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L’agenda de Camille: Chroniques d'un naïf du pays Gâtinais
L’agenda de Camille: Chroniques d'un naïf du pays Gâtinais
L’agenda de Camille: Chroniques d'un naïf du pays Gâtinais
Livre électronique725 pages5 heures

L’agenda de Camille: Chroniques d'un naïf du pays Gâtinais

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À propos de ce livre électronique

Camille, jeune homme pauvre du Gâtinais rural est désigné par le sort pour accomplir en 1904 un service militaire de trois ans.
Mobilisé en 1914 en appartenance à la Territoriale, il rentre au pays en 1919 à l’âge de 36 ans après une guerre bien saignante de quatre ans.
Sept années furent données ainsi au service du pays.
Mais la deuxième guerre allemande contraint la France à signer l’Armistice le 22/06/40. Sa Libération, après le débarquement allié fait naître rapidement une Épuration dont les conducteurs engagent envers sa personne une vindicte, « ardente vilenie ou grotesque niaiserie » qui, après une détention de six mois et demi au camp de Pithiviers-Loiret, le fait condamner par la Chambre civique de la Cour de Justice à une peine de 15 ans d’Indignité nationale, à subir les conséquences civiles, sociales et professionnelles en tant « qu’individu dangereux pour la défense nationale et la sécurité publique et dont les agissements sont de nature à nuire à l’Économie nationale ». (Art. 79 de l’ordonnance du 28/11/44).

À PROPOS DE L'AUTEURE

L.lya Champion : Vivant en caravane de chantier, un mariage heureux en 1972 à Cires-les-Mello, (Oise) a gommé (difficilement) un vécu clivant.
Revenue en 2004 aux sources natives en Pays Gâtinais, j’ai respiré des souvenirs naufragés et engagé l’écriture brûlante de L’agenda de Camille par émotion pour la mémoire de l’offensé et peut-être de la mise à niveau de sa réputation bâfrée par les dérives délétères d’une époque de délations et mensonges.
LangueFrançais
Date de sortie4 févr. 2020
ISBN9791037702449
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    Aperçu du livre

    L’agenda de Camille - L.lya Champion

    1

    Quartier Châtillon !

    Trois ans !

    Bail de trois ans, trois ans de Bagne…

    J’aurais préféré la « musique » …

    Comme tous ceux de la classe 1903, je dus tirer au sort au cours du printemps 1904 ; après le conseil de Révision, déclaré « bon pour le service » je reçois en octobre mon affectation pour le 32e régiment d’artillerie à Orléans.

    Suivent ma feuille de route le 1er novembre et l’embarquement à Ladon le 15.

    Le site de cette garnison me rassurait un peu. Villemoutiers sur le canton de Bellegarde n’en était pas très éloigné et ma mère Julie Rousset y assurait seule sans faiblir la petite culture, car au « Bois de Fou » ² mon père Désiré Anceau très malade, mal soigné, était défaillant.

    Un sous-officier plantonne à la gare en attente des recrues qu’il fait aligner sur deux rangs pour nous capter tambour battant rue Eugène Vignat au Quartier CHÂTILLON où j’allais prendre un bail de trois ans.

    Perspective sans trop d’intérêt ! trois ans…

    Dix ou douze à l’arrivée, éparpillée dans toutes les batteries, immédiatement dirigée aux « Volants » (13e batterie à cheval au 3e du bâtiment nord) un Maréchal de Logis grincheux me réceptionne en grognassant ; après une page d’écriture, quelques opérations de chiffres, content de lui, il m’inscrit illico pour le peloton des brigadiers.

    Mais je me berçais d’illusion : appartenir à la musique !

    — « Rien à faire, pas de rouspétances, exécution ! un groupe de Batterie de cavalerie, ne fournit pas pour la musique ! »  ³

    Au magasin le planton me coltine un saint-frusquin du tonnerre, multitude d’effets hétéroclites : dolman, veste, effets de pansage pour le cheval, caleçons, bottes, cuirs. Éparpiller, tout cela représente un volume impressionnant et le « garde-mites » matricule le n° 5671 au fur et à mesure de la remise dans le sac à avoine.

    Anéanti, dépassé ! 

    Les « Anciens » (3e année) et « pierrots » nous écument, ricanent ; beaucoup ne valent pas cher… donc appelé à être possédé par ces rigolos comme ils l’avaient été eux-mêmes les années précédentes !

    Mon lit qui se trouve être l’avant-dernier du côté de la fenêtre Nord, est voisin de celui d’un « maître pointeur » ne valant pas un clou ; il serait mon « ancien » !

    Un brigadier actif déjà le raffut pour que les « bleus » descendent immédiatement au pansage de 15 heures.

    Pagaille indescriptible : trier dans le tas la musette, la brosse, l’étrille, les Cliques ⁴ pour descendre. Au trot !

    Vacarme infernal !

    Tous au pied de l’escalier, presque hébétés en file de deux, tractés au pas de gymnastique jusqu’aux écuries de la Batterie Nord vers les chevaux tenus sur les abords par les gardes… trente ou quarante bleus, comme eux, alignés sur un rang par taille à partir de la droite.

    1,70 m, donc le plus petit… ma place, toute désignée à gauche !

    Nantis de la musette avec collection de pansage, nous attendons la répartition des deux chevaux attribués, que chacun doit nettoyer dont certains tenus à l’écart sont attachés à la chaîne…

    Des « rossards » … quelques méchants canassons ?

    Répartition commencée par la droite… Ah… Aucun doute, l’un de ces deux-là serait mon lot…

    On m’indique une fringante jument blonde qui regimbe, une certaine Yvoine qui tape, mord, hargne, une « belle » que voilà, avec laquelle il faudra compter sans lui appuyer trop fort l’étrille sur les côtes, ne pas la contrarier.

    Un maréchal-ferrant de métier, hercule habilité, se faisant fort de conduire l’opération à bien est mal récompensé ; un coup de pied au bas des reins…

    Ramassé conduit à l’infirmerie, nous ne l’avons jamais revu…

    À compter de ce jour, le pansage des chevaux méchants serait assuré par les hommes « punis » !

    En général, les chevaux étaient bons et doux… Yvoine, une exception…

    Comme toutes les batteries à cheval, nous sommes sur le pied de guerre !

    Les unités sont au complet : 130 hommes pour 180 chevaux demi-sang.

    Avec l’aimable autorisation du département des Archives Orléans-métropole.

    Dès le lendemain, la bousculade reprend belle… visite, pesage, très bizarres revues d’habillement, dolman, vestes, pantalon de cheval, treillis et toujours… pansage, abreuvoir, instructions multiples, dissertations sur le cheval, mise conforme de sa schabraque, curage des sabots, usage de l’époussette ! En prime, corvées à outrance : réfectoire, chambrée, tinette, astiquage, rassemblement dans les écuries, quête du crottin, conduite du fumier au moyen de la poussette ; c’est fou ! Fou ! Fou !

    Et progressivement, les exercices se multiplient… Levés à cinq, le réveil ne sonne qu’à sept heures ; ceux qui étaient de « botte » à trois ou quatre.

    À cinq heures quarante-cinq, tous devant le manège pour instructions, exercices de plain-pied, ronds de voltige, montent en bridon, étriers exclus pendant cinq ou six mois.

    École de peloton sur route, flexion des reins, extension des jambes, petit trot… aïe, la bonne routine ! Bien vite, le plus grand nombre d’entre nous blessé aux fesses par le calvaire de la selle maugrée, grogne avec des souffrances du tonnerre ; bien racorni l’arrière-train ! malmenée ma dégaine évolue… élégante !

    Ici, pas de « tireur au flanc » = pas d’infirmerie !

    Dans la huitaine sévit le peloton des apprentis brigadiers et sous-officiers avec remises de pages de théories, distribution des armes, sabres, revolvers.

    Aucun privilège connu pour qui que ce soit : sans exceptions nous, les recrues devions gober toutes les exigences imposées.

    Prétention ou vanité ne trouvent place.

    En gommant les répulsions, l’unique enseignement tiré de ces folles exagérations et de ces traitements abusifs a représenté une école de la vie communautaire, aussi celles de l’égalité et de l’obéissance absolues : les paresseux tenus de faire leur travail, les rouspéteurs… à se taire, les lambins doivent courir quand même, les crasseux sommés de se rendre propres. C’était républicain ! Recrues bien dressées.

    Consigne, salle de police, prison, distribuées gratuitement et à profusion, quelquefois pour un motif futile.

    Au principal, apprendre à saluer régulièrement…

    Pas emballant le régime : viande et pommes de terre, le soir pommes et viande, en général spécialités « peaux et gras » inouïe salade offerte quelquefois le dimanche !

    Au réveil, distribution d’un quart de café, de l’eau à volonté et deux fois le mois d’un quart de vin. Faire une descente à la cantine, trop souvent nécessaire pour acheter deux sous ⁵ de quignon de pain et une lichette de salaison douteuse pour compléter.

    Pas vraiment des gâtés…

    Invisibles les officiers réapparaissent quelquefois et repartant

    « Presto » laissent le champ libre à l’instructeur…

    Au bout d’un mois ou deux, beaucoup seront dirigés sur l’infirmerie ou sur l’hôpital : triomphe des rhumatismes articulaires…

    Ensuite les Écoles à feu, les manœuvres qui ont permis de quitter le Quartier où la vie n’était pas drôle pour « prendre l’air » sur les plateaux du Perche ⁶, de la Sarthe, de l’Eure-et-Loir,

    Ô les beaux voyages ! 

    Où était le temps où tout en travaillant sérieusement, je disposais de moi d’une tout autre façon quand le dimanche je randonnais à bicyclette dans les parages de Chailly pour apercevoir Marcelle ?

    Changement considérable de vie, bousculade permanente, indéfinissables, durant les six et sept premiers mois, les difficultés paraissent insurmontables…

    Pourtant comme la plupart, je n’ai jamais manifesté de mauvaise volonté ni résistances. La mauvaise tête vite repérée glane ses ennuis à la clef !

    Celui qui se trouve pris en « grippe » l’est bien pour le restant de son congé ; chacun obéit bon ou mal gré pour ne pas avoir à regretter un moment d’impatience ou un geste impulsif et la petite perm' de 24 heures supprimée… sans que l’on sache pourquoi ; sortir en ville le dimanche une fois par mois assez rare et… toujours après l’abreuvoir !

    Un bon point : les méritants bénéficient d’une permission de 24 heures à condition qu’il n’y eût pas un seul jour de consigne dans le mois précédent !

    Une affaire spéciale a bousculé les habitudes… celle d’Algésiras.

    Nous les « volants » mobilisés durant 48 heures sur le pied de guerre, afin d’être prêts dans l’heure ; chevaux sellés pendant deux jours, interdiction de se déshabiller, exigence de protéger sur nous sabre et revolver !

    Avec notre collection de guerre, nous couchons sur la paille au chaud, à côté de nos chevaux dans les bâtiments réquisitionnés en ville à proximité du camp d’embarquement, tout près de la gare.

    Matériels, canons prêts à atteler !

    Long chemin pour les chevaux…

    Et après ces deux jours insolites de préparations singulières, direction ce brave chemin du Quartier !

    Autre incident plus modeste… des échauffourées occasionnées par l’abolition du Concordat ⁸ concernant la séparation de l’Église et de l’État en application d’une nouvelle Loi de 1905⁹. Intronisé bon paroissien, je dois prendre la garde à l’Église « St Paterne » à Orléans, changement d’air ! 

    Là, ai-je tout le temps de ruminer, enfin, de méditer ?

    Établi « Pierrot » de la 2e année, les conditions semblent s’améliorer mais certains des nôtres ont encore osé brimer les nouveaux arrivés !

    La troisième, passée comme secrétaire du Colonel s’avère bien moins tourmentée que les précédentes…

    Les moments les plus durs étaient derrière moi…

    Le service militaire, pas un endroit où l’on peut espérer gagner grand-chose : la solde du simple soldat : 0,05 par jour, le brigadier 5 ou 6 ¹⁰ sous, le sous-officier une quinzaine de francs par mois. ¹¹

    Les parents les plus fortunés aidaient par des mandats, mais ceux qui n’attendaient rien de personne lavaient les chaussettes du voisin ou astiquaient les brides du camarade plus chanceux, sans négliger le bureau de l’Unité qui offre deux timbres de 0,10 pour la correspondance avec la famille…

    Je compte néanmoins les jours, le temps longuet, les derniers instants interminables ; mais les délurés et les rigolos de la troupe qui voient toujours la vie en rose réaniment l’ambiance, les « boute-en-train » tiennent le moral effiloché.

    C’est au régiment que s’établit la bonne camaraderie, une école du caractère où l’on choisit aussi ses amis : les courtois vont avec les bien élevés, les brutes recherchent les brutes, les ivrognes courent les uns après les autres, les coureurs sont portés vers ceux qui interprètent de la même façon…

    La sélection se fait inexorable et au régiment, ce n’est pas le grade qui établit la manifestation de l’intelligence !

    Très éprouvantes… les dernières semaines de présence, ces jours qui triturent le moral alambiqué, qui n’en finissent plus, renaudent.

    L’obsession de partir abreuve exclusivement l’esprit de chacun des libérables une seule idée… « largo ».

    Quitter cet endroit qui finalement nous répugne dans lequel il avait fallu supporter tant d’iniquités !

    Mais nous n’en étions pas morts ! On était encore là… ¹²

    Affolés à la pensée de s’en échapper, tous courent les uns après les autres surexcitations, folie douce ! nous comptions les heures, non les jours.

    Le principal oui… s’évader sans retour de ce « quartier Châtillon » !

    Une vraie folie !

    Pour le départ, les habits civils endossés, les congratulations, les cruches s’emplissent. C’est enfin la soirée des adieux, le plaisir partagé des litres de pinard ! ¹³

    Ce soir-là, ce ne sont pas les « bleus » qui arrosent, mais les libérables !

    Le matin, plus de paresseux pour sauter du lit ; distribution au bureau des feuilles de route, dégringolades des escaliers toujours au pas de course, les embrassades nombreuses, c’est du délire ! Le grand jour est là ! Enfin !

    Coincé dans de telles conditions pendant trois années consécutives de jeunesse, revenir à l’âge de 24 ans de ces lieux particuliers de tourments marquent une place inoubliable dans la vie d’un homme… oui, inoubliable.

     « SEE YOU SOON » Camille chuchote l’agenda

    2

    Long chemin pour ma France

    La guerre allemande

    Carnets de route

    Routes de Guerre

    La mobilisation est générale

    Clerc d’avoué à Orléans chez maître Sauvage jusqu’au 15 mars 1914 le Journal officiel du 10 mai 1914 relate ma nomination d’Huissier à Mttarj3 en remplacement de maître Gaillard.

    En bicyclette, s’impose chaque jour la navette entre le « Bois de Fou » et la ville.

    L’Étude située au 53 place de la République partage les locaux du rez-de-chaussée occupés également par M. Kirin vétérinaire ¹⁴ qui reçoit les chevaux par le porche.

    Très troublée, l’époque vivotait, les affaires quasiment nulles, les nouvelles alarmantes qui circulaient allaient se réaliser…

    Le samedi 2 août 1914

    Au moment où le marché bat son plein sont placardées les affiches annonçant l’ordre de Mobilisation générale

    Malheur de Malheur !

    Tous les hommes mobilisables sans exceptions sont tenus de rejoindre le poste imparti par leur fascicule de mobilisation ; les jours précédents, certains avaient été déjà appelés. Les uns quittent Montargis, d’autres y arrivent.

    En fin de soirée du samedi, nombreux, sont ceux rejoignant le dépôt du 82e d’Infanterie à la caserne Gudin. Le lendemain dimanche,

    C’est la ruée…

    Seulement sept ans depuis l’époque mémorable du fameux quartier Châtillon.

    Mon fascicule m’enjoint de me rendre au 10e jour au 45e d’artillerie quartier de l’Étape à Orléans.

    Avant mon départ, ce délai inespéré me permet de mettre un peu d’ordre dans les papiers de l’Étude, pendant que d’autres, moins privilégiés que moi, se dirigent déjà vers leurs corps d’affectation.

    Partout, le brouhaha… les familles entières accompagnent l’homme à la gare, traits crispés, figures très contractées, les larmes coulent sur presque tous les visages…

    À Montargis gros centre mobilisateur, c’est par milliers que réservistes et territoriaux affluent ; 5 régiments : le dépôt du 82e, la formation du 28e de réserve, les 16e, 36e et 38e territoriaux.

    L’effervescence grouillante, pas suffisamment de locaux pour loger l’affluence… Immeubles entiers, appartements, chambres, tous réquisitionnés, restaurants, cafés bondés… des voitures bourrées d’habillement et de chaussures balancent leurs chargements aux endroits indiqués où tous viennent se vêtir pour le départ prochain.

    Le dimanche en fin de soirée le défilé du 82e, musique en tête, fleur au canon du fusil se dirige vers les trains qui attendent l’embarquement en gare.

    La moitié de la population montargoise fait haie ou suit.

    Les soldats chantent, la mort dans l’âme, trains alignés sur la voie en bordure de la rue de Paris…

    Quelques inscriptions se détachent sur les extérieurs des wagons…

    À Berlin, d’autres encore !

    Cocktail d’angoisse dissimulée et de feinte gaîté, beaucoup chantent en pleurant.

    Les conversations ouatées des fins connaisseurs indiquent que la guerre serait terminée pour le 1er janvier 1915, les mobilisés vivraient chez eux, d’autres envisagent un an maxi, compte tenu de l’occupation future de l’Allemagne !

    Prophètes de malheur !

    Après le 82e, les 16 et 38e régiments, le 28e défilent à leur tour ; la comédie se freine un peu. Un bataillon ou deux du 38e territorial embarquent également.

    Cette liesse peureuse est bientôt remplacée par les larmes ; on ne tarde pas à chuchoter la rumeur : des trains de blessés passent la nuit, se dirigeant vers l’Ouest ou le Sud, huit jours après le premier départ ; quelques-uns hospitalisés à Montargis provenant des trains de passage n’étaient plus en mesure de poursuivre le voyage.

    Mon filleul Lucien Gilles de St Maurice-sur-Fessard, d’autres familiers, dont un cousin de Corbeilles, Dupré mari d’Élise Violas sont venus chez nous déposer leurs habits civils et partager un rapide repas à Montargis au 53 Place de la République. Nous n’aurons jamais le plaisir de les revoir. Lucien tué un mois après sur le champ de bataille, Dupré blessé mortellement fut emmené dans les Landes pour y mourir de ses blessures.

    Tous deux avaient été mobilisés au 82e.

    Les jours s’épuisent vite pour moi pendant ce court répit de dix jours.

    Le jeune clerc de seize ans allait rester seul ; ma femme tiendrait la comptabilité, mon prédécesseur aiderait peut-être en cas de besoin.

    Le 12 août avant midi, je dois être au quartier de l’Étape à Orléans.

    Et pour gagner quelques heures avec ma femme et ma fille, je prends la décision de joindre Orléans à moto.

    Oui, gagner un peu de temps (c’est mieux) sur l’avenir proche, inquiétant.

    Nous nous faisons braves tous les deux, le cœur gros, essayant de nous dominer, ma fille de cinq ans pleure beaucoup. Nos folles embrassades terminées, direction d’Orléans avec la moto. Pour combien de temps ? Déjà 31 ans. Aïe !

    « Tempus fusit », murmure l’horloge.

    La veille au « Bois de Fou » j’avais fait mes adieux à ma mère ainsi qu’à ma belle-mère et grands-parents de Chailly.

    Au quartier de l’Étape, je ne suis pas tout seul ; les réservistes affluent de partout.

    Affectations communiquées, les quatre batteries de dépôt des 69, 70, 71 et 72 sont réparties au Quartier Châtillon, Dunois, au séminaire de la Chapelle St Mesmin et à l’Étape. Les écuries regorgent de chevaux ; leurs convois sont amenés du Loiret, Loir-et-Cher, Eure-et-Loir qu’il faut accueillir, classer, diriger vers les écuries.

    J’accueille aussi les réservistes.

    Mais le plan de mobilisation n’avait pas prévu la constitution de régiments de réserve pour l’Artillerie ! Sans matériels, quelques fourragères pour le service de la Place et transports de denrées pour le Quartier, toujours nantis des effets civils du voyage, toutes les unités d’active sur les fronts de combat depuis le début des hostilités, déjà des morts et des blessés parmi ceux du régiment…

    Immobilisés ainsi au « Quartier » quelle serait donc notre utilité ?

    Des détachements de dix ou quinze hommes en tenue de guerre se forment tous les deux ou trois jours pour remplacer les morts, blessés ou malades des unités combattantes ; les plus jeunes partent les premiers ; listes de départ publiées, établies par avance et par tranches d’âge. Tout le monde sait à quoi s’en tenir !

    Quinze jours après mon arrivée, réservistes et territoriaux se présentent encore.

    Pas de place pour les loger tous !

    Les nouvelles de la guerre ne sont pas bonnes.

    Tous les jours, des renseignements plus alarmants les uns que les autres… non seulement nous n’allions pas à Berlin comme prévu, mais les Allemands ont enfoncé nos lignes.

    Et les trains de blessés se succèdent oui, regarder la Vérité en face, le répit accordé allait expirer et ce télégramme reçu le 29 septembre fixe ma réintégration pour le 30.

    L’opinion étonnée de voir certains rendus libres pendant que d’autres se faisaient tuer réclame le rappel des réservistes. ¹⁵

    Dès mon arrivée à la 70e, je touche les effets militaires tout en reprenant mes fonctions de fourrier au bureau de la batterie.

    Quelques mois s’écoulent sans qu’il soit apporté beaucoup de modifications aux errements antérieurs.

    La vie de « Quartier » continuait dans une drôle d’ambiance monotone de tranquillité relative ; certains auraient voulu être fixés sur leur sort ; d’autres s’inscrivent au bureau comme volontaires pour partir aux prochains détachements de renfort qui tous les deux jours rejoignent sans cesse le Front.

    Les divers groupes de notre régiment se répartissent comme Artillerie de Division ou de corps d’Armée en Lorraine, dans les Vosges, aussi au camp retranché de Paris.

    Au mois de décembre 14 ou de janvier 1915 il est question de formations nouvelles, les « Crapouillots ». ¹⁶ C’était nouveau… nombreux de nos artilleurs retenus parmi les plus jeunes classes sont désignés pour suivre ces cours d’instruction créés à Bourges.

    Il s’agissait de « canons de tranchées ».

    Au Quartier du 45e, instruction est donnée également de reprendre l’utilisation de vieilles pièces de forteresse au calibre de 95, 120 et 155 long « De-Bange » qui, étant donné la pénurie de matériels lourds allaient être mises en service en vue de la formation de groupes lourds, initiatives non prévues aux plans de mobilisation ou de guerre…

    Circulaires ministérielles de tous acabits pleuvent à rouasses, se chevauchent les unes les autres ; de nouvelles unités seraient créées : Urgence !

    Le capitaine Lesimple qui commandait la 70e batterie de dépôt m’avait chargé de ces mises au point, j’y travaillais avec lui ; très communicatif, il m’informe de la formation de deux batteries lourdes de 120 et 155 dont il assurerait probablement le Commandement de groupe.

    À la batterie nous sommes trois bons camarades nous étant promis de partir dans le même détachement ; l’occasion nous en est enfin proposée !

    Nous confions au Capitaine qui nous connaît bien, la nature de nos intentions il s’agit de Lemaignen avocat au Barreau d’Orléans, de Berthaut professeur agrégé au collège « Stanislas » à Paris et de moi. Mais le capitaine qui nous manifestait réellement estime et sympathie nous a demandé avec fermeté de ne pas persévérer dans nos intentions. Manigances diplomatiques du plus grand secret… rien ne pouvait se laisser supposer…

    Quand l’heure fut venue de constituer l’effectif de ce groupe lourd, tous, officiers et canonniers de la 70e s’élancent au bureau comme volontaires pour se faire inscrire et partir avec le Capitaine qui allait le commander.

    Plus de volontaires qu’il n’en fallait !

    Fourrier j’établis avec lui la liste du personnel de chacune des deux batteries qui composaient le groupe : Officiers, sous-officiers, Brigadiers, Servants, conducteurs, également la nomenclature des chevaux…

    Ce groupe partirait complet sur le pied de guerre…

    Après quelques semaines, le matériel amené à pied d’œuvre dans la cour du quartier, sections et pelotons de pièces se constituant, les gradés comme la troupe doivent reconnaître la place à occuper, les Chevaux affectés, chacun soigne celui ou ceux qui lui ont été remis en consigne.

    Le télégramme devant préciser la date du départ est attendu tous les jours et quand ce fut le moment… Branle-bas, énorme remue-ménage.

    Chacun prend ses dispositions, prépare son paquetage, son matériel, tout est vérifié. Quelle serait la destination ? Personne n’ose la supposer.

    Le Capitaine détenait certainement des informations incomplètes car les ordres par plis cachetés ne lui étaient remis pour la continuité de son transport qu’à l’arrivée dans les grands centres…

    Le jour du départ de l’Unité du 45e, quand tous furent à leur poste, le Capitaine Lesimple fit un « speech » précisant bien à son personnel qu’il ne connaissait pas encore où le destin les emmènerait, mais le félicitant avec ferveur.

    Très ému, il remerciait les bonnes volontés et ceux qui lui avaient manifesté leur confiance pour le suivre et tous, recevions ses paroles empreintes d’émotion mais aussi de pleine affection…

    Un « hourra » général a répondu, faisant trembler les murs du Quartier… Impressionnant…

    Lem, Bert et moi regrettions de ne pas faire partie du convoi, attachés que nous l’étions à ce chef si sympathique.

    Pourquoi n’avait-il pas voulu de nous, malgré l’estime qu’il nous accordait, alors que nous aussi étions volontaires ?

    Un millier de nos camarades, tous réservistes, partaient avec lui pour une destination inconnue, certainement périlleuse, où ?

    Le défilé en quittant le quartier de l’Étape s’effectue dans l’ordre et le calme les plus parfaits, comme s’il s’agissait d’une sortie de Quartier du temps de l’active. Des signes de mains…

    L’embarquement a lieu en gare d’Orléans sur les voies, en bordure de la rue de la Gare ; aucune précision quant à la direction. Est, ouest ?

    Bientôt des cartes postales parvenues de Marseille… Plus de doutes, comme tant d’autres unités cette troupe se dirigeait sur Salonique. ¹⁷

    À l’annonce de ces nouvelles, l’attitude du Capitaine qui s’était refusé obstinément à ne pas nous inclure dans son effectif nous était plus accessible.

    Après quelques semaines nous apprenions que la traversée de la Méditerranée s’était passée sans incident, mais que des pertes humaines importantes furent enregistrées au débarquement, au détroit des Dardanelles ¹⁸ le navire qui transportait le détachement Lesimple pris à partie par l’artillerie turque au moment même où il approchait du lieu de débarquement…

    C’est sous une avalanche d’obus de 120 (du fort de Maubeuge où les pièces de canon avaient été prises, paraît-il) que nos camarades ont abordé en chaloupes. Plusieurs centaines d’entre eux furent tués ou noyés avant de toucher terre ; ¾ environ des nôtres avaient péri dans cette mortelle expédition.

    Le groupe presque joyeux au départ, désagrégé avant de mettre pieds sur le sol fut complété sur place par un personnel survivant appartenant à d’autres régiments ayant subi le même sort.

    Les nouvelles qui nous parvenaient de là-bas, plutôt rares étaient du même acabit. La fièvre typhoïde ayant fait des ravages, nombreux en sont morts après avoir été dirigés vers les hôpitaux français ou anglais d’Alexandrie.

    Trois Copains ¹⁹ au camp de Châlons

    Chaque détachement partant en renfort sur le Front est dispersé suivant son appartenance à sa division ou l’usage du calibre des pièces.

    C’est en gare de Bouy que le train non éclairé, miraud, stoppe à l’aveugle sans se signaler du sifflet, dans une gare parfaitement obscure.

    Un sous-officier du groupe auquel nous allions être affecté attend pour nous diriger aux échelons campés en plein camp de Châlons (s.e. de Mourmelon).

    Le chef méridional nous affecte provisoirement à la 52e batterie pour bivouaquer, déballer tentes et matériels de couchage… beau camping sauvage… Inquiétude pour Berth. ignorant la technique qui n’avait pas imaginé qu’un jour il eut besoin de connaître ces détails… élémentaires !

    Interdiction d’allumer un briquet ; quelque peu perdus dans cette nuit noire, ayant tenté en vain de nous assoupir sur ce sol frais, le jour venu nous admirions notre installation en réconfortant la stabilité de notre tente qu’un modeste coup de grain aurait bien pu balayer !

    Bientôt, le canon cogne son énorme tam-tam.

    La terre tremble, geint sa souffrance, un roulis tellurique ondoie à chaque coup craché de nos pièces installées à proximité ; les mitrailleuses crépitent, les coups de fusils claquent un peu partout ; ça tape, ça cogne.

    Berthaut n’en peut déjà plus, s’en remet à sa dernière heure ; désolé, appréhende de ne plus revoir sa femme, sa présence avec nous ici est sans intérêt, pessimiste à 100 %…

    Au petit jour, nous nous présentons au Capitaine qui commande les Échelons et sections de ravitaillement, une cinquantaine d’années, rondelet, bavard, physionomie ne traduisant pas trop la bonne franchise.

    Affecté personnellement au bureau comme « fourrier »²⁰, Lemaignen doit partir à la batterie de tirs avec la première corvée de ravitaillement ; après la nuit tombée Berth. est désigné pour le charroyage des obus pris aux dépôts de l’arrière… service de nuit ne devant guère lui plaire…

    Impossible malheureusement de remédier à cet état de choses…

    Le camp s’étale en plein air, pas d’abri si ce n’est quelques tranchées prévues, modestes providences contre le bombardement anticipé, dans un terrain très plat, faux émail de quelques petits sapins rabougris, distants d’une vingtaine de mètres les uns des autres, chevaux à la chaîne, regroupés assez loin pour les éloigner du fracas des obus… dont nombreux sont à l’attache avec des éclats dans le corps, d’autres plus nombreux encore endurent les coliques de sable dues au léchage et à l’ingurgitation de la terre ; inguérissables, la plupart d’entre eux seront abattus.

    Les cuisines genre « romano » chaperonnées par un vilain sapin gérant les gamelles emmenées à la nuit tombée devant être groupées à la corvée d’obus…

    Quelle bonne vie ! beau spectacle ! Ah, le bon, travail !

    Je m’accoutume assez bien à mon chef du « Midi », bavard spécialiste, matamore corsé d’un « bagou » gigoteur du matin au soir, point trop revêche.

    Sans faire trop de besogne, les sous-officiers et les hommes de la Provence s’en décalquaient en lui ressemblant.

    Excepté les conducteurs provenant d’éléments de cavalerie du nord et du Pas de Calais, la moitié de l’effectif avait été fourni par le 7e régiment d’Artillerie de forteresse de Nice composé d’un personnel des Alpes-Maritimes, du Gard, des Bouches-du-Rhône et de la Corse. Le détachement d’Orléans complète ; le premier venant s’inscrire dans ces deux batteries en formation.

    Souvent des accrochages… l’entente n’est pas parfaite ; ceux du ch’Nord font le plus difficile, les autres rouscaillent au plus fort !

    La nuit suivante sera plus agitée pour Lemaignen. En charge d’un ravitaillement d’obus à la position de batterie, Il montera donc prendre sa place de servant à une pièce de 155.

    Au moment où le convoi aborde l’emplacement, une petite rafale de 77 provenant du harcèlement allemand venant taquiner les nouveaux arrivés, Berth. pétrifié, saisi d’une courante-colique venant faire naître les incidents consécutifs dut recourir au plat ventre inopiné entre les pattes des chevaux et le chariot ! Lem. plus philosophe n’en ressentit qu’une petite surprise, il restait aux pièces.

    Pour eux le baptême du feu ; mais Bertaut tremblant, à moitié fou, s’estimant mort sous les huit jours me donne mission de m’occuper de ses restes, décrire à sa femme l’endroit où il se trouverait.

    Je n’aurais certainement pas pu dire à Mme Berth. que son mari était mort courageusement !

    Ce Berth. professeur à « Stanislas » se réputait ultra-patriote, style « songe-creux », son milieu celui des prêtres, féru des doctrines de Daudet et de Charles Maurras, presque royaliste, exposant parfaitement ses théories,

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