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Histoire de l’empire parthe (-250 - 227): À la découverte d'une civilisation méconnue
Histoire de l’empire parthe (-250 - 227): À la découverte d'une civilisation méconnue
Histoire de l’empire parthe (-250 - 227): À la découverte d'une civilisation méconnue
Livre électronique608 pages9 heures

Histoire de l’empire parthe (-250 - 227): À la découverte d'une civilisation méconnue

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À propos de ce livre électronique

La biographie passionnante d’un empire antique et méconnu !

Ce livre nous révèle une période méconnue de l’aventure humaine ; celle de la civilisation Parthe. Venus des steppes de l’Asie Centrale, au IIIe siècle avant J.-C., les Parthes — à l’origine des éleveurs nomades — ont fondé, en moins d’un siècle, un vaste empire sédentarisé, puissamment organisé, qui couvrit d’abord la Perse, puis tout le Moyen-Orient, de l’Euphrate à l’Indus. Confrontés aux royaumes des Grecs, issus des conquêtes d’Alexandre le Grand, puis aux empereurs romains, ils ont joué un rôle de premier plan dans l’histoire de l’Antiquité. Infatigables pionniers, ils ont, par leur position géographique à la croisée des mondes gréco-romain, chinois et indien, contribué dans une large mesure à la diffusion des arts, du commerce et des idées sur l’axe eurasiatique — la fameuse « Route de la Soie », dont ils furent les grands promoteurs.
Mais les Parthes eurent aussi à répondre aux défis de l’histoire. Avec des fortunes diverses, ils furent à l’origine de notions qui marqueront l’évolution des sociétés humaines ; tels la chevalerie et le féodalisme, dont ils établirent les principes constitutifs. Ils ont tracé des routes ; dans l'architecture créé l’iwan — la voûte qui, plus tard, servira de base à nos bâtisseurs de cathédrales ; inventé de nouvelles techniques bancaires — comme le chèque.

Un livre d'histoire captivant qui met en lumière une civilisation oubliée !

EXTRAIT

On ne saurait se former une idée précise de l’histoire parthe sans examiner au préalable les événements dont l’Asie antérieure a été le théâtre au fil des siècles précédents. Trois mille ans avant notre ère, dans les vastes steppes au nord du plateau d’Iran, entre le Caucase et les contreforts des Pamirs, débute l’aventure de ce que l’on désigne généralement par le terme de « civilisation du cheval » ; des peuples complexes, en constante mutation, habiles à la guerre, pillards quelquefois par nécessité, qui allaient, par leurs migrations successives, bouleverser le cours de la destinée humaine. Les premiers habitants dont nous ayons connaissance étaient les Scythes. L’archéologie ne nous a pas livré le nom de leurs prédécesseurs, des chasseurs du néolithique qui ont laissé quelques traces de leur passage sur les rochers et dans les cavernes de la région. Leur étude n’entre d’ailleurs pas dans le domaine de l’histoire mais relève plutôt de l’anthropologie.

À PROPOS DE L'AUTEUR

André Verstandig, né à Uccle (Bruxelles) en 1969, est licencié en sciences commerciales. Membre de l’ANS et de la SRNB, passionné d’histoire, il a effectué de nombreux voyages d’étude dans les régions concernées. Ce livre d’histoire, captivant par le fond et par la forme, est le fruit de longues années de recherches. Il intègre les dernières découvertes en matière d’archéologie.
LangueFrançais
ÉditeurLe Cri
Date de sortie24 févr. 2017
ISBN9782390010517
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    Aperçu du livre

    Histoire de l’empire parthe (-250 - 227) - André Verstandig

    CHAPITRE I

    Arsace Ier,

    la métamorphose d’un chef scythe,

    de la légende à l’histoire

    Située à l’extrémité septentrionale du plateau d’Iran, délimitée au nord par l’Oxus, actuellement l’Amou Darya, coincée d’ouest en est entre les massifs montagneux de l’Elbourz, la mer Caspienne et la chaîne du Khorassan, la Parthie présente une physionomie géographique et un système orographique particulièrement contrasté. À côté des sols salins à demi arides des plaines d’effondrement où se sont élevées les cités de Hécatompylos, de Nisa et de Damghan, les vallées de l’est, Abiverd et Dara, aux confins de la Bactriane, disparaissaient sous les flots de verdure d’une nature exubérante. L’été régnait un climat chaud et sec, mais l’hiver pouvait connaître des précipitations abondantes et le thermomètre chuter bien en dessous du point de congélation.¹

    Dans les vallées creusées par les lits de l’Oxus, de l’Iaxarte, du Margus et de l’Atrek, s’étiraient le long de leurs berges des bouquets de saules, de peupliers et de mûriers. La région de collines qui séparait les plaines alluviales des premiers alpages du Khorassan abritait des coteaux ensoleillés où poussait une vigne sauvage qui produisait un vin d’une qualité excellente. Plus haut débutaient les pâturages d’été, fréquentés depuis la nuit des temps par les éleveurs nomades qui y menaient paître, à la saison chaude, leurs troupeaux de moutons, de chevaux et de chameaux. Vers le nord et l’ouest, sur les rives orientales de la Caspienne, les basses plaines steppiques de l’Oust Yurt et du Kizil Kum étaient des pâturages d’hiver. Dès janvier, alors que les alpages étaient encore couverts de neige et de glace, la végétation s’éveillait et le bétail pouvait être laissé en liberté. Mais, avec le mois de mai, la chaleur obligeait les bergers à regagner à nouveau les hauts plateaux du sud et de l’est. C’était la transhumance, favorisée par l’abondance des eaux descendues des grands fleuves transoxiens, ramifiés en une multitude de torrents et d’oasis qui attiraient périodiquement les invasions des Scythes.

    Les limites de la Parthie évoluèrent considérablement au travers des époques de son histoire. Au siècle de Darius Ier elle s’étendait de la mer Caspienne au Khorassan. Du temps de Xerxès elle ajouta encore au titre de ses dépendances les provinces contiguës de l’Hyrcanie, de l’Ariane et de la Margiane. Mais, plus tard, sous les derniers Achéménides, elle se vit réduite par l’émergence de la Bactriane au seul bassin de l’Atrek. Sa superficie varia pareillement sous les dynasties grecques. Alexandre, qui craignait les invasions scythes, lui avait rendu ses frontières primitives, mais Séleucos et Antiochos Ier, qui s’en défiaient moins, limitèrent ensuite considérablement son extension. Ces bouleversements géographiques traduisaient en vérité les arrière-pensées de ses maîtres sédentaires pour qui l’importance de la Parthie n’était conditionnée que par la question scythe. En dehors d’elle, ce territoire n’avait pour eux aucun intérêt. ²

    La population de la Parthie, comme celle de tout l’Iran septentrional, était à cette époque de race indo-européenne. La langue dominante, le pehlevi, était un dialecte proche non seulement de l’iranien et du sanscrit, mais aussi de nos anciennes langues celtiques. On ignore le nom qu’ils se donnaient eux-mêmes. Le nom de Parthe, qui leur fut attribué plus tard par les Anciens, dériverait du vieux perse Parthau, ou Parthava. L’origine et la signification de ce vocable a donné lieu à de nombreuses controverses parmi les linguistes. La plupart se rangent aujourd’hui à l’hypothèse de Justin. Les Parthes, nous disait déjà cet historien romain du IIe siècle après J.-C., étaient à l’origine des exilés scythes. C’est ce qu’indique leur nom-même car, en langue scythe, Parthe signifie exilé. ³

    De Morgan tenait les premiers Parthes pour étrangers au système religieux mazdéen en vigueur dans l’Iran, ou à tout le moins pour fort éloignés. ⁴ Nomades de la steppe, ils se retrouvaient dans un chamanisme originel, assez proche de celui pratiqué de nos jours encore par les tribus sibériennes. Cependant, au contact de l’empire achéménide ils s’iranisent assez rapidement. Le do bun — les deux principes du dualisme mazdéen, opposant Ahoura Mazda, esprit positif, & Ahriman, le mal personnifié — fait son apparition chez eux dès avant l’expédition d’Alexandre, de sorte que du temps d’Arsace, au milieu du IIIe siècle avant J.-C., on pouvait tenir ces tribus pour plus ou moins mazdéisés à quelques nuances près.

    Dans la mythologie parthe primitive, Ahoura Mazda, l’être suprême, fait place à un démiurge ou sauveur, Mithra, identifié au soleil, personnifié dans la statuaire sous les traits d’un éphèbe tauroctaune, qui reste subordonné à Ahoura Mazda, mais qui a été chargé par lui d’ordonner le monde, apporter aux hommes les premiers éléments de la civilisation, les plantes cultivables, les principes sociaux et religieux, et veiller aux traités. En somme, garantir l’arta, l’ordre cosmique que l’on ne peut rompre sans provoquer de catastrophes. À ses côtés il faut encore mentionner Anahita, divinité tutélaire de la guerre et de l’élément liquide, symbolisée par la lune, dont le culte semble avoir pour origine quelque ancienne divinité des Chaldéens de la Mésopotamie.

    L’influence scythe transparaît au travers des fravashis, esprits innombrables qui hantent la nature, et qui sont quelquefois associés aux mânes des défunts du clan que le chef de famille invoquait sur des autels disposés à l’intérieur même des maisons. Franz Cumont définissait la fravashi comme un esprit protecteur, une divinité tutélaire capable de protéger les champs et les troupeaux, les animaux et les hommes. ⁵ Ce culte remonterait bien avant l’écriture de l’Avesta, leur texte sacré ; elle personnifiait tantôt des divinités populaires, tantôt l’âme elle-même. Le mazdéisme semble les avoir récupérées. L’Avesta invite d’ailleurs à sacrifier aux fravashis de plusieurs dizaines de héros ou de grand rois parthes. En retour on attendait d’eux une aide dans la vie quotidienne. Car l’humain n’occupe guère un rôle central dans la théologie mazdéenne. Déchiré entre son âme immortelle en harmonie avec la nature, don d’Ahoura Mazda, et son corps putrescible, œuvre d’Ahriman, qui désire sa perte, sa vie spirituelle se résume à un combat quotidien pour respecter une série de valeurs morales : déférence aux quatre éléments, air, eau, terre, feu ; fraternité entre les hommes du clan, respect du devoir, de l’obligation que l’on a contracté envers sa famille, mais aussi de ses travers inévitables ; glorification du martyr qui confine au fanatisme guerrier. Ainsi, mourir au combat, pour la juste cause, ouvre à l’âme du guerrier la route du vahist, du paradis. Le jugement des âmes est également une conception parthe. Pour eux, à la mort, l’âme subi l’épreuve du cinvat, la traversée du gouffre sur le fil d’une épée couchée en travers. Pour le juste, ce n’est qu’une pure formalité avant d’accéder à une plaine dépourvue d’ombre et de nuit, où tous les hommes parlent le même langage. Mais, pour le méchant, la lame devient un fil tranchant qui le fait chuter dans les profondeurs du dozaxs, de l’enfer, pour y subir d’éternels tourments. Tels sont les mythes constitutifs de la mentalité parthe.

    Leurs adversaires nous les ont présentés sous l’angle inévitable des préjugés. Ils vivaient, pour Justin, juchés sur leurs chevaux qu’ils ne quittaient pas plus pour le commerce que pour la conversation. Leur caractère lui semblait brutal et renfermé ; la violence était pour eux l’apanage des hommes, la douceur celui des femmes. Plus prompts à agir qu’à parler, ils savaient taire leurs succès comme leurs échecs. ⁶ Terribles dans leurs colères, respectueux pour le courage de leurs ennemis, tous convergent pour les présenter comme des Scythes. Infatigables cavaliers, ils méprisaient comme eux le sédentaire, le piéton, sobriquet dont ils qualifièrent plus tard leurs adversaires occidentaux. C’est une vision volontairement outrancière.

    Dotés d’une haute stature, vigoureux et bien proportionnés, les Parthes revêtaient d’ordinaire une tunique de laine ou de coton serrée à la taille par une ceinture, un pantalon large et plissé, des bottes courtes, coupées dans un cuir d’une couleur éclatante. Leurs montures étaient ces fameux étalons néséens, les « chevaux célestes » du Ferghana, à la large encolure et aux naseaux frémissants. Ces animaux, plus élancés que le cheval mongol, pourvus d’un large poitrail et de poumons puissants, étaient doués d’une force remarquable. C’étaient des bêtes de fond qui ne connaissaient pas d’autre allure que le galop. L’équipement militaire du Parthe comportait un arc fait de bois tendre, renforcé par des ligaments et des tendons, idéal pour le combat à distance, un lasso, une lance, une épée droite, et la dague, que tout homme libre se devait de porter au côté. Une armure défensive en cotte de maille servait à protéger le cavalier et sa monture. Les Parthes ne se séparaient jamais de leurs armes. Justin nous affirme que même à leurs banquets, lorsqu’ils n’étaient pas à la guerre ou à la chasse, ils se faisaient un devoir de rester équipés de pied en cap afin de pouvoir, le cas échéant, se défendre face aux coups de main des bandes scythes.

    Strabon témoignait des relations tumultueuses qui pouvaient exister entre ces tribus rivales. Comment, de temps à autre, traversant les déserts, les Scythes menaient contre eux des raids audacieux qui commandaient en représailles des contre-rezzous tout aussi redoutés. ⁷ Le gouvernement des Grecs ne changea en rien cette constante historique. D’ailleurs, les relations au début favorables entre les Parthes et Alexandre se dégradèrent nettement après sa mort. Séleucos ou Antiochos Ier ne se désintéressèrent jamais totalement de la Parthie, seulement ces monarques lui préférèrent la Bactriane, pays plus peuplé, qui convenait mieux par les dispositions de son climat et par la fertilité de son sol, propre aux grandes cultures céréalières, à l’installation des colons macédoniens.

    L’histoire de ces temps est trouble. Nous n’avons, pour tenter d’en éclairer les ténèbres, que quelques bribes d’auteurs antiques décrivant des faits plus anciens encore. Les preuves manquent pour affirmer et l’on peut croire qu’elles manqueront longtemps encore, tant les indices matériels sont rares et fragmentaires. Cependant, on peut esquisser les grandes lignes de cette trame qui allait mener à l’indépendance de la Parthie. Confrontés à l’irruption massive des colons, de plus en plus nombreux à s’établir en ce début du IIIe siècle avant J.-C. dans l’Iran septentrional, les clans parthes étaient en ébullition. Un gouverneur grec, Andragoras, qui détenait la haute main sur la Parthie depuis le début du règne d’Antiochos Ier, avait fini par y instaurer un régime de terreur, une dictature personelle, presque autonome.

    Cette tendance centrifuge était alors communément admise dans toute la Haute-Asie. Les colons eux-mêmes commençaient à comploter contre cette monarchie séleucide qu’ils jugeaient corrompue et centralisée à l’excès. Les temps étaient agités et l’autorité politique faible et indécise. L’argent avait remplacé l’idéologie qui animait les pionniers d’hier, et s’il y avait lieu de se réjouir de la faillite du système d’Isocrate, la morale des nouveaux immigrants n’était guère meilleure quant au traitement des populations indigènes. Cette réaction des Grecs entre eux, cette propension au séparatisme qui survient en général dans les sociétés qui ont atteint un degré suffisant de prospérité pour chercher à fuir le cadre de l’État central dans lequel ils sont nés, se produisit plus nettement encore dans la Bactriane.

    Pour le Grec Diodote, leur gouverneur, et pour tous ces aventuriers après lui, sur cette marche frontière, à la croisée des routes commerciales de l’Inde, qui exploitaient à leur profit les inépuisables mines d’argent du Panshir, les plus importantes du monde antique, se maintenir dans l’empire unifié de Séleucos signifiait continuer à produire pour d’autres, à financer par le fruit de leur labeur et de leurs risques les guerres ruineuses auxquelles se livraient entre eux les Ptolémées et les Séleucides, les deux plus puissants héritiers d’Alexandre, que d’obscures querelles de famille continuèrent à diviser jusqu’à la fin. Séleucos et son fils Antiochos Ier avaient pu juguler l’irrésistible besoin d’autonomie de ces nouveaux immigrants, cependant, Antiochos II (261-246 avant J.-C.), souverain faible et abruti, se montra incapable de les contenir dans l’obéissance.

    En Parthie, la rébellion était l’aboutissement de l’œuvre de Spitaménès, et de tous ceux, illustres comme méconnus, qui s’étaient opposés à l’occupation grecque. La colonisation avait été terrible dans l’Iran du nord, sur cette frontière où les passions s’exprimaient par des coups de sang et la répression par des punitions collectives de plus en plus mal ressenties. Les Grecs ne se satisfaisaient plus du vieux serment d’allégeance dont s’étaient contentés jadis les Perses Achéménides, cette sorte de Treue féodale qui régissait la vie de ces tribus depuis l’aube des temps. L’administration qu’ils imposèrent, les structures nouvelles qu’ils importèrent aux confins des steppes, et qui limitaient arbitrairement le droit des éleveurs par rapport aux villes, le pouvoir qu’ils retiraient aux chefs coutumiers, tout cela commençait à devenir intolérable pour ces hommes jaloux de leur liberté. C’était, par opposition à la sécession bactrienne, l’Asie indigène qui affirmait ses droits à fouler son propre sol en dépit des murs et des obstacles que les Grecs s’ingéniaient à dresser sur leur route.

    À leur tête, on trouvait alors Arsace, figure centrale de l’histoire parthe. Strabon le tenait pour un Parne, une fraction dissidente de la tribu des Dahès, des Scythes aux bonnets pointus dont les tribus hantaient depuis plusieurs siècles déjà les frontières septentrionales de l’Iran. Le nom d’Arsace, Arshak pour les Iraniens, dérive de la racine Perse Arsa, qui désigne l’ours, sans doute le totem de leur clan, suivi du suffixe « ak ». En Arménien, ce prénom encore usité de nos jours se prononce Archag, ayant lui aussi l’ours, Artch, pour racine commune. L’histoire ne nous a pas conservé son portrait. Même les quelques monnaies que les numismates lui attribuent d’ordinaire semblent représenter un visage idéalisé qui pourrait bien être celui de Mithra. Cependant Arsace était bien un Scythe de naissance, originaire de ces oasis du Tedjen qui séparaient la Bactriane des steppes sans fin de l’Aral. C’était là qu’il avait passé les premières années de sa jeunesse. Enfant et adolescent, c’était dans ces plaines, errant au gré des transhumances saisonnières, au milieu des troupeaux et des guerriers, qu’il avait fait l’apprentissage de la vie nomade. Il n’y avait alors pas un seul défilé, pas un col des chaînes du Khorassan et des Pamirs qu’il n’avait exploré. Pas une seule de ces vallées qu’il n’avait fréquenté en été, lorsque le bourane, ce vent chaud et tourbillonnant le chassait des plaines. Il fallait être fort pour survivre dans ce monde féroce et sans pitié. Une seule erreur, et c’était la mort, par la dent des fauves ou des tribus hostiles, souvent plus redoutables encore. À quel passé pouvait-on le rattacher ? Sous quels chefs avait-il d’abord servi avant de devenir lui-même son propre maître. Enfin quel sang avait répandu sa main ; le sang des ennemis de l’iranisme ou plutôt celui de ses défenseurs ? Nul autre que lui n’aurait pu le dire.

    Strabon, qui le tenait pour un Bactrien, rapporte qu’il aurait d’abord servi d’auxiliaire au Grec Diodote lorsque ce dernier n’était encore qu’un gouverneur des rois de Syrie. Les raisons qui poussèrent Arsace et les siens à quitter la Bactriane demeurent mystérieuses. On peut supposer que Diodote, récemment indépendant, se résolut à écarter de son royaume ces gêneurs nomades dont il avait auparavant toléré les migrations saisonnières. La vie que mena Arsace au sortir de la Bactriane fut tout aussi obscure. Il se serait, pense-t-on, établi pendant plusieurs années dans les vallées semi-arides de l’Astauène, actuellement Qucha et Bojnurd, où ont été découvert en 1968 les plus importantes quantités de monnaies à son nom. Un campement provisoire, Ashaak, ou Arshak kert, baptisé pompeusement « la cité d’Arsace », aurait été dressé dans ces parages.⁹ Mais naturellement les dispositions du pays le portaient à regarder vers le sud-ouest, en deçà de la vallée de l’Atrek, là où les sables et les herbes courtes faisaient place aux herbages gras et où l’eau était abondante. Une sécheresse, un été plus rigoureux que d’ordinaire, peut-être la pression des hordes voisines, le poussa alors à s’intéresser de plus en plus ouvertement aux affaires de la Parthie où s’inscrivait en lettres de sang la lutte des tribus locales contre Andragoras.

    La chronologie de ces événements est assez imprécise. Plusieurs versions coexistent, favorisées par les éléments, contradictoires en apparence, rapportés dans le récit des Anciens. Les Parthes se seraient-ils affranchis de l’empire Séleucide du temps de la seconde guerre punique ¹⁰, alors que les consuls Attilius Regulus et Manlius Vulson gouvernaient à Rome ¹¹, c’est-à-dire aux environs de 250 avant J.-C., si l’on s’en tient au décompte de Strabon et de Justin ? Ou faut-il plutôt croire que ces événements se soient déroulés peu après la bataille d’Ancyre ¹², sous Séleucos II, vers 238 avant J.-C. ? Cette question a fait couler beaucoup d’encre, et ce n’est que récemment qu’un faisceau d’indices concluants a permis de trancher dans un sens. Les deux versions s’accordaient sur l’enchaînement des révoltes grecques en Bactriane, et les mouvements d’Arsace en Parthie. Or, les derniers travaux consacrés à l’étude des séquences de la numismatique des royaumes grecs de Haute-Asie démontrent justement que le soulèvement de Diodote, et donc celui d’Arsace, n’a pu se produire que sous le règne d’Antiochos II, soit entre 256 et 250 avant J.-C.¹³

    Qu’en est-il du fil de ces intrigues ? Arsace franchit son Rubicon sur l’Atrek qui sépare la steppe du plateau d’Iran. La libération du joug grec débute par une invasion, une de ces descentes de hordes comme l’histoire en a tant connues sous ces latitudes. Auparavant, les tribus iraniennes se seraient unies pour repousser les Scythes. Mais désormais la situation était bien différente. Les Parthes, révoltés contre la dureté d’Andragoras voient en Arsace un allié de circonstance. Le gouverneur grec a interdit l’entrée de son territoires aux bandes nomades, mais Arsace n’en a cure. Il entre en force, quand il le veut, pour moissonner ce dont il a besoin pour ses hommes. Son défi de l’ordre colonial devient très vite un modèle à suivre.

    La structure sociale de l’Iran du nord favorise son avènement. Le pays est partagé naturellement en tribus, elles-mêmes divisées en familles quelquefois rivales. La cellule familiale est le fondement même de la société parthe. En dehors d’elle l’individu n’avait pas d’existence légale. La famille regroupait, outre les parents légitimes, tous ceux qui dépendaient de ceux-ci, leurs enfants, leurs concubines, leurs serviteurs, et même leurs salariés. Elle était régie par le Katax vatay, le père de famille, d’ordinaire le membre le plus âgé du lignage. C’est le chef coutumier. Au nom du clan il communie dans le pat ruvan, le culte des âmes, avec les fravashis des ancêtres qu’il est le seul à pouvoir invoquer sur l’autel familial. Choisir un chef dans une tribu, c’est forcément mécontenter les autres. Un étranger, un Scythe issu de l’Iran extérieur satisfait tout le monde. C’est à leurs yeux un chef de hasard, mais au moins ce n’est pas le frère-ennemi tant détesté. À quoi songent-ils en remettant ainsi leur sort entre les mains d’Arsace ? Libérer tout l’Iran ? Non, assurément, à cette date personne ne songe encore à réaliser une œuvre aussi considérable. Arracher l’autonomie de la Parthie serait déjà un résultat appréciable. Mais les Parthes ne veulent pas davantage troquer un tyran pour un autre. Arsace ne serait jamais que leur krny, c’est-à-dire un généralissime choisi pour les mener à la guerre. En dehors de cela chacun demeurerait son propre maître. Le droit des tribus était souverain.¹⁴

    Arsace reçut les ambassadeurs parthes au bourg-forteresse d’Ashaak, dans les hautes vallées de l’Astauène. Sans trop de difficultés il se range à leur avis. Pour le modeste chef de bande, réfugié de la Bactriane, cette reconnaissance est déjà une victoire. Isidore de Charax, un géographe grec du Ier siècle après J.-C., prétend que la cérémonie officielle eut lieu au temple d’Anahita, la vierge guerrière des mazdéens dont le culte était répandu alors dans tout l’Iran. Cela revenait pour Arsace à placer son action sur un plan mystique, à rattacher l’Iran extérieur à l’Iran historique par les croyances religieuses qui transcendent les vieilles haines fratricides. Mais cela n’est peut-être qu’une légende. Incontestablement, Arsace est un homme entreprenant. Il attaque de plus en plus régulièrement les avant-postes grecs et finit par tuer, au cours d’une embuscade, le gouverneur Andragoras. ¹⁵ C’est un nouveau succès. Désormais Arsace devient un héros pour toutes les populations indigènes, sédentaires ou nomades. Pour la première fois depuis la mort d’Alexandre, l’Iran du nord frémit pour un des siens, un berger qui triomphe de leurs orgueilleux conquérants. À ce moment, combien d’hommes se réclamaient de lui ? Quelques centaines, quelques milliers peut-être ? Le reste de l’Iran, c’est-à-dire les provinces en-deçà de l’Elbourz et du Khorassan ignorent jusqu’à son existence. Pour les Grecs, c’est selon les versions un guérillero ou un brigand. Personne à Antioche ou à Séleucie ne prête beaucoup d’avenir à l’enthousiasme délirant qu’il suscite dans le nord. Les succès s’accumulent pourtant, encouragés par l’inaction des Séleucides. La première cité à tomber entre ses mains est Nisa, une petite agglomération de colons, nichée au pied de l’éperon rocheux du Kopet Dagh, à mi-chemin entre Merv et Hécatompylos, sur la route du turquoise. ¹⁶ Nisa devient leur capitale. Depuis la mort d’Andragoras, Arsace suit une idée fixe. Ce n’est plus l’autonomie des tribus qu’il revendique, c’est bel et bien la création d’un État indigène dans l’Iran du nord, un État parthe dont il serait le chef.

    La guerre de libération menée par Arsace, de 250 à 247 avant J.-C., n’est pas une conquête linéaire, plutôt un déferlement, désordonné en apparence, que l’on peut comparer au flux et au reflux d’une marée. Chaque victoire tactique renforce son emprise. Dahès et Parthes se fondent peu à peu en une seule nation. Face à l’ennemi commun on oublie un instant les querelles de tribu pour s’unir dans la fierté que confère l’action. Désormais Arsace reste seul sur la scène politique. Il s’était affranchi de Diodote, débarrassé d’Andragoras, une moitié de la Parthie lui appartenait, des hordes nombreuses venaient se ranger sous sa bannière, dans la steppe son nom circulait de tribu en tribu, les villes se soumettaient à sa loi, les autorités religieuses soutenaient sa croisade mais, plus que tout, il savait exalter l’ardeur de ses guerriers au moment de la bataille. Toujours parmi eux, il pouvait compter sur leur dévouement. Arsace fut un meneur d’hommes génial car il connaissait l’art de les fanatiser et de les faire mourir en chantant.

    Puis vinrent les années difficiles. La guérilla a de ces retours de flammes incertains. L’audace pousse Arsace toujours plus loin au sud et à l’ouest, jusqu’aux frontières de l’Hyrcanie, que les colons défendent avec acharnement. Il bute sur des villes fortifiées comme Hécatompylos, « la ville aux cent portes », qu’Alexandre avait établie comme chef-lieu de la Parthie et qu’il sera incapable d’enlever. À l’abri derrière leurs puissantes fortifications les colons grecs ont beau jeu de le narguer. Ils contrôlent encore les axes routiers et les grandes villes dont la possession fait le pays. La guerre est loin d’être terminée. Au sud aussi, où les capitaines Séleucides adaptent leur stratégie. Il arrive désormais de plus en plus souvent aux Parthes de tomber dans des embuscades. Au cours de l’une d’elle, Arsace, toujours à la tête de ses hommes, devait trouver la mort au courant de l’an 247 avant J.-C.

    La disparition d’Arsace marque une nouvelle étape dans l’histoire de la Parthie. L’idée de l’indépendance nationale qu’il avait suscitée ne disparaît pas avec lui. Au contraire. Son sacrifice pour la cause commune renforce leur détermination. Au-delà des faits, il était devenu un symbole pour des millions d’hommes et de femmes ; pour les Scythes errants comme pour les Iraniens sédentaires du plateau septentrional à qui il communiqua l’espoir de vaincre ; que dans la lutte ils retrouveraient leur dignité, et la victoire si l’union parvenait à se faire parmi les tribus rivales. La pensée nomade peut surprendre, cependant elle représentait ici le salut de l’Iran. Arsace avait eu raison contre les hellénistes, les pacifistes et les modérés. Sa grande âme, courageuse, obéissait à de profonds instincts. Il mourut vraiment pour l’avenir. L’homme brave a aussi sa révélation. Il la trouve dans les forts battements de son cœur.

    Tiridate, son frère et successeur, le comprit sans doute. C’est à lui que l’on doit ce véritable culte de la personnalité qu’il voua à son souvenir. Pour les Parthes, Arsace n’avait jamais été un roi. Les auteurs romains qui affirment le contraire doivent être considérés dans leur cadre historique. Ils ne faisaient que rendre, quelques siècles plus tard, une image de la Parthie qui leur était contemporaine. Mais, si Arsace ne fut point un souverain, il eut, à l’instar de Gengis Khan, l’insigne privilège de fonder une nation. Comme lui, pasteur nomade, il fédéra les tribus parthes, comme son lointain émule unira sous sa bannière les tribus mongoles. Désormais il était devenu pour eux le saoshyant, ce sauveur providentiel qui dans la mythologie mazdéenne annonçait le retour de l’âge d’or et le règne de Mithra. En somme un demi-dieu, ou plutôt un prophète incarnant à sa manière la résurrection de la civilisation iranienne humiliée par la conquête d’Alexandre. Ammien Marcellin témoigne qu’on le porta au rang des astres ; il fut, dit-il, associé au soleil et à la lune. Mais Tiridate fit davantage. La date de « l’apothéose » d’Arsace devint le commencement d’une ère nouvelle, qui débutait au now rouz du 1er Nisan de l’an 247 avant J.-C. ¹⁷

    Il y eut véritablement un avant et un après Arsace. Son passage météorique avait affecté en profondeur la conscience parthe dont il représentait désormais l’idéal. Pendant près de cinq siècles on le verra comme tel, figurer au revers des monnaies de ses successeurs, l’arc à la main, assis sur un trône ou un omphalos, cette pierre conique qui, chez les Grecs, symbolisait le nombril du monde.

    Arsace marqua à ce point les esprits qu’il donna son nom à la civilisation que les Parthes développèrent à sa suite, et qui devint ainsi « arsacide ». L’Iranien, quelles que soient ses convictions, professe le culte de ses morts et, pour peu que ceux-ci soient tombés victimes d’une cause populaire, il en fait des martyrs, des héros dignes de sa dévotion, de la reconnaissance de ses concitoyens. Arsace n’échappe pas à cette règle. Il fut sans doute, en son temps, ce que l’Imam Husain sera aux Chi’ites du VIIe siècle. Et la date de sa mort dut être vénérée avec autant de ferveur par les Parthes que l’est de nos jours encore l’achoura dans les rues de tous les villages du pays.

    Son histoire, déformée au fil des siècles, apparaît aujourd’hui noyée dans cette aura de ténèbres qui recouvre les héros légendaires dont l’épopée précède l’âge de l’écriture. Justin le compara, sous cet aspect, à Alexandre, à Romulus ou à Cyrus, et sans doute avait-il raison. Comme ces grands fondateurs, réels ou imaginaires, Arsace devint une figure de proue dans l’inconscient collectif de la nouvelle nation.¹⁸ Pour cette raison, Arrien, reproduisant la version officielle en vigueur à la cour parthe, trois siècles plus tard, vit en lui un rejeton de l’Achéménide Darius II, un descendant des rois de Perse venu réclamer son héritage. Les mythes changent et s’adaptent en fonction du milieu et de l’endroit. L’Islam en a fait un prophète sous le nom d’Al Khezr. Et, pour répondre à ce même besoin d’union mystique, l’Arménien Moïse de Khorène en fera un descendant du patriarche Abraham par Qétoura.¹⁹ Parti du pays des Kouchans, la Bactriane, Arsace aurait selon lui conquis tout l’Orient, arraché Babylone aux Grecs et traité directement avec Rome.²⁰ Arsace était déjà une légende, il restait à l’histoire le soin de prendre le relais.


    1. Justin, Histoire abrégée de Trogue Pompée, XLI, I. 10-12.

    2. Strabon, Géographie, XI, 9, I.

    3. Justin, Histoire abrégée de Trogue Pompée, XLI, I. 1.

    4. J. De Morgan. Les premières civilisations. Paris, Leroux, 1909. pp. 313.

    5. F. Cumont, Nouvelles inscriptions grecques de Suse. dans les Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions et des Belles Lettres. 1930, pp. 217.

    6. Justin, Ibid. XLI, III, 1-9.

    7. Strabon, Géographie, XI. 3

    8. L. Robert. Inscription Hellénistique d’Iran, dans Hellenica XI-XII (1960), pp. 85-91.

    9. M.L. Chaumont, Capitales et résidences des premiers Arsacides, dans Syria, 1973, pp. 197-198.

    10. Strabon, Géographie. XI, IX, 2-3.

    11. Justin, Ibid. XLI, IV. 3-5.

    12. J. Wolski, L’historicité d’Arsace I, dans Historia, VIII, 1959, pp. 222. A défendu cette théorie avec beaucoup d’acharnement mais sans fournir d’arguments satisfaisants.

    13. O. Bopearachchi, Monnaies Gréco-Bactriennes et Indo-Grecques. Paris, 1991, pp. 41-42. Voir aussi l’article de O. Bopearachchi, L’Indépendance de la Bactriane, dans Toπoi, 4, 1994. pp. 513-519, & O. Bopearachchi, Pre-Kushana coins in Pakistan. Karachi, 1995, pp. 26-27.

    14. Isidore de Charax, Les Stations Parthiques. XI.

    15. Arrien, Parthica. Fragments 1 & 2.

    16. Chaumont, M.L. Les ostraca de Nisa, nouvelle contribution à l’histoire des Arsacides, dans le Journal Asiatique, 1968, pp. 11-35, ainsi que Les Documents Royaux de Nisa, dans Syria 1971, pp. 143-164. Livshitz & Diakonov. Parthian Documents from Nisa. Moskva, 1976.

    17. F. Kugler, Sternkunde und Sterndienst in Babel, Munster, 1907-1937, pp. 443-463.

    18. Justin, Ibid. XLI. V. 5-6.

    19. Moïse de Khorène, Histoire d’Arménie, II. 68…

    L’Écriture sainte nous enseigne que le vingt et unième patriarche depuis Adam est Abraham, de qui descend la nation des Parthes. Car, dit la Bible, après la mort de Sarah, Abraham prit pour femme Qétoura, de qui naquirent Zimran et ses frères. De son vivant, Abraham les sépara d’Isaac en les envoyant au pays d’Orient. C’est d’eux qu’est issue la race des Parthes, de qui descend Archag le brave qui se révolta contre les Macédoniens.

    20. Moïse de Khorène, Histoire de l’Arménie. II, 1-2.

    CHAPITRE II

    De Tiridate à Phraate Ier,

    la genèse d’une nation

    Le siècle qui débutait avec Tiridate allait achever de bouleverser l’ordre de l’Orient qu’Alexandre de Macédoine avait établi cent ans auparavant. Si Arsace fut en grande partie un mythe, il éclipsa totalement ou presque le rôle de Tiridate, dont le mérite ne fut pas moins grand. Il allait faire de son clan une famille royale, et tracer la route à son peuple, de l’autonomie à l’indépendance.¹ La personnalité de Tiridate fut singulière. Il eut la tâche difficile, succédant à un frère héroïque jusque dans la mort. Sans doute cet antécédent le servit-il dans un premier temps. Sans lui, les Parthes ne l’auraient probablement pas choisi pour leur chef. Pourtant, s’il le demeura, ce fut bien par son génie.

    Nous étions alors en 246 avant J.-C. Antiochos II, épuisé par ses beuveries, par l’appétit de pouvoir de ses favoris, par ses combinaisons malheureuses avec le roi d’Égypte, venait de périr, assassiné de la main sa femme et, c’était son fils, Séleucos II, qui régnait à présent à Antioche. Cependant le monde grec était en crise. Séleucos n’était soutenu que par les colonies de la Syrie et de la Mésopotamie. L’Asie Mineure, annexée à l’empire Séleucide depuis vingt ans à peine, lui avait préféré son frère cadet, Antiochos Hiérax, « l’épervier », qui s’était assuré contre lui l’appui tactique des Galates du Taurus, et l’aide financière des Ptolémées d’Égypte. Hiérax était un général d’armée que l’on disait talentueux. Il n’hésite pas à défendre par le glaive ses prétentions au trône. La guerre civile éclate aussitôt.

    Ce contexte, favorable pour tous les ennemis de l’empire Séleucide, profite aux rebelles du nord. Entre 247 et 235 avant J.-C., Tiridate réussit à s’emparer des principales villes de la Parthie, qu’il s’efforcera d’administrer avec bienveillance. Les Parthes ne s’épargnèrent aucun geste de bonne volonté. Dans les territoires libérés par eux, les colons continuaient de vivre dans leurs cités et les Iraniens dans les leurs. Une loi unique régissait désormais les deux populations. Et, si la Parthie se crée un peu dans la confusion, la protection bienveillante du nouveau régime pour les minorités ethniques laissait augurer une cohabitation plus ou moins harmonieuse entre grecs et indigènes.

    Les premières années qui suivirent l’indépendance furent utilisées par Tiridate pour installer ses Dahès et tous les Scythes qui avaient suivi son frère dans la Parthie. Que le pays fût assez vaste pour abriter leurs mouvements, ou plutôt pour les nourrir, lui importait peu. Tiridate regardait déjà plus loin, du côté de l’Hyrcanie toute proche, vers l’ouest.² Cette province, riveraine de la Caspienne, mais avant tout riche en céréales, était alors au centre d’un vaste tourbillon migratoire provoqué par des nomades appartenant aux mêmes tribus.³ Une chance pour Tiridate. Il saura la saisir. Le Parthe connaissait déjà beaucoup d’entre eux, de ces courageux compagnons d’armes qu’il avait côtoyés avec Arsace au cours de leurs pérégrinations. Il saute sur l’occasion, se porte à leur tête, rentre en vainqueur à Astérabad, et s’empare du pays tout entier. La réussite de la campagne hyrcanienne le pousse désormais à l’offensive. Si partout la population indigène acclamait les Parthes en libérateurs, c’est qu’ils répondaient, quelque part, à un profond besoin de rénovation. C’est un déferlement que rien ne semble devoir endiguer. En l’espace de quelques mois, les cols de l’Elbourz sont franchis en direction du midi, la Comisène et le Mazandéran, deux cantons de la Médie et de l’Atropatène, sont emportés dans l’assaut, jusqu’à la cité Rhagès, que Tiridate aurait refondée au patronyme de son frère, Rhagès-Arsacia. Cette fois, son emprise s’étend sur presque tout l’Iran septentrional.

    Toutefois, en pénétrant si profondément vers le sud, Tiridate se heurta à des résistances que son audace ne pouvait suffire à vaincre. L’extension des Parthes avait fini par inquiéter Séleucos II, qui émergeait victorieux de sa guerre civile. À partir de l’an 227 avant J.-C., on n’entendit plus parler d’Antiochos Hiérax, qui aurait péri assassiné sous le glaive d’un renégat en Thrace. Séleucos retrouvait sa liberté de manœuvre en Orient, où il entendait repousser les Dahès et les Scythes par-delà l’Atrek, et réduire la Parthie indépendante à la capitulation.

    Au printemps de cette même année, Séleucos II débuta en Mésopotamie, à Séleucie du Tigre, la concentration d’une armée que Polybe évaluait à cent mille hommes, estimation sans doute audacieuse en un temps où les rois de Syrie ne pouvaient se permettre le luxe de dégarnir leurs autres fronts, et que l’on doit sans doute diviser par deux sinon par cinq. Avec cette armée, qui comptait en outre des éléphants de guerre et de la cavalerie, Séleucos emprunta la vieille route du nord qui reliait la Mésopotamie à Ecbatane, la capitale de la Médie, et de là, par des cols de haute montagne, jusqu’en Parthie. Tiridate ne l’attendit pas sans réagir. Conscient que se jouait le sort de son peuple, il s’organisa en hâte, avec l’assurance de ceux qui savent ne pouvoir se permettre le luxe de perdre. Afin d’ôter à l’envahisseur toute possibilité de ravitaillement, les villages sont évacués de force, les champs incendiés et les puits comblés. Partout, derrière l’armée qui se retire, il n’y a plus que ruines et cendres. Cette politique terrible de la terre brûlée, est une tactique de guerre nomade que les Parthes utiliseront tout au long de leur histoire, et que les Russes reprendront plus tard à leur compte. Cependant, Tiridate ne pouvait ignorer la gravité de la situation, qu’il lui fallait à tout prix des renforts s’il voulait se mesurer à une force aussi conséquente, et cette assistance, il pensa un instant la chercher en Bactriane, auprès de Diodote II, héritier du fondateur de l’indépendance bactrienne, officiellement un ennemi juré, mais qui se défiait comme lui de la volonté hégémonique des rois de Syrie.

    Diodote II redoutait en effet de voir sortir Séleucos vainqueur de sa confrontation avec les Parthes. Sa victoire l’aurait certes débarrassé de ces Scythes, qu’il considérait avec mépris, comme de vulgaires brigands. Néanmoins, il savait aussi qu’elle se ferait sur son compte. Que tôt ou tard, Séleucos en viendrait à menacer l’indépendance bactrienne. Tiridate et Diodote convinrent donc d’un traité qui faisait, ironie du sort, reconnaître en premier l’indépendance parthe par un royaume de colons grecs.⁴ Nous ignorons la nature exacte de cette alliance. Cependant, la suite des événements nous montre clairement ses limites. Diodote n’engagea jamais sa redoutable cavalerie bactrienne, puissante de dix mille chevaux, aux côtés des Parthes. Il aurait même été assassiné peu après, renversé par un aventurier magnésien, Euthydème, pour s’être, comble du déshonneur, rabaissé à traiter avec un « barbare ». Le mirage grec était suffisamment fort en ce siècle pour trouver superflu, dans les casernes de Bactres ou de Bégram, de traiter avec la réaction iranienne.

    La situation était complexe. De son côté, Séleucos II, encouragé par les appels pressants des bouleutes, des députés des villes grecques de la Parthie, avançait à marche forcée. On eut dit qu’il était pressé d’en venir aux mains, confiant sans doute dans son avantage numérique. Mais Tiridate ne s’était pas contenté de se retirer en ravageant le pays. Il avait aussi, par des messagers, appelé à lui les Dahès demeurés dans la steppe. L’histoire est inscrite dans la géographie. Les Parthes détenaient, avec l’Hyrcanie et l’Astauène en leur pouvoir, les deux rives de l’Atrek, de sa source, dans les monts du Khorassan, à son embouchure, dans les eaux de la Caspienne, c’est-à-dire la clé des migrations saisonnières pour tous ces nomades, auprès desquels le crédit de Tiridate se trouva singulièrement renforcé.

    Cependant, la phalange séleucide traversait la Parthie sans que personne ne leur dispute le terrain. Dans leur élan, les Grecs s’étaient emparés de Hécatompylos, de Nisa, et de quelques bourgades que Tiridate avait laissées à elles-mêmes. Ce fut l’occasion de voir éclater au grand jour la complicité qui existait entre les envahisseurs et ces colons qui avaient feint l’indifférence et qui, au jour dit, acclamaient en libérateurs les armées du roi de Syrie. Cette partie de la campagne fut heureuse pour les Grecs, si cela peut se dire d’une série d’incendies et de meurtres. Puis, comme Séleucos II ne parvenait toujours pas à accrocher les rebelles, il franchit l’Atrek dans l’espoir de les déloger de la steppe.

    La rencontre eut lieu dans une vallée, aux environs d’Ashaak. La phalange, plus nombreuse, mais plus lourde et difficile à manier sur ce terrain, ne résiste pas au choc. Fantassins et pachydermes sont cloués sur place sous le feu d’une grêle de flèches décochées par une volée d’archers mobiles qui virevoltent autour d’eux et se dérobent à la moindre tentative de riposte. C’est très vite la débâcle. En quelques heures tout est joué. Séleucos II est contraint de fuir pour éviter la capture. On ne saurait décrire l’ambiance qui régna chez les Parthes après cette victoire historique. Évidemment, cette journée fut commémorée plus tard comme le véritable début de leur liberté. L’indépendance, car telle devait en être la conséquence, s’imposa à tous. Séleucos II s’était retiré en Médie jurant ses grands dieux qu’on ne l’y reprendrait plus, tout en méditant sa revanche. Il n’eut pas l’occasion de mettre ses menaces à exécution. Rappelé quelques mois plus tard en Syrie par le jeu des intrigues familiales, il devait périr peu après, emporté par le contre-feu d’une nouvelle guerre civile.

    En Parthie, le prestige de Tiridate sort grandi de l’épreuve. Désormais, personne n’ose plus contester son autorité sur l’ensemble des tribus. C’est le moment où le système politique glisse subrepticement de la chefferie à la royauté ; le moment où, pour f aire jeu égal aux prétentions de leurs voisins, les rois de Syrie ou de Bactriane, les Parthes acceptèrent d’introduire chez eux le concept de la royauté héréditaire, acceptable pourvu que le souverain respecte les droits et les prérogatives des clans, pourvu qu’il se contente de son rôle d’arbitre.

    Toutefois, l’euphorie passée, Tiridate avait tout lieu d’être déçu par l’attitude des Grecs de Parthie. Ne leur avait-il pas garanti leurs droits et leurs biens pour que, dans leur ingratitude, ils ne trahissent la patrie commune au premier coup de vent venu de l’étranger ? Pourtant, s’il ressentit vivement leur défection, la victoire avait suffi à éteindre ses ressentiments, et Tiridate passa sous silence ces trahisons que les années recouvrirent du voile de l’oubli. Il fallait, pour l’instant, tenir compte du rôle hégémonique des Grecs dans le commerce et la politique de ce temps, s’accommoder de ces citoyens à la loyauté douteuse. Mais cela servit aussi de leçon aux Parthes. Désormais, ils surent que seule la force garantirait leur pouvoir, que jamais ils ne pourraient s’en remettre au droit ou à la parole, que la tranquillité des États ordinaires leur serait toujours déniée. En somme, l’épée qu’ils avaient tirée dans leur révolte, ils ne pourraient jamais plus la rengainer.

    En Syrie, une nouvelle crise agitait la maison Séleucide. La mort suspecte de Séleucos II, et l’interrègne de son éphémère successeur, Séleucos III (226-223 avant J.-C.), n’avaient en rien apaisé le trouble né de la révolte mal réprimée d’Antiochos Hiérax, qui avait pu réunir autour de son nom les cités grecques du littoral égéen, les Galates du Taurus, et toutes les nations allogènes, « barbares » ou grecques qui peuplaient l’Anatolie. C’était, au-delà des considérations personnelles, toute une région, mal intégrée à cet empire trop vaste, qui se cherchait depuis la chute de la maison d’Antigone, un maître à son image. Cependant, au midi, les guerres entre les Séleucides et les Ptolémées avaient tourné en une vendetta familiale qui transmettait de génération en génération ses griefs accumulés, et affaiblissait davantage l’empire, déjà amputé de la Bactriane et de l’Iran septentrional, gagné par la révolte parthe.

    Les Ptolémées d’Alexandrie, ces banquiers de l’Orient antique, avaient derrière eux une puissance économique considérable qui appuyait leurs intrigues militaires. Chypre et le littoral syro-palestinien, Tyr, Sidon, Akko, Ashkelon, mais aussi Rhodes, Délos et Samothrace dans les échelles du Levant, étaient autant de bases navales entre leurs mains. Avec une flotte de près de quinze cents navires de guerre ⁵, ils exerçaient sur les eaux de la Méditerranée orientale une véritable thalassocratie depuis la disparition de Démétrios Poliorcète qui, seul, avait osé leur tenir tête. L’argent et l’or, le nerf de la guerre, qu’elle fut conventionnelle ou subversive, ne leur fit jamais défaut, à l’inverse de leurs concurrents immédiats, les Séleucides, privés des formidables mines du Panshir, affaiblis par les défections et les pillages, qui éprouvaient le plus grand mal à financer leurs expéditions.

    L’empire Séleucide était tenaillé alors par des mouvements séparatistes provoqués à nouveau par des Grecs, Molon en Médie et son frère Alexandre en Perse, des gouverneurs qui, comme jadis Andragoras ou Diodote, jugeaient inutile de se soumettre aux ordres de princes faibles ou corrompus, qui résidaient très loin de leurs fiefs, à Antioche, sur la riviera syrienne, pendant qu’ils devaient lutter contre une nature et des populations hostiles.

    Leurs ambitions personnelles étaient soutenues par les marchands des grandes cités qui commençaient à trouver de plus en plus lourd la charge des impôts et des monopoles exigés par cet État centralisé à l’excès. En 222 avant J.-C., Molon et Alexandre jugèrent le moment propice pour précipiter le coup d’état qu’ils préméditaient depuis longtemps. Inspirés par l’exemple parthe et bactrien, ils proclamèrent leur indépendance, armèrent à leurs frais une milice que Polybe donnait pour être considérable, et marchèrent à leur tête sur Séleucie du Tigre, la grande métropole coloniale de l’Asie antérieure, bastion séleucide, qui contre toute attente se livra à eux sans résister. Cette nouvelle, lorsqu’elle fut connue des provinces de l’empire, provoqua un bouleversement effroyable. Un séisme qui secoua jusqu’au microcosme de cette cour faisandée d’Antioche, toute pleine de l’écho stérile des rhéteurs et des mignons où, dans un climat de coteries florentines, chacun tentait de sauver sa tête, fût-ce au prix des pires compromissions.

    Séleucos III assassiné, c’était un frère cadet de ce dernier, un jeune homme, presque un enfant, qui fut appelé à lui succéder. Antiochos III (223-187 avant J.-C.), tel était le nom de ce prince, était toutefois un homme surprenant, sans doute la figure la plus remarquable de toute cette dynastie. Héritier d’un trône que plus personne ne semblait vouloir, après s’être entre-déchiré pour le posséder, il se retrouvait alors confronté à une véritable guerre de sécession dans laquelle tous le donnaient perdant, et qui menaçait d’engloutir l’empire tout entier.

    Molon et Alexandre ne s’étaient pas bornés à la Mésopotamie. Après avoir investi Séleucie du Tigre, ils s’étaient emparés de l’Elymaïde et de la Susiane. Seule l’acropole de Suse, aux mains de Xénotas, un vieux général, avait osé leur tenir tête un instant, avant de plier à son tour. Le contraste était saisissant. On commençait alors à comprendre tout ce que cette construction politique avait d’artificielle, que les rois Séleucides ne disposaient pas d’une assise suffisante pour gouverner une aussi vaste mosaïque de peuples, et que les Grecs étaient eux-mêmes leurs plus terribles adversaires. Cette constatation créa un trouble considérable. Il n’y avait rien de pire que ces guerres fratricides, où le sang coulait à flot, et qui servaient de paravent aux courtisans et aux aventuriers de tous bords pour se livrer impunément au meurtre et au pillage.

    Antiochos III était encore un adolescent, jeté malgré lui dans l’arène impitoyable du pouvoir. Cependant, il cachait derrière ce masque de candeur les traits d’un homme de fer, animé d’une foi sans bornes en son propre destin. Son tuteur, le premier ministre Hermias, crut pouvoir le manœuvrer en coulisse. Antiochos le laissa faire, d’abord, sachant avoir besoin de lui pour vaincre les réticences des notables de cette cour d’empoisonneurs et de condottieres qui regardaient avec condescendance ce roi du hasard. La panique qui suivit la nouvelle de la sécession de Molon en Orient, et l’annonce non moins terrible de la révolte du propre cousin du roi, Achaeus, qui reprenait dans l’Anatolie l’héritage d’Antiochos Hiérax, lui permit de faire le ménage. Puisque personne n’osait assumer les responsabilités du pouvoir, il en profita pour le prendre et, avec une audace rare, il rassembla autour de lui une petite armée de fidèles qu’il lança aussitôt dans la contre-offensive.

    Avoir l’avantage du temps et de la position est déjà, dans la guerre, la moitié de la victoire. Antiochos III préfigure ce grand principe de la stratégie contemporaine. En quelques semaines, au courant de l’an 220 avant J.-C., il franchit à marche forcée, dans le plus grand secret, les huit cents kilomètres qui séparaient sa capitale de la Mésopotamie, traversa de nuit les gués de l’Euphrate pour tourner Séleucie du Tigre, et prendre à revers Molon qui concentrait ses forces afin d’envahir la Syrie. La surprise la plus totale entoura ce mouvement. Les rebelles, saisis par l’audace de ce gamin qu’ils avaient méprisé au point de songer à lui arracher la couronne et l’empire, se retrouvaient piégés eux-mêmes par leurs propres prétentions. Dans la bataille, qui eut lieu non loin de la colonie d’Apollonia, leur aile gauche les lâcha au plus fort de la mêlée. Les jeux étaient faits. En quelques heures, le nouveau monarque venait d’imposer son style et son nom. Pendant près de trente ans, le monde n’allait plus parler que de lui.

    La journée d’Apollonia, qui avait débuté au petit matin, se termina au soir, à la lueur des bûchers funèbres. La victoire avait sonné le glas des partisans de Molon, pas un seul d’entre eux ne survécut à la nuit. La victoire d’Antiochos III, que nul ne songeait plus à contester désormais, fut pour lui un succès personnel, cependant elle eut encore des conséquences pour le devenir de l’empire séleucide. Doppé par cet avantage, le jeune Antiochos avait cru trouver dans l’aventure militaire, dans la victoire, ce parfum de légitimité historique que ses prédécesseurs avaient perdu à se vautrer dans leurs palais de marbre. Il avait cru alors, et il croira jusqu’au bout, que pour subsister dans ce monde, il devait s’attacher passionnément à retrouver les frontières originales

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