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Maintenir la paix en zones postconflit: Les nouveaux visages de la police
Maintenir la paix en zones postconflit: Les nouveaux visages de la police
Maintenir la paix en zones postconflit: Les nouveaux visages de la police
Livre électronique445 pages6 heures

Maintenir la paix en zones postconflit: Les nouveaux visages de la police

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À propos de ce livre électronique

Dans un monde où les opérations policières de paix se substituent graduellement aux opérations exclusivement militaires, à quels défis organisationnels les services de police contributeurs et les sociétés hôtes sont-ils confrontés ? Quelles sont les motivations institutionnelles et individuelles à participer à de telles opérations ? Quels liens unissent les contingents internationaux aux polices locales et aux autres acteurs du maintien de la paix ?

À partir d'études de terrain réalisées dans des contextes variés (Balkans, Afghanistan, Haïti, Timor-Leste...), des chercheurs provenant de disciplines aussi diverses que la science politique, la sociologie, la criminologie ou le droit esquissent les grandes lignes d'un champ de recherche dédié aux opérations de maintien de la paix et aux processus complexes qui permettent à des sociétés divisées de se réconcilier et de rétablir des institutions policières légitimes.
Avec les textes de : Hervé Dagès, Nathalie Duclos, Benoit Dupont, Nadia Gerspacher, Andrew Goldsmith, Vandra Harris, Marcel-Eugène LeBeuf, Antoine Mégie, Francis Pakyaf, Juan Carlos Ruiz Vásquez, Xavier Saint-Pierre et Samuel Tanner.
LangueFrançais
Date de sortie15 sept. 2012
ISBN9782760631076
Maintenir la paix en zones postconflit: Les nouveaux visages de la police
Auteur

Samuel Tanner

Samuel Tanner est professeur à l'École de criminologie et responsable du DESS en sécurité intérieure à l'Université de Montréal. Entre autres publications, il a dirigé avec Jean Poupart et Denis Lafortune Questions de criminologie (PUM, 2010).

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    Aperçu du livre

    Maintenir la paix en zones postconflit - Samuel Tanner

    MAINTENIR LA PAIX EN ZONES POSTCONFLIT

    MAINTENIR LA PAIX

    EN ZONES POSTCONFLIT

    Les nouveaux visages de la police

    Sous la direction de

    Samuel Tanner et Benoit Dupont

    Les Presses de l’Université de Montréal

    Ce livre est publié dans le cadre de la collection « Régulation sociale », dirigée par Stéphane Leman-Langlois.

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Vedette principale au titre :

    Maintenir la paix en zones postconflit : les nouveaux visages de la police

    (Régulation sociale)

    Comprend des réf. bibliogr.

    ISBN 978-2-7606-2781-9

    1. Consolidation de la paix. 2. Police internationale. 3. Police. 4. Sûreté de l’État. 5. Sécurité internationale. I. Tanner, Samuel, 1975- . II. Dupont, Benoît, 1972- . III. Collection : Régulation sociale.

    JZ5538.M34 2012 327.1’72 C2012-941102-7

    Dépôt légal : 3e trimestre 2012

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    © Les Presses de l’Université de Montréal, 2012

    ISBN (papier) 978-2-7606-2781-9

    ISBN (epub) 978-2-7606-3107-6

    ISBN (pdf) 978-2-7606-3108-3

    Les Presses de l’Université de Montréal reconnaissent l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour leurs activités d’édition.

    Les Presses de l’Université de Montréal remercient de leur soutien financier le Conseil des Arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).

    Version ePub réalisée par:

    www.Amomis.com

    Amomis.com

    À Simone et Maxime,

    nos doux tyrans

    INTRODUCTION

    Police et opérations de paix

    Samuel Tanner et Benoit Dupont

    À l’échelle de l’histoire de la police, l’intérêt des chercheurs pour ses formes transnationales est récent. Ce n’est qu’à partir des années 1980, avec des travaux portant principalement sur l’avènement de réseaux internationaux de coopération policière en matière d’enquête criminelle et d’échange de renseignements, via Interpol, que progressivement, les connaissances émergent sur la dimension « hors les frontières » du travail policier (Malcolm, 1989). Pourtant, la déterritorialisation de la police, tant comme fonction que comme organisation, s’opère quant à elle depuis la fin du XVIIIe siècle, à la fois sur le continent nord-américain et en Europe, par exemple dans la mise en place de réseaux transfrontaliers de police en Europe dans la lutte contre l’évasion fiscale et l’anarchisme (Deflem, 2002 ; Nadelmann, 1993). À partir des années 1990, alimentées par les transformations majeures que connaissent les relations internationales avec la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre, et l’ouverture que ceci provoque vers des perspectives théoriques alternatives au fétichisme étatique jusqu’ici dominant, les connaissances empiriques sur la police transnationale se développent et s’affinent, mettant à jour toute la complexité opérationnelle et les défis organisationnels des échanges policiers transnationaux. Elles révèlent le rôle crucial des organisations policières – tant privées que publiques – et leurs agendas dans la mise sur pied d’un ordre sécuritaire mondial, ou global (Sheptycki, 2005 ; Bigo, 1996 ; Bowling, 2009). Ces connaissances sont largement rendues possibles grâce à l’adoption de méthodologies innovantes, dont les enquêtes de terrain de type ethnographique, ou à travers la collecte d’entrevues auprès des principaux intéressés. À cet égard, les travaux de James Sheptycki sont incontournables (Sheptycki, 2005).

    Dans le présent ouvrage, c’est une dimension encore inédite de la police transnationale qui est traitée, la participation policière dans les opérations internationales de paix. Ces opérations ont connu au cours des vingt dernières années de profondes transformations. En effet, dès le début des années 1990, des missions onusiennes déployées en Namibie ou en ex-Yougoslavie ont été confrontées à des sorties de conflits non conventionnels caractérisées par la nécessité de faire coexister au sein d’une même société en reconstruction des factions s’étant affrontées par les armes, des civils prisonniers d’allégeances déterminantes pour leur survie et des institutions à la légitimité et aux capacités faibles ou défaillantes (Donais, 2004). La réponse apportée par l’ONU à ces défis significatifs fut de développer des missions policières de maintien de la paix (communément désignées sous le terme UNPOL) reposant sur des compétences de policiers civils en matière d’usage parcimonieux de la force physique, de préoccupation pour la sécurité humaine des populations et d’interaction avec les institutions judiciaires indispensables au fonctionnement pacifié d’une société en reconstruction (Brahimi, 2000). Pourtant, si les textes normatifs produits sur le thème des missions UNPOL reflètent cette transformation durable, la production de connaissances scientifiques empiriques sur le sujet reste extrêmement limitée, comme nous l’avons récemment souligné (Dupont et Tanner, 2009) et ce, d’autant plus en langue française.

    Cette approche s’avère problématique dans la mesure où une proportion non négligeable des opérations de maintien de la paix des Nations unies se déroule en milieu francophone. Par exemple, au moment du lancement de la présente initiative de livre, sur les 19 missions de paix de l’ONU en cours, sept avaient lieu en terrain francophone, dont quatre en Afrique (Burundi, Côte d’Ivoire, République centrafricaine et République démocratique du Congo). Par ailleurs, sur les 93 000 soldats, policiers et observateurs déployés par les Nations unies, 55,5 % opéraient sur un théâtre francophone. En matière policière, seulement 2300 des 4500 agents de la paix déployés dans des sociétés francophones provenaient de pays contributeurs de langue française, soit environ la moitié des effectifs considérés. Pour le Canada, par exemple, l’importance de la dimension francophone dans les opérations UNPOL se reflète par le fait qu’un pays francophone (Haïti) constitue une priorité (Engler et Fenton, 2005) avec plus d’une centaine de policiers déployés en permanence, et que les deux plus gros contributeurs d’effectifs policiers à ces missions (en dehors de la Gendarmerie royale du Canada) sont la Sûreté du Québec et le Service de police de la Ville de Montréal.

    Dans une contribution décisive en matière de consolidation de la paix, et spécifiquement sur le rôle de la police dans le cadre de telles opérations et de réforme des polices locales dans des sociétés postconflit, Gordon Peake et Otwin Marenin dressent le constat sévère – mais juste – d’un échec systématique de la mise en application des recommandations émises par une littérature abondante en matière de réforme policière et de sécurité produite par ce qu’ils nomment la « communauté globale édictant des politiques sur la police¹ » (Peake et Marenin, 2008). Cet échec est en grande partie la conséquence d’une attitude des chercheurs et des organisations non gouvernementales qui visent à prioriser les intérêts des organismes et pays donateurs par rapport aux destinataires de cette aide. De fait, constatent les auteurs, on observe un manque flagrant de connaissance sur les enjeux organisationnels et opérationnels liés à la reconstruction de la sécurité dans le cadre d’États en crise, et surtout un manque d’appréciation de la complexité – envisagée dans sa sphère locale – de l’interaction entre les contingents policiers déployés et l’environnement dans lequel ils évoluent. Ainsi, concluent les auteurs, la plupart de ces rapports formulent des recommandations inadaptées aux nécessités et besoins pratiques rencontrés sur le terrain.

    Prenant acte de ce constat, et dans le prolongement de cette réflexion, cet ouvrage poursuit une démarche résolument ancrée empiriquement afin de tracer le profil de ce visage encore peu connu de la police et des défis qu’il présente. Outre l’objectif académique et la production de nouvelles connaissances sur ces missions impensées par la sociologie policière, ce collectif permettra aux décideurs et gestionnaires, tant aux divers paliers politiques qu’au sein des organisations policières, de dispo­ser d’une information ancrée dans des propos d’intervenants de première ligne du travail policier dans le cadre d’opérations internationales de paix. Ainsi, cet ouvrage, traitant de la « ligne de front » policière de la reconstruction et consolidation de la paix, soit des UNPOL et de leur relation à leur environnement de zone de crise, présente une perspective inédite qui se situe entre les doctrines et recommandations souvent désincarnées dénoncées par Gordon Peake et Otwin Marenin et une préoccupation centrée exclusivement sur les acteurs « indigènes » de la reconstruction de la sécurité, sans pour autant perdre de vue les besoins des populations locales. À travers l’ensemble des chapitres, que nous décrirons brièvement sous peu, ce collectif se concentre sur « l’outil » ou « dispositif » policier de consolidation de la paix et opère un état des lieux sur les enjeux politiques et organisationnels, ainsi que les défis opérationnels qui le caractérisent en vue de rétablir la sécurité publique dans le cadre d’une société en crise. Indépendamment de l’idéologie qui caractérise le processus de réforme du secteur de la sécurité, négliger le segment crucial des acteurs responsables de le mettre en application revient à poursuivre la prophétie mise en évidence par les deux auteurs cités.

    État des connaissances

    En dépit de l’augmentation des effectifs policiers dans les opérations internationales de la paix, cette activité demeure encore peu étudiée empiriquement. Les préoccupations des chercheurs, à de rares exceptions près, se concentrent plutôt sur la composante militaire. Pourtant, une fois les combats terminés, et dès lors qu’il s’agit de stabiliser une région au sortir d’un conflit armé, les forces militaires s’avèrent peu outillées et adéquates (Hills, 2001). Ces tâches relèvent du maintien de l’ordre, de la reconstruction des institutions de sécurité (police, système judiciaire et services correctionnels), et donc du recours à des acteurs civils et gendarmiques de la police civile internationale (Lutterbeck, 2004). Malgré tout, cinq grands axes ont jusqu’ici mobilisé les chercheurs en matière de participation policière aux opérations de paix.

    Le premier traite des modèles de police à adopter dans le cadre de maintien de l’ordre et de lutte contre la criminalité dans le contexte de zones postconflit (Brogden, 2005). Par exemple, tel que le remarque Mike Brogden, certains auteurs font la promotion du modèle de police communautaire. Or, remarque l’auteur, si celui-ci semble a priori indiqué dans le contexte d’une consolidation de la paix démocratique, par sa nature consultative, il apparaît dans les faits que les conditions sociales, politiques et économiques ne satisfont guère les prérequis nécessaires à sa mise en place dans le cadre de sociétés au sortir de la guerre. Par exemple, sur la question politique, un grand nombre de sociétés présentent une fragmentation de la population en sous-groupes, ou communautés dont les intérêts s’avèrent parfois incompatibles et difficilement réconciliables. C’est notamment ce qui a été observé en Bosnie-Herzégovine après le conflit ethnique. Dès lors, et du fait que le modèle de police communautaire se veut avant tout consultatif, de quelle communauté, ou groupe ethnique, religieux, national la police doit-elle promouvoir les intérêts et à qui doit-elle rendre des comptes ? En conséquence, certains prônent davantage un modèle dit de police professionnelle, dont la gouvernance ne s’opère non plus tant à travers un processus de consultation avec la population, mais bien plutôt selon un mode interne et déterminé strictement par les acteurs policiers. L’objectif du modèle professionnel vise alors à lutter contre le crime – sans tenir compte des besoins et demandes de la population locale –, postulant qu’une diminution observable de la criminalité provoquera un accroissement de la confiance de la population à l’égard des policiers internationaux. À long terme, cette confiance constituerait la condition sine qua non d’une police plus proche des intérêts des communautés locales, et donc du développement d’une police communautaire (Murphy, 2007).

    Un second axe porte sur le rétablissement et la formation des polices locales dans un contexte postconflit ou d’États faibles. Ce processus est envisagé comme étant largement tributaire d’une réforme et d’une démocratisation des polices locales (Bayley, 2006), lesquelles sont elles-mêmes subordonnées à la formation des policiers déployés dans le cadre des missions de paix (Bayley et Perito, 2010). Ce courant normatif et relatant quasi exclusivement l’expérience américaine formule une série de propositions et s’adresse surtout aux décideurs et milieux de pratiques. Parmi ces recommandations fondamentales, il est important de relever la promotion des critères fondamentaux d’une police démocratique, à savoir : 1) une police devant rendre des comptes à la loi plutôt qu’au gouvernement ; 2) une police devant protéger les droits humains, en particulier les droits nécessaires à l’exercice des activités politiques qui constituent les fondements de la démocratie ; 3) une police devant rendre des comptes à une population qui se situe en dehors de l’organisation policière, dont les membres sont désignés spécifiquement et à qui on a donné le pouvoir de réguler l’activité policière ; et enfin 4) une police devant donner priorité aux besoins des citoyens, tant individuellement que collectivement.

    Un troisième axe de réflexion porte sur le type des forces policières à déployer dans le cadre d’une opération de paix, et ce, en fonction de la nature de l’insécurité qui caractérise la région dans laquelle sont envisagés les déploiements des forces civiles. Tel que l’ont montré certains, entre le moment où les combats cessent et le retour à une paix consolidée et une démocratie effective et durable, se situe un « fossé de sécurité » durant lequel ni l’armée, ni la police ne s’avèrent être des acteurs efficaces pour assurer l’ordre et la protection des populations. Ces zones de crise, ou postconflit, peuvent demeurer le théâtre d’activités menées par des groupes armés criminalisés et dont l’intensité n’est pas considérée suffisamment élevée pour justifier le droit du recours à la force par les Casques bleus (Oakley et al., 1998), mais qui pourtant dépasse les capacités d’une police civile à proprement parler. Dans ce cadre, certains proposent le déploiement de forces intermédiaires et de police militarisées, de type gendarmerie (Perito, 2004). Mais aussi, les déploiements de l’une ou l’autre de ces formes de police sont largement tributaires de décisions politiques associées aux représentations entretenues à l’égard de leur ethos respectif, leur degré d’autonomie et de responsabilité dans un contexte de guerre , le type de rôle que chacune de ces deux forces exerce en relation à leurs gouvernements et au régime légal qui les caractérise, ainsi que le rapport à l’usage de la force qui les sous-tendent (Greener, 2011 : 189).

    Un quatrième axe de recherche s’est quant à lui intéressé à l’évolution du rôle des UNPOL, toujours plus intrusif et complexe dans ce type de missions (Greener, 2009). Un bref survol historique révèle que si les premières missions policières se confinaient aux conseils prodigués à leurs collègues locaux (Congo, Chypre, 1964), le rôle des UNPOL prend un tournant majeur à la fin des années 1990, avec la mission des Nations unies au Kosovo (MINUK). Pour la première fois, les UNPOL sont chargés d’assurer toutes les responsabilités exécutives liées à la police sur ce territoire (Hansen, 2002). Celles-ci comprennent la gestion du trafic routier, les enquêtes criminelles, le conseil, la formation, la surveillance des structures locales de police et l’application de la loi. Désormais, UNPOL est donc une composante essentielle et incontournable des opérations de paix (Gregory, 1996).

    Enfin, un cinquième axe regroupe des chercheurs qui se sont intéressés au cadre juridique et aux mandats qui sous-tendent cette participation, souvent flous et problématiques (Linden, Last et Murphy, 2007). Ils s’avèrent souvent peu réalistes, et parfois changent en cours de mission. C’est notamment le cas de l’APRONUC au Cambodge, où il a subitement été demandé aux UNPOL de procéder à des arrestations alors que les contingents déployés avaient été formés pour la reconstruction de la police locale. Dans certains cas, les mandats se révèlent incomplets, comme en Somalie où aucune composante policière n’avait été prévue (Linden, Last et Murphy, 2007). Enfin, et cette liste n’est pas exhaustive, ils peuvent s’avérer contradictoires, tel qu’au Kosovo, où les policiers de la MINUK avaient pour mission de contribuer à fournir à cette région les moyens de s’autogouverner et ce, dans le respect de la souveraineté de la Répu­blique fédérale de Yougoslavie, comprenant à l’époque la Serbie de laquelle le Kosovo tentait pourtant de se séparer.

    En dépit de cette littérature, nous ne disposons pourtant que de connaissances très fragmentaires sur les défis relevés par les policiers des pays contributeurs, aussi bien en termes organisationnels qu’opérationnels, lors de la planification et de la mise en œuvre de leurs interventions. Les expériences des habitants et des fonctionnaires de police locaux dans leurs relations avec les policiers agissant sous mandat onusien ne sont également jamais prises en considération. De la même façon, aucune réflexion théorique n’a été à notre connaissance engagée sur l’évaluation de la contribution UNPOL à la stabilisation d’une zone postconflit dans l’objectif d’un retour à un environnement sécuritaire. Les critères utilisés actuellement, notamment le nombre de policiers formés ou l’évolution des taux de criminalité, paraissent être des transpositions littérales d’indicateurs de performance provenant de pays stables ou se focalisant exclusivement sur des activités bureaucratiques, au détriment de la mesure des effets produits par ces activités. Il nous semble donc indispensable de lancer un programme de recherche empirique – dont les contributions de cet ouvrage constituent un premier état des lieux – portant sur les conditions politiques, sociales, organisationnelles, et opérationnelles de mise en œuvre des missions policières de maintien de la paix. Cette démarche marque ainsi une rupture par rapport à l’approche dominante d’une « paix par le haut » qui traduit l’imposition par la communauté internationale de modèles d’intervention dont l’acceptabilité et l’efficacité n’ont jamais été validées de manière systématique. Le présent ouvrage envisage par conséquent la prestation de la sécurité et du maintien de l’ordre dans sa dimension locale, ce qui implique avant tout une connaissance détaillée des situations et des besoins des populations (Dupont, Grabosky, Shearing et Tanner, 2007).

    Les enjeux et les défis locaux

    Dans ce contexte, il a semblé urgent de lancer une réflexion sur les opérations UNPOL, notamment dans leurs déclinaisons francophones, en examinant les implications opérationnelles et organisationnelles globales de tels déploiements policiers, ce qui nous permettra de mieux comprendre les spécificités de ces missions, les divers facteurs qui en déterminent la réussite, ou encore les moyens d’en évaluer les résultats. C’est l’objectif de ce collectif qui, à travers l’ensemble des contributions qu’il regroupe, constitue une première étape de la mise sur pied d’un réseau international de chercheurs, majoritairement francophones, impliqués activement dans l’étude des déploiements policiers dans les opérations internationales de paix.

    Le présent livre est le produit final d’un atelier coorganisé par le Centre international de criminologie comparée de l’Université de Montréal, la Sûreté du Québec, ainsi que le Réseau international francophone de formation policière (FRANCOPOL), qui s’est tenu les 10 et 11 mars 2011, à Montréal, et qui a bénéficié d’un financement du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH). Cet atelier fermé a réuni 29 personnes provenant du monde académique, des milieux ministériels et de pratique, ainsi que d’organisations non gouvernementales, réunies autour de la question de la participation policière aux opérations de paix et provenant de pays aussi divers que la France, le Burkina Faso, la Suisse, l’Australie, les États-Unis et le Canada. Le principe de cette rencontre, tout en garantissant le respect des règles de Chatham House, impliquait, pour chacun des chercheurs, de réaliser un état des lieux de l’engagement des forces policières de sa zone géographique dans les opérations de paix sous mandat de l’ONU, ou d’autres instances internationales, telles l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), ou encore l’Union européenne (UE). Chaque contribution devait dresser un historique de cet engagement, tout en détaillant les modalités institutionnelles ainsi que les défis organisationnels et opérationnels rencontrés aux trois étapes de la mobilisation, du déploiement et de la réintégration, et les stratégies, ou « meilleures pratiques », élaborées en réponse à ces obstacles. Ces réflexions avaient pour consigne d’être fondées sur des données empiriques tirées d’opérations en cours ou récentes et portant sur les interactions avec les populations et les institutions locales. Du point de vue du déroulement de l’atelier, les chercheurs avaient la responsabilité d’envoyer aux organisateurs leur contribution quelques semaines avant la rencontre, qui était alors transmise à un répondant sélectionné dans les milieux de pratiques, qui avait à son tour la responsabilité d’en faire une critique. L’atelier a ainsi constitué un forum d’échanges entre les diverses provenances professionnelles, visant à favoriser la formulation de critiques constructives, l’enrichissement conceptuel, l’identification et la comparaison des variables déterminantes, ainsi que la levée par les intervenants de première ligne des ambiguïtés ou des erreurs d’interprétations dans les documents rédigés.

    Une diversité de contributions

    Cette rencontre a donc jeté les bases d’un réseau international de réflexion sur les déploiements policiers dans le cadre des opérations de paix, dont le présent ouvrage constitue en quelque sorte le manifeste. Il se caractérise par sa nature transdisciplinaire et offre une diversité de modèles théoriques et d’approches conceptuelles, reposant également sur des méthodologies très variées. L’ensemble des chapitres voit émerger des perspectives complémentaires issues pourtant de travaux menés dans des disciplines aussi diversifiées que la science politique, la sociologie, l’anthropologie et la criminologie.

    Dans un premier chapitre, à partir d’une grille conceptuelle envisageant le travail policier comme le produit de la mise en œuvre de quatre types de connaissance (axiomatique, lexicale, de mode d’emploi et de répertoire), nous dressons une première tentative de compréhension de ce que « faire la police » dans le cadre des opérations de paix implique sur le plan opérationnel. Basé sur une série d’entrevues menées auprès de policiers canadiens déployés dans le cadre de la mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH), nous observons la mise en œuvre de compétences relatives au mandat normatif de stabilisation imposé aux UNPOL. De manière inédite, ce processus, que nous désignons sous le terme d’art de l’improvisation, ou capacité des policiers à formuler et mettre en application des stratégies innovantes, dans l’esprit de leur mandat, contribue de façon originale à la consolidation du tissu social local. Également, nous montrons à quel point la question de l’évaluation, ou appréciation, du travail des UNPOL est déterminante dans ce qu’il est possible et réaliste d’attendre d’eux en matière d’obligation de résultat, désormais imposée dans la doctrine du Secrétaire général des Nations unies en matière de consolidation de la paix.

    Un second chapitre, qui traite du contexte européen, sous la plume d’Antoine Mégie, interroge concrètement le continuum sécurité intérieure/extérieure et la porosité entre ces deux sphères à partir de témoignages recueillis auprès de représentants de la Gendarmerie nationale française, ayant participé à ce type de missions notamment en Bosnie, dans le contexte de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) de l’Union européenne. Débutant par une approche historique retraçant la manière dont l’Union européenne a progressivement construit sa politique d’opération de maintien de la paix, l’auteur aborde les conséquences et réalités pratiques auxquelles les membres de ces opérations ont été confrontés, et notamment la manière dont les opérations de « substitution » et « d’assistance » auprès des forces de sécurité locales sont concrètement appliquées et vécues par les policiers engagés et contraints au « bricolage de savoir-faire » pour accomplir leur mission. Enfin, l’expérience des membres de la Gendarmerie nationale française conduit l’auteur à s’interroger sur la pertinence des forces de police à statut militaire dans ce type de missions au carrefour du rétablissement de la paix et du maintien de l’ordre public.

    Juan Carlo Ruiz Vasquez aborde quant à lui dans le troisième chapitre l’expérience latino-américaine en traitant de l’exportation de compétences développées dans le contexte intérieur vers les zones de déploiement, à travers l’expérience brésilienne, chilienne, colombienne et argentine. L’auteur affirme que si les polices latino-américaines souffrent d’une image largement définie par leurs histoires relativement récentes d’instruments de répression au service de régimes autoritaires et de violation des droits de la personne, minant a priori leur image, et corollairement leur capacité à développer et bâtir des ponts et développer des liens de confiance avec les populations locales – conditions sine qua non défendues par Andrew Goldsmith et Vandra Harris plus loin dans cet ouvrage –, ces mêmes forces ont pourtant connu une vague de professionnalisation et de démocratisation qui, en dépit de cas de corruption et de brutalité, font d’elles des acteurs à part entière des opérations internationales de paix. En particulier, affirme Ruiz Vasquez, ces forces présentent des compétences développées dans la sphère intérieure qui s’avèrent particulièrement nécessaires dans certains contextes de sortie de guerre ou de société en crise, notamment dans leur expérience dans la lutte contre le kidnapping, le trafic de drogue et les bandes urbaines, ou gangs de rue, bref, un ensemble de situations largement répandues dans des contextes d’États faibles ou de zones postconflit.

    Dans le quatrième chapitre, basé sur de nombreuses entrevues et expériences de terrain, Francis Pakyaf traite de la reconstruction des forces policières dans le contexte de l’Afghanistan. À partir d’un triple étonnement quant à 1) la grande diversité et le foisonnement des structures, métiers, mandats en vue de reconstruire la police afghane ; 2) un choc lié à la disproportion de moyens humains et financiers investis par rapport au dénuement quasi total dans lequel vit la population locale, et aux moyens locaux employés – principalement artisanaux – pour semer la terreur ; et enfin 3) l’urgence de reconstruire une police locale pour permettre une consolidation de l’État, l’auteur interroge d’une part la manière dont on reconstruit l’appareil vital de l’État qu’est la police et, d’autre part, les moyens mobilisés à cet effet, en interrogeant tout particulièrement la continuité des pratiques de formation/reconstruction. Ainsi Francis Pakyaf constate de nombreuses apories dues à la grande diversité des acteurs déployés et la fragmentation des pratiques qu’ils mettent en œuvre, laissant apparaître une situation anomique qui rompt manifestement avec le principe d’intégration entre acteurs civils et militaires pourtant prôné ad nauseam dans la plupart des doctrines de reconstruction des forces de sécurité. À titre d’exemple, l’auteur décrit un décalage et un conflit de rationalités entre, d’une part, la doctrine de réforme du secteur de la sécurité, censée promouvoir la sécurité humaine des populations et, d’autre part, l’accroissement des capacités coercitives des groupes armés étatiques et non étatiques, eux-mêmes entrant pourtant en concurrence avec la police afghane que l’on tente de former. Enfin, se questionne l’auteur, si l’intervention est atypique du fait qu’elle met en évidence un engagement initial a minima, voyant les déploiements augmenter au fur et à mesure de la menace, de l’insécurité et des besoins – contrastant alors avec les exemples de la Bosnie, de l’Irak ou de la Côte d’Ivoire – qui témoigne indiscutablement d’une forme d’innovation, on peut légitimement se poser la question de son efficacité.

    Dans le cinquième chapitre, Nathalie Duclos traite de la constitution de la police kosovare, le Kosovo Police Service (KPS) et des effets d’interaction entre policiers locaux et internationaux. Se basant sur une série d’entrevues et d’enquêtes de terrain menées auprès de gendarmes français et des recrues de la police kosovare, l’auteure révèle à quel point considérer ces missions uniquement par leur mandat – cadre juridique et idéologique – ne permet pas d’en comprendre les subtilités et la manière dont elles se structurent. Celles-ci sont en grande partie définies par les interactions locales entre policiers des divers contingents internationaux et avec la population, ainsi que par les motivations à participer à de telles missions, la transmission des savoir-faire policiers, et enfin le rapport des protagonistes au conflit qui a précédé la mission. Dès lors, partant du constat que ce sont avant tout les dynamiques d’interaction sur le terrain qui déterminent les pratiques policières davantage que les objectifs professionnels établis de manière bureaucratique, et révélant les tensions et parfois même les incompatibilités entre protagonistes de cette reconstruction policière, Nathalie Duclos montre à quel point les frictions et tensions locales ainsi que les rapports de force entre acteurs de terrain peuvent voir émerger des logiques anomiques de la loi du plus fort et s’avérer de fait contre-productifs dans la socialisation professionnelle des policiers locaux, pris en otages de rapports de force et de tensions politiques entre contingents internationaux. Également, et en contre-pied à certaines contributions à cet ouvrage, notamment celles de Tanner et Dupont, ou Saint-Pierre et Tanner, Nathalie Duclos révèle à quel point, et de façon tout à fait contre-intuitive, ces missions policières internationales n’évoquent pas tant des policiers métamorphosés par leur confrontation à de nouveaux savoir-faire, ou de nouvelles expériences, mais au contraire, et faisant resurgir la question néocoloniale, tendant à exporter des pratiques campées sur des manières de voir largement ancrées dans leur sphère intérieure.

    Le sixième chapitre traite de la question des formateurs eux-mêmes. Nadia Gerspacher s’intéresse en particulier au modèle américain de sous-traitance au secteur privé – notamment la participation de DynCorp – propre au déploiement de policiers américains dans les missions de paix. L’auteure révèle que ce modèle présente de nombreuses apories qui tiennent autant au fait que la plupart des individus déployés s’avèrent peu formés et relativement âgés, que du point de vue éthique, puisque nombre d’entre eux n’ont même jamais été policiers auparavant et témoignent d’une incompétence patente dans la formation de policiers locaux. Si l’auteure y développe un argument insistant fermement sur la nécessité de « former les formateurs », elle indique également la nécessité de ne pas se limiter à une politique visant à « former et équiper » les polices locales, mais aussi insister sur la réforme des structures de gouvernance autochtones de sécurité.

    Dans le septième chapitre, Andrew Goldsmith et Vandra Harris abordent la question de la relation de confiance entre policiers internationaux et populations locales comme condition sine qua non de légitimité et de réussite d’une mission internationale. Se fondant sur un ensemble d’entretiens avec des policiers australiens ayant vécu des expériences dans des contextes aussi divers que le Timor-Leste, les îles Salomon ainsi que la Papouasie-Nouvelle-Guinée, les auteurs montrent que s’il est crucial que les sphères politiques et bureaucratiques garantissent une aide internationale et la promesse de ressources, de manière à restaurer la sécurité publique dans une zone en crise, la confiance est également fortement déterminée et s’établit largement dans la sphère opérationnelle, c’est-à-dire dans les interactions quotidiennes entre policiers internationaux, policiers locaux et surtout une population souvent sceptique, voire méfiante à l’égard de forces de sécurité ayant parfois elles-mêmes constitué une source d’insécurité dans bien des cas.

    Puis, dans le chapitre 8, Marcel-Eugène LeBeuf présente une étude de cas des déploiements de la Gendarmerie royale du Canada. Apportant un regard historique sur les stratégies de participation des services de police canadiens, à partir de données empiriques colligées dans trois recherches menées antérieurement, l’auteur montre que les raisons qui caractérisent la participation policière à ces missions ne s’inscrivent pas dans l’ordre de préoccupations organisationnelles ni institutionnelles. Dans un second temps, Marcel-Eugène LeBeuf traite de la question du transfert de connais­sances entre ces missions et la sphère intérieure. En particulier, il montre de manière indéniable que les connaissances relatives aux opérations de maintien de la paix, aussi importantes soient-elles, telles que définies par les individus – que l’on peut codifier ou qui sont davantage liées à un réseau personnel aux manifestations plus tacites – et reconnues par les services de police, ne font néanmoins pas l’objet d’un traitement particulier, ni ne semblent répondre à l’heure actuelle à un besoin organisationnel. Ainsi, les stratégies de transfert nécessitent d’être clarifiées afin d’identifier, reconnaître et intégrer les connaissances développées aux secteurs d’activités de la police dans une perspective organisationnelle. Enfin, proposant un cadre interprétatif à ce « statu quo organisationnel », l’auteur conclut en nous rappelant que les changements organisationnels, ou structurels au sein de la police, ne se produisent généralement que dès lors qu’ils sont imposés par une loi, ou par des contraintes liées à l’obtention de budgets.

    Si l’investissement relatif au déploiement des policiers pour les organisations est énorme, la question du « retour sur investissement » se pose. Du moins, c’est précisément l’objet du chapitre 9, rédigé par Xavier Saint-Pierre et l’un d’entre nous. Autrement dit, qu’est-ce qu’une organisation policière, dont la mission principale est d’assurer la sécurité intérieure d’un territoire, retire de cette contribution internationale ? Quels sont les impacts de l’envoi de policiers en zone postconflit sur les

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