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Le fusil et l'olivier: Les droits de l’Homme en Europe face aux dictatures méditerranéennes (1949-1977)
Le fusil et l'olivier: Les droits de l’Homme en Europe face aux dictatures méditerranéennes (1949-1977)
Le fusil et l'olivier: Les droits de l’Homme en Europe face aux dictatures méditerranéennes (1949-1977)
Livre électronique737 pages10 heures

Le fusil et l'olivier: Les droits de l’Homme en Europe face aux dictatures méditerranéennes (1949-1977)

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À propos de ce livre électronique

Parcourez l'histoire du concept de "droits de l'Homme" depuis la construction de l'Europe dans un climat dictatorial encore bien présent jusqu'au triomphe des droits de l'Homme et de la démocratie.

Les discours commémoratifs contemporains évoquent une intégration européenne axée dès l’origine sur la défense des droits de l’Homme. L’« Europe des droits de l’Homme » et l’« Europe économique » empruntèrent pourtant des voies séparées.

Ce livre d'histoire politique retrace le processus de convergence de ces deux pans majeurs de la construction européenne à travers l’évolution des relations entretenues par ces organisations internationales avec les dictatures méditerranéennes.

EXTRAIT

La notion moderne de « droits de l’Homme » naît donc avec la création des Nations unies et est liée au développement d’une justice universelle après la guerre. Pour Samuel Moyn, auteur de The Last Utopia, un ouvrage de référence fondamental sur l’histoire des droits de l’Homme dans l’après-guerre, les droits de l’Homme étaient au départ un slogan utilisé par Washington pendant le conflit pour justifier la cause des Alliés. Selon cet auteur, les droits de l’Homme ont à l’origine une valeur rhétorique et restent à la marge des préoccupations politiques de l’époque : il faudra attendre les années soixante-dix pour les voir se développer dans la politique internationale. En 1945-1948, les droits de l’Homme sont, toujours selon Moyn, idéologiquement assimilés à la tendance personnaliste de la pensée politique catholique et doivent leur présence dans le droit international à l’hégémonie politique des démocrates chrétiens en Europe occidentale à l’époque. Mark Mazower explique que la déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 est née d’un consensus idéologique au sein des Nations unies : l’emploi d’un langage générique et utopique servait à éviter tout développement réel des droits qu’elle prescrivait et la déclaration est tout au plus un code de bonnes intentions. L’Union soviétique n’hésita d’ailleurs pas à signer la déclaration et à reconnaître son autorité morale à l’époque. L’essor des droits de l’Homme à partir des années soixante-dix coïncide avec une nouvelle forme de globalisation ; le centre de l’activisme politique n’est plus représenté par l’Organisation des Nations unies (ONU), mais par les organisations non gouvernmentales. Promues depuis les espaces publics nationaux, ces dernières exercent depuis une influence croissante sur les agendas de la politique internationale.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Victor Fernandez Soriano est docteur en histoire de l’Université libre de Bruxelles, où il fut assistant à l’Institut d’études européennes et à la Faculté de philosophie et lettres. Formé à l’Universidad Complutense de Madrid et à la Scuola Normale Superiore di Pisa, il a aussi été chercheur à la Humboldt Universität zu Berlin. Ses recherches portent sur la politique internationale postérieure à la seconde guerre mondiale et en particulier sur les questions touchant aux enjeux des droits de l’Homme.
LangueFrançais
Date de sortie13 mai 2019
ISBN9782800416793
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    Le fusil et l'olivier - Victor Fernandez Soriano

    Le fusil et l’olivier

    Les droits de l’Homme en Europe face aux dictatures méditerranéennes (1949-1977)

    VICTOR FERNANDEZ SORIANO

    Directeur de la collection « Histoire, conflits, mondialisation »

    Pieter Lagrou

    Dans la même collection

    Tsuyoshi Hasegawa, Staline, Truman et la capitulation du Japon.

    La course à la victoire, 2014.

    Filippo Focardi, L’Italie, alliée ou victime de l’Allemagne nazie ?, 2014.

    Dick van Galen Last, Des soldats noirs dans une guerre de blancs (1914-1922). Une histoire mondiale. 2015.

    logo1 E D I T I O N S D E L ’ U N I V E R S I T E D E B R U X E L L E S

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    Le fusil et l’olivier

    Les droits de l’Homme en Europe face aux dictatures méditerranéennes (1949-1977)

    VICTOR FERNANDEZ SORIANO

    Publié avec l’aide financière du Fonds de la recherche scientifique – FNRS

    © 2015 by Editions de l’Université de Bruxelles

    Avenue Paul Héger 26 − 1000 Bruxelles (Belgique)

    E-ISBN 978-2-8004-1679-3

    D/2015/0171/11

    editions@ulb.ac.be

    www.editions-universite-bruxelles.be

    Sur l’auteur

    Victor Fernandez Soriano est docteur en histoire de l’Université libre de Bruxelles, où il fut assistant à l’Institut d’études européennes et à la Faculté de philosophie et lettres. Formé à l’Universidad Complutense de Madrid et à la Scuola Normale Superiore di Pisa, il a aussi été chercheur à la Humboldt Universität zu Berlin. Ses recherches portent sur la politique internationale postérieure à la seconde guerre mondiale et en particulier sur les questions touchant aux enjeux des droits de l’Homme.

    À propos du livre

    « Il n’y a pas d’oranges fascistes. Il n’y a que des oranges » : cette phrase du ministre français des Affaires étrangères, Georges Bidault, prononcée devant l’Assemblée nationale française, en 1948, lors d’un débat sur l’Espagne franquiste, résume à elle seule les relations établies par les Etats fondateurs des Communautés européennes avec les dictatures d’Europe du sud au cours des trois décennies qui suivent la seconde guerre mondiale. Les discours commémoratifs contemporains évoquent une intégration européenne axée dès l’origine sur la défense des droits de l’Homme. L’« Europe des droits de l’Homme » et l’« Europe économique » empruntèrent pourtant des voies séparées, l’une, sous la forme d’un Conseil de l’Europe consacré pour l’essentiel à la protection des droits de l’Homme mais dépourvu de force de dissuasion et l’autre, au travers de Communautés européennes dotées de pouvoirs réels mais peu réceptives aux préoccupations non économiques. Ce livre retrace le processus de convergence de ces deux pans majeurs de la construction européenne à travers l’évolution des relations entretenues par ces organisations internationales avec les dictatures méditerranéennes. Si la démocratie et les droits de l’Homme devinrent, avec le temps, des composantes essentielles du processus d’intégration européenne, ils le durent en grande partie aux réseaux de solidarité internationale et à l’activisme d’acteurs politiques déterminés à prouver qu’il existait bien des « oranges fascistes ».

    Pour référencer cet eBook

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    Table des matières

    Remerciements

    INTRODUCTION

    Les droits de l’Homme en Europe, une autre histoire de la construction européenne

    Exporter des marchandises et des droits : l’idée d’une politique étrangère européenne

    Les dictatures méditerranéennes, des voisins gênants au sud d’un continent polarisé

    CHAPITRE I. – La quête du politique. L’émergence des droits de l’Homme dans l’agenda européen (1949-1964)

    L’irruption des droits de l’Homme dans l’agenda international

    L’Europe des droits de l’Homme ?

    Les droits de l’Homme et la création des Communautés européennes

    L’association, un partenariat politique ?

    Les origines de la notion d’« association » dans le droit international

    Les associations du Royaume-Uni à la CECA et de la Finlande à l’AELE

    L’association à la CEE comme étape avant l’adhésion : la Grèce et la Turquie

    L’accord d’Athènes

    L’accord d’Ankara

    L’association à la CEE comme relation postcoloniale : les PTOM et les EAMA

    L’association à la CEE comme relation économique : l’échec de l’Autriche

    Premiers projets de politique étrangère européenne

    Le rapport Birkelbach (1961)

    Les plans Fouchet (1961-1962)

    Le mémorandum Saragat (1964)

    CHAPITRE II. – Le dictateur qui voulait être européen. Les négociations entre la CEE et l’Espagne franquiste

    L’Espagne franquiste et le nouvel ordre international (1945-1960)

    Les perceptions européennes de la dictature franquiste

    La demande espagnole d’une association « à la grecque » à la CEE (1962)

    La question espagnole au Conseil de l’Europe (1960-1964)

    L’affaire du Congrès de Munich de juin 1962

    La négociation d’un accord préférentiel avec l’Espagne (1964-1970)

    CHAPITRE III. – Un coup d’Etat européen. La construction européenne confrontée au régime des colonels en Grèce

    Le coup d’Etat du 21 avril 1967 à Athènes

    L’impact international du coup d’Etat grec

    Le « facteur étranger »

    Les réactions publiques face au putsch grec

    La Grèce, un partenaire légitime des organisations européennes (1967-1974) ?

    La Grèce des colonels et le Conseil de l’Europe

    La Grèce des colonels et l’OTAN

    L’association de la Grèce à la CEE au pilori (1967-1974)

    CHAPITRE IV. – La démocratie et les tomates. L’évolution vers une politique communautaire des droits de l’Homme (1969-1977)

    Le triomphe des droits de l’Homme

    La Communauté européenne et les droits fondamentaux (1969-1977)

    Les arrêts de la Cour de justice européenne

    La coopération politique européenne

    La déclaration commune sur les droits fondamentaux de Luxembourg (1977)

    La question portugaise à l’heure des guerres coloniales (1969-1972)

    La CEE face à la brutalité du franquisme finissant (1970-1975)

    La Grèce, le Portugal et l’Espagne démocratiques aux portes de l’Europe

    CONCLUSION

    Notes

    Sources et bibliographie

    Aperçu des fonds documentaires consultés

    Bibliographie par axe thématique

    Politique internationale et droits de l’Homme

    L’Espagne et l’Europe

    La Grèce et l’Europe

    Le Portugal et l’Europe

    Index des noms

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    Remerciements

    Ce livre doit beaucoup aux personnes qui en ont lu les premières versions et dont les commentaires l’ont beaucoup amélioré. Nous exprimons toute notre reconnaissance à Pieter Lagrou, qui a dirigé la thèse dont l’ouvrage s’inspire : ses idées et ses conseils nous ont été très précieux tout au long de son élaboration. Notre gratitude va aussi aux professeurs Tom Buchanan de l’Université d’Oxford, Antonio Moreno Juste de l’Universidad Complutense de Madrid ainsi que Justine Lacroix, Irene Di Jorio et Kenneth Bertrams de l’Université libre de Bruxelles, qui ont fait partie du jury de notre thèse. Nous remercions vivement Matthieu Trouvé, qui a évalué une version postérieure du manuscrit. Stéphanie Gonçalves, Marie-Christine Pollet, Mazyar Khoojinian, Cécile Lecomte, John Nieuwenhuys et Géraldine Hertz ont eu l’amabilité et la patience de relire et de corriger le manuscrit. Enfin, Carlos López Gómez, Francisco Mena Parras, Samia Beziou, Japhet Anafak Lemofak, Ornella Rovetta, Jihane Sfeir, Alix Heiniger, Gaëlle Dusepulchre, Achille Bela, Vanessa Núñez Peñas, Sigfrido Ramírez Pérez, Thomas Kostera, Alan Granadinos, Véronique Pouillard et Cécile Vanderpelen-Diagre y ont beaucoup contribué indirectement lors de conversations stimulantes. ← 7 | 8 →

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    Introduction

    Le 12 octobre 2012, l’Union européenne (UE) devint le quatre-vingt-treizième lauréat du prix Nobel de la paix. Le comité Nobel justifia l’octroi de ce prix par le fait que l’UE avait « contribué pendant plus de six décennies à promouvoir la paix et la réconciliation, la démocratie et les droits de l’Homme en Europe »¹. Dans son communiqué de presse, le comité Nobel mentionnait quelques événements marquants – la réconciliation franco-allemande après 1945, la chute du mur de Berlin, la pacification des Balkans et la démocratisation de la Grèce, de l’Espagne et du Portugal : « Dans les années quatre-vingt, la Grèce, l’Espagne et le Portugal adhérèrent à l’UE. L’introduction de la démocratie était une condition pour leur adhésion »². Notre ouvrage s’interroge sur ces deux affirmations, qui font figure d’évidences pour le comité Nobel mais aussi dans les discours politiques officiels d’aujourd’hui. Nous nous proposons de vérifier au travers d’une recherche historique si ces constats sont exacts ou dans quelle mesure ce sont des anachronismes.

    La référence temporelle mentionnée dans la première citation – pendant plus de six décennies – pose problème. Il y a soixante ans, les Communautés européennes – la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), la Communauté économique européenne (CEE) et la Communauté européenne de l’ énergie atomique (Euratom) – qui sont le prédécesseur en droit de l’UE d’aujourd’hui, étaient des entités macroéconomiques. Le projet d’une Communauté politique avait en effet été abandonné après l’échec de la Communauté européenne de défense (CED), à laquelle il était associé. Dans la mesure où la CECA, la CEE et l’Euratom encouragaient la coopération économique entre des Etats qui s’étaient affrontés pendant la deuxième guerre mondiale, elles contribuaient certes à promouvoir la paix et la réconciliation. Mais on y chercherait en vain un mécanisme de protection de la démocratie et des droits de l’Homme. La promotion de la démocratie et des droits de l’Homme faisait ← 9 | 10 → partie du processus d’intégration européenne dont l’UE est l’aboutissement majeur mais, dans les années cinquante et jusqu’à une date récente, elle resta du ressort exclusif du Conseil de l’Europe. Les Communautés européennes, fusionnées en une seule entité en 1967, vont progressivement faire de la démocratie et des droits de l’Homme un principe fondamental de leur juridiction mais le processus fut lent et conflictuel. Il n’obtint pas de reconnaissance politique avant les années soixante-dix et ne fut introduit dans le droit primaire communautaire qu’avec la fondation de l’UE en 1992-1993.

    La citation extraite du communiqué de presse du comité Nobel apporte un élément d’explication important à cette évolution et renvoie à la thèse centrale de notre livre. La pratique communautaire en matière de droits de l’Homme et de promotion de la démocratie doit beaucoup aux relations entre la CEE, d’une part, la Grèce, l’Espagne et subsidiairement le Portugal, de l’autre. Alors que des dictateurs y étaient toujours au pouvoir, ces trois pays demandèrent à avoir des liens privilégiés avec le marché commun et ces demandes provoquèrent des débats animés : ces pays devaient-ils pour cela répondre à des conditions politiques déterminées ? Les débats furent beaucoup plus intenses dans le cas de l’Espagne et de la Grèce que dans celui du Portugal. L’Espagne franquiste demanda en février 1962 à être associée à la CEE en vue d’une adhésion ultérieure, alors que la Grèce possédait déjà un accord d’association qui prévoyait une adhésion à terme lorsque les colonels s’emparèrent du pouvoir à Athènes en avril 1967. Le Portugal ne désirait pas adhérer au marché commun mais conclure un simple accord établissant une zone de libre-échange avec la CEE. Il formula cette demande en 1970 alors que les dossiers espagnol et grec étaient déjà en discussion. La Grèce, l’Espagne et le Portugal adhérèrent à la Communauté européenne dans les années quatre-vingt, une fois entamé leur processus de démocratisation. Ce prérequis ne figure pas dans les traités fondateurs des Communautés européennes : il se profila dans les relations compliquées que les Communautés entretinrent avec ces trois pays à l’époque où c’étaient toujours des dictatures.

    Nous nous proposons dans cet ouvrage de suivre la formation d’une politique communautaire des droits de l’Homme et de déterminer la place qu’occupent dans ce processus les dictatures du sud de l’Europe, notamment l’Espagne franquiste et la Grèce des colonels. L’axe de l’analyse sera la dimension extérieure des Communautés européennes et plus largement du processus d’intégration européenne : c’est en effet par rapport à l’extérieur, aux pays tiers, que les organisations et les institutions européennes définissent une série de principes politiques légitimant leur action en tant qu’acteur des relations internationales. Les relations avec les dictatures méditerranéennes ont introduit l’idée d’une « conditionnalité politique » en tant que fondement de la politique extérieure de l’Europe. Elles ont favorisé par là la définition d’une « identité » de l’intégration européenne, puisque les débats autour de ces dictatures ont contribué à consolider la démocratie et les droits de l’Homme comme la référence politique et juridique des institutions issues de ce processus ; ils ont participé à leur « constitutionnalisation ». Nous chercherons donc dans ce livre à apporter une densité historique à la question presque rituelle qui revient sous la plume des juristes et des politologues : la place de la démocratie et des droits de l’Homme dans le processus d’intégration européenne. ← 10 | 11 →

    Quelques précisions terminologiques s’imposent. Nous parlerons indifféremment de « construction européenne » et d’« intégration européenne ». Le cadre général de notre étude est ce processus de construction ou d’intégration européenne. Même si les Communautés européennes en sont les protagonistes, nous estimons indispensable d’étendre l’étude aux autres organisations européennes afin de comprendre l’évolution normative de ce qui deviendra en 1992 l’Union européenne. Nous parlerons des « organisations et institutions européennes » pour désigner les entités intergouvernementales ou supranationales issues du processus d’intégration européenne. Le terme « organisations » fait référence aux entités intergouvernementales (le Conseil de l’Europe, l’OTAN, l’OECE/OCDE, etc.), tandis que le terme « institutions » renvoie aux Communautés européennes que leur nature supranationale empêche d’assimiler à des « organisations ». Nous privilégierons la dénomination « Communautés européennes » pour la période antérieure au traité de fusion des exécutifs communautaires, entré en vigueur le 1er juillet 1967 ; nous utiliserons plutôt « Communauté européenne » pour la période postérieure. De même, avant l’adoption du vocable « Parlement européen » le 30 juin 1962, nous utiliserons sa dénomination officielle d’« Assemblée parlementaire européenne ».

    Les droits de l’Homme sont un concept récurrent dans ce travail. Nous utiliserons indistinctement trois appellations, sans polémiquer sur les possibles nuances qui les séparent : « droits de l’Homme » (« Homme » avec une majuscule à l’initiale parce qu’il s’agit du genre humain), « droits humains » et « droits fondamentaux ». Les droits de l’Homme ne peuvent être assurés que dans le cadre légal d’un Etat de droit démocratique. Pour cette raison, ils sont étroitement liés à la notion de « démocratie ». Le binôme « droits de l’Homme/démocratie » sera ici présumé comme allant de soi.

    Les droits de l’Homme en Europe, une autre histoire de la construction européenne

    Le concept de « droits de l’Homme » connaît un succès remarquable depuis des décennies. C’est une préoccupation « universelle » depuis la fin de la seconde guerre mondiale et nombre d’organismes, de traités internationaux, d’agences spécialisées et d’organisations non gouvernementales lui sont aujourd’hui consacrés. Depuis les années soixante-dix, il se trouve au premier plan des relations internationales, non sans être souvent banalisé dans les discours des décideurs, qui s’en servent parfois pour justifier des interventions militaires (comme le fit le président George W. Bush lors de la guerre en Irak³). Pour cette raison, les droits de l’Homme ont fait et font encore couler beaucoup d’encre.

    Les historiens se sont notamment intéressés aux droits de l’Homme, à leurs origines et à leur émergence dans le monde contemporain, dans les dernières années. On citera par exemple plusieurs professeurs d’universités états-uniennes, qui cherchent à expliquer leur succès extraordinaire de nos jours. Ces historiens – Kenneth Cmiel, Mark Mazower, Samuel Moyn – ont démontré que la notion moderne de « droits de l’Homme » est née dans la foulée de la seconde guerre mondiale pour désigner une série de valeurs fondamentales auxquelles la communauté internationale, sous l’égide des Alliés, devait adhérer afin de préserver la paix. La notion moderne de « droits de l’Homme » ou de « droits humains » qui en résulte repose sur une longue ← 11 | 12 → tradition intellectuelle qui s’interroge sur les droits naturels de l’être humain. Mais comme le montre l’étude de Lynn Hunt, elle ne s’était pas traduite dans la loi après les révolutions américaine et française⁴. A en croire Peter N. Stearns, les révolutions libérales du XIXe siècle et les campagnes humanitaires du tournant du siècle, comme la campagne contre l’esclavage, constituent une première globalisation de l’idée des droits de l’Homme⁵. Or, avant la seconde guerre mondiale, la notion en vogue dans le droit international, ce sont les droits des minorités ou « droits nationaux », entendus comme le droit à l’autodétermination des populations de l’Est européen⁶. Dans le contexte de l’entre-deux-guerres, évoqué par Mark Mazower, la notion de droits de l’Homme reste marginale dans le droit international. Elle est éclipsée par la notion beaucoup plus populaire de « civilisation » liée à l’expansionnisme colonial des Etats européens⁷.

    La notion moderne de « droits de l’Homme » naît donc avec la création des Nations unies et est liée au développement d’une justice universelle après la guerre⁸. Pour Samuel Moyn, auteur de The Last Utopia, un ouvrage de référence fondamental sur l’histoire des droits de l’Homme dans l’après-guerre, les droits de l’Homme étaient au départ un slogan utilisé par Washington pendant le conflit pour justifier la cause des Alliés. Selon cet auteur, les droits de l’Homme ont à l’origine une valeur rhétorique et restent à la marge des préoccupations politiques de l’époque : il faudra attendre les années soixante-dix pour les voir se développer dans la politique internationale⁹. En 1945-1948, les droits de l’Homme sont, toujours selon Moyn, idéologiquement assimilés à la tendance personnaliste de la pensée politique catholique et doivent leur présence dans le droit international à l’hégémonie politique des démocrates chrétiens en Europe occidentale à l’époque¹⁰. Mark Mazower explique que la déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 est née d’un consensus idéologique au sein des Nations unies : l’emploi d’un langage générique et utopique servait à éviter tout développement réel des droits qu’elle prescrivait et la déclaration est tout au plus un code de bonnes intentions¹¹. L’Union soviétique n’hésita d’ailleurs pas à signer la déclaration et à reconnaître son autorité morale à l’époque¹². L’essor des droits de l’Homme à partir des années soixante-dix coïncide avec une nouvelle forme de globalisation ; le centre de l’activisme politique n’est plus représenté par l’Organisation des Nations unies (ONU), mais par les organisations non gouvernmentales¹³. Promues depuis les espaces publics nationaux, ces dernières exercent depuis une influence croissante sur les agendas de la politique internationale¹⁴.

    En Europe, les droits de l’Homme sont depuis longtemps au centre du processsus d’intégration européenne. A l’heure actuelle, rares sont les déclarations institutionnelles ou les textes officiels de l’Union européenne ou du Conseil de l’Europe qui n’en font pas mention. Mais peu d’études historiques se sont interrogées sur les origines de cette préoccupation. Ce qui renforce l’interprétation officielle des institutions européennes : les droits de l’Homme étaient inhérents aux Communautés européennes dès leur création. L’objectif de cet ouvrage est, justement, de resituer le processus d’intégration européenne dans l’histoire générale des droits de l’Homme. Le droit international des droits de l’Homme trouve d’emblée en Europe un terrain favorable à son développement. Selon Andrew Moravcsik, le théoricien de l’intégration européenne à qui l’on doit la doctrine de l’« intergouvernementalisme libéral », ← 12 | 13 → le concept de droits de l’Homme est utilisé au début du processus d’intégration européenne comme une source de reconnaissance démocratique mutuelle pour les Etats européens, en quête de légitimité au sortir de la guerre¹⁵. Cette idée se trouverait à l’origine du Conseil de l’Europe, créé à la fin des années quarante pour garantir le respect des droits de l’Homme. Pendant des décennies, ce sera en effet la seule organisation européenne à faire de ce respect un préalable à l’adhésion des pays candidats. C’est dans le cadre légal du Conseil de l’Europe que sera créée la première instance internationale spécialisée dans les droits de l’Homme : la Cour européenne des droits de l’Homme. Mais les activités de cette institution judiciaire seront très discrètes pendant ses premières années d’existence. Comme l’explique Mikael Rask Madsen, à ses débuts le fonctionnement de la Cour était conditionné par les stratégies de négociation entre les gouvernements membres du Conseil de l’Europe. Autrement dit, le premier droit européen des droits de l’Homme était une forme de « diplomatie juridique »¹⁶.

    Les Communautés européennes naissent dans les années cinquante indépendamment des droits de l’Homme. Elles sont juridiquement conçues comme des organisations supranationales et dotées d’une vocation économique pour l’essentiel. Les traités fondateurs n’imposent même pas à un Etat d’être démocratique pour devenir membre des Communautés. Leur dimension politique n’est alors qu’une potentialité, qui dérive d’un objectif affirmé dans la déclaration de Robert Schuman du 9 mai 1950 : réaliser « simplement et rapidement la fusion d’intérêts indispensable à l’établissement d’une communauté économique et introdui[re] le ferment d’une communauté plus large et plus profonde entre des pays longtemps opposés par des divisions sanglantes »¹⁷. Dans le cadre juridique des Communautés, cette potentialité est un simple présupposé, vaguement formulé dans l’article 2 du traité de Rome, selon lequel les Etats membres des Communautés sont « déterminés à établir les fondements d’une union sans cesse plus étroite entre les peuples européens »¹⁸. Dans ce contexte, l’insertion des droits de l’Homme dans les Communautés européennes pouvait s’opérer de deux manières seulement. Primo, les Communautés économiques créées dans les années cinquante constituent le premier échelon vers la création d’une Communauté politique, où les droits de l’Homme doivent occuper une place fondamentale à l’instar du Conseil de l’Europe. Cette Communauté correspond à la majorité des projets politiques qui, entre les années cinquante et quatre-vingt, prennent la forme de traités instituant une « Union politique », une « Communauté politique » ou une « Union européenne » : le projet de Communauté politique européenne de 1953, les plans Fouchet de 1962, le rapport Tindemans de 1975, le rapport de la Commission Thorn de 1981, la déclaration solennelle sur l’Union européenne du Conseil européen de Stuttgart de 1983, le projet Spinelli de traité d’Union européenne approuvé par le Parlement européen en 1984 et la Conférence intergouvernementale sur l’Union européenne de 1985. Tous ces projets font allusion aux « droits de l’Homme » ou aux « droits fondamentaux », suivant la tradition née dans l’après-guerre qui en fait la caractéristique essentielle des régimes politiques de l’Europe nord-occidentale. Secundo, les Communautés européennes ont une dimension politique intrinsèque et possèdent, par conséquent, la capacité de se muer en une communauté politique. Dans cette logique, le cadre légal établi par le traité de Rome de 1957 englobe les droits politiques reconnus par les constitutions ← 13 | 14 → des Etats membres. L’insertion des droits de l’Homme dans ce cadre dépendra ainsi du développement de deux éléments : une jurisprudence confirmant que les droits de l’Homme font partie du régime juridique communautaire et une politique étrangère commune légitimant les Communautés comme acteur des relations internationales engagé dans le respect des droits de l’Homme. La Cour de justice européenne commencera à produire une telle jurisprudence à partir de 1969. La configuration d’une politique étrangère communautaire, aussi appelée « européenne », constitue un enjeu plus complexe puisque lié aux diverses conceptions idéologiques de l’intégration européenne, où les Communautés sont poussées à se définir politiquement.

    Dans cette logique, la question des droits de l’Homme restera longtemps en retrait dans l’agenda communautaire. Elle sera absente des priorités politiques des Communautés, plus préoccupées par l’équilibre entre les Etats dans la prise de décision ou par l’attitude de certaines chancelleries à des moments divers, et est même difficile à suivre dans les débats institutionnels. C’est là qu’interviennent les relations avec les dictatures méditerranéennes : même si ces relations ne constituent pas non plus une priorité dans l’agenda communautaire, c’est la seule occasion où la question des droits de l’homme apparaît dans tous les débats politiques et au niveau de la prise de décision. Elles jouent un rôle secondaire dans la vie politique des Communautés des années soixante et soixante-dix, mais important pour l’évolution politique postérieure du processus d’intégration européenne.

    Exporter des marchandises et des droits : l’idée d’une politique étrangère européenne

    La politique extérieure de la CEE constitue donc un axe central dans l’analyse de l’évolution des politiques européennes des droits de l’Homme. La dimension extérieure des Communautés européennes, surtout dans le cas de la CEE, est un élément fondamental de leur existence. Les réalisations de la CEE ressortent, dans un contexte de mondialisation de l’économie, d’une conception par rapport à l’« extérieur ». Le tarif douanier commun crée un « espace » commun, avec une convergence monétaire où les biens, les services et la main-d’œuvre peuvent circuler librement, ce qui présuppose l’existence d’espaces extérieurs complémentaires en termes d’export-import. Dans cette logique, la CEE doit chercher des partenaires extérieurs parmi les pays voisins et dans les régions où les Etats membres ont des intérêts économiques précis, comme leurs anciennes colonies. La formulation de politiques économiques sous forme d’accords est une condition sine qua non du bon fonctionnement du marché commun. Dans ce contexte d’intégration régionale en Europe occidentale va se poser la question de savoir s’il faut concrétiser ces politiques par le biais d’une coopération politique et d’une doctrine politique en matière de droits de l’Homme. Autrement dit, les Communautés européenes sont nées pour rassembler plusieurs Etats dans un marché commun autour d’un tarif douanier commun leur permettant de mieux exporter leurs marchandises. Mais dans le contexte politiquement tendu de la guerre froide doivent-elles aussi exporter un modèle politique ?

    Il faudra attendre le titre V du traité de Maastricht en 1992 pour qu’une politique extérieure digne de ce nom entre dans le droit primaire européen. Avant Maastricht, l’Acte unique européen avait défini, en 1986, les termes d’une coopération européenne ← 14 | 15 → en matière de politique étrangère. Maastricht institutionnalise ainsi la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) ; son article J.1 définit les objectifs, entre autres « la sauvegarde des valeurs communes, des intérêts fondamentaux et de l’indépendance de l’Union » et « le développement et le renforcement de la démocratie et de l’Etat de droit, ainsi que le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales »¹⁹. Ce sont ces traités qui font de la coopération entre les Etats membres en matière de politique étrangère une prérogative des institutions européennes. Cependant, au cours des décennies précédentes, nombre d’accords signés avec des Etats tiers, certaines expériences conflictuelles avec des pays partenaires, la pratique des négociations, plusieurs initiatives en matière de coopération politique ainsi que les quelques projets ad hoc constituent une véritable doctrine de politique étrangère européenne.

    Dans ce contexte, une notion en particulier acquiert une importance remarquée et se situe désormais au centre de tous les débats : l’« association ». Les traités fondateurs des Communautés européennes consacrent la figure juridique de l’association, conçue comme la forme de partenariat la plus étroite avec un Etat non membre. Mais ils n’en précisent pas les caractéristiques et la nature de l’association sera l’objet de discussions pendant longtemps : s’agit-il d’une formule de pré-adhésion pour les pays européens ? Comporte-t-elle des obligations politiques ? Est-il légitime que la Communauté européenne s’associe à des dictatures au nom de ses intérêts commerciaux ?

    Cette doctrine primitive en politique étrangère n’a malheureusement guère suscité d’intérêt dans les travaux académiques des vingt dernières années. Pour étudier la politique extérieure communautaire avant le traité de Maastricht, il faut recourir aux ouvrages de l’époque, qui analysent la typologie des accords de la CEE avec des pays tiers selon deux angles principaux : celui du droit commercial, comme dans les travaux des juristes Jean Raux²⁰ et Catherine Flaesch-Mougin²¹, et celui de la science politique combinée à une approche économique, comme dans les travaux de Gordon L. Weil²² et d’Alfred Tovias²³. Ces auteurs accordent tous une attention particulière à la notion d’« association », qu’ils essayent de caractériser sur la base de la jurisprudence de l’époque.

    Les premières esquisses de politique étrangère européenne visèrent, en toute logique, les pays qui, par leur situation géographique, étaient susceptibles de devenir membres des organisations et des institutions européennes. Les pays communistes étant écartés, le choix était assez limité. Il se résumait aux Etats neutres et aux dictatures du sud de l’Europe. Les projets de Communauté politique formulés avant le traité de Maastricht incluent presque d’office un titre « politique étrangère », souvent associé à l’idée de promouvoir les droits fondamentaux. Outre ceux-ci, trois projets spécifiques censés définir les critères d’une politique étrangère commune virent le jour dans les années soixante et soixante-dix. Le premier de ces projets, celui qui eut aussi le plus d’influence, est un rapport de la Commission politique de l’Assemblée parlementaire européenne sur « les aspects politiques et institutionnels de l’adhésion ou de l’association à la Communauté » approuvé en janvier 1962. Il porte le nom du président de la Commission politique : le député social-démocrate allemand Willi Birkelbach. Le deuxième est un mémorandum sur les « principes directeurs d’une « politique » globale de la Communauté en ce qui concerne les relations avec les pays tiers », présenté par le ministre italien des Affaires étrangères Giuseppe Saragat ← 15 | 16 → au Conseil de la CEE en mai 1964. Le troisième est un rapport sur la coopération en matière de politique étrangère commandé par le Conseil au diplomate belge Etienne Davignon et présenté en octobre 1970.

    Les relations avec les dictatures du sud de l’Europe ont encore une importance secondaire dans l’agenda communautaire de l’époque – les candidatures britannique, irlandaise et danoise sont alors la préoccupation principale – mais elles jouent un rôle fondamental dans cette évolution. L’Espagne franquiste, la Grèce des colonels et le Portugal de l’Estado Novo sont des pays européens qui aspirent à être intégrés dans les organisations et les institutions européennes. Ces dernières devront déterminer si l’association et même l’adhésion sont dès lors soumises à des conditions politiques. Dans les relations avec ces dictatures se trouvent les bases de ce qui deviendra la « conditionnalité politique », c’est-à-dire le principe de conditionner un accord avec un pays tiers au respect des droits de l’Homme. Plus largement, ces relations contribuent à confirmer les droits de l’Homme comme un des fondements de la politique communautaire : les Communautés peuvent imposer le respect des droits de l’Homme à ces pays parce qu’elles postulent que ces impératifs, hérités du cadre constitutionnel de leurs Etats membres, sont la base de leur action. Le politologue Daniel C. Thomas parle à ce sujet de processus de « constitutionnalisation à travers l’élargissement », dont la controverse soulevée par la demande d’association de l’Espagne franquiste de 1962 constitue la première phase²⁴.

    Les dictatures méditerranéennes, des voisins gênants au sud d’un continent polarisé

    Les dictatures du sud du continent perturbent le processus d’intégration européenne. En termes géostratégiques, ces pays sont des partenaires légitimes des pays occidentaux dans le contexte des clivages de la guerre froide en raison de leur vocation radicalement anticommuniste. Le Portugal de Salazar est un membre fondateur de l’OTAN et après le coup d’Etat des colonels, l’appartenance de la Grèce à cette organisation ne sera pas sérieusement remise en question. Seule l’Espagne de Franco reste en dehors de l’OTAN à cause de son attitude pendant la seconde guerre mondiale, mais elle sera un partenaire militaire dans la « défense de l’Occident » à travers des accords bilatéraux avec les membres les plus puissants de l’alliance. En termes économiques, ces pays, riches en matières premières et en produits agricoles méditerranéens et importateurs de biens industriels, représentent des marchés complémentaires à ceux des pays du nord-ouest du continent. Pour cette raison, le Portugal est un pays fondateur de l’Association européenne de libre-échange (AELE) et la Grèce deviendra le premier pays associé à la CEE. La CEE aura d’ailleurs tendance à multiplier ses échanges commerciaux avec ces pays dans une logique de marché et au vu de la nouvelle donne créée par la décolonisation. Ces pays posent cependant problème en termes politiques. Leur régime dictatorial est politiquement incompatible avec le principe des droits de l’Homme, l’inspiration rhétorique du processus d’intégration européenne. Pris entre les intérêts économiques et géostratégiques d’une part et un piège politique potentiel de l’autre, les partenaires ouest-européens devront ainsi jouer sur l’ambivalence de leurs rapports avec ces pays. L’Espagne franquiste et la Grèce des colonels sont les plus problématiques. Le Portugal d’avant 1974, accaparé par le souci de conserver ← 16 | 17 → son empire colonial, s’intéresse peu à l’intégration européenne. En revanche, les deux dictatures euro-méditerranéennes non communistes veulent participer au processus. L’Espagne de Franco manifestera à plusieurs reprises sa volonté d’être admise dans les institutions européennes alors que la Grèce des colonels s’efforcera de ne pas être évincée des organismes auxquels elle appartient déjà.

    Lorsque l’Espagne sollicite l’ouverture des négociations avec la CEE en 1962, elle est la première dictature à entreprendre une telle démarche. Elle demande par surcroît une association susceptible de devenir à terme une adhésion de plein droit, à l’instar de l’accord d’association que la Grèce a signé en 1961. La Communauté laisse la demande espagnole sans suite mais cette dernière suscite une réaction en chaîne des milieux progressistes représentés au sein des institutions européennes, qui s’opposent à toute négociation avec le gouvernement du général Franco. Elle sera pourtant reprise en 1964 et un processus de négociation sera entamé par la suite, qui aboutira à la signature d’un accord dit « préférentiel » en 1970. De ce processus émaillé de controverses émerge une idée forte, qui restera dorénavant gravée dans la pratique politique communautaire : tout lien étroit avec les Communautés doit être soumis à la condition du respect des droits de l’Homme par le pays partenaire. Les relations établies avec des dictatures au nom des intérêts économiques doivent se limiter au cadre commercial. Lorsque la Grèce devient une dictature en 1967, elle est officiellement le premier partenaire de la Communauté, embarqué dans un processus de pré-adhésion d’après les termes de son accord d’association. Le coup d’Etat grec fait surgir une autre idée, qui traversera les décennies suivantes : celle des sanctions à imposer à un pays membre ou partenaire qui ne respecte pas les droits de l’Homme. Tandis que le Conseil de l’Europe fera juger le régime des colonels par ses institutions judiciaires spécialisées dans les droits de l’Homme, la CEE, en raison de sa nature économique, pourra tout au plus restreindre l’accord d’association avec la Grèce aux affaires courantes.

    Quoique les questions espagnole et grecque ne débouchent pas sur la formulation de lois ou de politiques nouvelles défendant de manière explicite les droits de l’Homme, elles ont un impact déterminant sur la configuration d’une doctrine de la politique étrangère européenne. Elles jettent les bases d’une pratique politique durable et anticipent les développements juridiques postérieurs. Comme le signalent les auteurs d’un ouvrage important consacré aux années 1950-1972, l’intégration pendant cette période de formation créa un corridor d’options politiques et institutionnelles qui s’étend jusqu’à aujourd’hui²⁵. Les questions espagnole et grecque établissent ainsi une jurisprudence qui acquiert tout son sens à la lumière des développements plus récents. La CEE ne rejettera pas l’idée d’une adhésion de l’Espagne franquiste parce que c’est une dictature ; elle examinera toutes les possibilités de négociations ouvertes par le texte de ses traités qui ne mentionnent pas la nécessité d’être une démocratie pour en être membre. Elle finira par prendre une décision négative parce que les débats autour de cette question la dissuadent de manière générale d’accueillir une dictature comme celle de Franco. Dans le cas de la Grèce des colonels, la CEE ne suspendra pas son accord d’association, suite au coup d’Etat, parce que son droit lui interdirait d’être associée à un Etat non démocratique. Elle gèlera simplement les affaires qui ne relèvent pas de la gestion courante de l’association pour satisfaire ceux qui réclament ← 17 | 18 → la suspension de l’association dès lors que le droit communautaire ne lui permet pas de rompre un tel accord sans le consentement du pays associé. Seule l’appartenance de la Grèce au Conseil de l’Europe sera mise en question et ce, parce que celui-ci est alors l’unique organisation habilitée en droit international à protéger les droits humains et que la Grèce est signataire de la convention européenne des droits de l’Homme ; ce qui permettra à certains Etats membres du Conseil de l’Europe de dénoncer la Grèce devant la Commission européenne des droits de l’Homme. Toutes ces contraintes juridiques vont obliger la Communauté européenne à trouver une solution qui, tout en s’adaptant à son cadre légal, ne la compromette pas vis-à-vis de ces pays. Mais elles souligneront aussi la nécessité de doter la Communauté européenne de mécanismes de protection des droits de l’Homme, ce qui sera entrepris dès les années soixante-dix.

    Les débats qui ont lieu avant l’institutionnalisation des politiques auxquelles ils se réfèrent possèdent ainsi une valeur de précédent. Ils portent sur des questions qui, avec le temps, feront l’objet de développements importants. Lorsqu’il s’agira de définir les nouvelles politiques, celles-ci pourront s’inspirer des débats antérieurs. Ceux-ci apportent une jurisprudence, même si la relation de cause à effet n’est pas toujours évidente et peut être le fruit d’une coïncidence. Le précédent le plus clair mis en évidence dans ce livre se réfère à la notion de « conditionnalité politique », qui se retrouve dans les accords extérieurs de l’UE depuis les années quatre-vingt-dix. En droit international, on entend par « conditionnalité politique » la nécessité de fixer des conditions politiques en matière de respect des droits de l’Homme dans les relations avec des Etats tiers. Dans le cas concret de la CEE/UE, cette conditionnalité peut s’appliquer dans le cadre tant des négociations d’un accord quelconque avec un Etat tiers que des négociations en vue d’un élargissement. Cette notion s’est imposée dans la théorie du droit international à partir des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, liée d’abord à des exigences économiques (conditionnalité économique), appliquée ensuite selon un principe de non-ingérence (conditionnalité politique positive) et associée enfin à la menace de sanctions (conditionnalité politique négative). Elle est encore discutée et développée dans le contexte de l’UE comme la base théorique de son action extérieure. Et c’est aussi le principe qui détermine la recevabilité d’un candidat à l’adhésion depuis la fixation des « critères de Copenhague » (définis lors du Conseil européen de Copenhague des 21-22 juin 1993) que le traité d’Amsterdam a insérés dans le droit primaire en 1997. Même si pour quelques auteurs, l’émergence de la question de la conditionnalité politique dans les relations internationales est une conséquence directe de la fin de la guerre froide²⁶, ce type de questionnement apparaît déjà dans les débats de la CEE au cours des années soixante, à propos de l’Espagne et de la Grèce, et un peu plus tard du Portugal. Les réflexions de l’époque annoncent les critiques qui seront formulées vers le milieu des années soixante-dix à l’égard de pays comme l’Ouganda d’Idi Amin Dada ou la République centrafricaine de Jean-Bedel Bokassa. Mais elles préfigurent surtout la centralité des droits de l’Homme dans l’action extérieure de l’UE aujourd’hui. Les débats des années soixante et soixante-dix à propos de la Grèce, de l’Espagne et du Portugal ont un écho parfois surprenant dans les débats récents suscités par le Printemps arabe et la politique de voisinage avec des pays comme l’Ukraine ou la Biélorrusie. ← 18 | 19 →

    Nous nous proposons donc ici de retracer la préhistoire de la notion de conditionnalité politique. Nous privilégierons une vision normative, où les aspects politiques tissent le fil rouge et nous exploiterons les archives institutionnelles. Nous nous attacherons au rôle joué par les intérêts des entreprises privées et par des acteurs extérieurs comme les gouvernements des Etats-Unis ou de l’Union soviétique. Faute de pouvoir prétendre à l’exhaustivité, l’existence d’angles morts sera inévitable. Ils constitueront des pistes stimulantes pour des recherches ultérieures.

    Le titre de l’ouvrage livre la clé de l’interprétation qu’il propose. Le « fusil » renvoie à la nature répressive et contraire aux droits de l’Homme de ces régimes, qui recoururent à la violence pour durer. L’« olivier » fait allusion à la paix, dont le rameau d’olivier est un symbole universel, puisque le maintien de la paix est, dans la rhétorique politique, le principe qui inspire le processus d’intégration européenne. Le fusil et l’olivier sont ainsi deux symboles qui s’opposent. Mais l’« olivier » évoque aussi l’huile d’olive, l’un des principaux produits exportés par ces pays dans le marché commun et un sujet central dans les négociations d’adhésion. Les notions politiques, légales et même culturelles ont en effet partie liée avec les considérations économiques dans le processus d’intégration européenne. ← 19 | 20 →

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    CHAPITRE I

    La quête du politique

    L’émergence des droits de l’Homme dans l’agenda européen (1949-1964)

    Edward had a degree, a first in History from University College London. In three short years, he had studied wars, rebellions, famines, pestilences, the rise and collapse of empires, revolutions that consumed their children, agricultural hardship, industrial squalor, the cruelty of ruling élites – a colorful pageant of oppression, misery, and failed hopes. He understood how constrained and meager lives could be, generation after generation. (…) In his final year he had made a special study of the « great man » theory of history – was it really outmoded to believe that forceful individuals could shape national destiny ? Certainly his tutor thought so : in his view, History, properly capitalized, was a grand narrative, driven forward by ineluctable forces toward inevitable, necessary ends, and soon the subject would be understood as a science. But the lives that Edward had examined in detail (…) rather suggested the contrary. A ruthless personality, naked opportunism, and good luck, Edward had argued, could divert the fates of millions, a wayward conclusion that had earned him a B-minus, almost imperiling his first.

    Ian MCEWAN, On Chesil Beach, Londres, Vintage Books, 2008, p. 12-13.

    Depuis sa création en 1957, la CEE est devenue le vecteur du processus de construction européenne. La totalité des propositions et projets politiques passent désormais par elle. Mais la CEE est née d’un compromis politique entre les gouvernements de ses Etats membres qui prétendaient la limiter juridiquement aux questions de marché. Les droits de l’Homme, utilisés dans la rhétorique politique pour redéfinir les relations intereuropéennes depuis la fin des années quarante, sont étrangers à la fondation de la CEE comme à la création de la CECA en 1951. Toute évolution politique des Communautés européennes doit passer par une modification de leur droit primaire : ce serait une simple potentialité, qui leur est reconnue en tant que vecteur implicite de l’intégration européenne. En attendant une telle évolution, la seule organisation européenne dotée d’une vocation politique reste le Conseil de l’Europe, créé en 1949 pour encourager la coopération intergouvernementale entre les Etats ouest-européens. A la fin des années cinquante, même si la coopération politique ← 21 | 22 → au sein du Conseil de l’Europe s’avère très discrète, c’est cette organisation qui prétend garantir le respect des droits fondamentaux dans les relations intereuropéennes et c’est dans son cadre juridique qu’apparaît une première juridiction internationale de protection des droits de l’Homme.

    L’insertion des droits de l’Homme dans l’ordre juridique des Communautés européennes requiert donc qu’une jurisprudence, tant politique que judiciaire, reconnaisse que ceux-ci sont transmis aux Communautés à travers le droit constitutionnel de leurs Etats membres. Leur consolidation oblige à revoir les traités fondateurs afin de transformer les Communautés économiques en une Communauté politique. Cette évolution va lentement s’opérer pendant trois décennies. Au début du processus, les droits de l’Homme ne seront ainsi qu’un symbole utilisé dans les débats politiques, mais sans application légale. Ils ne sortiront pas du cadre des projets politiques. Ces projets politiques vont souvent constituer une référence fondamentale, dont on tiendra compte à l’heure de mettre en œuvre de nouvelles politiques. Ils introduisent des idées qui vont circuler dans les milieux communautaires, tout en annonçant les développements juridiques postérieurs. La présence constante des droits de l’Homme dans ces projets est par conséquent un élément à ne pas négliger, qui renvoie aux représentations politiques des acteurs communautaires.

    Dans ce contexte, une attention particulière est accordée dans les projets politiques à l’idée d’une politique étrangère européenne liée à la CEE. La dimension extérieure de la CEE est une caractéristique qui la définit, puisque l’accomplissement du marché commun s’opère sur la base d’une union douanière établie par rapport à l’extérieur. C’est aussi vis-à-vis de l’extérieur que la Communauté doit se définir politiquement et faire preuve de son attachement aux droits de l’Homme. Il faut signaler qu’à l’époque les gouvernements occidentaux supposaient a priori, sans aucune auto-critique, qu’ils respectaient les droits de l’Homme et ce, malgré les controverses provoquées par leurs guerres coloniales par exemple. Ils se considéraient comme un exemple politique ; ils devaient tout simplement démontrer vis-à-vis de l’extérieur qu’ils l’étaient aussi à travers leur coopération au sein du processus d’intégration européenne. Mais le traité de Rome ne définit pas de cadre institutionnel précis pour le développement d’une politique extérieure communautaire. Il se contente d’énoncer les formules génériques que doivent prendre les relations entre la CEE et des Etats tiers et qui se résument à deux types d’accords : commerciaux et d’association. Pour cette raison, plusieurs projets proposant une politique extérieure de la CEE virent le jour pendant cette période ; ils se voulaient aussi des projets pour une politique étrangère européenne. Ils se réclamaient tous des droits de l’Homme et leur contenu politique visait à dépasser les dispositions économiques du traité de Rome. D’après ces projets, comme fondement du processus d’intégration européenne, les droits de l’Homme sont aussi la base de tout partenariat de la CEE avec un pays tiers, surtout lorsqu’il s’agit de pays tiers européens susceptibles d’adhérer un jour à la Communauté.

    Les pages suivantes présentent le contexte où s’insère la question des droits de l’Homme au moment de la création de la CEE. Elles fournissent un aperçu du contexte général où apparaît un droit international des droits de l’Homme et du contexte spécifique du droit européen des droits de l’Homme, lié à l’origine au Conseil de l’Europe. Sur cette toile de fond, nous comparerons les premiers projets de politique ← 22 | 23 → étrangère européenne se réclamant des droits de l’Homme avec le cadre légal de la politique extérieure communautaire tel qu’il est fixé par le traité de Rome. Tous ces éléments composent la donne existant au moment où apparaissent les dossiers espagnol et grec.

    L’irruption des droits de l’Homme dans l’agenda international

    A partir de 1945, une nouvelle tendance émerge dans le droit international, qui privilégie la question des droits de l’Homme. Cette tendance répond en grande partie à la nécessité de construire un nouvel ordre dans les relations internationales qui rompe avec l’entre-deux-guerres. L’idée de base est d’éviter la formation de régimes « criminels » comparables aux Etats de l’Axe et à leurs alliés. Autrement dit, l’émergence des droits de l’homme dans les relations internationales en 1945 répond à une volonté de jeter les bases d’un ordre international plus stable par le biais d’une « homologation » des Etats. Qu’ils aient existé tels quels pendant la guerre ou qu’ils aient été refondés après la fin du conflit, tous les Etats doivent au moins affirmer leur volonté de respecter les droits de l’Homme¹.

    Cette tendance trouve ses racines historiques dans l’ordre international né de la première guerre mondiale : dans les politiques adoptées par la Société des nations vis-à-vis des droits des minorités dites « nationales » de l’est de l’Europe. Pendant cette période, la notion de « droits de l’Homme » se confond dans le droit international avec celle de « droits des peuples » ou de « droits nationaux ». La priorité de la politique internationale est alors de préserver l’« ordre de Versailles », c’est-à-dire la cartographie politique définie par les traités de paix conclus à l’issue de la première guerre mondiale et inspirée par les « quatorze points » proposés par le président américain Woodrow Wilson au Congrès des Etats-Unis le 8 janvier 1918. Dans cet ordre, les « droits des peuples » ou « nationaux » sont l’élément clé de la légitimation de nouveaux Etats nations en Europe centrale et orientale instaurés par les traités de Versailles². Il faudra attendre la fin de la seconde guerre mondiale pour voir apparaître une juridiction internationale en matière de droits de l’Homme, en réponse aux massacres de masse commis entre 1937 et 1945. Pour reprendre les termes de Habermas, le processus consacré après 1945 est un processus de « constitutionnalisation » du droit international, de fixation juridique de principes et de valeurs universelles, reconnus partout à tout citoyen. Leur application ne dépend pas du cadre légal de l’Etat nation, en raison de leur universalité. Cette idée de « constitutionnalisme » ou de « constitution mondiale » dérive ainsi de l’idée de « cosmopolitisme » proposée par Kant³. Elle est souvent associée à la création de l’ONU suite à la fin de la guerre en Europe et plus particulièrement à l’élaboration de la déclaration universelle des droits de l’Homme par cette organisation. A en croire des historiens comme Mark Mazower, la création de l’ONU n’aurait cependant pas été inspirée par des objectifs cosmopolites.

    Fondée en juin 1945, l’ONU est en effet le cadre où s’esquissent les premières tentatives d’insérer les droits de l’Homme dans la théorie et la pratique de la politique internationale. Le pouvoir accordé au Conseil de sécurité, seule institution dotée d’un droit de véto, révèle pourtant avant tout la volonté des grandes puissances issues de la guerre de contrôler l’ordre international. Celles-ci s’attribuent le statut de membres permanents du Conseil de sécurité et se proposent d’établir un équilibre international ← 23 | 24 → qui serve leurs intérêts géostratégiques. Le traitement juridique des droits individuels à l’ONU sera donc rhétorique pour l’essentiel, au moins pendant les premières années, et conditionné par les décisions prises au sein du « conclave » des puissances⁴. Dès sa création, l’ONU sera ainsi écartelée entre la théorie et la pratique, entre sa doctrine des droits de l’Homme et son action directe, inspirée par les intérêts des puissances : conserver leur empire pour le Royaume-Uni et la France, consolider la géostratégie de la guerre froide pour les Etats-Unis et l’Union soviétique, etc. Ce pragmatisme aboutit à des paradoxes : l’un des auteurs des textes onusiens relatifs aux droits de l’Homme, le Premier ministre sud-africain Jan Smuts, est aussi l’un des idéologues de l’apartheid⁵.

    Malgré leur nature originelle plutôt rhétorique, les textes onusiens relatifs aux droits de l’Homme ont une importance capitale. Même si leur portée juridique est a priori limitée ou bien purement symbolique, ils exerceront une influence considérable sur le droit international.

    La charte des Nations unies signée à San Francisco le 26 juin 1945 est le premier traité de droit international à codifier les droits de l’Homme. La question des droits de l’Homme y acquiert une importance considérable, au moins sur le papier. Le deuxième alinéa de son préambule affirme que les « peuples des Nations unies » sont résolus « à proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité des droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites »⁶. Les droits de l’Homme y sont encore liés aux droits des nations, comme dans le droit international d’avant-guerre. Mais une conception plus moderne des droits de l’Homme apparaît dans l’article 1 de la charte, qui décrit les trois objectifs principaux de la nouvelle organisation. Le premier est le maintien de la paix et de la sécurité internationale, le deuxième, le développement de relations amicales entre les nations sur un principe d’égalité entre les peuples et le troisième, l’engagement à respecter les droits de l’Homme : « Réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d’ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire, en développant et en encourageant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion »⁷. La promotion des droits et libertés des individus devient ainsi théoriquement l’un des objectifs prioritaires de l’ONU. Ces droits et libertés passent au premier plan des relations internationales, associés au maintien de la paix et de la sécurité.

    La réalisation la plus significative dans ce processus d’émergence de la question des droits de l’Homme dans le droit international est la déclaration universelle des droits de l’Homme adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies, le 10 décembre 1948. Cette déclaration constitue la base théorique de la plupart des développements juridiques en matière des droits humains. La majorité des textes juridiques postérieurs consacrés à ces droits s’en inspireront et la citeront explicitement. C’est le cas de la convention européenne des droits de l’Homme de 1950, comme des développements ultérieurs de l’Union européenne à ce sujet. Elle sera même reprise explicitement dans quelques textes constitutionnels : ainsi, la constitution espagnole de 1978 mentionne-t-elle la déclaration de l’ONU de décembre 1948 comme base implicite de l’Etat de droit en Espagne⁸. ← 24 | 25 →

    La déclaration universelle des droits de l’Homme définit ce que l’on entend par « droits de l’Homme » et en fait la liste. Elle s’inspire par ailleurs des célèbres déclarations de la fin du XVIIIe siècle : la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de la Révolution française (adoptée par l’Assemblée nationale constituante le 26 août 1789) et le Bill of Rights des Etats-Unis (c’est-à-dire les dix premiers amendements de la constitution américaine, adoptés par le Congrès des Etats-Unis le 15 décembre 1791⁹). La déclaration des Nations unies de 1948 part elle aussi d’un principe fondamental du droit naturel : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits » (article 1). Elle se centre ensuite sur les droits individuels et énumère les droits inaliénables des êtres humains : le droit à la vie et à la liberté (article 3) ; à ne pas être tenu en esclavage (article 4) ni soumis à la torture (article 5) ; à la reconnaissance d’une personnalité juridique propre de l’individu (article 6) ; à l’égalité, à la justice et au recours devant les tribunaux (articles 7 à 11) ; à la protection de la vie privée (article 12) ; à la liberté de circulation dans son pays de résidence (article 13) ; à l’asile politique en cas de persécution (article 14) ; à

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