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Un western fantasy - Ysandelle
Un western fantasy - Ysandelle
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Livre électronique465 pages5 heures

Un western fantasy - Ysandelle

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À propos de ce livre électronique

«Emmène-moi tes amis. Je leur offrirai le même cadeau qu’à toi.»

Ysandelle tisse son plan dans l’ombre. L’Ordre qui commandite le projet de son père en Am rique s’impatiente et réclame
la tête des deux vampires. Toutefois, la Reine pâle a bien l’intention de vendre chèrement sa peau.

En secret, elle planifie l’an antissement de tous ses ennemis en une seule nuit.
Sur son chemin se dresseront Qqova l’Apache, qui tâche de canaliser la soif de vengeance de son fiancé, un puissant
chef de guerre indien, et Cassidy Jackson,   la recherche d’une quête digne de ses mentors de légende.

Leurs destins croiseront celui d’Anna Chenko, ayant échappé de peu à la mort et qui porte en elle la flamme qui pourrait bien incendier le continent pour de bon…
LangueFrançais
ÉditeurÉditions Corbeau
Date de sortie16 août 2021
ISBN9782898190568
Un western fantasy - Ysandelle
Auteur

Patrice Cazeault

Né en 1985, Patrice Cazeault est l’auteur de la série Averia, une saga de science-fiction primée alliant personnages forts et écriture explosive. Il est aussi le cofondateur de l’événement « Le 12 août, j’achète un livre québécois ». Dans ses temps libres, il vit à Granby.

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    Aperçu du livre

    Un western fantasy - Ysandelle - Patrice Cazeault

    CHAPITRE 1

    La nuit faisait rage.

    Perchée tout en haut, accrochée dans un ciel sans nuages, la lune éclaboussait la façade d’un entrepôt. Les grandes portes entrouvertes laissaient filtrer les sons de l’agitation qui régnait à l’intérieur. Des bruits métalliques enterraient le concert des grillons et le claquement des ailes des chauves-souris qui gobaient les papillons nocturnes trop aventureux.

    Les rayons de l’astre lunaire révélaient certains mouvements à l’intérieur de l’édifice. L’ombre d’un guetteur se dessinait aussi sur les herbes hautes qui entouraient l’entrepôt, dernier bâtiment en retrait de la ville. On pouvait entendre au loin la rumeur de Red Hills, jamais vraiment endormie. Une certaine frange de sa population profitait du couvert de la nuit pour s’adonner à une variété d’activités illicites, perpétuant la sinistre réputation de cette agglomération de la frontière.

    À travers une fenêtre du dépôt de marchandises, un œil avisé remarquerait une étincelle.

    Bientôt, des silhouettes évacuèrent le bâtiment. Deux gars tiraient une lourde malle.

    — Dis, il appartient vraiment à la Reine pâle, cet entrepôt ? murmura le guetteur, qui s’était dépêché de rejoindre ses deux comparses.

    — Qu’elle bouffe des vers, lui répondit-on.

    — Personne ne l’a vue depuis des semaines. Et ses sbires se tiennent à carreau.

    — Se tiennent à carreau ici, peut-être. Mais il paraît que ça grouille plus à l’ouest, à la vieille baraque de Jed Walker.

    — Raison de plus pour se servir ici tandis qu’ils sont occupés ailleurs.

    Trop massive, la malle traçait un sillage sur leur passage. Derrière les brigands, des flammes orange commencèrent à illuminer l’herbe qu’ils piétinaient.

    — Personne ne nous a remarqués ? demanda l’un de ceux qui se démenaient pour traîner le butin.

    — Pas âme qui vive, confirma le guetteur.

    Tous les trois se retournèrent pour observer l’incendie qu’ils avaient déclenché. Déjà, les murs craquaient, noircis par le feu en train de ronger l’entrepôt depuis l’intérieur. L’herbe autour rougeoyait, et la lueur des flammes pulsait au gré du vent qui l’alimentait. La charpente sèche du bâtiment ne résisterait pas plus de quelques minutes au brasier ; la marchandise accumulée par les Kireyev serait réduite en cendres et un petit morceau de leur empire, rayé de la carte. Ce larcin ne resterait pas impuni, mais comment diable la vampire et ses serviteurs arriveraient-ils à retrouver les coupables ?

    Satisfaits, les malfaiteurs se remirent à traîner leur cargaison.

    Il fallut un moment à leurs yeux pour se réhabituer à l’obscurité. Les rayons de la lune se mariaient aux lueurs de l’incendie et épousaient la danse de l’herbe caressée par la brise.

    Il leur fallut aussi un moment avant de repérer la silhouette droite et immobile, au milieu du champ.

    — Pas âme qui vive, tu disais ? reprocha l’un des malfrats au guetteur.

    — Fiche le camp ! ordonna l’autre en déposant son coin de la malle sur le sol.

    La silhouette ne broncha pas. Les truands pouvaient distinguer la forme d’un homme et de son chapeau, mais pas beaucoup plus. Le vent changea de direction et cessa de pousser dans leur dos l’air chauffé par le brasier.

    — On ne te le répétera pas, connard. Dégage.

    Les trois bandits dégainèrent leurs pistolets. Le cliquetis de leurs armes annonçait qu’elles étaient chargées et parées à tirer.

    Mais l’intrus ne bougea toujours pas.

    — Tire-lui dessus, plaida le guetteur, la voix étreinte par la peur.

    — Ouais, dégommons-le. Ne laissons aucun témoin, surtout s’il s’agit d’un espion de la Reine pâle…

    Celui qui menait le groupe fit un pas, le canon de son revolver pointé sur l’étranger.

    — Pour qui bosses-tu ?

    Il n’obtint pour toute réponse que le vent à présent glacial qui soufflait dans leur direction.

    — Dans ce cas…

    Le truand pressa la gâchette de son arme, et la détonation résonna dans le champ comme un coup de tonnerre. La silhouette s’effondra aussitôt avec un bruit mat, sa dépouille maintenant invisible, dissimulée par les herbes hautes. Les trois brigands restèrent immobiles un moment, à surveiller les ombres tout autour. Puis ils sursautèrent lorsque la structure de l’entrepôt lâcha derrière eux. Le toit s’écroula, avalé par les flammes, tandis que les poutres et les quelques murs encore debout ployèrent en crissant. Une volée de tisons virevolta vers le ciel en sifflant, emportée par un tourbillon.

    — Bon, trancha le chef de la petite troupe, on s’en va…

    Comme ils se penchaient pour soulever la malle à nouveau, un mouvement attira l’attention du guetteur.

    — Oh merde ! s’écria-t-il en reculant.

    Livide, il bascula par-dessus le coffre. Ses camarades se redressèrent pour voir ce qui l’avait mis dans cet état. Ils découvrirent la silhouette de l’homme qu’ils venaient d’abattre toujours dressée au milieu du champ, menaçante. Le brasier qui se déchaînait derrière eux enfla encore et projeta sa lumière incandescente plus loin.

    Sous le chapeau de l’étranger brillaient deux yeux gris acier.

    L’inconnu déchirait l’air de son regard et son aura promettait mille dangers. Un vent de panique se leva sur la petite bande. Tout en poussant des jurons, les malfaiteurs détalèrent en abandonnant le coffre derrière eux. Ils coururent, affolés, jusqu’à rattraper l’apparente sécurité de la civilisation.

    L’homme qu’ils avaient tenté d’abattre n’esquissa pas le moindre mouvement pour les suivre.

    Il demeura sur place un long moment encore, sous le disque luminescent de la lune, sa silhouette bien droite face à l’incendie qui commençait à pâlir devant lui. Les flammes léchèrent le ciel sombre avant de décroître, la lueur bientôt noyée par la noirceur. Et quand des nuages vinrent éclipser l’astre nocturne, il ne resta que l’incandescence des braises.

    Dans l’obscurité, les yeux gris acier se teintèrent de la couleur de la fournaise qui refroidissait au milieu des débris.

    CHAPITRE 2

    Un coup de vent chassa le nuage de poussière, et les sabots d’un cheval piétinèrent le sentier de sable compacté.

    London Maize retira son chapeau pour passer une main dans sa crinière de cheveux tressés. Malgré l’heure matinale, le soleil cuisait déjà le paysage aride et les pauvres malheureux qui s’échinaient à le traverser quand même. La chasseuse de primes plissa les yeux en repérant au loin la forme rectangulaire des petites maisons de pierres et de terre cuite d’une agglomération.

    — On est arrivés, mon trésor ! lança-t-elle par-dessus son épaule.

    En attendant que Cassidy la rejoigne, London défit la corde qui retenait sa gourde à la ceinture de balles sur sa poitrine et but une gorgée d’eau. Elle vida le reste de son contenu sur la tête de son cheval, pour le rafraîchir. L’animal renâcla, les oreilles repliées pour se protéger de cette douche impromptue.

    — Tu traînes de la patte, annonça London quand la monture de Cassidy arriva à ses côtés.

    Le jeune homme gratta la barbe à son menton.

    — On est où, exactement ?

    — La Sequìa. Ce qu’il y a de plus développé dans les environs. À moins de remonter vers Red Hills.

    — Ce qu’il y a de plus développé si on compte les poulaillers et les latrines comme des bâtiments modernes.

    — Ce que tu peux être rabat-joie…

    Cassidy bâilla en lorgnant la ville. Ses boucles blondes en désordre sur sa tête lui tombaient presque dans les yeux, mais il avait refusé que London les lui coupe. Son chapeau reposait sur son dos, retenu par une ganse. Le jeune homme tenait lâchement les rênes de son cheval et se laissait bercer par les déhanchements de l’animal, sans se presser.

    Ils ne connaîtraient sans doute pas la gloire que son compagnon recherchait tant à La Sequìa, pensa London, mais au moins ils trouveraient peut-être du travail. La dernière prime touchée remontait à plusieurs semaines déjà, et ils n’avaient pas décroché le gros lot non plus. Cinquante dollars pour Larry le voleur de bétail ; pas de quoi écrire à sa vieille mère. Leurs économies s’évaporaient comme de la rosée dans le désert.

    Toutes les petites villes avaient des crapules à expulser ou des brigands à faire coffrer. Suffisait que Cassidy daigne accepter ce genre de boulots…

    — La Sequìa… commença justement le jeune homme en faisant la moue derrière. Ça signifie quoi ?

    — La sécheresse.

    Ses traits se brouillèrent tandis qu’ils se rapprochaient du village. Voilà qu’il se remettait à faire la gueule !

    — Tu pourras faire un effort pour être aimable, Cassidy Jackson ? Il n’y a que moi qui essaie de nous dénicher du boulot !

    — Y a pas que l’argent qui compte, London Maize, répondit-il en imitant l’emphase qu’elle avait mise sur son nom. Si on accepte n’importe quoi, on ne vaut pas mieux que la vermine qu’on pourchasse. Ce n’est pas en vendant son pistolet pour une poignée de dollars que Jed Walker s’est taillé sa légende.

    — C’est facile à dire pour lui maintenant qu’il est plein aux as…

    London se retourna sur sa selle. Comme elle s’y attendait, Cassidy se renfrogna, les sourcils froncés et le regard résolument fixé ailleurs que sur elle. Il évoquait régulièrement le fameux Jed Walker pour vanter son passé glorieux, mais ça avait toujours le même effet ; rendre le jeune homme encore plus misérable. Quand, exaspérée, London proposait qu’ils retournent à son manoir, Cassidy refusait catégoriquement.

    Il n’osait pas revoir son mentor maintenant que Renard était décédé et que Qqova avait préféré suivre Taza la Mort. Ou peut-être avait-il honte de revenir chez Jed Walker avec celle qui avait précipité l’éclatement de leur petite famille de hors-la-loi…

    — Ne bousille pas nos chances de gagner un peu d’argent, Cassidy. C’est tout ce que je te demande.

    London pencha la tête sur le côté et papillonna des yeux.

    — Compris, trésor ?

    Un sourire naquit sur les lèvres de Cassidy.

    — Parce que sinon je te broie les os, compléta-t-elle en souriant à son tour.

    — Si charmante…

    Tandis qu’elle se retournait, un cavalier vint à leur rencontre sur un petit cheval trapu. Malgré la chaleur, il portait un long manteau brun ouvert sur sa chemise tachée de sueur, et son visage peinait à apparaître sous son grand chapeau dont les bords s’affaissaient de chaque côté de sa tête.

    — Qui va là ? demanda l’homme en jaugeant les nouveaux venus.

    — Des voyageurs, annonça London.

    Comme le villageois lorgnait leurs armes accrochées à leurs ceintures, elle précisa :

    — En quête de travail…

    L’homme remua sa large moustache et sembla considérer que leur arrivée gâchait sa matinée. Ses paupières furent prises d’un violent tic nerveux alors qu’il grimaçait.

    — Avant toute chose, vous devez venir payer vos respects à don Hernan.

    — Nous en avions l’intention, improvisa London en prenant un air déférent.

    London et Cassidy le suivirent, atteignant la ville et ses bâtiments bruns et moches. Il y avait peu d’activité dans les rues. Ici et là, des poules traversaient le chemin, de vieilles femmes ridées les regardaient passer depuis de petites fenêtres sans carreaux et des enfants couraient en cognant des bâtons ensemble.

    Bientôt, ils approchèrent de la place centrale de La Sequìa. Des gens étaient rassemblés autour d’une demi-douzaine de tables nichées sous un paravent rouge. Un restaurateur faisait l’aller-retour entre ses clients et le comptoir à aire ouverte de son auberge. Le cavalier ordonna aux nouveaux venus d’attacher leurs chevaux à une clôture. London et Cassidy obtempérèrent et poursuivirent le reste du trajet à pied. Une odeur de maïs bouilli monta aux narines de la chasseuse de primes tandis qu’elle détaillait l’attroupement. Des types armés se redressèrent à leur approche. London avait vu ce genre de ménagerie mille fois déjà. Des hommes de main à la mine patibulaire, à la pilosité hirsute, toujours en sueur et l’air de n’attendre qu’un geste de la part de leur patron pour les malmener. Des brutes épaisses avec un éclair mauvais dans les yeux.

    Leur chef, justement, était assis tout au bout d’une table. Un homme agenouillé embrassait une bague à son doigt. Celle de don Hernan, de toute évidence. Ses cheveux noirs grisonnaient à ses tempes et fuyaient son front. Quand il adressa la parole au villageois qui lui quémandait une faveur ou lui manifestait son respect, sa moustache aux pointes effilées suivit le mouvement du sourire paternel affiché sur son visage.

    À voir tous les pistolets qui trônaient sur les tables et accrochés aux ceinturons des sbires tout autour, London ne crut pas une seule seconde à l’air affable de don Hernan. Elle reconnaissait en lui les traits caractéristiques du petit patron de brigands faisant régner sa terreur personnelle par la force et l’intimidation. Le genre de crapule dont le visage ne se retrouvait jamais sur un avis de recherche, parce que don Hernan n’avait jamais commis aucune faute, il n’avait jamais ordonné la mise à mort de ce pauvre hombre, il se souciait du bien-être de ses concitoyens. Si l’un de ses hommes de main s’en était pris à un villageois qui avait refusé de lui obéir, c’était que son sbire avait mal interprété la volonté de son maître.

    — Don Hernan ! s’exclama le gars qui les escortait toujours. Ces voyageurs viennent d’arriver en ville et souhaitent vous témoigner leur respect.

    Don Hernan resta assis. Il tourna vers eux son visage moite de sueur tandis que le villageois reculait vers le comptoir. Avec lenteur, il rabattit les manches de sa chemise crème sur ses avant-bras poilus. Ses yeux presque noirs examinèrent la chasseuse de primes et son compagnon un long moment.

    — Je suis Hernan Vera Carrero, finit-il par annoncer d’une voix forte et claire. Je suis toujours ravi de rencontrer les bonnes gens qui s’aventurent à La Sequìa. À qui ai-je l’honneur ?

    La jeune femme à la peau d’ébène fit un pas dans sa direction et s’inclina.

    — London Maize et Cassidy Jackson, don Hernan, pour vous servir. Nous sommes d’humbles voyageurs et, avec votre permission, nous aimerions trouver du travail dans cette belle grande ville.

    London savait quand plaire et quand montrer les crocs.

    — Du travail ? Ici ? se moqua un autre homme qui vint se placer à la droite de son supérieur.

    Le type empestait l’arrogance, remarqua London. Des rires gras accueillirent l’intervention du lieutenant de don Hernan. Beaucoup plus jeune, il paraissait avoir le sang chaud, et son regard bleu dégageait le genre d’intensité qu’avait un serpent à sonnette avant de mordre.

    — Quel est votre champ d’expertise, exactement ? demanda le patron, toujours bien calé dans sa chaise.

    Le restaurateur lui apporta un plat de galettes de maïs rôties et des œufs frits dans l’huile. London attendit qu’il reparte avant de répondre.

    — Chasseurs de primes.

    Aussitôt, les gardes se saisirent de leurs pistolets. Don Hernan dressa sa paume pour calmer ses troupes. Il attrapa une bouteille sur la table et, d’un geste du menton, commanda deux verres supplémentaires. Sans parler, il invita London et Cassidy à s’asseoir devant lui. D’une main assurée, il versa trois parts du liquide clair et but la sienne en une lampée.

    Du mezcal, identifia London à l’odeur. Voilà qui aurait un effet intéressant sur son estomac vide qui se tordait déjà à la vue du plat trônant sous ses yeux.

    — On voit souvent passer des gens qui exercent votre profession dans le coin, fit le patron en avalant une bouchée de son repas.

    — Peu ont de réelle expérience dans le domaine… compléta celui qui semblait être son bras droit.

    Ce dernier fixait London avec une lueur de défi, les yeux exaltés sous son grand chapeau à la mexicaine.

    — C’est nous qui avons buté Anna Chenko, déclara Cassidy.

    London se retourna vers le jeune homme, plus en retrait sur sa chaise, son verre en main. Ainsi, il avait décidé de faire sonner les gros canons dès le départ. Elle le gratifia d’une moue appréciative, comme si elle félicitait un adversaire estimé.

    — Ouais, entre autres, fit-elle en revenant vers don Hernan.

    — Anna… Chenko…

    Le patron hocha lentement la tête, l’air de se remémorer de mauvais souvenirs.

    — Qu’en penses-tu, neveu ? L’expérience de ces humbles voyageurs satisfait-elle tes exigences ?

    Le ton se voulait bon enfant, mais London y décela une lueur d’acier. L’éclat métallique des mandibules d’un piège tendu. Le neveu perçut la même chose, car il se mordit les lèvres, soutenant le regard de la chasseuse de primes pendant encore quelques secondes avant d’incliner la tête vers son patron.

    — C’est à don Hernan d’en juger, évidemment…

    — Évidemment ! confirma celui-ci en buvant son verre d’un trait.

    Il s’en resservit aussitôt une autre rasade.

    — Je suis persuadé que mon distingué neveu pourra vous trouver du travail.

    Il se remit à engloutir son repas sans plus accorder la moindre attention à London. L’entretien était terminé, estima-t-elle. Elle se leva comme un des sbires faisait mine de bouger dans leur direction pour les expulser. Pourtant, il restait tant encore à discuter : le salaire, la nature du travail, le logement…

    — Merci, don Hernan, se contenta de dire London en faisant une courte révérence.

    — Nous n’accepterons pas n’importe quel boulot, intervint Cassidy, toujours bien assis sur sa chaise.

    Ah, misère ! Cassidy était un trop bon élève. London avait usé de ces coups de poker un million de fois devant le jeune homme. Pour négocier une meilleure paie, pour gagner l’estime d’un shérif récalcitrant ou carrément pour intimider quelques sales ploucs. Mais, à l’occasion, il fallait aussi savoir se faire oublier. Notamment quand on se retrouvait encerclés par les fiers-à-bras d’un petit chef qui paraissait exercer un pouvoir absolu sur son territoire.

    — Tu vas faire ce qu’on te dira de faire, connard, et avec le sourire ! s’emporta aussitôt le neveu, l’écume visible au coin de ses lèvres.

    Son patron avait posé sa fourchette sur la table et s’essuyait la bouche avec une serviette. Un rayon de lumière passait à travers le paravent pour ricocher sur les nombreuses bagues qu’il portait. London visualisait l’or qui lui filait entre les doigts…

    — On ne dit pas à Cassidy Jackson quoi faire, insista calmement Cassidy Jackson. On le lui demande gentiment.

    Et maintenant elle imaginait la vie qui lui échappait tout aussi sûrement que les billets qu’ils ne gagneraient pas.

    — Il faut excuser mon ami, se dépêcha-t-elle de plaider tandis que les esprits s’échauffaient autour d’elle. Ses anciens patrons étaient Renard et le fameux Jed Walker. Ils lui ont montré comment tirer, mais ont oublié de lui enseigner la politesse.

    — Eh bien, commença don Hernan en posant sa serviette.

    Le vent agita une banderole au bout du paravent et souffla le fumet des galettes de maïs sur les deux visiteurs. London sentit la tension tout autour s’accroître d’un cran. Elle se prépara mentalement à saisir son pistolet. Qui devrait-elle dégommer en premier ? Ce neveu qui fulminait déjà de rage ? Les types qui se tenaient debout derrière ?

    Don Hernan termina d’épousseter la table et braqua enfin ses yeux noirs sur Cassidy.

    — Peut-être pourrais-tu gentiment nous signifier quel genre de travail siérait à un homme de ta qualité ?

    Avant que Cassidy ne puisse répondre — Dieu merci –, un villageois déboula à toute allure vers le restaurant.

    — Don Hernan, don Hernan ! La cavalerie arrive !

    Tout juste comme il achevait sa phrase, le grondement de centaines de sabots monta depuis l’autre extrémité de la longue rue principale. Apparurent bientôt les cavaliers vêtus de la fameuse tunique bleue de l’armée américaine. London avait croisé la route de nombre d’entre eux par le passé. Pas toujours les plus coopératifs, mais au moins leur nouvel employeur n’oserait sans doute pas corriger trop sévèrement l’audace de Cassidy en leur présence.

    Ni peut-être leur confier le genre de boulots dont ils s’acquittaient habituellement…

    La colonne de soldats s’étira longtemps derrière le meneur. Des chariots fermaient la marche, contenant probablement armes, munitions et provisions. L’arrivée de la cavalerie sembla grandement ennuyer don Hernan, car son visage en sueur vira au rouge. Il plaqua un regard courroucé sur son neveu, qui distribua des ordres en espagnol à ses malfrats. Ceux-ci se dispersèrent ostensiblement et s’assurèrent d’éloigner leurs grosses mains poilues de leurs pistolets.

    — Nous ignorions que vous aviez rendez-vous avec l’armée, don Hernan, s’excusa London en se penchant vers la table. Nous reviendrons plus tard…

    — Vous, vous restez ici, exigea le vieil homme.

    D’un geste sec, il lui fit signe de se rasseoir. London obéit. En retrait, Cassidy lui leva son verre et l’engloutit. La chasseuse de primes l’imita. Le mezcal avait le goût très prononcé d’un coup de poing au visage. À des miles de la subtilité de saveur qu’on retrouvait dans le rhum.

    — Don Hernan ? demanda le chef militaire une fois près d’eux.

    — Capitaine ! s’enthousiasma le truand en décodant les insignes sur la tunique de l’officier.

    Le soldat était grand, mince et portait une barbe finement taillée. À son cou était noué un foulard jaune éclatant et pas le moindrement taché par la sueur visible à son front, sous son chapeau de commandement.

    — Capitaine Taylor, se présenta-t-il. Vous me voyez désolé de troubler la quiétude de votre ville, mais une affaire urgente m’oblige à passer cette région au peigne fin. Je requiers votre assistance. Croyez-vous pouvoir héberger une partie de mes troupes ainsi que me prodiguer conseils et renseignements ?

    Cassidy s’étira vers London et chuchota à son oreille.

    — Je le connais. Te souviens-tu du train rempli d’or dont je t’ai parlé ? C’est lui qui le défendait.

    London le passa à nouveau en revue, de ses bottes étincelantes à ses pantalons gris, de sa veste impeccable jusqu’à son chapeau exempt de poussière, malgré le vent qui ne cessait de leur projeter dessus toute la saleté qui traînait sur le sol. Beaucoup trop propre pour London, mais elle devait avouer qu’il dégageait un quelque chose d’attirant.

    — Je serai honoré de vous venir en aide, capitaine. Considérez que La Sequìa et ses habitants sont à votre entière disposition.

    — Très bien. J’en suis ravi. Ainsi, j’irai droit au but. Je traque en ce moment une bande d’Indiens qui se seraient réfugiés dans la région.

    London se retint de jeter un coup d’œil à son compagnon.

    — Aussi, tout ce que vous pourrez m’indiquer à leur sujet me sera utile.

    Don Hernan plissa les lèvres en une moue songeuse.

    — Des Indiens… Des Indiens… As-tu vu des Indiens dans les parages, Juan ? demanda-t-il à son neveu.

    — Pas un seul, don Hernan.

    Juan réservait maintenant au capitaine son regard fou qu’il avait auparavant braqué sur la jeune femme à la peau d’ébène. Il était autrement moins convaincant que son oncle. Taylor les considéra tous les deux un long moment avant de lentement retirer ses gants blancs. Il les secoua en deux claques sèches sur ses cuisses pour en chasser la saleté inexistante. Son cheval renâcla.

    — Voyez-vous, nous suivons ce groupe à la trace depuis plusieurs mois déjà, et nous avons des raisons de croire qu’ils reviennent régulièrement ici pour se ravitailler en armes et en munitions.

    — La contrebande d’armes aux Indiens est interdite, capitaine… rappela don Hernan d’un ton soucieux qui ne bernait pas London.

    — C’est en effet une offense capitale.

    Les deux hommes se défièrent du regard un court instant.

    — C’est pourquoi j’offre une récompense substantielle à quiconque pourra me lancer sur la piste des Indiens… ou des contrebandiers qui les alimentent.

    London se garda de se mettre à saliver. Pour elle, la culpabilité de don Hernan ne faisait aucun doute.

    — J’aimerais beaucoup vous aider, capitaine, reprit don Hernan en massant ses tempes grises, mais je n’ai vu aucun Indien dans la région depuis longtemps. Et à ma connaissance, c’est la même chose pour quiconque à La Sequìa.

    Il se tourna vers les quelques hommes restés près de lui. Juan secoua la tête. Les autres malfrats l’imitèrent. Sauf le villageois.

    — Les Indiens sont bien venus, s’exclama celui-ci, mais don Hernan les a chassés ! Jamais il n’accepterait de trafiquer avec ceux-là.

    London ne put s’empêcher de grimacer. L’intention était noble, pensa-t-elle en glissant un coup d’œil vers le pauvre type. Il parut comprendre son erreur, car il rougit aussitôt. Avec un peu de chance, cette gaffe éclipserait l’affront de Cassidy envers le seigneur de la ville.

    Juché sur son cheval, le capitaine Taylor haussa les sourcils, un geste infiniment plus généreux que ce que London aurait eu comme réaction à sa place. « Ainsi, vous me prenez pour un con » aurait été la réponse appropriée selon elle.

    — Ces Indiens-là en particulier n’ont pas retenu votre attention, je présume, don Hernan…

    Pas si mal, jugea London en examinant la frustration qui crispait les traits de son employeur potentiel.

    — Capitaine Taylor… commença-t-il d’une voix basse.

    Mais de l’agitation tout au bout de la colonne de soldats l’interrompit. Un cavalier arrivait au galop en secouant son foulard jaune. Sa tenue à lui était passablement plus écorchée que celle de son chef.

    — Capitaine, capitaine ! criait-il.

    — Qu’y a-t-il, caporal ?

    La monture comme l’homme soufflaient bruyamment. Le sous-officier retira sa casquette pour s’éponger le visage.

    — Les éclaireurs ont repéré les Indiens…

    — Voilà une excellente nouvelle ! se réjouit Taylor en récupérant un long morceau de papier du sac attaché à la selle de son cheval.

    Il déplia joyeusement la carte qui claqua un instant au vent.

    — Indiquez-moi où ils ont été aperçus…

    Le caporal, visiblement moins enjoué, serra le poing sur son chapeau. Il y eut un court et pathétique silence. London ramena derrière ses oreilles une tresse que la bourrasque avait jetée sur son visage sans lâcher le sous-officier des yeux.

    — Il y a un problème, capitaine… Le sergent Larson a déjà lancé l’attaque…

    CHAPITRE 3

    Le reflet d’Anna Chenko qui miroitait dans la flaque d’eau se brouilla quand Parade la piétina de ses sabots. Anna se tenait voûtée sur la monture. Son regard traînait sur la crinière de l’animal ou sur les rues boueuses du village qu’elle traversait. De temps à autre, elle jetait un coup d’œil plus haut, à travers les longues mèches grasses et ternes de ses cheveux qui pendaient devant son visage. Ainsi, elle dissimulait aux crétins de villageois les horribles cicatrices qui boursoufflaient sa peau par endroits.

    Un violent frisson lui parcourut le dos, et Anna ramena sa cape contre ses épaules. Elle avait si froid. Et, en même temps, un brasier lui dévorait l’estomac. La sorcière n’arrivait pas à ingurgiter quoi que ce soit depuis des jours, refusait catégoriquement tout ce que Marie lui préparait, et pourtant une faim impérieuse ne la quittait jamais. Elle était souvent en proie à de puissants vertiges. Justement, le village autour d’elle tanguait à l’instant même.

    Comme s’il était sensible à son sort, Parade claqua doucement des dents.

    L’animal décida qu’il avait soif et bifurqua à gauche, coupant le passage à une charrette qui dut brusquement virer pour éviter la collision. Le cheval plongea la tête dans un bac d’eau et se désaltéra goulûment avec sa grande langue répugnante. Anna le laissa faire. Elle se fichait éperdument d’où elle allait ; en ce sens, les instincts de la bête valaient tout aussi bien que les désirs de la sorcière. De toute façon, qu’avait-elle d’autre à faire en attendant que Marie finisse de les ravitailler ?

    Soudain, Anna sentit la chose s’éveiller à l’intérieur d’elle. Le vide dans ses veines se remplit. Quelque chose enfla en elle. Comme si elle n’était plus qu’un gant qu’on enfilait. La présence désormais familière s’accompagna, comme d’habitude, d’une bouffée de rage qui lui chauffa le crâne. Marie avait souvent souffert des accès de colère de son maître depuis les dernières semaines.

    Il fallut un moment à Anna pour prendre conscience d’un regard sur sa personne. À travers ses vertiges, elle aperçut une jeune fille à sa gauche, à la périphérie de sa vision. Elle avait de longs cheveux foncés, un grand visage curieux et des yeux gris qui lui rappelaient ceux de Renard. La chose était si mince qu’elle évoquait un roseau sectionné à la moitié de sa hauteur. Tachée de boue, sa robe noire au collet blanc avait connu de meilleurs jours. Autre chose encore attirait le regard : niché au creux de ses mains sales se tenait un crapaud.

    — Fiche le camp, grinça Anna.

    Mais la jeune fille ne broncha pas, sans doute hypnotisée par la laideur de la sorcière. Anna écarta ses mèches autrefois blondes et ondulées pour découvrir son visage, espérant cette fois obtenir une réaction. La gamine arrondit la bouche, mais ses longues jambes chétives restèrent bel et bien plantées dans le sol.

    — Va-t’en, j’ai dit !

    Au moment où les mots franchissaient sa gorge enrouée, Anna sentit un picotement dans ses os ; une sensation qui ne s’était pas manifestée depuis longtemps déjà. Quand les sorcières de son camp pratiquaient la magie de façon quotidienne, Anna baignait dans cette effervescence, constamment survoltée par le pouvoir que ses apprenties déployaient autour d’elles.

    Aujourd’hui, il ne restait personne autour d’Anna sauf Marie. Elle avait envoyé la moitié de ses sœurs vers la mort, et l’autre moitié était partie.

    C’est elle que tu cherches.

    La voix avait parlé aussi clairement que si son propriétaire était également juché sur Parade, juste derrière Anna. Âpre, rugueuse, à la fois rougeoyante et sombre comme la nuit la plus noire. La voix lui chuchotait à l’oreille derrière l’épaisseur d’un mince voile depuis lequel on distinguait le grondement d’un tonnerre lointain.

    — Je ne cherche personne, marmonna Anna sans quitter la jeune fille du regard.

    C’est elle. Tu l’as trouvée.

    Anna considéra l’enfant. Elle n’avait pas peur. Ses yeux gris semblaient gober chaque détail de la sorcière. Dans ses mains, le crapaud coassa grassement.

    — Tania ! fit une autre voix, criarde. Viens ici immédiatement !

    La mère de la gamine, fort probablement, déboula du commerce devant lequel était stationné Parade et agrippa le bras de l’enfant. Elle tira si fort que l’épaule de la jeune fille aurait pu être disloquée. Elles filèrent, surveillant toutes les deux la sorcière en se retournant vers elle, l’une avec une expression de dégoût et de

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