels qui se sont opérés lors de l’entrée du Québec dans la modernité, Lamonde porte également sa réflexion sur l’agentivité du langage automatiste, la manière dont celui-ci appelait une radicalité des changements socioculturels: «Le langage de l’art peut-il être le langage de l’homme en société?» L’historien évoque enfin, à l’instar de ses collègues, la perspective humaniste au moyen de laquelle Gagnon nous a conviés à réfléchir sur les tensions qui ont trop longtemps été entretenues, dans le contexte socioculturel du Québec, entre un passé sacrifié et la rupture forcée de la modernité.

    À partir de deux textes que Gagnon a consacrés en 1988 et 2008 à ses travaux sur les peintres juifs de Montréal, Esther Trépanier rappelle la manière dont l’historien de l’art a reconnu l’importance de ces créateurs et relativisé par le fait même l’ascendance qui avait été spontanément accordée aux automatistes. Gagnon a également convenu que l’intérêt porté aux contributions des artistes de la diaspora avait permis du même coup d’élargir le spectre des lectures de la modernité artistique du Québec. Loin de «ghettoïser» ou d’isoler les productions juives dans une catégorie culturelle, comme on le lui a reproché, Esther Trépanier s’est inscrite en réalité dans le prolongement des recherches menées par les historiens de l’art anglophones sur les contributions artistiques socialisantes et humanistes. Il a fallu le jugement sûr de Gagnon pour reconnaître et légitimer cette initiative, qui a eu comme effet notamment de rapprocher les communautés francophone et anglophone, chrétienne et juive, comme il l’a rappelé: «il avait fallu liquider le vieil antisémitisme chrétien et mettre les Anglais à leur place. Maintenant que nous nous étions retrouvés nous-mêmes, il devenait possible de tendre la main à nos frères juifs». Dans la préface qu’il signait en 2008 pour l’ouvrage de sa jeune collègue, qui revisite alors son catalogue de 1988 Peintres juifs et modernité, Gagnon mettait cette fois en valeur sa contribution à la modernité urbaine de l’entre-deux-guerres, période charnière dans laquelle Esther Trépanier avouera avoir retrouvé le fil mémoriel de son héritage social et familial. Cette imbrication entre la microhistoire et l’Histoire officielle, entre les expériences individuelle et collective, fait également partie du legs du chercheur.

    À partir de la méthodologie mise en œuvre par Gagnon depuis ses premières investigations de la démarche de Paul-Émile Borduas jusqu’à sa Biographie critique publiée en 1978, Gilles Lapointe révèle l’audace et la pertinence de son approche historienne combinée aux analyses formalistes et anthropologiques. Un retour à la genèse des travaux du chercheur consacrés au peintre de Saint-Hilaire lui permet aussi de constater que, si Gagnon tient à aborder le cursus de Borduas en considérant ses quêtes esthétique et politique comme faisant partie d’une même préoccupation existentielle, la méthodologie qu’il déploie pour l’analyser tend aussi à se partager entre ces deux univers. Dans cette optique, ses enquêtes historiques et documentaires réalisées à partir de textes d’archives ont permis d’établir les jalons contextuels de la démarche de l’artiste, tandis que l’examen attentif du processus de création des œuvres et la chronologie des résultats ont contribué à consolider sa méthode interprétative. Lapointe montre enfin qu’en dépit des critiques formulées par les tenants du formalisme, cette méthodologie, que le chercheur a pris soin de raffiner et d’adapter sans cesse à ses objets d’étude, a fait école, et qu’elle continue d’inspirer et de nourrir le travail et les réflexions des nouvelles générations.

    Rose Marie Arbour souligne de son côté la manière dont Gagnon a réussi à intégrer la culture populaire du Québec des années 1940 dans le panorama de l’histoire de l’art, notamment par une écriture imprégnée des qualités de la communication orale. Elle y détecte une volonté de toucher la sensibilité de ses lecteurs, de leur transmettre l’atmosphère et l’esprit mêmes des contextes à l’étude. Une telle aptitude lui a permis de défendre le bien-fondé des phénomènes artistiques de la marge, comme l’art populaire, et de participer de plain-pied aux débats des années 1960 et 1970 sur l’autonomisation culturelle du Québec et son positionnement sur la scène internationale.

    Denis Longchamps prend la mesure, enfin, du travail mené par Gagnon à l’Institut de recherche en art canadien Gail et Stephen A. Jarislowsky, dont il est devenu non seulement le premier directeur, en 2000, mais aussi le «centre d’énergie», la figure de proue capable de stimuler les échanges entre

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