Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

L'Europe au Kaléidoscope. Liber Amicorum Marianne Dony: Etudes européennes
L'Europe au Kaléidoscope. Liber Amicorum Marianne Dony: Etudes européennes
L'Europe au Kaléidoscope. Liber Amicorum Marianne Dony: Etudes européennes
Livre électronique994 pages14 heures

L'Europe au Kaléidoscope. Liber Amicorum Marianne Dony: Etudes européennes

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Un hommage à Marianne Dony, qui a joué un rôle clef pour l'Institut d'études européennes et la diffusion du droit européen vers un public plus large.

Ce volume édité en l'honneur de la professeure Marianne Dony traite des grandes matières de droit européen qu'elle a abordées tout au long de sa carrière: droit constitutionnel, droit économique, relations extérieures.

Cet ouvrage, au travers des nombreuses contributions, expose la diversité des sujets étudiés par Marianne Dony, qui reflète non seulement la polyvalence de son expertise, mais aussi la place primordiale du droit européen dans la vie des justiciables.

EXTRAIT

On ne rendra jamais assez hommage à Marianne Dony pour son apport à la connaissance du droit européen. Ses travaux toujours pertinents et bien informés m’ont permis, comme à de nombreux collègues, d’enrichir notre réflexion. Pour avoir enseigné à l’Institut d’études européennes lorsqu’elle en assurait la direction, je peux témoigner de son intérêt profond pour la transmission des connaissances à des générations d’étudiants. De plus, elle ne s’est pas limitée au champ universitaire. Combien de fois nous est-il arrivé d’entendre à la radio ou de lire dans la presse ses commentaires sur des questions d’actualité. On ne lui rendra jamais assez hommage et surtout pas dans les modestes réflexions qui suivent.
LangueFrançais
Date de sortie15 nov. 2019
ISBN9782800417080
L'Europe au Kaléidoscope. Liber Amicorum Marianne Dony: Etudes européennes

Auteurs associés

Lié à L'Europe au Kaléidoscope. Liber Amicorum Marianne Dony

Livres électroniques liés

Droit pour vous

Voir plus

Articles associés

Avis sur L'Europe au Kaléidoscope. Liber Amicorum Marianne Dony

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    L'Europe au Kaléidoscope. Liber Amicorum Marianne Dony - Emmanuelle Bribosia

    Clins d’œil

    ← 27 | 28 →

    ← 28 | 29 →

    Marianne Dony

    Michel WAELBROECK

    C’est en lisant ses chroniques sur les aides d’État que j’ai eu mon premier contact, à l’époque purement intellectuel, avec Marianne Dony. Je préparais alors la nouvelle édition du volume concernant le droit européen de la concurrence que je rédigeais avec Aldo Frignani pour le Commentaire J. Mégret et dans lequel nous avions convenu que je me chargerais du chapitre sur les aides d’État. J’ai ainsi pu constater que, sur presque tous les sujets qui faisaient l’objet à l’époque de controverses, nos opinions convergeaient. Et, ce qui est probablement plus important, le bien-fondé de beaucoup de ces opinions n’a pas tardé à être confirmé par la Cour de justice.

    Quelques années plus tard, le dernier volume de la deuxième édition du Commentaire J. Mégret venait de sortir de presse. Les directeurs de l’époque, dont je faisais partie, se sont réunis pour envisager la possibilité d’une troisième édition. À cette occasion, il a été décidé de renoncer, pour l’avenir, à la formule du commentaire article par article qui avait été adoptée jusque-là. Au lieu de suivre d’aussi près que possible l’ordre de présentation des matières adopté par le traité sur ce qui était encore à l’époque la Communauté européenne, nous décidâmes d’adopter une présentation par « grandes matières », dans chacune desquelles seraient regroupés les différents domaines dans lesquels se déroule l’action des institutions européennes, sans égard pour leur position dans le traité. Chaque « grande matière » se verrait désigner un coordonnateur chargé de trouver des volontaires pour la rédaction des différents chapitres.

    Tout ceci était fort bien sur papier, mais il fallait encore trouver un « chef suprême » qui s’occuperait de la coordination générale du Commentaire, qui dénicherait les coordonnateurs et veillerait à ce qu’ils agissent avec diligence et efficacité. Après avoir envisagé plusieurs noms, c’est celui de Marianne qui a été retenu du consentement de tous. ← 29 | 30 →

    Notre choix s’est avéré pleinement fondé. En effet, grâce aux efforts de Marianne, soutenus par ceux d’Emmanuelle Bribosia, devenue la secrétaire de rédaction, la troisième édition du Commentaire J. Mégret a bien progressé : quatorze volumes ont été publiés !

    Depuis cette époque, j’ai pris ma retraite. Je n’ai donc pas été aussi actif que précédemment à l’Institut d’études européennes. Mais cela ne m’a pas empêché de suivre la trajectoire de Marianne à l’Institut, laquelle continuait son essor. Après être devenue directrice de l’Institut en 1990, puis directrice des recherches juridiques en 1995, elle en a assumé la présidence de 2009 à 2014. Elle a été en outre nommée titulaire de la Chaire Jean Monnet de droit de l’Union européenne en 2000.

    Je continuais à être régulièrement informé des activités de l’Institut. Celles-ci se sont poursuivies sous son impulsion ainsi que celle de ses collaborateurs et collaboratrices. C’est avec intérêt que je suivais les colloques, conférences et autres activités qui avaient régulièrement lieu sur des sujets d’actualité.

    En plus de ses charges d’enseignement et d’administration ainsi que de ses activités pour le Commentaire J. Mégret, Marianne réussissait à trouver le temps de publier de nombreux ouvrages et articles contribuant à la diffusion du droit européen. C’est ainsi qu’après avoir édité en 2005, en collaboration avec Emmanuelle Bribosia, un commentaire de la Constitution de l’Union européenne – projet que les référendums négatifs en France et aux Pays-Bas ont malheureusement empêché d’aboutir – elle publia en 2007, toujours en association avec Emmanuelle Bribosia, un volume sur les traités de Lisbonne. Cet ouvrage contient une analyse précise et détaillée de ce Traité et le replace dans le contexte de l’évolution de la construction européenne, tout en soulignant les modifications apportées aux textes existants. Il contient aussi – ce qui était très utile avant que la version officielle soit publiée – une version consolidée des traités ainsi que des principaux protocoles et déclarations qui les accompagnent.

    Particulièrement utile pour les praticiens du droit de l’Union européenne est le manuel de droit de l’Union qu’elle a mis au point et qui en est à sa septième édition. J’ai souvent eu l’occasion d’en apprécier le caractère précis et complet ainsi que la facilité d’utilisation.

    Sur un mode plus personnel, je lui suis très reconnaissant d’avoir accepté d’assurer, en collaboration avec Aline De Walsche, la coordination des Mélanges qui m’ont été offerts en 1990.

    Mais Marianne ne s’est pas limitée à écrire pour le cercle relativement restreint de ceux qui s’intéressent de près à l’évolution du droit de l’Union européenne. Elle a compris la nécessité de propager vers un public plus large le message européen. Dans le contexte actuel, celui-ci est souvent fort mal connu. Grâce à ses émissions à la RTBF, qu’il s’agisse du Grand Oral ou de la Semaine de l’Europe, elle traite de nombreux sujets d’actualité. Ses exposés sont chaque fois menés avec une grande clarté. Elle démêle avec bonheur les fils enchevêtrés des questions abordées. Je ne prendrai pour exemple que son interview à la Semaine de l’Europe sur les dangers auxquels devra faire face l’Union européenne en 2019, tels que le Brexit, le difficile accord sur le cadre budgétaire, la montée des populismes et leurs conséquences pour les élections européennes, la crise des réfugiés et la réponse inadéquate qui y a été apportée, etc. ← 30 | 31 →

    Ce que j’admire surtout chez elle, c’est le caractère toujours réaliste et solidement fondé de ses analyses. Contrairement à de nombreux autres commentateurs, elle ne se laisse jamais aller à un pessimisme excessif. Au contraire, tout en reconnaissant, là où cela se justifie, les difficultés du sujet, elle n’hésite pas à proposer des solutions lorsque le cas se présente.

    Combinant rigueur scientifique, honnêteté intellectuelle et clarté d’esprit avec un excellent sens de l’organisation et une volonté déterminée de répandre le message européen, Marianne Dony a joué un rôle important tant pour la renommée de l'Institut que pour la diffusion du droit européen. ← 31 | 32 →

    ← 32 | 33 →

    Quelques souvenirs

    Lucette DEFALQUE

    Très chère Marianne,

    Voici venu le moment d’évoquer quelques souvenirs communs et de te remercier pour ton amitié qui m’a accompagnée tant d’années à l’Institut d’études européennes (IEE). Mes années de recherche et d’enseignement à l’Institut sont indissociablement liées à ta présence et à ton soutien amical.

    Je ne parlerai pas de tes immenses qualités scientifiques et pédagogiques. D’autres le feront mieux que moi. Je voudrais me limiter à évoquer les liens d’amitié et de collaboration académique que nous avons tissés au cours des ans et dont je garde un souvenir précieux.

    Bien naturellement nous nous sommes connues à l’Institut. Tu rédigeais ta thèse et moi je faisais de la recherche. Nous déjeunions ensemble de temps à autre, parlions de tout et de rien, échangions parfois des confidences. Lorsque mes enfants sont nés, tu t’es à chaque fois chargée de leur choisir de jolis vêtements, traduisant par ce geste l’affection que tu me portais.

    Plus tard, lorsque tu es devenue directrice des recherches juridiques, tu m’as confié la direction du Centre Bigwood, ce qui m’a permis de diriger des travaux particulièrement féconds dans le domaine du droit de l’alimentation et de la santé publique. Parmi ceux-ci et en collaboration avec la KULeuven nous avons rédigé une proposition de directive pour la Commission européenne sur la libre circulation des soins médicaux et hospitaliers. Cette proposition fondée sur la jurisprudence de la Cour de justice a présenté pour moi un intérêt tout à fait particulier.

    Toujours grâce à ton appui, j’ai eu la possibilité d’organiser des conférences dans le domaine de la protection des consommateurs, sujet qui me tenait particulièrement à cœur et que j’ai eu l’occasion de mettre en pratique au Vietnam, en qualité d’expert désignée par la Commission. ← 33 | 34 →

    Mes souvenirs de collaboration scientifique avec toi sont nombreux et je les égrène à la pelle en ayant l’impression de dérouler le fil de mes activités à l’Université, bien souvent accompagnées de ton écoute compétente et bienveillante. Ainsi, par exemple, nous avons rédigé à deux reprises, avec Jean-François Bellis, l’examen de jurisprudence consacré par la Revue critique de jurisprudence belge au Droit économique de l’Union européenne.

    Je ne voudrais pas passer sous silence ton soutien à l’Association des anciens que j’ai eu la chance de présider. Grâce à toi, nous avons passé des soirées mémorables dans les jardins de l’Institut pour fêter les nouveaux lauréats auprès d’un buffet bien garni.

    Que dire enfin du merveilleux éloge que tu m’as offert lorsque j’ai quitté l’Université, chef d’œuvre de délicatesse et de sensibilité qui m’émeut toujours lorsque je le relis.

    Ces quelques souvenirs sont certainement sélectifs et partiels mais suffiront, je l’espère, à te transmettre mes sentiments de reconnaissance et d’affection.

    ← 34 | 35 →

    Retour sur un parcours européen empreint de générosité et d’engagement

    Emmanuelle BRIBOSIA et Anne WEYEMBERGH

    Après avoir achevé avec brio sa licence en droit, en 1977, et sa licence spéciale en droit économique, en 1979, Marianne Dony est arrivée à l’Institut d’études européennes, la même année, comme assistante de recherche : le début d’une belle et longue carrière.

    C’est plusieurs années plus tard que nous l’avons rejointe. Emmanuelle d’abord, en 1994, à l’occasion du recrutement pour un poste d’assistant·e temps plein en droit européen à l’Institut d’études européennes (IEE) de l’Université libre de Bruxelles. Fraîchement diplômée de la Faculté de Droit, Emmanuelle ne connaissait guère cet Institut situé de l’autre côté de l’avenue Roosevelt ni d’ailleurs Marianne Dony, qui en assumait la direction. Hésitant encore entre le Barreau et la carrière académique, Emmanuelle a d’ailleurs commencé « en fanfare » par un retrait de sa candidature pour mieux la réintroduire le lendemain, dans une valse-hésitation. Marianne ne lui en a heureusement nullement tenu rigueur et, une fois la procédure de sélection terminée, l’a accueillie chaleureusement au sein de l’IEE.

    Trois ans plus tard, c’est au tour d’Anne de rejoindre l’IEE comme doctorante et de retrouver Marianne, qu’elle avait déjà connue en tant qu’étudiante et qui cumulait alors les casquettes de directrice de la section juridique et de directrice de l’IEE.

    Depuis cette rencontre initiale, nos chemins se sont étroitement imbriqués ; nous avons entamé un parcours de près d’un quart de siècle, dans des bureaux contigus, marqué par des échanges quasi quotidiens sur le droit européen et ses multiples nébuleuses ou sur l’actualité de la construction européenne. C’est un parcours qui fut également marqué par des passages de relais, toujours fluides et bienveillants, dans les missions à assumer au sein de l’institution. Passages de relais aux allures de jeux de chaises musicales. Ainsi, en 2007, Emmanuelle succède à Marianne dans ses fonctions de directrice de la section juridique de l’IEE et de présidente du Master ← 35 | 36 → de spécialisation en droit européen ; Marianne reprend, quant à elle, la direction de l’IEE quand Anne la quitte pour devenir assesseur au Conseil d’État. En 2014, c’est au tour de Marianne, devenue entretemps présidente de l’IEE, de reprendre les fonctions d’assesseur au Conseil d’État alors qu’Anne se voit octroyer cette présidence.

    Marianne en quelques mots clefs

    « Résumer » Marianne en quelques mots clefs est évidemment réducteur mais nous espérons qu’elle y percevra le clin d’œil que nous lui adressons, elle qui est devenue experte en « index » et « tables de mots clefs » dans les ouvrages innombrables qu’elle a écrits, coordonnés ou édités, tout particulièrement aux Éditions de l’Université de Bruxelles. Éditions dont elle est un véritable pilier vu les rôles multiples qu’elle y a exercés : membre du conseil de gérance; co-directrice de la collection « Études européennes », directrice de la troisième édition du Commentaire J. Mégret et enfin auteure du best-seller des Éditions de l’ULB, grâce à son manuel sur le « Droit de l’UE » qui en est à sa 7ème édition.

    Générosité

    Ce mot-là coule de source : Marianne le porte comme un gant.

    Nombreuses sont les générations d’étudiant·e·s qui en ont bénéficié ! Marianne clôture en effet 37 années d’enseignement dotée du surnom de « maman de la BA3 » et proclamée à de multiples reprises lauréate du prix de la « professeure la plus adorable », conféré par les Novelles. Il est vrai que partant du constat qu’il ne faut pas être un tyran pour être une bonne professeure, elle écoute les étudiant·e·s avec bienveillance et essaie toujours de trouver la solution qui leur est la plus favorable.

    Les chercheuses et chercheurs ayant travaillé sous sa direction, et nous au premier chef, avons également bénéficié de sa générosité aux multiples facettes. Marianne nous a toujours laissé une très grande liberté pour nous épanouir en tant que chercheuses comme nous le souhaitions. Nous avons pu construire nos carrières en profitant des opportunités qu’elle nous offrait, sans jamais jouer de sa position hiérarchique pour nous demander quoi que ce soit qui nous aurait démesurément chargées. Elle n’a jamais hésité, dès nos premières années de doctorat, à nous mettre en lumière, qu’il s’agisse de publications scientifiques collectives ou de la participation à des colloques. Sa formule magique « mes reliquats de contrats » faisait des miracles. Quand nous venions exposer des besoins financiers pour l’achat d’ouvrages, l’organisation d’une conférence, la réalisation de voyages scientifiques ou, plus récemment, l’engagement de stagiaires pour le Centre de droit européen ou le réseau ECLAN, Marianne la prononçait, tel un sésame, qui allait résoudre immanquablement nos problèmes.

    Son soutien indéfectible a fait d’elle une figure très rassurante et stimulante dans notre parcours à l’IEE et, plus largement, à l’ULB.

    Ténacité

    Parallèlement à un bref passage au sein d’un cabinet du ministre de l’économie de la Région wallonne et à une expérience d’avocate au Barreau de Bruxelles, auprès du bien connu Professeur Van Ommeslaghe, ce ne sont pas moins de quarante années que Marianne a passées à l’Institut d’études européennes, devenu véritablement sa ← 36 | 37 → deuxième maison. Elle y a occupé toutes les fonctions, entre autres assistante de recherche, directrice de la section juridique, directrice et présidente de l’Institut d’Études européennes, en les cumulant d’ailleurs parfois mais toujours dans l’intérêt de l’institution.

    Marianne, c’est également une femme qui a dû se faire sa place dans un monde encore trop souvent caractérisé par le sexisme. Ses témoignages nous ont profondément marquées. Un professeur qui lui dit à l’issue de l’examen : « Vous êtes intelligente, c’est étonnant pour une fille ». Son cabinet d’avocat, en début de carrière, qui lui envoie, à l’annonce de la naissance de son enfant, un taxi avec le dossier à finaliser : pas question de congé de maternité ou alors c’était prendre la porte du cabinet. Et une fois engagée dans la carrière académique à l’ULB, c’est un collègue qui la présente à un dîner avec les mots suivants : « Je vous présente Marianne Dony qui travaille chez nous lorsqu’elle ne fait pas de bébés ». Nous nous rendons compte de la chance d’avoir été protégées par elle de ces dérives, à tout le moins au sein de la section juridique de l’IEE.

    De ténacité, elle en a également fait preuve dans la plupart des missions qu’elle exerçait, qu’il s’agisse des postes de direction et de présidence qu’elle a occupés pendant de longues années, y compris pendant des périodes de crise pour l’Institut, des corrections de centaines de copies d’examen aux réponses souvent très fantaisistes ou de l’harmonisation de multiples notes de bas de pages pour la publication des nombreux volumes du Commentaire J. Mégret.

    Simplicité

    Marianne se singularise aussi par sa modestie et par sa simplicité. Pour reprendre l’expression de Jacques Brel, ce n’est pas quelqu’un qui voudrait « avoir l’air », et ce quels que soient les postes qu’elle a occupés. Elle est telle qu’elle est, et livre, tour à tour, son avis sur le dernier arrêt rendu par la Cour de justice, des détails sur les voyages de sa fille véritable globe-trotteuse, sur son fils et ses petits-enfants, ses balades à cheval, l’appétit de son chat, ses voyages au Maroc, etc.

    Plus récemment, Marianne a été propulsée à l’avant des médias. Elle ne refuse quasiment jamais une interview au point qu’il devient difficile d’allumer la radio ou la télévision sans entendre Marianne Dony dans l’une des émissions consacrées à l’Europe ou au Brexit. Mais n’allez pas y voir un quelconque narcissisme de sa part, cela correspond plutôt à une volonté profonde de faire comprendre l’Europe et le projet européen : Marianne est une excellente pédagogue !

    Disponibilité

    Ici encore, c’est une évidence. En témoigne la porte de son bureau, toujours ouverte, et surtout l’accueil toujours souriant et bienveillant qu’elle réserve à qui la franchit. Qu’il s’agisse d’Anne, faisant irruption à brûle-pourpoint pour discuter de questions générales de droit européen, ou d’Emmanuelle, venant la solliciter sur des aspects liés au fonctionnement du Master de spécialisation en droit européen, aux méandres des procédures d’inscriptions ou aux demandes de renouvellement des assistants et membres du corps académique, elle se montre immanquablement disponible et prend toujours le temps, en dépit de ses propres impératifs. ← 37 | 38 →

    Loyauté

    Sa loyauté à l’IEE et à l’ULB, mais aussi et surtout aux personnes qui y travaillent et s’y investissent, quel que soit leur statut hiérarchique, est certainement l’une des qualités – et non des moindres – qui caractérisent Marianne. Elle a toujours fait preuve d’une grande intégrité et d’un véritable dévouement à l’institution ; tout au long de sa carrière, l’intérêt commun lui a tenu particulièrement à cœur, faisant d’elle un véritable pilier de l’IEE, du Centre de droit européen et … pour nous.

    La perspective de la retraite de Marianne n’est pas pour nous réjouir. Il s’agit certes d’un tournant important. Mais Marianne restera : par l’exemple qu’elle représente pour nous et parce qu’elle a accepté à notre grande joie de rester présidente du Centre de droit européen. Comme elle nous l’écrivait récemment, « elle ne sera jamais loin ».

    ← 38 | 39 →

    Ce que je ne t’ai jamais dit

    Maman,

    Quand ton collègue est venu me trouver dans le hall de l’IEE pour me parler, je me suis dit deux choses.

    La première, c’est que ça doit être vrai qu’on se ressemble toi et moi car ce gars, avouons-le, je ne le connaissais pas et il se dirige tout naturellement vers moi en me disant que tes collègues organisent une surprise pour ton départ à la retraite et il me parle d’un Liber Amicorum, mais qu’il doit faire vite car tu vas bientôt arriver.

    La deuxième, c’est que je devrais peut être le stopper pour lui dire que j’ai arrêté le latin en 3ème année car je ne vois absolument pas de quoi il me parle.

    Mais il continue à me parler, pressé comme un candidat de Fort Boyard allant ramasser ses boyards, fixant les escaliers pour s’assurer que tu n’arrives pas.

    Entre les mots retraite, octobre, surprise, je commence à comprendre qu’il s’agit sûrement d’une fête qu’ils veulent t’organiser et qu’ils ont besoin de mon aide pour transmettre l’information en dehors de l’unif.

    Cool, bonne idée !

    Sur ce, je lui donne mon e-mail pour qu’il m envoie plus de détails et ce, juste avant que tu finisses par me rejoindre dans le hall.

    Je reçois en effet quelques jours plus tard un e-mail d’Emmanuelle pour Philippe et moi, nous expliquant qu’un Liber Amicorum va t’être offert et qu’elle souhaiterait savoir si on désire y participer en écrivant une contribution personnelle qui sera mise en introduction de cet ouvrage.

    Participer à l’écriture d’un ouvrage ?

    C’est classe quand même et ça ne risque pas de m’arriver souvent.

    Allez je fonce, c’est d’accord ! ← 39 | 40 →

    Et au moins maintenant je sais ce que Liber Amicorum veut dire.

    Je vais quand-même voir sur Wikipedia ce qu’ils en disent du Liber Amicorum.

    Petite parenthèse, je n’aurai jamais employé aussi souvent ce mot « Liber Amicorum » que depuis qu’on m’a demandé d’écrire pour toi. D’ailleurs, je ne sais pas si je réussirai à le replacer un jour lors d’un dîner sans que ça fasse genre : « comment elle se la pète, elle nous parle en latin maintenant ». Fermer la parenthèse.

    Donc, Wikipedia je disais.

    Voici un extrait : « De nos jours, les alba amicorum sont des documents manuscrits très précieux, parce qu’ils révèlent, non seulement l’entourage amical (et éventuellement professionnel) de leur possesseur, mais aussi parce qu’ils contiennent des œuvres souvent originales d’artistes ou d’écrivains, célèbres jusqu’à nos jours. On peut par exemple trouver des dessins de Rembrandt, des autographes de Victor Hugo, de George Sand, de Lamartine ».

    Bon, qu’on se le dise une bonne fois pour toutes : si vous vous attendez à ça de ma part, on va vite se calmer car à part éventuellement un dessin de Pavlos et Nikolas, il n’y a pas de quoi s’emballer.

    Maintenant, entre le fait d’accepter et la mise en pratique il y a un monde et surtout quand on te dit que ta contribution doit être remise pour fin mars et qu’on est mi-février et que tu n’as toujours rien écrit.

    Je passe donc par des moments de doutes du genre « mais qu’est-ce qui t’a pris d’accepter… c’est vrai quoi, écrire des bouquins, c’est pas ton rayon, c’est celui de maman ». J’envoie même un mail à Areg en lui demandant plus de précisions sur ce qui est attendu de notre part. Elle me répond que notre contribution peut être très libre et que par exemple dans le Liber Amicorum du Professeur Vandersanden, Emmanuelle et Anne avaient fait une contribution sous la forme d’un poème. Un poème ? Si je me lance sur ce terrain-là, ça va être un massacre et Rimbaud et Verlaine se retourneront dans leur tombe. Non, je vais éviter la poésie, ce n’est pas mon point fort.

    Pas facile de trouver de l’inspiration quand on n’a jamais rien écrit de pareil avant… un vrai exercice de style.

    Cette inspiration m’est d’ailleurs apparue au milieu de la nuit. Je sens que tu vas me demander « quelle heure ? », et je vais te dire « 5h50 », et là tu penses « milieu de la nuit pour elle oui… », et tu souris car il t’est arrivé parfois de te lever à 4h du matin pour travailler sur un livre, je débute, je sais.

    Mais la fibre de l’écrivaine est en train de germer en moi. à moi les insomnies, les pages blanches, les nuits entières à m’arracher les cheveux à la recherche du mot juste.

    J’ai hâte d’y être, je sens que ça va être géniaaaal.

    On m’a donc demandé une contribution personnelle. Mais quoi ?

    Ça veut tout et rien dire à la fois.

    Je vais quand même pas écrire que tu es la meilleure cuisinière que je connaisse, c’est vrai quoi, toutes les mamans sont de bonnes cuisinières.

    T’as vu ? Une bonne petite remarque sexiste comme on les aime ! Émilie, si tu me lis, elle est pour toi celle-là. ← 40 | 41 →

    Non, ce n’est pas ça que le lecteur voudra savoir. C’est plutôt qui est la Marianne Dony en dehors de la ProfesseurE (et oui il faut être fière de la féminisation des noms de métiers).

    Dire que tu as réussi à mener de front une brillante carrière universitaire tout en libérant du temps pour ta famille n’est pas assez révélateur.

    Malgré la tonne de boulot, les cours, les bouquins et les articles à écrire, les interviews données à la radio et à la télévision, ton investissement au Conseil d’État, tu as toujours su trouver du temps pour moi pour qu’on puisse faire des activités ensemble. Toujours.

    Ta générosité et ton ouverture d’esprit m’ont toujours permis de vivre librement mes choix de vie.

    Tu ne m’as pas non plus jugé d’avoir décidé de ne pas entreprendre d’études universitaires. Même si au fond de toi tu as sûrement dû te dire : « mon Dieu quel potentiel gâché ! Des études de tourisme ? Et puis quoi après ? Une année à voyager autour du monde peut-être ? Non mais ! »

    Mais pour ça non plus, lorsque je t’ai annoncé que je partais faire la traversée de la Nouvelle-Zélande à pied avec Emilie, tu ne m’as pas jugé, tu as toujours su respecter mes choix quels qu’ils étaient.

    Bien sûr, un an sans me voir fut difficile pour toi comme ce le fut pour moi, car c’était la première fois que nous étions séparées aussi longtemps.

    On a toujours été assez pudique dans la famille quand il s’agit d’exprimer nos sentiments mais je tenais à te dire que je suis extrêmement fière de toi, de la femme que tu es : passionnée depuis la plus tendre enfance par ce qu’elle fait, du rôle de modèle que tu représentes pour tes étudiants et pour moi.

    Malgré une carrière hors du commun, tu as toujours su rester simple, sans jamais prendre la grosse tête.

    Tu ne m’as jamais cru quand je te disais que tu étais la Marc Levy du droit européen. Pourtant le nombre impressionnant de livres que tu as publiés montre que j’ai raison.

    Quelle chance d’être entourée de quelqu’un animée par une telle passion pour son métier, et ce livre qui t’est remis aujourd’hui est la preuve que toutes ces années que tu as passées à te consacrer à ton travail sont reconnues et mises en avant par tes pairs.

    Quel immense honneur, bravo !

    Je terminerai ma petite contribution par ces trois mots : JE T’AIME.

    Marie-Laure ← 41 | 42 →

    ← 42 | 43 →

    PARTIE I

    Droit constitutionnel

    ← 43 | 44 →

    ← 44 | 45 →

    Pour en finir avec les débats sur la méthode

    Jean-Paul JACQUÉ

    INTRODUCTION

    On ne rendra jamais assez hommage à Marianne Dony pour son apport à la connaissance du droit européen. Ses travaux toujours pertinents et bien informés m’ont permis, comme à de nombreux collègues, d’enrichir notre réflexion. Pour avoir enseigné à l’Institut d’études européennes lorsqu’elle en assurait la direction, je peux témoigner de son intérêt profond pour la transmission des connaissances à des générations d’étudiants. De plus, elle ne s’est pas limitée au champ universitaire. Combien de fois nous est-il arrivé d’entendre à la radio ou de lire dans la presse ses commentaires sur des questions d’actualité. On ne lui rendra jamais assez hommage et surtout pas dans les modestes réflexions qui suivent.

    Dix ans après l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, faut-il encore revenir sur la méthode à suivre pour réaliser l’union de l’Europe. Certes les débats à ce sujet sont aussi anciens que la construction européenne elle-même et l’opposition entre la méthode intergouvernementale et ce qui est devenu la méthode communautaire était présente lors de la création successive du Conseil de l’Europe, organisation intergouvernementale, et de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), première organisation d’intégration. Le débat s’est poursuivi au sein de l’Europe intégrée. Que l’on se souvienne des controverses autour du plan Fouchet ou du Traité de Maastricht avec sa structure comprenant un pilier intégré et deux piliers intergouvernementaux. Le Traité de Lisbonne, malgré la suppression des piliers, a relancé la discussion notamment en raison de l’institutionnalisation du Conseil européen doté d’un président permanent.

    L’appréciation portée sur la méthode communautaire recouvre une certaine ambiguïté. Alors que Jean Monnet y voyait avant tout un gage d’efficacité par contraste avec les lenteurs et les atermoiements de la méthode intergouvernementale classique, ← 45 | 46 → les partisans d’une Europe fédérale en ont fait un dogme institutionnel. Pragmatique, Jean Monnet avait essentiellement construit son édifice autour d’une Haute Autorité de la CECA indépendante. C’est seulement au cours des négociations qu’ont été dessinées les autres institutions, Conseil, Parlement et Cour de justice. N’est-ce pas lui aussi qui a inspiré une déviation importante de la méthode en militant en faveur de la création d’un gouvernement provisoire européen qui deviendra le Conseil européen parce qu’il avait constaté que la méthode communautaire ne recelait en elle les ressources suffisantes pour surmonter les blocages ? Pour lui, porteur d’un fort idéal européen, le dogmatisme n’était pas de mise et il savait s’adapter aux événements.

    La méthode communautaire s’est adaptée au fil du temps¹. Fondée à l’origine sur le dialogue entre une Commission indépendante jouissant du monopole de l’initiative et le Conseil sous le contrôle de la Cour de justice, elle a vu progressivement le Parlement, doté à l’origine d’un pouvoir consultatif, prendre sa place dans le processus décisionnel et devenir l’une des branches du pouvoir législatif. De même, le passage progressif de l’unanimité à la majorité qualifiée au sein du Conseil a fait du vote majoritaire l’un des traits de la méthode.

    Les développements de la méthode intergouvernementale ont toujours été concomitants avec un renforcement de la voie communautaire. La création du Conseil européen a été accompagnée de la décision d’élire le Parlement européen au suffrage universel direct, ainsi que d’une renonciation de principe au compromis de Luxembourg qui deviendra effective après l’Acte unique européen.

    Si le Traité de Lisbonne institutionnalise le Conseil européen, il élargit de manière très significative les pouvoirs du Parlement européen. De même, si le Traité de Maastricht institue deux piliers (politique étrangère, justice et affaires intérieures) régis par la méthode intergouvernementale, il situe ceux-ci dans un cadre institutionnel commun. Ainsi l’équilibre entre les deux méthodes a toujours été préservé, ce qui n’est pas étonnant compte tenu de la méfiance manifestée par certains États à l’égard de la démarche intergouvernementale. Ceci n’a rien de surprenant. En effet, autant la méthode communautaire protège les petits États par un ensemble de règles procédurales et relatives à la prise de décision, autant ceux-ci sont, dans le cadre intergouvernemental, confrontés aux réalités liées à la puissance économique et politique. Dans ce contexte, le principe de prise de décision par consensus ne leur paraît guère susceptible de les protéger des pressions qui pourraient s’exercer sur eux.

    Pour certains, cet équilibre entre les méthodes avait un aspect essentiellement institutionnel et juridique. La méthode communautaire s’appliquait dans le champ des compétences reconnues à l’Union par les traités tandis que la méthode intergouvernementale concernait l’action commune des États membres dans les domaines hors-traités². Cette vision supposait l’imperméabilité de la frontière entre compétences communautaires et compétences nationales et le respect par les instances dites intergouvernementales de celle-ci, ce qui a été loin d’être le cas. D’ailleurs, lors ← 46 | 47 → de la création du Conseil européen, il avait été convenu qu’il pouvait agir, le cas échéant, en tant que Conseil de l’Union³. Cette double fonction disparaitra par la suite pour en arriver à l’affirmation, dans le Traité de Lisbonne, selon laquelle le Conseil européen n’exerce pas de fonction législative (article 15, paragraphe 1 TUE). Dans un ouvrage récent, Luuk van Middelaar abandonne cette distinction fondée sur la répartition des compétences pour une vision plus réaliste qui repose sur les fonctions assumées par chaque type de méthode. Il oppose la politique de la règle qui vise à appliquer dans un cadre déterminé les politiques prévues par le Traité à la politique de l’événement qui consiste à répondre de façon politique à des questions imprévues. C’est l’opposition par exemple entre la gestion du marché intérieur et celle de la crise monétaire ou de l’immigration. La politique de la règle mobilise essentiellement la méthode communautaire, et celle de l’événement la méthode intergouvernementale sans que l’une soit exclusive de l’autre dans un champ donné⁴. Cette vision réaliste rend compte de meilleure manière de l’emploi de chaque méthode en faisant abstraction de la distinction entre les matières couvertes ou non par les traités et en retenant essentiellement la nature des problèmes posés. Elle explique aussi l’interpénétration entre les méthodes en fonction de la sensibilité des questions traitées. De ce fait, la méthode communautaire a subi au fil du temps des altérations (I) qui, par contrecoup, ont donné une importance accrue à la méthode intergouvernementale (II).

    I.  Les altérations de la méthode communautaire

    Les altérations de la méthode communautaire ne sont guère visibles à la lecture des traités. Bien au contraire, les révisions successives de ceux-ci ont conforté celle-ci notamment par l’accroissement progressif des pouvoirs du Parlement européen et par l’élargissement des hypothèses de recours à la majorité qualifiée au sein du Conseil. En se fiant au texte des traités, un observateur extérieur pourrait décrire l’évolution de l’Union comme un long fleuve tranquille suivant paisiblement son cours vers un État fédéral. Mais l’examen de la pratique institutionnelle conduit à une perception différente tant le hiatus est important entre les textes et la manière dont ils sont appliqués.

    Que nous disent les textes ? Selon Paolo Ponzano, « la méthode communautaire pure correspond à un système où la Commission – institution représentative de l’intérêt général européen – détient le monopole de l’initiative législative […] alors que le Conseil […] et le Parlement […] adoptent en codécision les lois européennes. Par ailleurs, le Conseil vote en règle générale à la majorité qualifiée, l’unanimité étant nécessaire pour amender la proposition de la Commission »⁵. Il suffit de compléter ← 47 | 48 → cette définition en mentionnant le rôle de la Cour de justice qui, outre sa mission de contrôle de légalité, s’est comportée souvent comme un supplétif du législateur lorsqu’il était défaillant.

    A.  La réalité des pouvoirs de la Commission

    Si l’on se réfère à la Commission, force est de constater que la place centrale que semblent lui conférer les traités n’existe que dans l’esprit des eurosceptiques attachés à contester « la dictature de Bruxelles ». S’il est vrai qu’elle détient juridiquement le pouvoir d’initiative, elle n’est pas toujours à l’origine des initiatives importantes. Outre les demandes qui lui sont adressées par le Conseil dans le cadre de résolutions ou de conclusions, voire par le Parlement européen, elle doit faire suite aux « commandes » impératives qui lui sont adressées par le Conseil européen et qui peuvent porter sur le contenu précis de la législation à proposer⁶. Enfin, il n’est pas exceptionnel que lors de l’adoption d’une proposition par le Conseil et le Parlement, la Commission s’engage à l’initiative de ces institutions à faire de nouvelles propositions législatives⁷. Le Conseil européen programme même l’activité de la Commission dans le cadre de programmes pluriannuels comme le programme de Stockholm en matière de justice et d’affaires intérieures⁸. Sur un plan plus général, avant sa désignation par le Conseil européen, le président de la Commission a été amené à prendre des engagements sur son programme à l’égard de celui-ci et a mené des négociations avec le Parlement avant son élection. Enfin, avant de présenter formellement une proposition importante, la Commission soumet généralement ses idées au Parlement et au Conseil sous la forme d’une communication, qui peut donner lieu à l’adoption de conclusions du Conseil contenant les éléments essentiels du futur texte. Le pouvoir d’initiative de la Commission est dans certains cas contrôlé, voire encadré par le Conseil, l’initiative législative relevant plus d’un processus de coproduction que d’un mouvement unilatéral de la Commission. Dans les cas les plus sensibles, comme dans celui de la crise de la zone euro, le pouvoir de la Commission a été réduit à une simple mise en forme des volontés du Conseil européen et de l’Eurogroupe.

    De la même manière, les pouvoirs reconnus à la Commission par les traités, d’une part, de contrôler le processus de décision en imposant au Conseil de statuer à l’unanimité lorsqu’il s’écarte de la proposition de celle-ci et, d’autre part, de modifier ← 48 | 49 → sa proposition ont été progressivement réduits à peu de chose. Le compromis de Luxembourg l’a annihilé puisque le Conseil, statuant toujours à l’unanimité, pouvait s’écarter librement de la proposition. La fin du recours au compromis n’a pas modifié la situation puisque le Conseil s’attache toujours à rechercher le consensus plutôt qu’à trancher à la majorité qualifiée. Mais l’évolution ne s’est pas limitée à cela. Avec le compromis de Luxembourg, la présidence du Conseil s’est attribué la tâche de forger des compromis au sein du Conseil, se substituant à la Commission qui aurait pu l’accomplir en rédigeant une proposition modifiée. Cette technique a survécu au compromis de Luxembourg. Le scénario classique commence par une proposition de la Commission sur la base de laquelle la présidence du Conseil construit par touches successives un compromis sur lequel se forge un consensus, la Commission reprenant ce consensus dans une proposition modifiée si cela est nécessaire pour faciliter l’adoption du texte. La Commission n’est certes pas absente des débats. Elle fait valoir son point de vue en s’appuyant sur certains États, participe à l’élaboration du compromis, mais joue un simple rôle de conciliateur. Cette tendance n’a pas été contrariée, mais au contraire accentuée, avec l’apparition de la procédure de codécision, aujourd’hui procédure législative ordinaire.

    En effet, la pratique qui s’est établie de conclure le débat législatif en première lecture par un accord entre le Parlement et le Conseil a pour effet de marginaliser la Commission. Même si celle-ci a le pouvoir d’obliger le Conseil à statuer à l’unanimité lorsque l’accord conclu avec le Parlement s’écarte de la proposition de la Commission, il lui est politiquement difficile de s’opposer à la volonté commune des deux branches de l’autorité législative et d’imposer une seconde lecture dont il n’est pas évident que le résultat soit différent. En outre, en seconde lecture, le débat se déroule sur la base de la position commune adoptée par le Conseil et non sur une proposition modifiée de la Commission. Cette dernière pourrait utiliser la faculté de menacer ou de retirer sa proposition pour faire pression sur le Conseil, mais, selon la jurisprudence de la Cour, le retrait n’est possible qu’au cours de la première lecture⁹. De plus, le retrait a un coût politique pour la Commission puisque celle-ci renonce à l’une de ses propositions. C’est la raison pour laquelle les retraits politiques sont rares ; on en compte six avant l’introduction de la procédure de codécision et un seul par après¹⁰. La Commission a d’ailleurs reconnu l’évolution de la méthode puisqu’aujourd’hui, dans la conduite de la procédure législative, elle revendique seulement un statut de médiateur entre le Parlement et le Conseil.

    Si la pratique a conduit à neutraliser les pouvoirs reconnus par les traités à la Commission en matière législative, le Traité de Lisbonne aurait dû conduire à une reconnaissance de ses pouvoirs en ce qui concerne l’exécution des actes législatifs. Elle adopte les actes délégués sous réserve d’un droit de veto du Parlement et du Conseil. Elle dispose du pouvoir propre d’adopter les actes d’exécution et ne doit plus agir sur délégation du Conseil qui est d’ailleurs exclu des procédures de comitologie. ← 49 | 50 → Mais, ici encore, la pratique a singulièrement modifié la situation. En ce qui concerne les actes délégués, le Conseil a obtenu que des comités d’experts nationaux soient consultés avant leur adoption. Certes, il ne s’agit que d’un pouvoir consultatif, mais, en présence d’une opposition du comité, la Commission sera amenée à revoir son texte pour éviter un rejet de l’acte lors de son examen au Conseil. S’agissant des mesures d’exécution, le contrôle des États membres a été maintenu, mais la Commission a curieusement proposé de réintroduire le Conseil dans le jeu pour qu’il prenne lui-même la responsabilité de mesures que la Commission ne veut pas assumer¹¹. On en reviendrait de fait à la situation antérieure à Lisbonne.

    En conclusion, si l’on considère que la méthode communautaire est celle prévue par les traités quant au processus décisionnel, force est de constater que, malgré un respect formel des règles imposé par le respect de la légalité, celles-ci sont contournées dans la pratique au détriment de la Commission qui n’est plus guère en position de faire jouer les prérogatives qui lui sont reconnues. Certes un retour aux textes dans toute leur rigueur est toujours possible, mais cela exigerait que la Commission dispose d’une réelle légitimité. Or paradoxalement, l’accent mis par certains panégyristes de la Commission sur la méthode communautaire a contribué à répandre l’idée d’une Commission puissante. Du coup, ce fantasme est devenu réalité pour une partie de l’opinion publique et contribue de façon toute contreproductive à nourrir les critiques des eurosceptiques qui, du coup, se battent contre des moulins. Ne serait-il pas plus sage de se limiter à une description objective de la réalité en exposant les limites considérables qui encadrent l’action de la Commission pour que la contestation, si elle est fondée, se dirige vers les véritables responsables des décisions ? Le paradigme a changé. Plus que d’inspirer la politique législative de l’Union, la Commission s’est transformée en gestionnaire des politiques de l’Union, qu’il s’agisse de la politique de concurrence, de la gestion des fonds, de l’adoption des mesures d’exécution ou de la surveillance des politiques économiques et budgétaires des États membres. Quant à la méthode communautaire, elle se caractérise par l’instauration d’un dialogue permanent entre les différents intérêts représentés par les institutions : l’appréciation de l’intérêt général faite par le Commission, celle de l’intérêt des États représentés au Conseil, l’idée que le Parlement européen se fait de l’intérêt des peuples.

    B.  Les problèmes posés par le développement de la démocratie parlementaire

    L’accroissement des pouvoirs du Parlement européen devait permettre une évolution vers un système de type parlementaire fédéral dans lequel la législation était adoptée par accord entre une chambre populaire, élue directement au suffrage universel direct et une chambre des États. Pour le Parlement, la Commission devait émaner du choix des électeurs à travers le système des Spitzenkandidaten. La logique du régime parlementaire s’imposerait, ce qui entrainerait une légitimation démocratique du système. Cette logique ne s’insérait pas dans la méthode communautaire originaire qui voyait dans la Commission une institution neutre politiquement dont l’autorité ← 50 | 51 → reposait sur l’indépendance et l’expertise. Mais, en revanche, aux yeux d’une très large majorité des parlementaires, elle présentait l’avantage, à terme, de faire de la Commission un véritable gouvernement européen démocratiquement investi. On sait combien les espoirs suscités par la désignation de la Commission Juncker ont été cruellement déçus lors de la désignation de la présidente de la Commission en 2019.

    Le Parlement s’est rapidement adapté à l’exercice de ses nouveaux pouvoirs. D’une fonction tribunicienne, il est passé à une fonction législative. Alors que lorsqu’il exerçait un simple rôle consultatif, il pouvait proposer des amendements sans tenir compte de leur applicabilité réelle, il a su prendre une position plus réaliste. De même, après une période initiale de méfiance à l’égard du Conseil, une coopération fructueuse s’est établie entre les deux institutions notamment grâce à l’organisation de trilogues informels. Le nombre écrasant d’accords en première lecture et la quasi-disparition des conciliations en troisième lecture suffisent à l’attester.

    Cependant, ce bilan positif n’a guère eu d’influence sur la légitimé du Parlement et de l’Union dans son ensemble. Il est paradoxal que chaque accroissement des pouvoirs du Parlement ait coïncidé avec une diminution de la participation électorale et le développement des critiques relatives au déficit démocratique de l’Union. Cette situation est certes liée au fonctionnement même du processus décisionnel dans l’Union, mais elle répond également à des contraintes politiques.

    Le processus décisionnel conduit à une dépolitisation des dossiers examinés par les institutions. Il repose avant tout sur la recherche du consensus. Or, par nature, pour qu’un consensus puisse être dégagé, il est nécessaire que soient évités les débats politiques et les divisions qu’ils entrainent. Les solutions retenues doivent être présentées comme répondant à des nécessités techniques reposant sur une expertise approfondie. La démarche « mieux légiférer » initiée par la Commission en est l’illustration. Elle met l’accent sur les études préliminaires, notamment les études d’impact, qui conduisent à réduire les options offertes au législateur. Il ne s’agit pas de critiquer ces pratiques qui se sont imposées dans presque tous les États, mais, compte tenu de la suite du processus, elles contribuent en l’état au phénomène de dépolitisation. En effet, au sein du Conseil, la recherche du consensus est la règle. Dans les dernières années, près de 80% des décisions soumises à la majorité qualifiée étaient adoptées à l’unanimité. Ce pourcentage a légèrement diminué puisqu’en 2018, il ne s’élevait plus qu’à 64%, mais, dans la plupart des autres cas, l’opposition ou l’abstention ne représentait qu’un ou deux États membres. Le Conseil redoute le conflit et n’a guère d’appétit pour des solutions acquises à la majorité qualifiée dans un contexte conflictuel qui laissera des traces et pourrait conduire les opposants à ne pas appliquer l’acte adopté. La saga de la réallocation des migrants est significative à cet égard. De la même manière, au sein du Parlement, il est nécessaire en l’absence de parti majoritaire de construire une majorité, ce qui suppose un consensus entre formations politiques. Certes, en raison des groupes qui seront exclus du consensus, le débat est plus ouvert. Mais, compte-tenu du fait qu’il se déroule essentiellement en commission parlementaire en vue d’obtenir un accord en première lecture, la plénière n’est le plus souvent qu’une instance d’enregistrement et les débats en son sein restent formels. Enfin, le consensus final entre le Parlement et le Conseil est réalisé en vase clos au sein des trilogues. Cette procédure privilégie l’efficacité sur le débat démocratique. Sa relative opacité ← 51 | 52 → ne permet pas au public d’en suivre le déroulement et d’identifier les responsables d’une décision. Ce n’est pas la politique de transparence qui porte essentiellement sur l’accès aux documents qui peut permettre d’améliorer la situation puisque, par définition, elle n’intervient qu’a posteriori. En outre, les réunions seraient-elles toutes publiques qu’en vue de trouver un consensus les institutions négocieraient dans un cadre informel tant elles éprouvent le besoin de négocier à l’abri des regards et surtout des pressions que les milieux concernés pourraient exercer sur elles.

    Cependant, ces raisons liées au mécanisme institutionnel ne suffisent pas à expliquer le sentiment de déficit démocratique. La pratique institutionnelle répond à des exigences politiques. Dépolitiser les débats pour favoriser la recherche du consensus en mettant l’accent sur les aspects techniques répond à la nature même des matières régies par la méthode communautaire. Tout d’abord, un certain nombre de questions soumises à la procédure législative ordinaire sont traitées dans les États membres au niveau des exécutifs sans que les Parlements soient sollicités. Ensuite, bien des décisions ne soulèvent d’intérêts que dans des secteurs particuliers lesquels n’ont pas toujours envie que l’opinion s’en saisisse sinon pour les soutenir lorsqu’ils se sentent menacés. La pollution par les véhicules à moteur ou par les aéronefs intéresse avant tout les constructeurs ou la politique agricole les exploitants fermiers. En les abordant sous un aspect technique, on évite le lien avec des préoccupations plus générales comme l’environnement ou la protection de la santé. Il peut arriver que des ONGs ou des groupements professionnels arrivent à établir ce lien et à susciter un débat général, mais ce n’est le cas que dans quelques dossiers. Enfin et surtout, l’Union relève de ce que certains universitaires qualifient de démocratie consociative¹². Il s’agit de systèmes dans lesquels les divisions entre les parties constituantes sont telles qu’un système majoritaire classique ferait courir des risques de refus des décisions majoritaires et, à terme, d’éclatement de l’ensemble. Pour cette raison, des mécanismes protecteurs sont institués afin d’éviter la domination du groupe majoritaire¹³. Mais surtout, le mode de décision fait une place particulière au consensus comme méthode de décision, consensus qui doit être atteint par la négociation entre les élites. Ces dernières constituent un groupe particulier dont la sagesse doit permettre d’établir des consensus. Selon la formule d’un des théoriciens de la démocratie consociative, celle-ci se caractérise par « le gouvernement par un cartel d’élites dont la fonction est de transformer une démocratie à la culture politique fragmentée en une démocratie stable »¹⁴. Magnette et Papadopoulos ont reconnu en l’Union une forme de démocratie ← 52 | 53 → consociative et ont soutenu que le moyen le plus sûr de politiser celle-ci consistait à introduire des mécanismes de démocratie directe comme le référendum d’initiative¹⁵. Jusqu’à présent, l’initiative citoyenne introduite dans le Traité de Lisbonne n’a pas encore fait ses preuves. Mais notre objectif n’est pas de proposer ici des solutions, mais de noter le fait que la nature même de l’Union n’a pas permis à l’insertion de la démocratie parlementaire dans la méthode communautaire de produire pleinement ses effets.

    II.  La permanence de la méthode intergouvernementale

    Le recours à l’intergouvernementalisme est aussi vieux que la construction communautaire. Les traités originaires prévoyaient le recours à la coopération notamment en matière de politique économique. Les principales décisions relatives au marché intérieur étaient prises à l’unanimité. Mais il s’agissait d’un recours à la méthode intergouvernementale dans le cadre institutionnel prévu par les traités, ce qui permettait à la Commission et au Parlement de jouer un rôle dans la prise de décision. La volonté de développer une coopération intergouvernementale hors du cadre des traités date du plan Fouchet initié par la France, plan qui trouvera son expression dans la coopération politique en matière de politique étrangère, puis, dans le cadre du groupe Trévi, en matière de justice et d’affaires intérieures. La volonté de lier cette coopération au système communautaire se manifestera dans l’Acte unique européen dont le nom vient de ce qu’il recouvre, sous un même chapeau, la Communauté et la coopération politique. Placer les politiques intergouvernementales dans un cadre institutionnel commun se manifestera encore à Maastricht avec la structure en piliers de l’Union. Le Traité d’Amsterdam intégrera l’accord de Schengen en lui conservant son caractère intergouvernemental. Enfin, Lisbonne montrera en supprimant la structure en piliers que la frontière entre la méthode communautaire et la méthode intergouvernementale n’est pas figée, tout en conservant la structure intergouvernementale spécifique à la politique étrangère et de sécurité commune. Il peut, en effet, arriver que la coopération entre les États membres crée une confiance réciproque et des habitudes de travail telles que, sous la pression des défis externes, ils acceptent de passer à la méthode communautaire. Cette démarche est facilitée par le fait que les États mesurent les limites qu’apporte le recours au consensus ou à l’unanimité. Si ce recours permet à un État d’empêcher l’adoption de mesures qui lui déplaisent, il autorise aussi ses partenaires à s’opposer aux mesures qui lui plaisent. L’exigence d’efficacité des politiques favorise le passage à la méthode communautaire. Tel est le chemin qui a été suivi pour la justice et les affaires intérieures de Maastricht à Lisbonne. En apparence, la méthode communautaire trouve à s’appliquer dans les domaines prévus par les traités et la méthode intergouvernementale en dehors de ces domaines, mais il s’agit d’une vision par trop juridique. ← 53 | 54 →

    S’il est vrai qu’un acte adopté selon la méthode intergouvernementale alors qu’il relève de la méthode communautaire serait entaché de nullité et réciproquement, il n’en demeure pas moins que des interférences existent, ne serait-ce qu’en raison du rôle joué par le Conseil européen.

    A.  Le Conseil européen, pilier de la méthode intergouvernementale

    La création du Conseil européen est liée à la perception de Jean Monnet selon laquelle la Communauté avait besoin d’une autorité capable de la guider au-delà de la gestion du quotidien, rôle que n’avait pu assumer la Commission. C’est la raison pour laquelle le Conseil européen n’a pas vocation à intervenir seulement en dehors du cadre communautaire, mais peut couvrir tous les domaines. Certes, il a comme mission de guider le développement futur de l’Union, mais rien ne lui interdit d’intervenir dans les dossiers à l’examen. Aussi progressivement il ne s’est pas limité à développer des perspectives à long terme, mais a demandé à la Commission de présenter des propositions et n’a pas refusé, lorsque le besoin s’en faisait sentir, de trancher à son niveau les divergences qui s’étaient faites jour au Conseil. D’ailleurs la tentation était grande pour les membres du Conseil de solliciter, lorsque celui-ci était en situation de blocage, l’arbitrage du Conseil européen. Tentation étant d’autant plus forte, qu’en l’absence d’un ordre du jour formel, rien n’interdisait à un membre du Conseil européen d’évoquer de manière impromptue un sujet dans l’espoir d’obtenir une réponse favorable. Face à ces sollicitations, le Conseil européen pouvait adopter une attitude prudente en se contentant de souligner l’importance du dossier, voire de se limiter à fixer un délai au Conseil pour l’adoption du texte, mais il pouvait aussi arbitrer sur le fond, voire prendre la plume pour amender le texte, comme ce fut le cas par exemple pour le brevet européen. Le Conseil européen n’intervient pas dans tous les domaines, mais dans ceux où la nature des problèmes rencontrés par les États impose une action commune, mais où la sensibilité politique des questions abordées implique que la solution se voie imprimer le sceau de la plus haute autorité politique au sein de l’Union. Ainsi, le cadre financier pluriannuel qui relève normalement de la méthode communautaire, est en fait adopté au sein du Conseil européen, l’intervention du Conseil restant formelle.

    Le Traité de Lisbonne ne modifie pas la situation antérieure, mais dote le Conseil européen d’une plus grande efficacité. En effet, la consécration du Conseil européen en tant qu’institution de l’Union n’est certes qu’un changement, en grande partie symbolique, qui ne passionne que les juristes, mais l’innovation que constitue la présidence permanente du Conseil européen modifie la donne au détriment de la Commission. Tout d’abord, les États membres manifestent une plus grande confiance au président du Conseil européen, qui jusqu’à présent a été choisi en leur sein, qu’au président de la Commission. Ils le chargent de tâches d’études et de propositions qui, au temps de la Commission Delors, auraient été confiées au président de la Commission. Certes, compte tenu de la faiblesse de l’appareil bureaucratique autour du Président, celui-ci doit s’appuyer sur la Commission, mais il porte la responsabilité politique des résultats devant les chefs d’État ou de gouvernement. En outre, par rapport aux anciennes présidences tournantes, le président du Conseil européen a l’avantage de la permanence. Ses rencontres régulières avec les membres du Conseil lui donnent une ← 54 | 55 → connaissance précise des positions de chacun et lui permettent de créer des liens de confiance indispensables pour la recherche du consensus. Enfin, le Traité sur l’Union européenne confie au président la mission d’assurer la continuité des travaux du Conseil européen. Les conclusions du Conseil européen ne tombent plus dans l’oubli et le devoir du président est de s’assurer qu’une suite leur est donnée par les autres institutions et d’en rendre compte au Conseil, ce qui a donné lieu à l’établissement de feuilles de route retraçant l’état des travaux.

    Cette nouvelle structuration a permis au Conseil européen d’intervenir de manière continue dans la gestion de la crise de l’Euro, dans celle de la crise ukrainienne ou dans le traitement du Brexit. De même, les questions principales relatives à l’immigration sont traitées à son niveau. Dans ce contexte, bien que le traité interdise au Conseil européen d’exercer tout rôle législatif, les décisions essentielles sont prises à son niveau, la Commission, le Parlement et le Conseil n’intervenant que pour les traduire en textes législatifs avec une faible latitude. Cette situation a donné lieu à des vives critiques des tenants de la méthode communautaire. Dans un article publié dans le journal Le Monde, le 10 mars 2011, le président du groupe libéral au Parlement européen, et ancien Premier ministre belge, Guy Verhofstadt, estime que « la montée en puissance du Conseil européen nuit aux institutions de l’Union »¹⁶. Il souligne que cette situation a abouti à « confier les rênes de l’Europe à la seule Allemagne » au détriment des petits États membres et appelle à un retour à la « méthode communautaire », c’est-à-dire à un réveil de la Commission. Mais la réalité est bien différente. Plus qu’à un intergouvernementalisme pur, on assiste à une situation mixte dans laquelle on a simultanément recours aux deux méthodes. D’ailleurs, Angela Merkel au Collège d’Europe de Bruges renvoyait dos à dos les partisans d’une opposition entre les deux méthodes et définissait une troisième voie, « la méthode de l’Union », qui, en fonction des objectifs et des compétences de l’Union, fait appel à l’une ou l’autre méthode, voire aux deux simultanément¹⁷. De son côté, H. Van Rompuy observait que parfois le choix n’est pas entre les deux méthodes, mais ← 55 | 56 → entre la coordination intergouvernementale ou rien¹⁸. D’ailleurs, comme le montre une récente étude de Guillaume Sacristie et d’Antoine Vauchez, dans le cadre de la zone euro, la gouvernance est moins assurée par une institution que par un réseau d’intervenants qui se sont associés au fil du temps¹⁹.

    B.  Méthode intergouvernementale versus démocratie

    L’un des reproches faits à la méthode intergouvernementale est qu’elle fait l’impasse sur le contrôle démocratique. D’où l’idée pour certains d’instaurer un parlement de la zone euro. Il est d’ailleurs intéressant que les auteurs conscients de la réalité du pouvoir en ce domaine n’aient pas souhaité conférer ce pouvoir au Parlement européen, mais à une instance mixte composée tant de parlementaires européens que de parlementaires nationaux, ce qui traduit les interférences entre les méthodes évoquées ci-dessus²⁰. Mais faute de telles instances, peut-on parler d’un déficit démocratique né de l’emploi de la méthode intergouvernementale ?

    Le Traité sur l’Union européenne rappelle dans l’article 10, §2 la responsabilité des membres du Conseil européen devant leurs parlements et leurs citoyens. Cette responsabilité reste largement théorique dans la mesure où le contrôle des parlements nationaux est formel, mais cela ne signifie pas une absence de débat dans l’opinion. Les questions liées à l’Union européenne font de plus en plus partie du débat national et les chefs d’État ou de gouvernement peuvent être amenés à rendre compte de leurs positions devant l’opinion publique. Ainsi, en France, à l’occasion de la ratification du Traité de Lisbonne, le débat sur les travailleurs détachés a joué un rôle important. Il en est allé de même à propos de l’introduction du glyphosate. On pourrait évoquer le lien entre la crise de l’euro et les crises politiques nationales²¹, ou encore les incidences des décisions relatives à l’immigration sur les gouvernements nationaux. Dès lors qu’une question européenne devient très sensible dans les opinions publiques nationales, le Conseil européen est tenté de s’en saisir. Les citoyens sont d’autant plus tentés de porter les débats à l’échelle nationale que leur chef d’État ou de gouvernement dispose de la légitimité nationale et qu’il existe une possibilité de lui demander des comptes alors qu’ils se sentent perdus dans le labyrinthe bruxellois. Certes il ne ← 56 | 57 → s’agit souvent que d’un contrôle a posteriori et il ne se substitue guère à un véritable contrôle parlementaire, mais, de plus en plus, la politique européenne est insérée dans le débat national.

    CONCLUSION

    Le débat entre deux méthodes, vues comme des « idéal-types », n’a guère de sens aujourd’hui. Il a été le vecteur d’une vision fédéraliste qui voyait dans la méthode communautaire l’espoir d’une démarche vers une fédération européenne. Force est de constater que les deux méthodes non seulement coexistent, mais s’interpénètrent et se complètent largement. La méthode communautaire fait aux États dans la pratique une place beaucoup plus large que celle que leur octroie les traités et la méthode intergouvernementale a été souvent une voie transitoire vers une intégration complète. De plus, si le Conseil européen peut prendre des décisions, il n’a guère la possibilité d’en suivre la mise en œuvre et la Commission est équipée pour ce faire. Le choix entre les méthodes est certes sur le plan juridique régulé par la répartition des compétences entre l’Union et les États. Mais, sur le plan pratique, il est aussi lié à la relevance politique des problèmes. Il est des décisions qui, en raison de leur importance, ne peuvent être assumées que par les plus hauts responsables des États membres. Dans ces conditions, leur intervention est inévitable même si, formellement, leurs conclusions doivent passer par le canal du processus décisionnel classique. Selon l’expression de Renaud Dehousse, la méthode communautaire intervient par défaut²². À un débat stérile, sur la méthode, ne devrait-on pas s’efforcer de rendre compte de la réalité du fonctionnement du système, loin des dogmes et des mythes, pour s’efforcer ensuite de permettre de faire coexister efficacité et démocratie, car le problème de la démocratie est

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1