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Couples: Théorie, pratique, histoires, études
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Livre électronique535 pages5 heures

Couples: Théorie, pratique, histoires, études

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À propos de ce livre électronique

Le couple est au centre de la vie de la plupart des personnes. Creuset de l’amour pouvant devenir celui de la haine, lieu d’épanouissement ou prison, source de joies et de peines, il peut être un paradis mais aussi, hélas, un enfer. Cadre principal de la filiation et de la famille, et unité économique, il est aussi un des piliers de la société actuelle.
Phénomène complexe, riche, aux multiples facettes, difficile à étudier tant il se dérobe à toute tentative de simplification. Mais sujet passionnant, par la diversité des situations que l’on rencontre, par les questions théoriques qu’il pose, et les conséquences pratiques qui peuvent être utiles aux millions de personnes qui vivent en couple.
LangueFrançais
Date de sortie27 oct. 2016
ISBN9782312048420
Couples: Théorie, pratique, histoires, études

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    Aperçu du livre

    Couples - Bruno Décoret

    978-2-312-04842-0

    Avant-propos

    Les pages qui suivent, écrites sur du papier, sont la transcription d’un livre rédigé en hypertexte, sur un support informatique, et accessible par internet, nécessitant donc pour le lire de disposer d’un ordinateur ou d’un objet du même genre ainsi que d’une liaison internet. Je me suis expliqué sur les raisons de ce choix dans une vidéo sur le site en question, couples. psy-diversite. fr. Je ne le remets pas en cause.

    Mais il s’est avéré que des lecteurs potentiels m’ont exprimé leur préférence pour ce qu’ils ont appelé un « vrai livre », imprimé sur du papier, avec une couverture en carton. Un livre qui n’est pas seulement une source d’information, mais aussi un objet, que l’on peut toucher, feuilleter, mettre dans sa bibliothèque, montrer aux amis qui vous rendent visite, sans avoir besoin de brancher un ordinateur ou une tablette.

    En regardant ma bibliothèque personnelle, j’ai pu constater que j’achète des livres, et que j’aime bien les voir figurer comme un objet de décoration, après les avoir lus. Il m’arrive d’en ouvrir un que j’avais lu il y a longtemps et suis content de le redécouvrir. Mais, lorsque je cherche une citation, il me faut aller feuilleter des centaines de pages pendant des heures en me demandant si j’ai bien pris le bon livre, voir le bon auteur. Si tous ces ouvrages étaient stockés sur mon ordinateur, ou accessibles par un simple lien internet, je ferais appel à des logiciels pour trouver la citation exacte, du bon auteur et au bon endroit.

    Les deux formules ont donc leur utilité et leur raison d’exister. Nous sommes sans doute dans cette période charnière où, d’une part, se développe cette nouvelle information écrite qu’est le livre internet, cette nouvelle façon d’écrire qu’est l’hypertexte, et d’autre part la plus classique écriture séquentielle imprimée est encore bien vivante. Puissent les deux cohabiter encore longtemps, pour le plus grand bien des lecteurs.

    En ce qui concerne le présent ouvrage, le passage de l’hypertexte au séquentiel n’a pas posé de gros problème. Il reste toutefois que la suppression des liens rend moins facile le passage d’un endroit à l’autre. Mais c’est le propre d’un livre classique. Le lecteur doit user du garde page ou de la note dans la marge pour se repérer dans ses allées et venues. Il peut aussi lire du début à la fin sans avoir envie de se promener.

    Mon souhait le plus cher est que, après avoir lu le « vrai livre » le lecteur satisfait ait envie d’aller consulter la version hypertexte, afin de profiter des évolutions et des avantages que procurent ce type d’écriture, et que le lecteur du texte « virtuel » veuille avoir dans sa bibliothèque le livre en chair et en os ou plutôt en papier et carton.

    Le couple est au centre de la vie de la plupart des personnes. Creuset de l’amour, lieu d’épanouissement, source de joies et de plaisirs, il peut être, pour ses membres, un paradis. Il peut aussi, hélas, devenir un enfer, ou plus simplement un ennui.

    Cadre principal de la filiation et de la famille, et unité économique, il est aussi un des piliers de la société actuelle.

    Phénomène complexe, riche, aux multiples facettes, difficile à étudier, il se dérobe à toute tentative de simplification. Mais c’est un sujet passionnant, par la diversité des situations que l’on rencontre, par les questions théoriques qu’il pose, et les conséquences pratiques qui peuvent être utiles aux millions de personnes qui vivent en couple.

    Et, tout d’abord, qu’est-ce qu’un couple ?

    Interrogeons deux dictionnaires.

    « Le Robert en 8 volumes », en 1985, donnait la définition suivante :

    Couple : Homme et femme unis par des relations affectives, physiques. Homme et femme réunis provisoirement (au cours d’une activité sociale, danse, réunion) ; spécialement lorsque des relations sexuelles sont possibles ou envisagées entre eux.

    En 2015, « Le Larousse en ligne », affiche pour sa part :

    Personnes unies par le mariage, liées par un pacs ou vivant en concubinage : Un couple uni.

    Deux personnes réunies provisoirement au cours d’une danse, d’une promenade, etc : Des couples de danseurs.

    On le voit, dans une même langue, deux dictionnaires de référence apportent diverses définitions de ce qu’est un couple, avec de notoires différences à 30 ans de distance. Dans les deux cas on distingue le couple durable du couple occasionnel mais deux points essentiels diffèrent : dans la version Larousse – la plus récente – il n’est pas fait mention du sexe pour le couple stable et il n’y a pas de référence à une pratique sexuelle pour le couple occasionnel. On pourrait donc dire que le couple du Robert 1985 était sexué et sexuel, et que celui du Larousse 2014 est « asexué » et « asexuel ».

    Bien sûr il ne s’agit là que de définitions de dictionnaire et la réalité est beaucoup plus complexe. Le couple varie selon l’époque, le lieu, l’influence de l’environnement, les croyances, les besoins. Il varie surtout selon les individus, y compris au sein d’une même société, d’un même groupe social, d’une même époque. Il ne peut donc être défini comme un fait unique, invariable et stable. Ce n’est pas un invariant de l’espèce humaine (comme la bipédie) mais un concept flou, variable, plastique, multiforme.

    C’est pourquoi le titre de ce livre est au pluriel.

    Et c’est pourquoi nous allons l’aborder sous des angles différents. Nous commencerons par raconter des histoires de couples, fictions proches de la réalité. Ensuite nous passerons en revue les diverses disciplines concernées par le phénomène « couple » et les apports qu’elles offrent à sa compréhension. Puis nous aborderons ce qui est le cœur de du livre, à savoir notre « théorie du couple », elle-même appuyée sur le modèle écosystémique. Enfin nous consacrerons une partie à la thérapie dite de couple, moyen professionnel pour aider les personnes vivant en couple et qui ne sont pas satisfaites de leur sort.

    Histoires de couples, réelles et légèrement modifiées

    Les personnages des histoires qui vont suivre sont fictifs. Ils n’existent pas et n’ont jamais existé tels qu’ils sont décrits. Mais leurs aventures, ou leurs mésaventures, sont bien réelles. Ce qu’ils vivent, ce qu’ils ressentent, ce qu’ils font ou ne font pas, ce qu’ils comprennent ou ne comprennent pas, est identique à ce qu’ont vécu des hommes et des femmes en chair et en os.

    D’où viennent ces récits ? De la vie de tous les jours, des rencontres faites par leur auteur, parfois d’éléments de sa vie personnelle, et surtout de l’expérience du « psy » qui, bien assis dans son fauteuil, recueille l’intime de la vie de ses semblables. Dans ce cadre, pas de faux semblants, pas de frime ou de façade, la sincérité est totale. Ici se dit ce qui ne peut se dire ailleurs dans l’espoir – souvent récompensé – d’en tirer profit et d’aller vers une vie meilleure. Je suis toujours émerveillé de la richesse et de la diversité de la vie des humains, en particulier la vie sentimentale. Recueillir la confidence intime de ceux qui me font confiance est un privilège dont je n’oublie jamais l’ampleur. C’est donc à eux que je dédie les lignes qui vont suivre, en les remerciant pour tout ce qu’ils m’ont apporté.

    Aucune des fictions n’est la transcription exacte d’une histoire réellement vécue. Si j’ai pu parfois commencer un récit en pensant à Pierre et Pauline, il devenait rapidement inspiré par Pierrette et Paul ; la plupart du temps, c’est une situation, et surtout plusieurs situations se ressemblant, qui sont à l’origine de la narration, complètement inventée dans sa forme.

    Kevin et Emma. Qu’est-ce qu’« être ensemble » ?

    Emma pleure, devant moi, sans pouvoir s’arrêter. C’est sa maman qui lui a conseillé de venir me voir, inquiète devant les pleurs de sa fille. Elle a tout juste 18 ans, cette jolie blonde qui pourrait être ma petite fille et dont le visage juvénile est rougi par les larmes. Qu’est-ce qui peut faire pleurer lorsqu’on est jeune et belle, sportive, en pleine santé, étudiante après une mention au bac, vivant chez des parents sympathiques dans un cocon familial confortable ? Emma souffre d’un chagrin d’amour. Elle a éclaté en sanglots lorsqu’elle a exprimé la raison de sa venue : « mon copain m’a trompée » puis elle a repris son souffle et, maîtrisant tant bien que mal son chagrin, a pu raconter la mésaventure.

    Emma a rencontré Kevin dans cette formation universitaire de haut niveau destinée à former les élites de la nation et où n’entrent que des bons élèves. La proportion de garçons et filles est à peu près équilibrée et la tranche d’âge très resserrée. Auparavant, elle avait eu des aventures amoureuses avec rapprochement corporel intime mais sans relation sexuelle complète. Dès le premier cours, elle a remarqué Kevin, surtout pour sa facilité de parole, son côté leader, brillant, se faisant remarquer aussi bien par ses performances scolaires que par son aisance dans les relations. Toutes les filles semblaient attirées par lui et il profitait de cette aura pour ne pas se fixer sur une. Mais Emma avait la conviction que c’était lui, lui qui serait son homme. Elle le voulait et elle l’a eu ; c’est elle qu’il a choisie, qui l’a embrassée lors d’une soirée entre copains. Depuis ce moment, il a été évident pour elle qu’ils étaient en couple. Ils ne se sont jamais dit l’un à l’autre ce que représentait leur relation. Tout était implicite, ils étaient ensemble, voilà tout. Pour Emma, c’était une évidence.

    À l’université, ils se retrouvaient ensemble, l’un à côté de l’autre, dans tous les cours. La plupart du temps, ils arrivaient en même temps, car l’un passait prendre l’autre avant de venir. Ils travaillaient ensemble leurs cours, s’aidant mutuellement. Pour les copains, ils formaient un couple ; on les considérait comme tel, n’hésitant pas à demander à l’un des nouvelles de l’autre, ou de lui faire passer un message. On n’aurait pas envisagé d’inviter l’un sans l’autre. C’était Emma et Kevin. Rapidement, Emma avait tenu à présenter son « copain » à ses parents, qui le considérèrent rapidement comme un gendre. Elle insista aussi pour connaître les parents de son « copain » ce qui ne fut pas aussi facile, attendu qu’ils étaient divorcés. Elle connut ainsi séparément la mère et le père de Kevin et leurs partenaires respectifs. Ceux-ci la reçurent poliment et simplement comme une amie de leur fils et non comme sa copine. L’un et l’autre ne répondirent pas avec enthousiasme à l’empressement d’Emma de leur présenter ses propres parents.

    Ainsi vivait ce couple, sans que l’un et l’autre ne se soit jamais exprimé sur ce qu’ils entendaient par couple, et s’assurer qu’ils étaient sur la même longueur d’onde. Bien entendu vint rapidement le moment de l’intimité sexuelle. Kevin avait déjà « passé le pas » mais Emma restait vierge, un peu en retard en cela sur la moyenne d’âge, ce qui ne lui posait pas de problème, au contraire. Elle était contente de s’être réservée pour l’homme de sa vie en regrettant qu’il n’en ait pas fait autant. Et puis, un jour qu’il venait la voir chez elle – chez ses parents – il se fit plus pressant et elle sentit bien que c’était le moment. Elle n’avait pas vraiment de désir sexuel, mais était contente de vivre cette initiation, et surtout heureuse de sceller ainsi l’union avec Kevin. Elle ne ressentit pas grand chose et lui ne manifesta pas non plus des sensations exceptionnelles. Mais c’était fait, et bien fait, avec les précautions d’usage. Plus de doute, ils étaient bien en couple et pouvaient ainsi, lorsqu’ils étaient chez les parents, dormir dans le même lit. La sexualité n’était pas le principal de leur relation. Ils passaient beaucoup plus de temps à travailler ensemble qu’à faire l’amour. Ils s’embrassaient en public et se tenaient par la main. C’était pour elle ce qui importait ; elle était heureuse en sa présence et aussi en son absence car elle se sentait épanouie d’avoir découvert sa moitié d’orange, et sa vie amoureuse se déroulait comme prévue, aussi limpide que sa vie estudiantine et sa vie tout court.

    La fidélité n’était pas un problème pour Emma, mais une évidence. Aucun autre homme ne pouvait avoir pour elle un quelconque attrait et il ne faisait aucun doute qu’aucune femme ne pouvait représenter le moindre intérêt pour Kevin. Elle fut donc surprise d’apprendre l’existence d’une certaine Zora, amie d’enfance de Kevin, à laquelle il consacrait de longs moments d’échange téléphonique. Les SMS qu’elle eut la curiosité de regarder sur son téléphone exprimaient des sentiments plus forts qu’une simple camaraderie d’enfance. Il s’ensuivit une discussion orageuse ; plus il tentait de minimiser ses échanges avec Zora, insistant sur le fait qu’elle n’était qu’une amie, plus Emma se doutait qu’il devait y avoir plus et sa colère montait. Il promit donc d’arrêter toute relation avec Zora, précisant que ce serait difficile pour lui. La scène de ménage put alors se calmer et ils finirent dans les bras l’un de l’autre.

    Mais la jalousie s’était introduite dans le cœur d’Emma, qui voulut en savoir plus. Elle en parla à ses copines pour qu’elles mènent l’enquête. C’était une erreur – à ne pas commettre – puisque, à partir de ce moment, le problème intime devint en partie public. Celles-ci se firent une joie de fliquer le compagnon douteux de leur camarade. En jouant sur leur réseau – le monde des jeunes étudiants est petit dans cette ville de province – elles découvrirent l’existence de la fameuse Zora, fort jolie brune au charme exotique, avec qui Kevin avait flirté de façon notoire. Elle était aussi étudiante, dans une autre université, un cycle plus tranquille et moins élitiste, ou l’on se rencontre plus souvent en soirée festive. Une des copines d’Emma ayant ses entrées dans ce milieu se chargea de surveiller Zora discrètement. Elle fut particulièrement aux aguets lorsque, au cours d’une de ces soirées étudiantes, elle vit arriver Kevin. Elle ne l’avait vu qu’en photo et ne le connaissait pas personnellement, ce qui rendait sa tâche de surveillance plus facile. Elle les vit donc se retrouver et échanger des sourires et regards qui n’avaient rien de fraternels. Elle prit des photos, en faisant mine de consulter son téléphone portable, redoutable objet de la vie moderne et atout pratique de cette espionne occasionnelle. Elle les vit même s’embrasser furtivement alors que la lumière était basse ; impossible de prendre une photo car le flash l’aurait fait repérer, mais elle en savait assez pour aller rendre compte de sa mission à son amie Emma, sans se rendre compte que le service qu’elle lui rendait allait au contraire la faire souffrir le martyre.

    Ce fut le cas ; le résultat de l’enquête, conté avec force détails et une certaine délectation, plongea Emma dans le désespoir et la fureur. Son cœur amoureux se déchirait et, plus encore, elle se sentait bafouée. Car, évidemment, toutes les copines furent immédiatement au courant du scoop dont la diffusion se fit selon une loi exponentielle. Tout le microcosme étudiant fut au courant avec, au premier rang, Kevin lui-même. Par SMS, Emma fut directe : elle mettait fin immédiatement à leur union. Il débarqua chez elle et elle ne put lui refuser cet entretien. Il essaya de se justifier : oui, il y avait eu flirt entre Zora et lui, mais sans passage à l’acte et depuis la rencontre avec Emma, ils étaient restés seulement amis. Non, il ne l’avait pas dit à Emma de peur de l’effrayer. Il avait alors dit à Zora qu’il ne voulait plus la voir pour cette raison ; cette dernière était très peinée et il avait accepté de passer une dernière soirée avec elle, en guise d’adieu. Dans l’ambiance de fête, et après avoir bu un peu d’alcool, il s’était laissé prendre à la séduction de Zora et accepté un baiser qui était pour lui un point final, car ils s’étaient quittés peu après pour toujours. Mais Emma ne voulut rien savoir, complètement envahie qu’elle était par sa douleur. Lui aussi souffrait et ses explications sonnaient faux, sans doute parce qu’il ne savait pas trop s’il fallait tout dire ou seulement ce qu’elle pourrait accepter. Il n’avait pas du tout le sentiment d’avoir fauté et se défendait mal ; les innocents font de mauvais coupables, c’est connu. Elle avait de toute façon déjà prononcé le verdict. Ils ont beaucoup pleuré tous les deux avant qu’il ne parte errer dans les rues et qu’elle ne reste seule avec son chagrin.

    Les jours suivant furent un calvaire pour l’un et l’autre puisqu’ils devaient se croiser tous les jours sur leur lieu d’étude. Ils s’évitaient du regard, mais ne pouvaient éviter celui des autres qui les brûlaient à l’intérieur. Il sentait la réprobation, surtout des filles, pour son acte coupable ; elle tentait de se draper dans sa dignité mais son désarroi se voyait. Leur désunion faisait l’objet des commentaires et commérages, certains peu indulgents envers ce couple qui s’était présenté comme modèle et finissait dans une tromperie de boulevard. Le chagrin d’Emma se répercutait aussi sur ses résultats universitaires et ce fut le professeur principal – qui avait deviné le motif de la baisse de résultats – qui prit la peine de lui parler et de la mettre en garde. Kevin, lui, se jetait dans le travail pour compenser son mélange de frustration, de culpabilité, et de rancœur. Les parents d’Emma s’aperçurent rapidement, eux aussi, de la déconfiture de leur fille et celle-ci ne tarda pas à se confier à sa mère, laissant à nouveau éclater les larmes qu’elle retenait pour faire bonne figure. Celle-ci, après un temps de consolation, et inquiète pour sa fille – plus pour les résultats scolaires que pour le chagrin d’amour – conseilla avec insistance la consultation d’un « psy » et c’est ainsi que la jeune étudiante arriva dans mon cabinet, accompagnée la première fois de sa maman.

    Que faire pour aider Emma à passer ce passage difficile et rebondir, dans la vie ? Tout d’abord entendre sa souffrance et l’accepter comme légitime, sans la minimiser. La souffrance amoureuse est une des plus intenses qui soit, bien qu’elle ne soit pas forcément grave. Évitons donc toute attitude trop adulte qui pourrait laisser penser qu’on ne la prend pas au sérieux. Pas de lieux communs du style « c’est normal, c’est la jeunesse » ou « t’inquiète pas, tu en trouveras un autre » ou le pessimiste « eh oui, l’amour c’est comme ça. La prochaine fois tu feras attention ». Il faut lui laisser sa capacité d’aimer et sa croyance en le bonheur amoureux. Oui, on peut être heureuse en amour, et elle comme les autres. Puis il faut l’amener à comprendre que cette souffrance n’a pas une cause unique. Ce n’est pas seulement l’attitude de son copain qui est la cause de son malheur. Heureusement car si c’était le cas, elle n’aurait aucune possibilité de s’en sortir. Cette souffrance vient de la conjonction de plusieurs causes, dont certaines ont leur source en elle-même et sur lesquelles elle peut, par conséquent, agir. On va ainsi explorer ses représentations de l’amour et du couple, ainsi que ses attentes au moment de la rencontre de Kevin.

    Elle avait une représentation idéalisée de l’amour, un peu « conte de fée ». Elle a été choyée dans son enfance, vivant entre ses parents et son frère aîné très protecteur. Le couple parental lui est toujours apparu serein, sans qu’elle n’ait jamais rien su de leur histoire profonde. On ne parlait pas d’intimité chez elle. Elle avait vu son frère avec quelques flirts puis une amie sérieuse et officielle avec qui il venait de se marier il y a peu, donnant avec sa femme l’image d’un couple réussi. Emma partait donc dans la même direction. Sa vie scolaire avait été elle aussi limpide, le travail sérieux lui apportant des succès attendus. Elle avait pu choisir sa branche d’études et envisageait son futur métier sans douter qu’elle puisse l’exercer. En amour, tout devait se réaliser ainsi : on a quelques amourettes pendant l’adolescence et puis tout d’un coup, celui que le destin a mis sur votre route apparaît et on tombe amoureuse. Puis on « est ensemble », on forme un couple et cela dure un certain temps avant que ce couple ne débouche sur une vie de famille et des enfants, avant ou après le mariage. Le scénario était tout prêt et, lorsque Kevin est apparu, il a été clair qu’il devait y jouer le premier rôle masculin, ce qu’il a donné l’impression d’accepter. Mais lui n’avait ni la même histoire, ni exactement le même projet. Enfant de parents divorcés puis chacun à nouveau en couple, il avait un autre modèle de couple, et pas forcément les mêmes aspirations. Et puis, c’est un homme et elle est une femme.

    En prenant conscience de ce schéma inscrit dans son esprit, Emma est partagée entre deux sentiments : d’une part, elle est satisfaite de comprendre qu’elle était dans un carcan trop rigide et qu’en assouplissant sa vision de la vie amoureuse elle s’ouvre sur l’avenir et peut sortir de la souffrance qui la torture. D’un autre côté elle ne peut s’empêcher de regretter son idéal limpide, comme un enfant qui découvre la non existence du père Noël. Elle alterne les pleurs et les soulagements et s’en veut d’avoir été aussi naïve. Mais non, Emma, n’ayez pas de gêne ! Ce n’est pas de la naïveté de croire ce que l’on voit. On ne peut pas tout savoir en naissant, et c’est un grand courage que d’accepter de modifier ses représentations de la réalité. Après cette remise en cause de l’idéal, la désillusion aurait pu entraîner Emma à l’extrême opposé, à ne plus croire en la possibilité d’un bonheur amoureux. Le dépit de ne pas réaliser son rêve de jeunesse se transformerait alors en déni de l’amour même. Autrefois, un chagrin amoureux pouvait conduire au couvent. Il lui faut donc nuancer et accepter que son désir – vivre un jour une vie amoureuse et conjugale heureuse – est toujours possible, mais que le chemin pour y parvenir passe peut être par quelques détours, dont certains peuvent être tortueux. Elle avait prévu quelques amourettes avant de connaître l’Amour. Il lui faut convenir qu’un premier amour s’est déclaré, qui ne sera pas forcément le définitif. Peut-être y en aura-il d’autres ? Il faut être patient et accepter les aventures de la vie. Emma est jeune et intelligente. Elle va rapidement faire ce chemin mental de transition entre l’idéal infantile et une réalité plus difficile mais plus attrayante aussi. Pourtant, tout n’est pas résolu.

    Maintenant, il lui faut réorganiser sa vie, reprendre son travail d’étudiante qui a souffert ces temps derniers, et surtout se positionner par rapport à Kevin. Pour elle, tout est clair, ce qu’il a fait est inadmissible, tout est fini entre eux. Lorsqu’elle exprime cette ferme décision, elle fond à nouveau en larmes. Elle comprend que tout n’est pas si simple et elle se rend compte de la complexité des sentiments. Elle lui en veut pour un acte, mais cela ne gomme pas instantanément ce qu’elle ressent pour lui. Il va falloir faire avec. Il y a concurrence entre un sentiment spontané et la représentation qu’elle se fait de ce sentiment. Couper le sentiment serait trop violent, il va falloir agir avec plus de souplesse et laisser plusieurs possibilités d’avenir. Peut être la relation avec Kevin peut elle redémarrer sur d’autres bases ? Et si elle est finie, il y a d’autres garçons sur terre et d’autres amours possibles.

    C’est dans cet esprit qu’elle reprend le chemin de l’université. En la voyant ainsi plus apaisée, ses copines la pressent de questions. Alors, ça y est, c’est fini, vous n’êtes plus ensemble ? En écoutant ces questions elle se rend compte de leur brutalité, du besoin du groupe social auquel elle appartient de mettre dans une case la relation Emma Kevin : ensemble ou pas ensemble ? Couple ou rien ? Mais elle a fait du chemin dans sa tête et refuse l’alternative. Elle répond : je prends de la distance et du temps. Elle ne parlera plus à ses amies de ses sentiments profonds. Lorsqu’elle croise Kevin, elle peut le regarder et lui faire un petit salut discret auquel il répond avec la même discrétion. Elle voit qu’il est triste, a perdu cet air charmeur qui plaisait aux filles de la classe ; d’ailleurs aucune ne s’approche de lui et il ne cherche plus à plaire. Que pense-t-il ? Elle aimerait le savoir. Pourquoi cet intérêt pour cet homme qu’elle disait vouloir rayer de sa vie, si ce n’est parce qu’elle éprouve encore quelque chose pour lui ?

    Par hasard ils se croisent dans un couloir et peuvent se regarder et se faire un petit sourire. Elle ne peut pas rester dans ce mutisme, ce doute. Elle va tenter de lui envoyer un message, lui parler. Mais elle a peur, peur d’un refus de sa part, qu’il lui signifie qu’il n’a plus rien à lui dire. Elle se sentirait à nouveau humiliée, après avoir vécu sa « tromperie » comme un affront. Nous parlons de cette ambivalence et de la nécessité de nuancer son attitude, de ne pas rester dans la rigidité de sa réaction première. Sa souffrance vient surtout du fait que tout ne s’est pas déroulé comme elle le pensait. Il faut qu’elle puisse parler avec Kevin de ce qui s’est passé, des éventuels malentendus, expliciter ce qui était implicite et faire le point sur l’avenir. Il y a une possibilité de reprendre la relation avec lui, mais pas de n’importe quelle façon. Et s’il s’avère que ce n’est pas possible, elle pourra y mettre une vraie fin, et se tourner vers l’avenir.

    Elle prend son courage à deux mains et lui envoie un SMS, disant qu’elle aimerait le revoir pour se parler tout simplement. Il accepte immédiatement et le rendez-vous est pris. Elle se prépare psychologiquement (avec l’aide de quelques techniques) pour ne pas entrer dans l’agressivité, et se protéger contre le risque de se sentir humiliée. Elle aborde ainsi sereinement et plutôt contente cette rencontre.

    Il y a plusieurs suites possibles à cette histoire. Nous allons en compter trois. Mais dans tous les cas, Emma a déjà gagné sur beaucoup de plan. Elle a appris à se méfier des représentations angéliques, sans pour autant verser dans le désenchantement. Elle sait qu’il faut de la souplesse et de la nuance et que l’amour ne tombe pas comme ça tout formé pour la vie, mais qu’il faut le construire en contournant d’éventuels obstacles. Tomber amoureuse ne signifie pas immédiatement être en couple ; il faut aussi se dire mutuellement à quoi chacun s’engage, comment chacun voit cette vie à deux qui s’ouvre.

    Elle a appris aussi qu’il faut savoir garder un certain secret sur ses sentiments et rester réservée sur l’influence que les groupes sociaux, et la société toute entière, exercent sur les individus. Cela lui servira dans l’avenir, quoiqu’il arrive. Elle sait maintenant qu’elle sortira de l’aventure la tête haute, pourra reprendre son travail d’étudiante, se guérir de ce douloureux chagrin, et vivre à nouveau l’amour lorsqu’il sera là.

    Première suite de l’histoire d’Emma et Kevin : happy end

    Ils sont là, l’un en face de l’autre, leurs cœurs battent fort. Une force irrésistible les rapproche ; ils se prennent dans les bras l’un de l’autre et s’étreignent un long moment sans rien dire, avant de s’écarter et de se sourire doucement. C’est Kevin qui parle le premier :

    – Je te demande pardon, je t’ai fait souffrir. Je ne le voulais pas, mais je l’ai fait quand même. Depuis, moi aussi je souffre, car je t’ai perdue et c’est horrible. Je me jette dans le travail pour essayer d’oublier, mais je m’en veux terriblement. Je donnerai n’importe quoi pour te retrouver.

    – Oui, tu m’as fait très mal. Je veux que tu me dises la vérité, même si ça doit faire encore mal.

    – Avec Zora, on se plaisait, mais on n’a jamais fait l’amour. On allait être ensemble quand je t’ai rencontrée. Alors, je lui ai dit que ça ne serait pas possible entre elle et moi. C’était dur pour elle. Elle m’envoyait des SMS et je ne voulais pas lui faire de la peine ; je ne voulais pas te le dire non plus. Quand on s’est retrouvés à la soirée des copains, j’ai essayé de l’éviter, mais ce n’était pas possible. Alors on s’est rapprochés et c’est vrai que je me suis laissé aller à l’embrasser. Mais j’ai pensé à toi, et je lui ai dit qu’on allait arrêter. Je voulais t’en parler, mais seulement quand tout serait vraiment fini. Et puis, j’avais peur que tu te fâches. Tu me crois ?

    – Oui. C’est vrai, j’étais trop rigide. Mais j’ai changé ; maintenant, c’est plus pareil et je peux accepter ce que tu me dis.

    Ils sont envahis par l’émotion et s’enlacent à nouveau, mais cette fois ils s’embrassent sur la bouche. Ils s’avouent mutuellement qu’ils sont encore amoureux et qu’ils veulent à nouveau « être ensemble ». Mais il faut préciser ce que ça veut signifie pour nous, « être ensemble », dit Emma, sans doute suite aux séances de travail que nous avons eues. Ils reconnaissent qu’ils ne savent pas exactement ce qu’ils entendent par là, et que ce n’est pas forcément la même chose. Ils décident donc de se laisser le temps de s’apprendre l’un l’autre, et de vivre l’instant présent sans trop programmer le futur. Surtout, ils vont garder pour eux leur intimité et ne pas s’afficher comme « un couple ». Ils se parlent à nouveau en public, mais ne manifestent aucun signe amoureux et recommencent à travailler ensemble, comme des camarades. Lorsqu’on leur pose la question « est-ce que vous êtes ensemble à nouveau » ils répondent, l’un comme l’autre : « nous sommes en paix et bons amis, c’est tout ». Ainsi, ils coupent court aux rumeurs et demandes d’explication et peuvent vivre leur amour au présent et en secret. Seule la mère d’Emma est au courant, car, de toute façon, elle s’en serait rendu compte.

    Et l’avenir ? Il est trop tôt pour le dire. Laissons-les découvrir ensemble les joies de cet amour frais, poursuivre leurs études, et voir si, plus tard, ils ont envie d’évoluer vers une relation de couple.

    Deuxième suite : dure et sincère

    Lorsqu’ils se revoient en tête à tête, l’ambiance est tendue. Elle prend la parole :

    – Tu m’as fait très mal, tu sais. Tu m’as menti, tu m’as trompée.

    – Toi aussi, tu m’as fait mal. Tu m’as fait espionner et tu n’as pas voulu

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