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Ignacio et le spectre de Monrovia
Ignacio et le spectre de Monrovia
Ignacio et le spectre de Monrovia
Livre électronique256 pages3 heures

Ignacio et le spectre de Monrovia

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À propos de ce livre électronique

Après la mort de son père, Ignacio quitte son quartier défavorisé de Lomé à l’âge de quatorze ans, pour aller vivre avec sa tante Antonella, dans une banlieue au sud de Paris en 1981, où il s’alliera d’amitié pour la vie, avec quatre garçons de la même génération. Celle de Mitterrand.
Avec le bac en poche, il entre rapidement dans la fonction publique dans le but d’aider le reste de sa famille resté au pays.
Malgré son amour pour la France et une vie plutôt agréable, il décidera de tout quitter pour retourner dans son pays d’origine, pour donner un coup de pouce aux plus faibles. Car la vue de ses frères réfugiés économiques débarquant en France lui devenait insupportable.
Comment sera-t-il reçu à son retour ?
LangueFrançais
Date de sortie6 juin 2019
ISBN9782312066431
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    Aperçu du livre

    Ignacio et le spectre de Monrovia - Colman Say-Wanou

    cover.jpg

    Ignacio

    et le spectre de Monrovia

    Colman Say-Wanou

    Ignacio

    et le spectre de Monrovia

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    © Les Éditions du Net, 2019

    ISBN : 978-2-312-06643-1

    À Félicia, Antoinette

    et toutes les mères.

    Préambule

    Pour mieux appréhender ce premier roman, il faut savoir que l’auteur n’est pas le narrateur.

    Ce dernier ne sera identifié qu’au chapitre XVI, afin de conserver tout l’intérêt de l’histoire.

    Le narrateur s’adresse au personnage principal du livre, Ignacio qu’il n’a jamais vu, à la deuxième personne du singulier, suite à la découverte de ses récits, sous forme de carnet de notes.

    Ce livre est une fiction et toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé est purement fortuite.

    Chapitre I. La fin de récréation

    – Ignacio… Ignacio… Ignacio.

    Au loin, tu entends très bien qu’on t’appelle. Tu reconnais cette voix stressante, stridente et stupide. C’est elle, cette vipère d’Ablavi, la commère du quartier, notoirement connue pour régurgiter sans vergogne son venin sur la place publique. Les moindres détails de sa vie privée, y compris ses acrobaties conjugales nocturnes, et cela va de soi, les cancans du voisinage sont pour elle une jouissance quotidienne. Sa raison d’être. Il faut vraiment être étranger à ce lieu pour l’aborder en lui confiant ses états d’âme.

    Tu n’as que faire de ses vociférations, tu ne vas tout de même pas arrêter ta partie de football dominicale dans la cour de l’école primaire du quartier, pour entendre encore cette concierge déblatérer des inepties afin de satisfaire son plaisir solitaire.

    Étant capitaine de ton équipe, tu continues de mener tes gars vers le camp adverse dans le but de creuser davantage le score. C’est plus fort que toi, la victoire ne te suffit pas, il faut humilier l’adversaire, le mettre KO par tous les moyens, et le choix élitiste de tes coéquipiers ne perd de vue, en aucune manière, cet objectif.

    Cela fait un quart d’heure que vous avez entamé la deuxième mi-temps, il est quinze heures ce premier dimanche ensoleillé des grandes vacances de juillet mille-neuf-cent-quatre-vingt-un. Vous menez par trois buts à zéro et l’euphorie conquérante commence à démanger tes acolytes assoiffés de victoire.

    Mais le ciel s’énerve, il tremble, occulté par ces nuages ténébreux. Le vent se lève au sud, du côté maritime à quelques encablures d’ici. La pluie est imminente.

    Et c’est bien normal pour cette période de l’année qu’on qualifie de petite saison des pluies, en comparaison avec les pluies tropicales diluviennes des mois de mars et d’avril.

    Curieusement, cela ne semble pas effrayer les six corbeaux, anormalement silencieux, inexpressifs et immobiles, perchés sur le toit de l’école primaire, les yeux tournés en direction du terrain de jeu assiégé, comme spectateurs, guettant un autre événement que celui qui se déroule ostensiblement sous leur bec.

    La voilà enfin, la pipelette aboyeuse du quartier, le septième volatile de mauvais augure en ce septième jour de la semaine, bras tendus depuis la rue, à travers la grille verrouillée de l’école, visage émacié, anguleux, les yeux exorbités, rougis certainement par des larmes de crocodile, fichu noir noué sur la tête, pieds nus, phagocytée d’un boubou vert foncé, souillé par la soudaine averse venue de l’Océan Atlantique, accentuant son teint d’ébène.

    De loin, elle semble être embastillée derrière ce portail de fer, suppliant ses geôliers de la laisser sortir.

    – Ignacio, Ignacio mon petit, viens vite dans mes bras, il est arrivé un malheur, te supplie-t-elle, d’une voix incroyablement douce, laquelle contraste étrangement avec ce tableau mouvant de la détenue en peine.

    Interloqué, tu t’arrêtes net dans ta progression conquérante à cinq mètres du but latéral gauche adverse, ballon soudé aux pieds. Tu le dégages inhabituellement en touche au lieu de faire une passe à Kossi, ton meilleur attaquant, après toi bien entendu, positionné à la limite du hors-jeu face au gardien.

    De toute façon, comment la partie pourrait-elle continuer après une intervention venimeuse aussi surprenante que foudroyante ?

    Dès lors, toute la cour de l’école, les deux équipes et les spectateurs, se dirigent vers la grille, derrière toi comme un seul homme, en une espèce de procession silencieuse, sous une pluie capricieuse de plus en plus pugnace.

    Même les six taiseux à plumes suspendus au toit de l’école se sont discrètement volatilisés. Ils ont certainement déjà eu vent de la mauvaise nouvelle. Pour eux aussi, le spectacle est terminé.

    Il t’est impossible d’ouvrir la grille. La cour de l’école est notoirement connue dans tous les environs, pour être le repère des squatteurs footeux récidivistes du quartier.

    Pourtant, son directeur ferme les yeux sur l’occupation clandestine de l’établissement, le mal nommé « ESPOIR », en déplorant l’inexistence de terrains de jeux dans la cité pour les jeunes.

    Tu te satisfais fort bien de cette séparation imposée par le portail ferré, entre toi et cette mégère, qui permet d’éviter toute effusion familière soudaine, pouvant faire jaser tout le voisinage.

    Attrapant tes deux mains à travers la grille, elle se baisse doucement en te dévisageant, puis penche sa tête d’une épaule à l’autre comme pour mieux scanner tous les détails de tes émotions.

    Puis, elle miaule en t’annonçant :

    – Il faut être fort mon petit. Fogan n’est plus. Il a rendu l’âme ce dimanche à douze heures, trente minutes et cinquante secondes à l’hôpital de Tokoin. Ta cousine Akossiwa en revient tout juste. Na y est encore. Toutes mes condoléances, mon enfant.

    Ton père Samuel vient de passer l’arme à gauche, à quarante-neuf ans. Et cette précision suisse sur l’heure de son décès ne t’ébranle même pas, de la part de cette concierge invétérée. Pas plus que le trépas lui-même, au demeurant. Tu n’es pas triste. Ton père n’était pas attachant. Tu ne l’aimais pas. Il était méchant.

    Ce qui te désarçonne le plus, c’est la familiarité avec laquelle cette vipère se permet de nommer affectueusement tes parents, comme vous le faites dans l’intimité de la famille. Elle n’est pas l’une des vôtres. Fogan, ton père par ci, Na, ta mère par là. Elle n’a pas le droit de s’approprier votre vie privée. C’est insupportable.

    Samedi, il y a une semaine, aurait donc été ton ultime visite à ton père à l’hôpital. Cloué sur son lit, il avait beaucoup maigri, inhabituellement barbu, souffrant le martyre à cause de ses deux jambes sectionnées au niveau des genoux, méconnaissable mais pas agonisant.

    La disparition de ta mère t’aurait plus anéanti. Après tout, c’est elle qui se fend en quatre comme un beau diable, chaque jour que Dieu fait, pour que ton frère, tes deux sœurs et toi, restiez entiers dans ce quartier pauvre, populaire, paupérisé, et ostracisé à l’extrême sud de la capitale, tandis que le géniteur régnait dans sa maison luxueuse sur les hauteurs de Lomé, au nord-ouest à une dizaine de kilomètres de votre trou à rats, avec sa première femme et ses cinq autres avortons.

    Une troisième greluche sans enfant, créchant à quelques encablures de son quartier de privilégiés, complétait cette liste matrimoniale inflationniste et non exhaustive.

    À quatorze ans, te voici rejoindre la cohorte d’enfants orphelins de père, de mère et parfois des deux, particulièrement dans ce pays inégalitaire à tous niveaux, aux mœurs primaires, anachroniques et douteuses, ce qui s’applique plus généralement à cette Afrique où les pouvoirs sont absolument claniques et corrompus.

    Comment peut-on poursuivre plusieurs gazelles à la fois sans s’épuiser inutilement ? À ce qu’on raconte, il arrivait à ton père de déjeuner trois fois certains dimanches, pour satisfaire la gamelle de chaque concubine.

    La polygamie est un sport masculin chez une grande majorité des Togolais, de toutes catégories sociales confondues. À la fin, ce sont toujours les femmes et les enfants qui en souffrent le plus.

    Ton père était boulimique dans toutes ses entreprises. Trop de femmes, trop de baises, trop d’enfants, trop de repas arrosés, trop de travail, trop de colères, trop d’impatiences…

    Tu le craignais par-dessus tout, tu t’es toujours demandé en ton for intérieur quand cela cesserait.

    Les rares soirées de devoirs scolaires et de révisions sous son autorité t’ont laissé des traces physiques et morales indélébiles. Les souvenirs d’engueulades, de jurons, de gifles et de chicote ne reviendront dorénavant plus te hanter que dans ton sommeil et s’estomperont peut-être un jour.

    C’est con à dire, mais ce putain de diabète du type un, s’est autoproclamé votre juge de paix.

    *

    La pluie a cessé et la nouvelle s’est répandue comme un torrent, une rivière sortie de son lit pour inonder tout le quartier et au-delà. Comment pouvait-il en être autrement avec la concierge ?

    La cour du terrier qui vous sert de maison de colocation est spectaculairement noire de monde. Tu n’échapperas pas à la présence traditionnelle, à chaque décès, de ces voisins pleurnichards, ces comédiens criards, ces baratineurs patentés, ces spectateurs curieux ainsi que ces griots bonimenteurs, soucieux parait-il de venir soulager la peine de la veuve et des orphelins.

    Encerclé, protégé par tes camarades de jeu, briseurs de foule, agglutiné à la sangsue d’Ablavi, qui relève son menton, ses narines exceptionnellement écartées comme pour humer ces badauds, fière de partager l’affiche de cette pièce lugubre qui se joue à guichet fermé, tu te frayes péniblement un chemin en direction de la porte du cabanon familial défraîchi par le temps qui passe.

    Tu aperçois enfin ta jeune sœur Péguy, neuf ans, les yeux rouges et cernés, assise devant la porte en tôle rouillée de la case, sur ce vieux banc bancal que ta mère tarde à réparer depuis neuf mois. Une éternité.

    Dans ce vacarme insaisissable, son regard perdu dans l’assistance semble l’envoyer hors sol, loin des préoccupations d’une enfant insouciante. Elle semble avoir subitement maigri sur place.

    Arraché du septième corbeau escorteur encore présent, tu cours vers Péguy. Elle te voit et se lève précipitamment de ce banc agonisant, manquant de se vautrer par terre pour venir à ta rencontre. Tu la serres fort dans tes bras :

    – Ça va aller sœurette, lui susurres-tu à l’oreille.

    – Je ne sais pas, sanglote-t-elle.

    – Si, si, tu verras. On va se serrer les coudes et on y arrivera ensemble, la rassures-tu.

    – Tu crois ?, hésite-t-elle.

    – Bien sûr.

    – Que le ciel t’entende !

    – Où sont les autres ?, lui demandes-tu pour regrouper la fratrie.

    Exténuée par tout ce tohu-bohu devant la casbah, Péguy cesse un instant de parler, tendant son bras droit en désignant de l’index la direction de la chambre située à gauche du cabanon pour t’indiquer l’endroit où se niche le reste de la famille.

    Tu l’aides à se rasseoir délicatement sur le banc estropié, puis tu te diriges vers la cible désignée en laissant derrière toi la foule de visiteurs de bonne volonté, assise à même le sable, allant chacun de leurs commentaires anecdotiques sur le défunt, que la plupart ont peu croisé.

    Allongé sur la natte, dans ce qui ressemble à un mini dortoir ridicule, Cassius, six ans, bouche grande ouverte, aucunement dérangé par les hôtes piaillards, distants d’à peine six mètres, dort comme un loir sur le dos, bras et jambes écartés comme s’il flottait dans l’eau excessivement salée de la Mer Morte, libéré de toute apesanteur.

    À deux pas du rêveur, dans le cagibi servant de chambre maternelle, occultée par un simple vieux drap troué de toute part, Solenn la benjamine de deux ans, émerge doucement de sa sieste dans le petit lit qu’elle partage avec sa mère. En t’apercevant se moquant de ses quenottes incomplètes, un grand sourire naturel illumine son visage poupon insouciant, dans cette chambre sans fenêtre, aussi obscure qu’une fosse septique. Tu ne peux t’empêcher de la prendre dans tes bras, l’étouffant allègrement de bisous, ce petit bout de chou que tu chéris par-dessus tout. Elle t’appelle Nacio et ses gazouillis maladroits te chatouillent à travers tout le corps, rendant cette parenthèse magique et intemporelle.

    Mais tu connais déjà la suite. Les jours de deuil à venir seront longs. C’est traditionnellement écrit d’avance. Ton père n’est pas prêt d’être enterré.

    *

    La nuit a été courte pour Na : couchée à deux heures du matin et levée à cinq, alors que toute la smala roupille encore à poings fermés suite à une après-midi bien longue et tourmentée.

    De toute façon, à une demi-heure près, c’est son heure de réveil habituel. En temps ordinaire, elle se couche bien après les poules et se lève souvent avec les coqs. Comment pouvait-il en être autrement quand on a peu de moyens en vivant dans un taudis ?

    Avec quatre marmots à élever, en plus d’une nièce lointaine prénommée Akossiwa, treize ans, orpheline de ses deux parents, qu’elle a décidé un beau jour, si tant est que ce jour fut beau, de recueillir dans son clapier ridicule voici deux ans, Na tire le diable par la queue afin de nourrir sa famille.

    Au royaume des aveugles, le borgne n’est-il pas roi ?

    C’est comme ça, dans ce pays ! En dehors des rares orphelinats de bonnes sœurs, congestionnés, la solidarité familiale, souvent avec peu de moyens, se substitue à l’État, en s’accordant pour se partager au mieux, la pauvre fratrie endeuillée, comme on hériterait de bibelots encombrants des parents défunts.

    Les mômes sont ainsi extirpés des griffes aguicheuses des réseaux de prostitutions notoires, des marchands d’esclaves indigènes ou pire, des trafiquants d’organes humains allogènes.

    Pour autant, ces gosses sont rarement assimilés aux enfants de la famille d’accueil, et ne sont quasiment pas scolarisés. Pourquoi faire ?

    On les nourrit et on les blanchit. Selon la coutume, c’est amplement suffisant !

    C’est ainsi qu’Akossiwa est devenue le bouche-trou de la famille, la petite main qui remplace largement six grosses, la bonne à tout faire de la maison, accompagnant la mère partout comme un toutou bien sage.

    Hier dimanche après-midi encore, après son retour de l’hôpital comme messagère de mauvaise nouvelle dans la cité, elle a parcouru à pied les quartiers limitrophes en tant que faire part ambulant à destination de la famille proche, jusqu’à la nuit tombée.

    Dans cette aube nouvelle encore sombre et endormie, Na laisse derrière elle sur son lit, Solenn. En sortant de son semblant de chambre, elle enjambe instinctivement dans le noir, le reste de la troupe, serrée comme des maquereaux à même le sol, dans cette autre seule pièce exiguë, servant de dortoir.

    Son programme est chargé ce lundi matin. Gardant à sa taille dodue juste un pagne blanc immaculé, ses seins gargantuesques à l’air, pieds nus, elle prélève machinalement dans l’obscurité totale, sept cierges dans le sac-stock en toile de jute mité, s’éternisant par terre dans un coin du dortoir étriqué qu’elle connaît par cœur. Puis juste au-dessus, sur un semblant d’étagère, elle empoigne une bouteille en plastique d’un litre remplie de Sodaby, le rhum de maïs local, avant de débarquer directement dans la cour de la maison, enfin débarrassée des badauds bruyants.

    Elle longe en face, dans le noir du matin calme, la case en bois tremblotante du couple Kodjo, encouragée par le ronflement tintamarresque de monsieur Kodjo. Puis elle contourne le puits au milieu de la cour, pour laisser à sa gauche les six appartements modestes du propriétaire de la maison, bien alignés, édifiés en pierre.

    Enfin, devant elle, la petite chapelle sacrée traditionnelle de vingt mètres carrés, érigée sans chichi en argile rouge, tout en rondeur, toit en paille, sable blanc par terre en guise de terrassement, et à l’intérieur de laquelle veillent de petits totems en bois d’ébène ciré, personnifiant des divinités animistes.

    On distingue également un autel des ancêtres, façonné avec des parpaings enduits, à un mètre du sol, où Na vient implorer, dans son malheur naissant, les esprits protecteurs de ses aïeux, avant de se rendre à l’église catholique, Saint-Franciscain d’Ahanucopé, distante de six kilomètres à l’ouest de son quartier d’Amoutiévé.

    Elle ne voit aucune contradiction à se vouer à la fois à Dieu, aux saints des blancs de l’Église romaine, imposés certes par les missionnaires, venus de l’hémisphère nord, et à ses propres saints issus de ses ancêtres morts, dont certains connus des siens de leur vivant, et d’autres immortalisés par des vieilles photographies, en noir et blanc, qu’on peut encore observer dans les vieux albums photo de famille jaunis.

    Après tout, les deux croyances ont de nombreuses similitudes ; elles reconnaissent la vie après la mort, la résurrection des défunts, la force des esprits sains et bienveillants, un seul Dieu, au-dessus de tous les saints et des divinités noires, le paradis pour les adeptes scrupuleux, et l’enfer pour les cancres.

    Le reste, c’est une adaptation locale liée à l’historique de chaque peuple.

    *

    Malgré l’interdiction des pratiques animistes par les missionnaires colonisateurs, les coutumes locales ont su résister clandestinement, comme des poux agrippés aux cheveux, durant les occupations successives du Togo ; d’abord portugaise, ensuite allemande et enfin française.

    Miraculeusement, les déportés d’outre-mer, victimes du commerce triangulaire, ont usé exactement de ce même subterfuge de dissimulation pour ne pas oublier leurs traditions vaudous, en les transmettant d’une génération à l’autre.

    C’est ainsi que ces rituels ésotériques ancestraux se pratiquent encore de nos jours au Brésil, à Cuba, à Haïti ou encore dans certains états d’Amérique du Nord.

    Aujourd’hui, l’épiscopat togolais ferme les yeux sur cette pratique mystique ouest africaine, laquelle ne tarit pas l’occupation des églises du pays. Bien au contraire.

    D’ailleurs, l’histoire raconte que beaucoup de hauts dignitaires de la sphère apostolique proviennent des grandes familles puissantes traditionalistes animistes du pays et de la sous-région.

    *

    Après avoir allumé les sept cierges insérés dans les candélabres se trouvant sur l’autel sacré des ancêtres, nappé de blanc immaculé, Na s’agenouille, pour demander pardon à ses aïeux des péchés réels ou imaginaires commis seule et collectivement.

    Elle supplie toutes les divinités noires de l’aider à surmonter les épreuves qui s’imposent à sa famille et de protéger ses enfants de toutes tentations malheureuses en éclairant leurs chemins. En offrande provisoire, elle verse, dans deux grands bols de calebasse disposés par terre sur le sable blanc, la totalité du Sodaby contenu dans la bouteille en plastique, pour remercier par avance les esprits de leur

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